Jean-François Lisée, Philippe Couillard, Manon Massé, François Legault |
J’ai suivi le premier débat des chefs, en temps réel, à partir
de la plateforme web du journal LE DEVOIR. Une note : nous étions plus de 100 personnes à écouter (et voir) en début de débat; plus le temps s’écoulait moins de gens demeuraient branchés.Intéressant, civilisé et à la limite, je
crois, éclairant pour ceux et celles qui l’auront suivi.
Pas question pour moi de déclarer un vainqueur, encore moins d’analyser
(on pourrait écrire "analiséé") la performance de chacun des 4 chefs de parti, mais vous offrir en vrac les notes prises au fur et à mesure qu’il évoluait.
ALLONS-Y.
Le
linge et les accessoires
J’ai toujours soutenu que le linge que porte quelqu’un – tout comme ses accessoires - est un critère important dans le jugement que l’on a sur
ladite personne.
Philippe Couillard : complet
bleu et cravate de la même couleur; un jonc à l’annulaire gauche et une
épinglette à son veston à l’effigie du Parti Libéral du Québec. Le stylo à sa main droite ne
l’a pas quitté un seul instant.
François Legault : aucun
jonc, rien sur son complet gris représentant la Coalition Avenir Québec.
Jean-François Lisée : pas de
jonc mais une épinglette aux couleurs du Parti Québécois sur son complet noir.
Manon Massé : un jonc
à l’annulaire de la main gauche, un bracelet au poignet droit ainsi qu’un bijou
accroché à une chaîne argent, à son cou; tenue noire et blanc.
Je fais une diversion du côté du modérateur Patrice Roy qui m’est apparu fort efficace, menant bien le débat, seul à être demeuré assis tout le
long de la rencontre alors que les chefs se tenaient debout derrière une
tribune qui m’a semblé confondre son gris à un décoloré anthracite. Il a
rappelé, et cela à plusieurs reprises, que les débatteurs se devaient de
répondre aux questions posées avec clarté tout en ayant le souci de respecter les
auditeurs.
Les
questions
Elles allaient dans le sens des points inscrits à l’ordre du
jour à savoir la santé, l’éducation, l’économie, l’environnement et l’immigration.
Chacune des questions posées par 8 femmes et 4 hommes, permettait une courte réponse de la part de chacun des quatre, suivait un
échange entre les débatteurs puis Patrice Roy apportait des sous-questions afin
d’approfondir le sujet. La question portant sur l’environnement a été amenée
par une jeune qui ira voter pour la première fois le 1er octobre.
Les autres provenaient de personnes plus âgées.
La
qualité de la langue
Le premier débat, organisé par
Radio-Canada, s’est déroulé en français; un suivant également en français puis
un autre en anglais.
Que penser de la qualité
de la langue parlée de nos chefs lors de ce débat ?
Philippe Couillard, à mon avis, est celui qui a le moins commis d’impairs.
Prononciation parfaite et diction intelligible tout cela accompagné par une
gestuelle bien dosée. Il savait regarder dans les yeux chacun des
interlocuteurs à qui il s’adressait tout en tenant compte des auditeurs qui le
suivaient. Il décroche un 9/10.
François Legault n’a pas l’aisance du Premier ministre, ayant
souvent tendance à répéter les mêmes mots dans un style que je qualifierais d’ennuyant.
Reconnu pour ses frasques linguistiques – n’a-t-il pas déjà dit que l’exportation
de l’électricité à l’extérieur du Québec, il en faisait une priorité – le Chef
de l’opposition officielle a été fidèle à son habitude, soit d’user d’intonations
qui peuvent surprendre. Ce soir, j’avais l’impression de réentendre la même
cassette jouée et rejouée jusqu’à l’usure. J’évite de commenter la manière dont
ses mains continuellement jouent à balayer l’air. Il décroche un 7/10.
Jean-François Lisée a certainement été le plus intéressant à écouter.
Une voix qui porte bien, un choix de mots précis lui évitant d’user de
synonymes ou de périphrases qui ne peuvent qu’alourdir le propos. Des gestes d’un naturel qu’on les oublie. Diction et prononciation d’une
efficacité quasi chirurgicale. L’utilisation, à une seule occasion durant le
débat, du prénom d’un adversaire ("avec tout le respect que je vous dois,
François") démontre le calme et l’assurance que sa voix transmettait. Je lui
accorde un 9,5/10.
