jeudi 27 septembre 2007

Le cent soixante-dix-neuvième saut de crapaud

Très tôt ce matin, le soleil encore bien emmitouflé dans les nuages, le vent charriant quelques gouttes de pluie, j'entendis le cri des bernaches passant au-dessus de l'île. Elles passent, en chemin vers leur sud, semant autour d'elles des trous dans le silence du jour, ouvrant des taches que les suivantes envahissent de leurs puissants coups d'ailes.

Les bernaches m'ont réveillé, me précipitant vers elles, vers leur route. Comme il est étrange de constater qu'une année, pas l'autre et l'autre avant, on ne sait trop, l'on suive et leur vol, leurs chants et les traces invisibles qu'elles dessinent au-dessus de soi! Pourquoi ce matin d'un septembre automnal aux allures d'été qui s'accroche, pourquoi leur porter une attention toute particulière? Que signifie leur passage? Leur départ? Leur partance?

Enfant, je m'en souviens parfaitement, mon grand-père disait que « les grands oiseaux passent au printemps transportant avec eux les couleurs du sud et repassent à l'automne laissant tomber sur nos têtes les microbes du nord ». Il voulait sans doute expliquer la magie des couleurs du printemps et de l'été de même que les grippes qui s'installent vers la fin de septembre et nous quittent une fois l'hiver achevé. Mais ce vieil homme qui ne parlait pas beaucoup, il comptait surtout, voyait dans les mouvements du ciel des messages, des augures. Le type de formation qu'utilisaient les bernaches lui indiquait l'arrivée de l'été. Le nombre de retardataires, la durée de la belle saison. L'angle plus ou moins aigu de leur grand « V », si la pluie allait être abondante. Toujours, il associait les grands oiseaux aux saisons. Jamais à des événements des hommes. Sauf...

Les bernaches de ce matin, celles que je n'ai qu'entendues, celles que si je les avais vues j'en n'aurais certainement pas mesuré les mouvements, le nombre, les angles de vol, celles qui ramassent autour d'elles les retardataires ou les névrosées, je me serais plutôt demandé quel message, quel signe voulaient-elles me laisser dans leurs microbes sans parachutes s'abimant vers le sol. Emporteraient-elles dans leur course inévitable des gens qui me soient proches? Suis-je en train de fabuler? L'ami d'ici, celui de là-bas, ont-ils un lien avec ce voyage? Un peu comme mon grand-père qui, une seule fois dans sa vie, l'a-t-il regretté par la suite?, dut associer l'étrange volée de cet automne-là à des auspices défavorables...

Une vieille dame vivait avec lui, sous son toit, comme il était dans la coutume à l'époque: quand la mère de la mariée était veuve, elle suivait une de ses filles dans sa demeure. Mon grand-père la respectait, mieux, l'idolâtrait. Cette vieille femme, petite et agile qui allait vivre jusqu'à tout près de cent ans, comme un meuble essentiellement indispensable suivit mon grand-père et ma grand-mère dans tous les bonheurs, dans tous les malheurs. Elle parlait peu, elle aussi, mais marquait profondément les décisions que cet homme de peu d'instruction dut prendre tout au long de sa vie. Elle savait tout faire et faisait tout avec cette élégance discrète qui pouvait passer pour de la noblesse. De l'argenterie parmi le plomb, c'est ainsi qu'on aurait pu la décrire.

De tôt le matin à tard le soir, d'un autonne à l'autre, d'un enfant suivant l'autre, cette vieille dame, petite et agile, au regard qu'elle donna si généreusement à sa fille et plusieurs de ses petits-enfants, cette vieille dame besognait, et besognait encore. Elle ne prenait pas le temps de regarder passer les oiseaux, peut-être, à l'occasion, les grands oiseaux, ceux qui vont et viennent selon un cycle précis.

Cette année-là, la date importe peu, sauf que les deux guerres étaient passées, ces gestes des hommes qui les rendent inhumains disait-elle, cette année-là, son pas avait ralenti. Dans la volée des bernaches, elle ne serait plus devant mais pas encore tout à fait à l'arrière, la vieille dame se mit à souffrir des ailes. Tout d'elle se mit à ralentir. Ce fut l'année où mon grand-père remarqua que la volée des grands oiseaux, inexpliquablement, s'arrêta l'espace d'une journée sans soleil et appeleuse de pluie, derrière la maison, dans un pré aussi grand qu'une main ouverte. Combien étaient-elles? Il ne saurait le dire mais, à leur départ, dans un concert discordant de cris retenus et jetés dans l'ombre des pins, demeura un oiseau. Un seul. Était-il de l'âge de ceux qui connaissent la route? Avait-il traversé à maintes reprises les frontières de ce continent? Personne ne saurait le dire. Mon grand-père le remarqua. Son immobilité simulait le camouflage. Il maquillait de son silence le pré entièrement recouvert des traces d'oiseaux s'y étant, quelques heures, reposés ou par respect pour le volatile épuisé, stratégiquement arrêtés, puis repartit, amputés d'un oiseau fragile.

