lundi 5 décembre 2005

Le quarante-neuvième saut de crapaud

… la suite…

Pour bien saisir le déroulement des choses, il est important de comprendre qui était Arthur. Bedeau, oui, mais principalement un vieux garçon invétéré. Il avait bien essayé, au cours d’une saison printanière et pas plus, de courtiser Clémence, la vieille fille Guillemette, mais cela, en plus de ne pas avoir donné des résultats pouvant laisser croire que les deux célibataires les plus célèbres du village provoqueraient une commotion générale en songeant à se marier, entraîna davantage de moqueries qu’autre chose. Inutile de ramener dans l’actualité tout ce que Constant John avait pu dire sur cette tentative de relation, le deuil n’étant pas encore tout à fait enterré.

Arthur vivait seul dans une maison située tout en haut de la célèbre côte de l’Anse-au-Griffon qui permet, une fois qu’on l’a franchie, d’avoir sur la mer une vue imprenable. Encore aujourd’hui, on dit qu’il s’agit du plus beau point de vue entre Rivière-au-Renard et Gaspé. La maison d’Arthur, pendant longtemps, a fait jaser bien des gens. Probablement parce que son propriétaire ne l’entretenait pas. Il pouvait la rafraîchir de l’extérieur aux dix ans. Nettoyer les fenêtres ne lui venait pas à l’esprit. D’ailleurs les châssis-doubles restaient installés douze mois par année. Il ramonait la cheminée, voilà tout ce qu’Arthur se permettait de faire sur sa résidence dont les écaillures blanches noircies avec le temps s’envolaient au vent. Un vent particulièrement sifflant sur cette hauteur.

Il braconnait. Cela tout le monde le savait parce qu’on sait tout ce qui se passe dans un village à l’esprit grégaire où les habitants vivent collés les uns près des autres. Également, et voilà probablement la provenance de ses revenus, il servait de guide de pêche, du printemps jusqu’à l’automne, où, pour les touristes, il se changeait en guide de chasse. Lorsque l’on guide, il faut pouvoir s’orienter soi-même mais surtout savoir exactement où mener ceux qui nous embauchent. Sa renommée qui outrepassait la côte, rendait les gardiens de la faune vigilants et circonspects.

De plus, le bedeau Arthur servait la messe. Pas celle du dimanche, celle-là il la laissait aux enfants de chœur qui, secrètement, rêvaient du jour où montant en grade, ils pourraient la chanter. Lui, il avait la responsabilité de la messe quotidienne, la non payante. Car le curé Boudreau avait bien vite saisi qu’il ne pouvait pas espérer de ses paroissiens qu’ils s’acquittent de la dîme et qu’en plus, ils remplissent le plateau de la quête lors des offices du matin de semaine.

Le curé et le bedeau s’entendaient bien. Le premier, comptant sur l’entière collaboration du deuxième; celui-ci, le complet silence sur ses activités frôlant l’illégalité. Tous se doutaient bien que le chanoine fermait les yeux sur l’armoire réfrigérée remplie de poisson ou de gibier… selon la saison. Arthur, en contact avec bon nombre de touristes venus des grandes villes, en apprenait beaucoup sur toutes sortes de sujets et refilait les informations à un curé dont la curiosité était légendaire.

Lorsque le curé Boudreau mourut, la nouvelle fouetta de plein front notre bedeau Arthur. Il mit plusieurs mois avant de parler de ce que lui savait. La nomination du « jeune curé » ne modifia en rien dans les affaires de l’église… à part une seule chose. Pourquoi Joachin Archambeau parlait-il constamment de fantôme? Intrigué, Arthur opta pour la stratégie de l’attente. Habile comme pas un à découvrir la cache du poisson et encore plus à dénicher le gibier, il choisit de laisser aller le nouveau venu du presbytère, le surveillant d’un œil aiguisé avant de créer des liens semblables à ceux qu'il entretenait avec le chanoine.

Notre bedeau avait un grand ennemi: le maire Léo. Arthur le détestait ayant constaté rapidement qu’il servait de marionnette au curé Boudreau, respectant à la lettre les ordres de ce dernier mais surtout du fait qu’il était en relation constante avec les autorités aussi bien politiques que policières. Il craignait ce lèche-cul servile dont le rôle était de s’assurer que les lois soient respectées. Également du fait que Léo, pour se protéger, devenait ce délateur dont la crédibilité jamais ne risquait d’être remise en question.

Mais lorsque le « jeune curé » et Léo se mirent, sans aucune retenue, à jouer du fantôme par-ci par-là, Arthur, on ne saura jamais si ce fut pour protéger ses affaires ou lancer de la poussière aux yeux, en plein après-midi et en plein cœur du magasin général, laissa tomber ces mots qui glacèrent d’effroi ceux qui les entendirent en personne et tous les autres à qui on s’était empressé de les répéter.

- Peut-être que le chanoine n’est pas mort de sa belle mort. Je me souviens très bien que les cloches se sont mises à sonner juste avant le souper pour s’arrêter au beau milieu de la nuit. Pas surpris que ce soit l’œuvre du fantôme…


…à suivre…

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