Manon Massé est une "vraie’" elle se plait à le répéter. Elle
alimente son discours de termes qui parfois sont des barbarismes ou des
anglicismes, mais cela colle bien au personnage. La qualité de la langue, chez
elle, est intimement liée à sa capacité d’écoute. Sûrement la seule à regarder
fort attentivement les ameneurs de questions. Sa langue et son écoute font d’elle
une communicatrice empathique et vraie. On s’attendait à quelques "pogos",
nous avons reçu un plat de résistance fort appétissant. Elle décroche un
7,5/10.
Tout juste avant de vous livrer les
notes prises en cours de débat relatives à chacun des 4 chefs de parti, en
voici quelques-unes d’ordre général:
1) Le débat est parti sur les chapeaux de roues
maintenant une cadence qui ne pouvait que ravir les auditeurs;
2) Nous avons assisté au retour des comparaisons
Québec/Ontario, à tel point que l’on se serait cru à l’époque de Robert
Bourassa;
3) On
a tellement abordé la question des difficultés reliées à la petite enfance, aux
non diplômés à la fin des études, aux décrocheurs que l’on peut imaginer que
notre système d’éducation leur porte un intérêt important alors que sur le
terrain on se plaint du peu d’intérêt de la part des élus;
4) Très
peu question des femmes et des syndicats;
5) La
façon dont Patrice Roy a prononcé le nom de l’homme vietnamien est erronée. Manon
Massé a corrigé le tir en y allant de manière juste;
6) L’ensemble
du débat a été civilisé, peut-on espérer un jour le même décorum à l’Assemblée
nationale ? ;
7) Ici,
lorsque l’on parle de minorités culturelles alors qu’en Asie-du-est on utilise
le terme "ethnie";
8) Le temps (au final) reflète la tendance que les
sondages nous offrent : CAQ, PLQ, PQ, QS.
Les chefs
Philippe Couillard a offert
une performance digne de ce dont habituellement il nous offre. D’un air neutre, il
est devenu évident que la cible qu’il allait viser était François Legault qu’il
a "bouché" sur la question des coupes en éducation. Insistant beaucoup sur le
fait que François Legault a une mauvaise vision des situations, qu’il sème la
confusion en n’étant jamais clair, ne sachant pas ce dont il parle et aborde
les problèmes de manière populiste, il a même osé un "vous faites peur aux gens". Je ne sais si son désir de "donner une
leçon" à Manon Massé sur ce qu’est vraiment la question de l’offre en
agriculture, lui aura rapporté des points. Je conclus en disant que voulant se
montrer au-dessus de la mêlée, il aura oublié l’espace de deux heures son
statut de Premier ministre. Lors du débat de 2014, il avait su, avec brio, se
distancer des autres candidats par cette impression donnée qu’il pouvait être
un homme d’état.
François Legault, tout au long
des affrontements, me semblait devoir refréner une certaine colère, du moins c’est
l’effet que son langage non verbal laissait paraître. Toutes, ou à peu près, ses
interventions ont tourné autour des $, de la rémunération, du gaspillage, tout
allant se régler par de bons salaires. À la question du salaire minimum il la
transforme en parlant de revenu annuel. Souvent, son imprécision nous envahit
alors que de son côté tout semble simple et limpide. Pour lui, il le dit en
réponse au rêve qui l’habite quand il songe au Québec, les valeurs sont des objectifs. Rien de bien stimulant quand il se projette
dans les nuages! Sera-t-il satisfait de sa performance ? De mon côté, celui d’auditeur,
elle n’aura pas su m’arracher le moindre sentiment de la part de celui pour qui
l’environnement se rapproche de la pensée de Donald Trump : "y a rien là…".