Il en parla à la vieille dame. Leur échange fut bref. L'oiseau aurait la journée pour leur indiquer l'attitude à prendre. Dans les yeux de la vieille dame, encore vifs mais fatigués, sous ses pattes-d'oie, un signe se traça. Elle allait mourir avant le retour des grands oiseaux. On devait traiter l'esseulé de la même manière que l'on s'occuperait de la vieille dame avant le printemps prochain.

L'oiseau tenta quelques essors infructueux. Il était tout près de la fin de l'après-midi. L'oiseau marcha quelques pas. S'arrêta. Mon grand-père se tenait loin, mais prêt à intervenir au cas où un renard devait se pointer le nez. Il entendit deux cris. Un feulement d'ailes... Puis rien.

La vieille dame s'approcha de mon grand-père et lui dit:
- Il a déjà connu le sud, le nord aussi. Ne lui reste maintenant qu'à connaître ce qu'il y a au-delà des pôles.

Mon grand-père répondit:
- Nous lui laisserons jusqu'au soir pour que s'envole ce qui doit s'envoler. Après je brûlerai ce qui restera.

Ce fut, je crois, la seule conversation entre ces deux êtres. La vieille dame quitta mon grand-père, lui laissant l'inquiétude des grands oiseaux lorsqu'ils passent et repassent. Après cette année-là, il les suivait mais c'est derrière, au bout des longues lignes que se fixait son regard y cherchant un signe quelconque.

Et moi, ce matin, suis-je comme lui?

mercredi 26 septembre 2007

Le cent soixante-dix-huitième saut de crapaud

Qu'ont en commun des auteurs comme Edgar Morin, Érik Érickson, William Glasser et Henri Laborit? Ils sont tous les quatre dans les cahiers de lecture du crapaud... assez évident! Mais surtout, se sont retrouvé sur la route du crapaud à différents moments de sa carrière en éducation. Morin... lors de crises et de conflits. Érickson quand il fallut saisir toute la complexité de l'identité. Glasser, afin de bien s'ancrer dans le réel. Et finalement Laborit, quand il s'est interrogé sur la cybernétique et ... la fuite.
Voici ce que le crapaud a déniché puis réuni.

. L'auto-examen nous convie non pas à nous enfermer narcissiquement et à nous délecter de nous-mêmes, mais à dialoguer avec nous-mêmes... Une pensée qui essaie de se comprendre a besoin de se décentrer et de se distancier par rapport à elle-même et a donc besoin du regard d'autrui et de la pensée d'autrui. L'auto-examen est donc nécessairement auto-exo-examen. C'est dire que la logique de la pensée complexe nécessite un milieu de confrontation, opposition, voire discordre: elle ne saurait concevoir une pensée autosuffisante. Ici encore, nous voyons réapparaître les idées d'ouverture et de fermeture. La pensée close du dogmatisme refuse à la fois l'examen par autrui et l'auto-examen. La pensée complexe a besoin de l'un et de l'autre. EDGAR MORIN


. L'identité prend les multiples formes de l'évolution affective. D'après ÉRICKSON, elle pourrait se résumer ainsi:
Je suis ce qu'on me donne. Je suis ce que je veux. Je suis ce que j'ose. Je suis ce dont je suis capable. Je suis ce que je choisis d'être. Je suis ce que j'aime. Je suis ce que je crée, ce que je produis. Je suis ce que j'ai eu et donné.



. Le «self-management skills» (habiletés à se diriger) selon GLASSER:
Ces habiletés comportent spécifiquement l'aptitude à s'engager dans une exploration autodirigée et intentionnelle de l'environnement; l'aptitude à fixer des buts et à reconnaître quand ils sont atteints; l'aptitude à prendre des décisions et à reconnaître les conséquences d'une décision; un sens de la maîtrise et la confiance fondé sur l'aptitude à contrôler son environnement d'une manière socialement mûre.


