Ma grande sœur et moi, à la fin des années ’50, avions l’habitude d’aller passer le Jour de l’An à Gentilly, chez les Turcotte; les autres allaient à Brompton chez les Bergeron. Comme la famille de mon père habitait dans le 3e
rang de ce petit village (qui a vu naître le grand cinéaste Denis Villeneuve) au début janvier les chemins enneigés n’étaient accessibles qu’avec la carriole tirée par un cheval. C’était souvent notre oncle François, que ma sœur aimait appeler mononc’Branleux, qui venait nous chercher au village, avec la carriole tirée par son cheval préféré qu’il appelait affectueusement Poney.
Mononc’ Branleux arrivait à la fin du jour avec dans sa carriole des briques chaudes pour les pieds et de grosses couvertes et fourrures car elle était ouverte aux grands vents qui soufflaient fort dans le trois, une prairie où peu d’arbres pouvaient les ralentir.
Comme nous arrivions à la tombée du jour, nous ne pouvions pas distinguer la route des champs enneigés; mon oncle laissait le cheval décider de la route à suivre : un cheval retourne toujours à son écurie, disait-il. Nous nous pelotonnions sous la couverture et les fourrures en chat sauvage, le froid nous gelant le bout du nez et les joues.
Je me rappelle le grand rire moqueur de mon oncle François, tout heureux de prendre en charge ces deux petits citadins, si amoureux de la campagne et déterminés à affronter la température froide pour aller passer le 1er de l’An dans la rusticité de la maison familiale Turcotte.
C’est notre grand-mère Turcotte qui nous recevait avec tant d’enthousiasme, étant ses premiers petits-enfants dans la famille. Je me souviens de la lumière feutrée de la cuisine éclairée par le fanal à l’huile et de l’odeur alléchante des tourtières chaudes qu’elle préparait avec sa fille, ma marraine Madeleine.
Je me rappelle François, le mononc’ Branleux de Françoise, comme un bel homme. C’était le plus jeune frère de mon père. Ses yeux bleus, et son côté enjoué et moqueur faisaient de lui le meilleur allié des enfants que nous étions alors.
Il nous amenait « dans le bois », un petit boisé au bout du champ devant la maison familiale, pour construire un camp qui se résumait à une petite tente en toile. Il avait une si belle voix et interprétait à merveille la belle chanson de Félix, la première du poète, Notre sentier.
Un peu plus tard, durant mon adolescence alors que je passais mes étés à faire les foins avec lui et son frère Benoit, je revenais avec lui sur la charrette à foin et chantions les belles chansons de Félix, dans l’ordre d’enregistrement des disques 33 tours que nous avions tous les deux.
Je crois pouvoir affirmer que la gentillesse, l’amour de la nature et de la poésie qui me
caractérisent encore, est l’héritage de cet oncle, amoureux de la vie, décédé récemment et à qui j’ai pu rendre hommage dans l’église de Gentilly.
Pour Françoise, c’était mononc’ Branleux.
Pour moi, c’était le Roi heureux.
Pierre