vendredi 23 septembre 2005

Le douzième saut de crapaud


L'enfant dormait. Calme et repu. Sursautant à chaque son de la voix de sa mère. À cet âge, ce n'est pas les borborygmes du coeur que le grand-père entendait mais de longs et si délicats soupirs à peine retenus. C'est le coeur que l'on cherche. L'enfant répond par des apnées régulières et retenues. Langage d'une âme qui s'installe entre lui et nous. Prenant sa place préparée par de longs mois d'attente.

Il est là. Petit et immense à la fois. Déjà un géant dans nos amours. Arthur, car voici son nom, roupille. Sa main blanche traçant des ellipses incomplètes, se promène dans ses silences. Parfois, un sourire traverse son visage. Il le retient, puis le laisse partir. Le grand-père le reçoit comme un cadeau angélique.

Se laissant respirer, installé dans un espace à la fois proche et inconnu, il remue ce corps qu'il aura à apprendre avec la grâce du vent. On le sent encore dans des lieux où il patauge, seul et puissant, en appel vers les autres. C'est beaucoup le premier voyage de l'enfant. De tout enfant. Nous rejoindre. Avec un bagage tout neuf. Pur. Près à recevoir et ouvert à donner. Son immobilité partielle est son temps d'organisation. Il se prépare à nous.

Sa main, revenue de ses grands mouvements, se crispe parfois, comme à la recherche d'un appui. De la solidité de l'appui. Et elle s'immobilise entre les doigts du grand-père. Les enfants ont de ses façons de nous comprendre. Ont de ses manières de ne pas se tromper. Ils ne souhaitent que la présence. Elle s'offre à eux par ce contact de l'épiderme. Là où on ne peut mentir, au risque des larmes.

Sa tête de chevalier, douce et ronde, emplit la main du grand-père. Le merveilleux dans ce qui est, s'épanouissant dans ce qui sera. N'étant déjà plus ce qu'elle était, imbibée tant et tant par les sons de l'environnement, la douceur de la chair maternelle, les voyages aériens alors que le père lance son corps frêle vers des hauteurs atteignables, les baisers retentissants d'une soeur magique et les appels au jeu d'un frère curieux. Lui, dans sa tranquilité, celle qu'il a rapportée de sa lointaine étoile bleutée, sourit timidement.

Et il dort encore. Sa tête sur un coeur qui vieillit. Arthur, dans les bras du grand-père, se laisse doucement bercer comme un hamac que Mozart ferait bouger par ses arpèges retenus. Une musique, que lui seul entend, résonne en lui. Il semble l'écouter lui tracer une route vers le soleil.

Arthur, tel un roi couronné, qui trône au beau milieu de nous avec la légèreté du jour, la fragilité du temps et la force des géants, je t'offre ce poème.

corps
sans regards
sans mains
sans voix


corps,
aéroports éclairés par les lumières d’une torche pâle,
chimie et sang chaud emmêlés
sous des ailes éloignées

regards,
navires embués broutant des paroles englouties
sur de grands fleuves malades,
ces orbites du passé


mains,
grands manèges arrêtés aux portes grincheuses
clinquant et requinquant
les moulinets défaits

voix,
cicatrices-stigmates cherchant aux veines imperméabilisées
plus singulières que plurielles
le peu de leur sève séchée


la vie
éternelle répétition parallèle
arpentée
serpentée
comme en des corps
sans regards,
sans mains,
sans voix

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