. Il n'y a pas d'objectivité en dehors des faits reproductibles expérimentalement et que tout autre que nous peut reproduire en suivant le protocole que nous avons suivi.
Il n'y a pas d'objectivité en dehors des lois générales capables d'organiser les structures.
Il n'y a pas d'objectivité dans l'appréciation des faits qui s'enregistrent au sein de notre système nerveux.
La seule objectivité acceptable réside dans les mécanismes invariants qui régissent le fonctionnement de ces systèmes nerveux, communs à l'espèce humaine. Le reste n'est que l'idée que nous nous faisons de nous-mêmes, celle que nous tentons d'imposer à notre entourage et qui est le plus souvent, celle que notre entourage a construit en nous. HENRI LABORIT


. Tout commence par une marginalité. Ce qui ne veut pas dire que tout ce qui est marginal est vrai. Mais tout commence ainsi pour ensuite se propager par les moyens de communication, de la contamination, de la diffusion, de l'amplification et de la réflexion. Et je crois que chacun d'entre nous est sommé de tenter de refaire sans cesse son propre départ. Chacun peut trouver dans son être, dans sa réflexion et dans sa conscience la volonté de penser autrement que de façon mutilante. EDGAR MORIN

. Il est bon de noter combien la charge affective des mots: bien-être, joie, plaisir, est différente. Le bien-être est acceptable, la joie est noble, le plaisir est suspect. Ce dernier mot sent le soufre. Alors que pour nous le bien-être apparaît lorsque la pulsion ou l'automatisme acquis sont satisfaits et qu'il s'accompagne de satiété, la joie semble ajouter à cette satisfaction la participation de l'imaginaire et le plaisir, lui, est lié au temps présent, à l'accomplissement de l'acte gratifiant. Il n'est ni plus sale, ni plus laid, ni plus amoral que les deux autres. Qui ne voit que les sens différents qui sont communément donnés à ces mots résultent d'automatismes sociaux et culturels, de jugements de valeurs qui viennent avant tout de la répression sexuelle qui s'est abattue sur les sociétés occidentales pendant des millénaires et dont la cause principale pourrait bien être la crainte du bâtard ignoré, profitant de l'héritage de la propriété privée. HENRI LABORIT

Bonne lecture et à bientôt.

vendredi 21 septembre 2007

Le cent soixante-dix-septième saut de crapaud

Dans un saut antérieur... je vous disais que le cycle «fantôme» avait pris fin avec le poème sous les ombres d'un fantôme...Un nouveau semble s'installer, et ce poème tente de l'illustrer.





une longue ligne blanche


une longue ligne blanche assombrit l’horizon
s’exalte dans mille et une nuits
(puis)

l a m e n t a b l e m e n t
au pied d’un catafalque de bronze pourri jusqu’à la moelle
s’étend



une longue ligne blanche noircit les étoiles
satellites éphémères et centrifuges
(puis)
i n e x t i r p a b l e m e n t
glisse sur le dos des aurores boréales
que cueillent au matin les géants désenchantés



une oblongue ligne blanche effiloche l’oued
empêtré dans ses ancres rouillées
(puis)
l a m e n t a b l e m e n t
,d’un souffle éteint, reprend la surface
qu’empoussièrent, fouettés par le vent, les vagues marins



une oblongue ligne blanche confond la neige
choreute enrayée de notes blanches, rondes, noires et croches
(puis)
s y m p h o n i q u e m e n t
catapulte les sons retenus
par des gorges enserrées dans leur cadenas



mince, étendue tout juste au bout d’une couche d’ozone
bleue, étirée d’un pôle à l’autre
l’italique ligne blanche pointille un cilice d’espoir
(puis)
s y s t é m a t i q u e m e n t
immobilise de son formidable coup de pied un ballon couleur d’hélium




Bonne lecture et à la prochaine.

jeudi 13 septembre 2007

Le cent soixante-seizième saut de crapaud



Bon anniversaire, Mathilde.

Je veux t’offrir ces quelques phrases d’un de mes philosophes préférés. Il s’appelle Fernando Savater. Né tout comme moi en 1947, il est une figure clé de la philosophie espagnole. Il n’appartient à aucune école et on peut, tout au plus, le situer dans la lignée de Diderot et de Nietzsche. Son livre ÉTHIQUE À L’USAGE DE MON FILS, traduit dans de nombreuses langues est rapidement devenu un best-seller mondial.