Jean-François Lisée
je le dis d’entrée de jeu, est tout un débatteur. Il manie à merveille sa
facilité naturelle à répliquer coup pour coup, souvent avec une phrase qui tue. Puis-je
qualifier de désinvolte l’attitude qu’il a conservée du début à la fin ! Alors
qu’on le croyait en dehors de la joute, il rebondit avec une aisance rare du commun. En sera-t-il de même lors du
dévoilement des résultats le 1er octobre ? Chose certaine, c’est un
autre Jean-François Lisée que nous avons vu ce soir que celui dépeint par les médias. Il s'agissait d'un homme maniant avec brio le fait que la télévision lui offrait la chance d’entrer
directement en contact avec les gens. Je crois qu’il a réussi son pari. Boucher
Patrice Roy n’est pas donné à tout le monde. Le chef du PQ l’a fait alors que l’animateur
lui reprochait d’utiliser un document - chose interdite par les règles du débat - rétorquant illico qu’on ne pouvait pas les montrer. Je crois que le débat aura
permis à Jean-François Lisée de devenir un "nouveau Jean-François Lisée".
Manon Massé, sans l’ombre d’un
doute celle qui a le plus souri lors de ce match l'opposant à trois hommes. Debout
malgré un fémur en mauvaise état, elle a offert à tous ses dénigreurs l’image d’une
femme – excusez cette petite pointe sexiste – très belle. Son visage a
littéralement crevé l’écran. La grande force de Manon Massé au niveau de la
communication réside dans le fait qu’elle écoute attentivement ne cherchant pas,
en lieu et place, les mots de sa réponse ou de sa réplique. Les grands
chantiers que QS proposent à l’électorat ont été plus importants pour elle que
de se faire du capital politique. Comme j’ai apprécié cette référence au
Rapport Parent au sujet des écoles privées, tout comme elle a martelé que les
CPE sont un lieu d’éducation non pas juste une garderie. Utilisant le "nous" alors que les autres lui préféraient le "je" ou le "on", Manon Massé a été…
une vraie solidaire.
Conclusion et pointage
Si je pars de l’hypothèse suivante, à savoir que les électeurs québécois,
pour une importante majorité, sont à la recherche d’un rechange au gouvernement
actuel, suite au premier débat des 4 chefs, quel parti peut sembler
répondre le mieux à cette volonté ?
Poser la question c’est un peu y répondre. Deux partis se trouvent
éliminés au départ soit le PLQ et QS, leur chance de former le prochain
gouvernement étant nulle. On doit se retourner vers la CAQ et le PQ. Un choix
entre le meneur dans les sondages et le troisième.
Au Québec, tout comme au Canada, les électeurs d’un certain âge ont été
élevés dans le bipartisme : les rouges et les bleus. Depuis, se sont
ajoutés diverses formations politiques, les principales étant le NPD au Canada,
le PQ et la CAQ au Québec. Le Parti Vert (au fédéral) ainsi que QS (au provincial)
devraient être considérés comme des joueurs sérieux le jour où plus de 15% de
la population leur aura manifesté un appui tangible et quantifiable.
Le bipartisme a joué un rôle important lors des élections canadiennes de
2015. Alors que tous les observateurs prévoyaient le NPD comme remplaçant du
Parti Conservateur de Stephen Harper dont plus personne ne voulait après plus
de dix années au pouvoir, les Canadiens moulés au bipartisme, ont opté pour les Libéraux de Justin Trudeau.
Si cette donnée, le bipartisme, avait son mot à dire lors de l’élection
québécoise 2018, je suis porté à penser que cela favoriserait le PQ. La CAQ, malgré des scores supérieurs à ceux des autres partis, ne peut pas encore être
considéré comme le "deuxième parti", celui vers qui on se retourne
traditionnellement afin de changer de gouvernement. Ne reste que le PQ pour
ceux qui souhaitent un gouvernement différent de l’ancien.
Ceci n’est ni une projection ni une prévision, strictement l’application
de la théorie du bipartisme, laquelle peut facilement être démolie, je vous le
concède.
Je clos cette chronique en accordant un pointage à chacun des chefs suite
au débat du 13 septembre.
Philippe Couillard : 7/10
François Legault : 6/10
Jean-François Lisée : 9/10
Manon Massé : 7/10
N’oublions pas que deux débats restent à venir et un plus de deux
semaines à la campagne électorale.
À bientôt