jeudi 5 janvier 2006

Le soixante-sixième saut de crapaud



Une autre année dans la vie de notre grand-père. Longtemps, à l’arrivée du Nouvel An, il prenait des résolutions qui bien souvent, sous la neige ou encore aux moments de sa dégelure, fondaient ne laissant derrière elles qu’amères frustrations. Cette fois-ci, rien. Pas de je-vais-faire-ceci, de je-m’engage-à, de je devrais-m’organiser-pour. Rien. Ou à peu près rien…

On dirait que dans le fait de prendre des résolutions, c’est un peu comme si on se parlait à soi-même, se lançait des défis ou mieux encore, examinait ce qui a fait défaut au cours de l’année disparue pour tenter de remédier aux absences, aux carences dont les traces nous auraient marqués comme de la suie sur la glace bleue. Une marche vers le mieux-être, vers le bonheur.

Ses résolutions, on les partage avec d’autres quand elles sont partageables… Autrement, on les enfouit en soi, les laissant cheminer doucement vers leur réalisation, bien souvent oubliées d’être inscrites dans un échéancier réalisable. Arrêter de fumer, se lever encore plus tôt le matin, téléphoner à ses enfants régulièrement, augmenter le nombre de pages à lire hebdomadairement, couper les gras trans, manger biologique, pousser le verre de vin jusqu’à la fin de semaine… voilà du partageable… une espèce d’appel à un surveillez-moi, à un rappelez-moi-si-jamais-je-succombe… Dans le fond ce sont des résolutions pratiques. Rarement, quand vient le bilan de fin d’année, on retourne vers elles afin de mesurer si elles nous ont servis.

Dans les non-partageables, celles qui relèvent du tune-up de l’esprit, se retrouvent les plus intimes, les plus secrètes. Peut-être les plus essentielles? De deux ordres : les personnelles et les collectives. Je ne me rappelle plus qui au juste disait que les petits gestes individuels résonnent sur la collectivité. Si comme citoyen du monde, je m’engage à mieux respecter l’environnement écologique et humain, et que cela se traduit par des transformations d’habitudes néfastes entretenues depuis des années, les effets ne sont pas fulgurants, ne font pas les manchettes, mais modifient mon rapport à la société. Ramasser un bout de papier sur la rue. Moins utiliser la consommation comme moyen d’être. Favoriser la simplicité volontaire dans nos rapports aux gens et aux choses. Se conscientiser aux phénomènes de plus en plus envahissants de la pauvreté matérielle et surtout de la pauvreté intellectuelle en agissant par une approche «small is beautiful», une approche du petit pas et le garder, l’imprimer dans notre quotidien. Réaliser que la mondialisation rime souvent avec déshumanisation. Continuer de saluer le voisin qui tond son gazon avec un appareil manuel et non à essence. Continuer de saluer la voisine qui se rend au marché à pied ou à vélo. Planter une fleur et l’entretenir. Dire au soleil, tous les matins, son bonheur de le revoir.

Dostoïevsy, dans Les Frères Karamasov, écrit magnifiquement ceci :

La véritable sécurité se trouve dans la solidarité sociale plutôt que dans les efforts solitaires de l’individu.

Deux grands courants politiques ont cours actuellement. Celui qui veut que les changements de société passent par des lois poussant les collectivités à évoluer et l’autre qui incite les individus à la conscience personnelle comme catalyseur de transformations. Ils s’affrontent un peu comme la gauche et la droite. Mais tous les deux visent à davantage de bien-être. Peut-on véritablement être bien dans un monde où les disparités économiques, cela est très visible, vont en s’accroissant? Dans un monde où le temps d’être n’a plus cours? Où le terme «humain» nous interpelle, nous pousse vers des solutions immédiates, non pas sur des sentiers par lesquels tous et chacun y auraient sa place?

Prendre des résolutions en début d’année, c’est peut-être à la fin, une occasion de sortir de soi-même au lieu de s’y enfermer. Entrer en contact avec l’ensemble de l’oxygène qui permet au monde d’aspirer à quelque chose de plus grand.

On verra si en janvier 2007, ces paroles auront besoin à nouveau d’être réécrites.

Si Nathan avait su (12)

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