dimanche 4 septembre 2016

5 (CINQ) (CENT TROIS) 03


12ième épisode de ILS ÉTAIENT SIX...
  

Suite à la publication de celui-ci, on devra attendre mon retour de Birmanie afin d'afficher la suite. Une attente qui fera durer le plaisir; du moins je l'espère.
     

      1k) ainsi va l'après-midi. Que ce soit à Hanoï ou à Saïgon (Ho Chi Minh Ville) plusieurs étudiants prennent l'habitude de déambuler dans les parcs publics à la recherche d'étrangers désireux de jaser avec eux. Ils souhaitent ainsi perfectionner leurs connaissances en langue anglaise s'imaginant multiplier leurs chances de réussite dans leur future carrière s'ils possèdent les rudiments de cette langue occidentale. 

Le problème, toutefois, est qu'ils ne deviennent que des auditeurs. Ils interrogent un étranger volontaire à jouer le jeu, s'agglutinent autour de lui puis... écoutent. Peu de ces touristes manifestent de vrais élans pédagogiques en établissant le dialogue qui, rapidement, se transforme en monologue. Il n'est pas du tout certain que ce que l'on raconte soit ou vérifiable ou la pure vérité. Comme dit le proverbe: ''A beau mentir qui vient de loin.''     

Ici, c'est l'inverse qui se produit. Un étranger arrache Khuôn Mặt (le visage ravagé) à sa séance dominicale d'observation pour lui parler. Ce dernier répond que son anglais est rudimentaire mais s'il peut lui être d'une quelconque utilité, ça lui ferait plaisir.       - Je suis à Hanoï quelques jours, dit l'étranger au sac de cuir.     Il offre une cigarette au jeune qui la refuse en le remerciant.     - Vous vivez ici depuis longtemps?     - Depuis toujours, répond celui qui cherche, par-dessus l'épaule de son interlocuteur, à ne rien manquer des mouvements de bouche intermittents de la jeune fille qui vend des ballons multicolores.     

- Je me nomme David Bloch. Et vous?      L'enthousiasme de Khuôn Mặt (le visage ravagé) n'est pas manifeste. Il a autre chose à regarder que d'écouter un étranger lui dire son nom. La politesse légendaire des Vietnamiens l'oblige toutefois à répondre, ce qu'il fait, cherchant du mieux qu'il peut la meilleure prononciation possible. L'étranger se retourne vers la vieille dame, commande un autre café.        - Je peux vous offrir quelque chose?     

2k) ainsi va l'après-midi. - Comme le temps passe vite, Dep. Je dois retourner à mon atelier, dit l'amie couturière.     Elle se nomme Cô Thợ May, préférant toutefois être appelée May, ça fait plus moderne se plaît-elle à dire en souriant lorsqu'on lui demande son nom.     

     - La prochaine fois que tu iras faire la balade, dis-le moi, comme cela je ne te chercherai pas inutilement.     - Promis, lui répond la jeune fille qui vend des ballons multicolores, mais je ne crois pas que ça puisse se reproduire.     - C'est quand même plus agréable de se promener en groupe que seules. Mais tu sais ce que tu as à faire, reprit-elle, balayant son áo dài* sur lequel est agrafée une aiguille.     

Dep la regarde partir mais la fait revenir aussitôt, ayant oublié sa demande pour la lettre, la première, écrite à sa mère.     - Je ne descends la pente que demain, ça ne te pose pas problème?    D'un sourire Dep lui dit que non, qu'il n'y a pas urgence, qu'il s'agit d'un courrier pour sa mère à qui elle n'a pas donné de ses nouvelles depuis son arrivée.     - Ça peut très bien attendre à lundi. Merci.

La couturière part au pas de course, jette un regard furtif autour d'elle au cas où... Dans sa tête de jeune fille bouillonnent mille et une histoires bleues, roses qui toutes s'achèvent par un mariage. Elle se dit que sa robe de noces sera la plus belle que l'on ait jamais vue dans le canton. Elle la coudra patiemment. Il y aura de la soie... de la dentelle.. une longue traîne... Passant devant le café, elle remarque cet étranger que Dep a à peine eu le temps de lui dire deux mots. Il est assis avec Khuôn Mặt (le visage ravagé).

*áo dài Vêtement traditionnel vietnamien que les femmes portent.