Savater est professeur de philosophie à l’Université de Madrid, essayiste et polémiste. Ses principales préoccupations concernent l’éthique. Il est connu pour ses prises de position et son action déterminée contre le mouvement terroriste ETA, qui le menace de mort; à ce titre et au nom de ses compagnons de l’Initiative citoyenne contre la violence au Pays Basque (Basta Ya!) on lui a décerné en 2001 le prix européen Sakharov pour les droits de l’homme.






. L’éthique n’est pas autre chose que la tentative rationnelle de vivre mieux.

. J’ai la faiblesse de croire, et peut-être es-tu de mon avis, qu’en prenant les gens pour des idiots, s’ils ne le sont pas encore, ils finissent par le devenir…

. On peut vivre de toutes sortes de façons, mais il y a des façons de vivre qui empêchent de vivre.

. … nous ne sommes pas libres de choisir ce qui nous arrive, mais libres de réagir à ce qui nous arrive de telle ou telle façon.

. La liberté, c’est décider, mais aussi se rendre compte qu’on décide. C’est le contraire de se laisser entraîner.

. Une action n’est jamais bonne par le simple fait qu’elle émane d’un ordre, d’une habitude ou d’un caprice.

. … nous ne sommes pas libres de ne pas être libres, nous sommes obligés de l’être.

. Tout ce que nous retenons fermement trouve toujours le moyen de nous retenir non moins fermement…

. Il n’est pire châtiment que de découvrir que nos propres actes boycottent ce que nous voulons réellement devenir…

. Le premier droit humain est le droit de ne pas être une photocopie de nos congénères, de sortir un peu de l’ordinaire.

. … le maximum que nous puissions obtenir de quoi que ce soit, c’est la joie. La joie c’est un oui spontané à la vie qui jaillit de nous, parfois au moment où nous nous y attendons le moins.

. Puisqu’il est question de choisir, essaie toujours de choisir les options qui t’offrent ensuite le plus large choix possible, pas celles qui te laissent face au mur. Choisis ce qui t’ouvre : les autres, des expériences nouvelles, des joies variées. Évite ce qui t’enferme ou ce qui t’enterre.

Les citations proviennent de l’Éthique à l’usage de mon fils.

lundi 10 septembre 2007

Le cent soixante-quinzième saut de crapaud

Le lancement montréalais du livre Du yoga avec Om'a* qui vient de paraître aux Éditions du soleil de minuit**,aura lieu le dimanche 30 septembre 2007 à 14h00 à la boutique Lululemon, 4361 St.Denis (entre Mont-Royal et Marianne). L’auteure, Loïse Lavallée , sera présente et disponible pour les entrevues.

Enfants, parents, grands-parents, oncles ou tantes, professeurs de yoga, à la maternelle ou au primaire sont invités à venir y assister en grand nombre.

Grand-mère moderne et dynamique, O’Ma raconte une belle histoire tout en initiant ses petits-enfants à la pratique du yoga. Avec elle et vos petits, découvrez ce qu’est le yoga par le biais de l’imitation et de l’imagerie : un yoga qui prend l’allure de la fantaisie, explore la respiration, le mouvement et la relaxation.

Tout en rêvant et en s’amusant, votre enfant apprendra à s’observer pour se comparer non pas aux autres mais à lui-même. Il développera sa concentration, son équilibre, sa coordination, sa pensée créative et par là même son estime de soi.


* Collection Grand-maman O’Ma
Texte : Loïse Lavallée*** Illustrations : Claudine Gévry****
32 pages 14,95$


** Les Éditions du soleil de minuit, 3560, chemin du Beau-Site, Saint-Damien-de-Brandon (Québec) J0K 2EO, Canada
Télécopieur (514) 744-3164
www.editions-soleildeminuit.com



*** Loïse Lavallée est auteure, linguiste et pédagogue. Également yogini en Kundalini, elle pratique le yoga depuis plus de dix ans, tout en partageant son temps entre Montréal et l’Outaouais.



**** Claudine Gévry a illustré plus d’une quarantaine de livres pour enfants. Elle parcourt le monde à la recherche d’inspiration, aussi souvent que possible, mais son cœur demeure à Montréal où elle a son studio. Elle aime faire la pose de lotus et celle de la chandelle.


Un être dépressif - 14 -

  Un être dépressif - 14 - C’est à partir du poème de Jean DUGUAY, mon ami psychologue-poète, que je lance ce billet.                      ...