Ce soir, bien installé au clavier, le Morgon ne m’accompagne pas. Un rosé assume la relève. Rosé d’été. Après avoir réfléchi, mûrement réfléchi à ce projet (Si Nathan avait su) je me dis, en fait j’essaie de me convaincre qu’il pourrait se situer dans un prolongement du regard qui m’amena à scruter derrière moi, parfois loin derrière, coup d’oeil entrepris avec la psychologue dans le cadre d’une essentielle thérapie. Creusant davantage et ne voulant surtout pas que cela ressemble à des mémoires ( une relation manuscrite qui rappelle la vie, les événements auxquels j’ai été associé ) ce que j’écrirai dans ces billets proviendra à la fois de textes publiés ou pas, mais également d’un cahier entrepris à Da Nang (Vietnam) alors que ma vie vacillait, cahier contenant des pages et des pages ressassant mon enfance, mon adolescence… et qui s’est brusquement arrêté alors que je ne pouvais plus ni écrire ni réfléchir ni lire. Alors que la compagnie d’aviation Qatar Airways calculait scrupuleusement les kilos autorisés à nous suivre sur ce vol Saïgon/Montréal du 4 novembre 2021, j’ai malheureusement dû laisser à Da Nang beaucoup de documents qui ne se retrouvaient pas sur mon ordinateur dont celui écrit à la main dans un cahier qui n’a pu trouver place dans mon unique valise permise à bord. Maintenant que j’y repense, son point de départ se situe à l’occasion d’un congrès organisé par mon père et tenu à Ottawa. J’ai 12 ans.( Je note ici que Nathan a débuté son «diary» comme il le nommera, au même âge, l’année de son entrée à l’école secondaire et de son installation au grenier de la maison familiale nouvellement restaurée.) C’est fou comme ça devient facile de se souvenir lorsque, écrivant sur un événement, une foule de ressouvenirs* s’y greffent. Je constate qu’il existe une étonnante différence dans le fait d’écrire manuellement par rapport au clavier. Plus fluide. Plus lent aussi, aussi lent que la rétroaction des souvenirs. Je ne sais pas si Nathan, alors qu’il quitte sa bien-aimée, qu’il se retrouve locataire du logis situé au-dessus de celui qu’il partageait avec elle, qu’il colle son oreille pour percevoir la musique qui était la leur, je ne sais pas s’il appréhende la situation comme outrepassant une simple séparation. - Sans doute que son cahier personnel nous le dévoilera en cours de route. Se séparer, c’est quitter quelqu’un, renoncer à beaucoup d’acquis. Je le sais pertinemment pour avoir très souvent quitter, que ce soit des gens, que ce soit des lieux. L’écrire maintenant me permet d’en recevoir d’incomplets feed-back. Quitter c’est aussi repousser à plus tard la compréhension d’une situation qui nous déplaît sans pouvoir la formuler correctement ; l'ancienne conjoncture, souvent, ne concorde plus à qui nous sommes devenus. Permettre, aussi, de s’interroger sur les motifs qui nous ont poussé à avoir recours à ce subterfuge. Réjean Ducharme, dans son roman DÉVADÉ tente, difficilement je l’avoue, de saisir cette dynamique, celle de l’évasion qu’il projette vers des lieux inimaginables. Il existera toujours des choses dont nous sommes incapables de nous évader, de quitter. Moi, en plus des racines qu’un retour prématuré au pays m’a permis de redynamiser, il y a la musique. L’abonnement offert par notre paternel au début des années 1960, celui à la Maison Columbia, section classique, fut véritablement un déclencheur. Nous recevions mensuellement un disque. Pour l’écouter on disposait d’un petit «tourne-disques» - je me souviens, il était bleu - absolument pas stéréophonique. Le son qui en émanait comparé à celui des appareils disponibles aujourd’hui, se classerait parmi les moins bons sinon les pires. Il fallait changer l’aiguille je ne sais trop combien de fois par année et souhaiter qu’il ne nous lâche pas en chemin. Je me suis mis à écouter ces 33 tours avec un enthousiasme non partagé par mes soeurs, et mon autre frérot, Jacques, qui accrochait plus avec Petula Clark. Mon frère Pierre qui s’est toujours intéressé à tout, son esprit ouvert cherchant constamment à rejoindre l’universel communiait à cette attirance pour la musique classique. C’est de lui que j’ai appris à forer toujours plus creux, appris à le faire car le message qu’il soit musical ou autre n’est pas évident à première vue, à première écoute. Oui je sais, je parle souvent de ce frère et ne cesserai de le faire car il fut et est toujours un des êtres humains qui m’aura, parfois dans le silence, poussé vers l’inconnu, poussé à découvrir le pourquoi des événements. Nous sommes tombés en amour, lui et moi, avec Fritz Kreisler à partir d’un disque du violoniste Zino Francescati. Je ne peux parler pour mon frère, mais déjà, à cette époque, le violon devint ce que je préférais le plus, étant plus dubitatif quant aux symphonies. La musique sous toutes ses coutures m'aura toujours habité, rejoignant mes états d’âme. Encore aujourd'hui le classqiue, le jazz font partie de compagnons les plus fidèles. Il m’est impossible de ne pas identifier une émission radiophonique en particulier, LE CABARET DU SOIR QUI PENCHE animée par Guy Maufette, diffusée le dimanche dès 20 heures et s’achevait à minuit sur les ondes de Radio-Canada d’est en ouest du pays.