3k) ainsi va l'après midi. Dep vit chez son oncle depuis maintenant trois mois. Rien de particulier ne dérange sa routine si l'on fait exception de cette veille, ce samedi soir qui la fit souffrir. Son boulot: l'entretien de la maison, le kiosque, les courtes promenades avec son amie couturière, voilà le résumé de sa vie. Et lire. Beaucoup lire. Comme il lui est difficile de se procurer des livres, n'ayant aucun congé lui permettant de se rendre dans une librairie de Hanoï, elle relit ceux de Pearl Buck qu'elle s'est procurés à Nha Trang. Celui que sa mère a glissé dans son bagage, à son départ, conserve une place importante. Il lui semble que l'odeur maternelle l'imprègne toujours. Combien de fois l'a-t-elle humé? Elle touche les pages se disant que sa mère l'avait fait avant elle. Cela la rend heureuse.

Il aura suffi d'une fraction de seconde. L'espace d'un soupir retenu. Tout son corps devenu froid comme l'eau de la fontaine où elle s'est arrêté la veille. Le sang bouille, bafouille en elle. Elle implose. Ses yeux se remplissent de larmes alors que tout son visage devient grimace. Dep tremble autant, sinon davantage qu'hier. Mais il ne s'est pas arrêté, Cao Cấp (le plus âgé). Ne s'est pas retourné non plus. La jeune fille qui vend des ballons multicolores, sidérée, suffoque. Une force intérieure la retient de tomber ou s'évanouir. Elle ne sait même plus ce qu'elle fit l'instant d'après, tout juste après l'avoir vu se diriger d'un pas accéléré, vers elle ne sait où. 

Tout revient à son esprit. Son corps réagit par d'incontrôlables spasmes . Elle ne le voit maintenant que de dos bifurquant vers le petit sentier qui mène à la pinède. Son estomac cherche à garder le léger repas du midi. Son coeur bat la chamade. La blessure se rouvre. Il est encore trop tôt pour revoir l'agresseur qui semble fuir tel un brigand pris sur le fait.

Dep cherche son petit tabouret, son kangourou troué qu'elle a oublié dans la maison de son oncle. Reculant devant la stupeur, elle se replie vers le fond du kiosque comme si cela pouvait la prémunir d'un nouveau péril. Son livre contre elle ainsi qu'un bouclier de citronnelle. Protection bien aléatoire. Elle se prend les pieds dans le tabouret. Tout n'aura duré que ces courtes secondes tatouées à jamais dans son âme. Tatouées à l'encre rouge. Indélébile. Les mains moites, elle palpe le livre, le dépose à côté d'elle.


4k) ainsi va l'après-midi. Janvier est souvent fantasque et imprévisible dans la région de Hanoï. Hier, il pleuvait, faisait froid. Aujourd'hui, plus le jour avance plus on crève de chaleur. Demain pourrait fort bien être un inégal mélange des deux. Cette année est à l'image de ce descriptif. Les gens souhaitent que le temps habituellement maussade passe au beau pour la période du Têt* . On ne peut compter le nombre effarant de Vietnamiens qui voyageront lors de ces trois jours d'intenses festivités alors que l'Année de la Chèvre cédera la place à celle du Singe.

*Têt     Nouvel an vietnamien

Il y a quelques jours, Dep glissait à son oncle un succinct message : ''J'aimerais bien aller à Lang Son pour les fêtes du Têt.'' Le silence de celui-ci étouffa son souhait. Elle devra demeurer ici. Ça semble clair. Comme le veut la tradition, Dep se chargera  des préparatifs pour la visite de la famille. Y viendra... peu de gens. Cet homme a réussi à chasser loin de lui tout ce qui pouvait occasionner des dépenses. Il n'a pas d'enfants; n'en a jamais voulu. Il n'a pas de femme; aucune n'a voulu de lui.

Elle cherche à chasser de son esprit les dernières minutes qui vinrent, comme un acide concentré, la replonger sur les rives du lac. Des flammèches empoisonnées, des venins mortels, des gaz poisons l'auront asphyxiée au point qu'elle ne se reconnaît plus dans ces images stroboscopiques que le court passage de Cao Cấp (le plus âgé) a fait rejaillir. Elle qui fut cette jeune fille enjouée... rieuse... toute resplendissante de beauté... n'est plus. 

Elle peine à voir s'évanouir le cauchemar. Cauchemar qui porte un nom qu'elle ignore, celui de l'agresseur. Est-il possible qu'une victime survive au massacre de son âme, de son corps? Est-il possible de cesser d'avoir peur? Car Dep en est certaine maintenant; Cao Cấp (le plus âgé), celui qui, il y a un instant à peine, filait à toute allure, celui qui, hier, l'éclaboussait par sa violence,  Cao Cấp (le plus âgé) lui aura injecté la peur.








La suite, au retour de Birmanie vers le 15 septembre 2016

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  Un être dépressif -  1 5   - Une transplantation, c’est extraire de la terre pour la planter ailleurs.   Je tarde à le publier ce dernier ...