Cet illustre animateur offrait de la chanson d’expression française qu’elle provienne de France ou du Québec, l’enrichissant de propos d’une poésie fort recherchée. Citer les favoris que je retrouvais d’un dimanche à l’autre m’est impossible tellement les découvertes me surprenaient à chaque fois. J’adorais les liens qu’il tissait entre Léo Ferré et le poète Max Pol-Fouchet ; Jacques Brel et Pierre Mertens, deux belges ; son Félix Leclerc dont je ne cessais d’apprécier la voix et les textes. Et ainsi de suite… Sans doute accaparais-je cet espace de la maison que nous nommions «le bureau» laissant peu de chance aux autres membres de la famille d’y avoir recours. Quelle ne fut pas ma surprise alors que je voyageais en France avec mon frère Jacques (décédé en 2016) d’apprendre qu’il fut lui aussi un auditeur assidu de cette émission, lui demandant de quel endroit, de quel poste de radio pouvait-il bien s’y brancher. Il existe un rapport direct, je crois, entre la musique et les émotions. L’histoire de Nathan et Isabelle l’illustre bien. La question qu’il faut se poser pourrait se décliner ainsi : la musique dans sa finalité propulse-t-elle les mêmes émotions à chacune de nos écoutes ? Est-ce que les deux tourtereaux, dans plusieurs mois, ressentiront les mêmes émois que maintenant ? Le temps, ce fabuleux complice, érodera-t-il cette musique ainsi que les sentiments qui s’y étaient accrochés ? Je lisais dans le journal LE DEVOIR un article signé par un critique musical spécialisé en musique classique, un article sur le dernier opus du chef Yanick Nézet-Séguin consacré aux symphonies de Brhams que selon les chefs d'orchestre, les orchestres eux-mêmes, l'illustre compositeur peut nous rejoindre de manière différente. Je ne sais trop qui a dit que la musique c’est du son qui se parfume. Il y a tant de fragrances ! Se glisse donc sur tous les genres qui enveloppent la musique classique et le jazz (ici j’aborde presque exclusivement les genres qui me plaisent) un bassin rempli d’émotions et de sentiments.
Lorsque j’écris, il y a toujours de la musique autour. Nathan, du moins ce que je sais de lui, un être à la fois complexe et solitaire découvrira, on le verra bientôt, que la musique est un antidote au malheur. Je le sais parce que déjà j’ai pu lire quelques pages de son journal personnel. Un cahier scolaire bourré de fautes d’orthographe, mais quelque part une formidable sensibilité d’adolescent. Il a entretenu ce cahier - en fait il y en a plusieurs - jusqu’au moment de son départ pour Montréal. Le reprendra-t-il ? Mon indiscrétion me permet de vous en présenter plusieurs pages ; j’ai, toutefois, corrigé les erreurs qui s’y sont glissées sans toutefois déformer le sens des textes.
* ressouvenir : ce mot qui a vieilli ou principalement utilisé en littérature, signifie un souvenir que l’on continue à garder d’une chose passée ou souvenir d’une chose oubliée ; l’évocation, le rappel de ce souvenir.