… la suite…
Clémence buvait doucement le thé, comme s’il s’agissait d’une première fois. Elle fut extrêmement attentive à sa fabrication, semblable à la sienne, sauf que Philip y avait mis un soin et une précaution tels que le goût en paraissait modifié. Un silence énergique s’installa entre eux.
- Dis-moi, Philip, ce que tu penses exactement de tout ce qui arrive.
- Tu veux m’entendre, je comprends, mais d’abord j’aimerais savoir ce que toi, tu en dis.
La fille aux petits fruits n’attendait pas une telle réponse et fronça les sourcils. Pouvait-elle se permettre d’avoir une idée personnelle sur les événements, différente de tout ce que depuis la fin abrupte du printemps et l’arrivée en force de l’été, continuellement, elle avait entendu répéter? Avait-elle acquis un degré d’écoute suffisant chez les gens pour oser énoncer quoi que ce soit qui fut le fruit de sa propre pensée? Était-elle assez sûre d’elle-même pour avancer des opinions qui ne fussent pas autre chose que le dire collectif? Qui était-elle pour s’exprimer sur une situation défiant même les mieux aguerris?
- Peut-être que ton point de vue est-il celui qui apaiserait les craintes, continua Philip laissant la tasse de thé lui réchauffer les mains.
- Je ne crois pas.
- Je comprends donc que tu en as un.
- Il est trop ridicule pour être dit, osa Clémence, étonnée et ravie que quelqu’un sonde un peu son esprit.
- Le plus ridicule serait encore de ne rien dire.
L’après-midi passait dans une atmosphère faisant oublier à Clémence la raison de son arrivée dans la maison du géant Philip et la centrait sur une indicible impression de bien-être profond et réconfortant. Elle recevait les paroles de Philip comme une libération, une permission à délier de son âme les fils tordus depuis longtemps et qui formaient un nœud l’étouffant. Se voir autorisée à penser et présenter les résultats de sa réflexion à quelqu’un qui l’écoutait, qui voulait l’entendre, cela était de l’inédit pour elle.
- Tu sais, dans notre village, l’habituel c’est que tout soit comme ça doit être. Les journées, les semaines, les mois, les saisons et les années si elles ne suivent pas leur route qu’hier, avant-hier, la semaine dernière, le mois passé, la saison avant celle-ci et les années avant toutes les années nous ont accoutumés, eh! bien on ne comprend plus rien. Les bouleversements sont des mauvaises choses. On ne parle jamais de progrès. Quand l’électricité fut installée dans chacune des maisons du village, plusieurs craignaient que ça explose. Tout est correct quand rien ne bouge, ne change. Alors tu peux comprendre que depuis la fin du printemps, c’est la convulsion générale. Personne ne cherche à savoir, tout le monde souhaite un retour à la normale.
- Ça ne me dit pas ce que toi, tu en penses.
- Je crois qu’il ne se passe rien d’autre que des mouvements naturels du temps. Comme s’il voulait se rafraîchir. Se donner une nouvelle allure. Mettre de l’ordre dans des affaires anciennes qui auraient trop durées. Chasser l’ancien pour installer du nouveau.
- Et qu’est-ce qui t’a amené à penser cela?
Clémence regardait la mer par la grande fenêtre et reporta ses yeux vers celui qui l’incitait à pousser plus loin sa réflexion. Elle n’était pas habituée à le faire.
- La mer est toujours à la même place. Tout comme le jour et la nuit, ils suivent le même rythme qu’auparavant, il y a seulement leur contenu qui est perturbé. Les nuages courent, c’est vrai, mais ils sont dans le ciel. Les étoiles s’éteignent et dansent, mais ce sont encore des étoiles. Les animaux ont des comportements bizarres mais ils se nourrissent de la même manière. Les oiseaux ne font pas de nids et s’attardent, perchés sur les piquets des clôtures, après avoir voltigé en huit, très bas, mais ce sont les oiseaux que l’on connaît. C’est comme si les mouvements naturels du temps changeaient de linge parce que l’ancien ne fait plus.
- Et pourquoi les autres ne te croiraient-ils pas si tu leur disais ce que tu viens de me dire?
- Parce que ma réponse n’est pas une réponse.
- C’est une réponse pour toi et c’en est pas une pour les autres, voilà ce que tu me dis?
- Oui. Si je disais cela, on me croirait folle ou encore on me dirait que je ne connais rien à rien, que je devrais juste me taire.
- Et c’est ce que tu fais.
La fille Guillemette, la fille aux petits fruits, celle qui achevait de boire une tasse de thé chez l’étranger, venait de laisser fuir de son esprit les pensées qui y trottaient depuis le début des bouleversements affectant son village. Elle eut la vague impression qu’en les laissant sortir d’elle-même, une profonde délivrance y prenait place, la réconfortant. Ne plus ressentir le besoin de comprendre par les autres alors qu’elle achevait de s’écouter et d’être écoutée, lui fit un bien énorme.
Philip la regardait, un sourire complice et combien généreux aux lèvres. Il but sa dernière gorgée de thé avant de lui dire :
- Je vais te dire maintenant ce que moi j’en pense.
Clémence buvait doucement le thé, comme s’il s’agissait d’une première fois. Elle fut extrêmement attentive à sa fabrication, semblable à la sienne, sauf que Philip y avait mis un soin et une précaution tels que le goût en paraissait modifié. Un silence énergique s’installa entre eux.
- Dis-moi, Philip, ce que tu penses exactement de tout ce qui arrive.
- Tu veux m’entendre, je comprends, mais d’abord j’aimerais savoir ce que toi, tu en dis.
La fille aux petits fruits n’attendait pas une telle réponse et fronça les sourcils. Pouvait-elle se permettre d’avoir une idée personnelle sur les événements, différente de tout ce que depuis la fin abrupte du printemps et l’arrivée en force de l’été, continuellement, elle avait entendu répéter? Avait-elle acquis un degré d’écoute suffisant chez les gens pour oser énoncer quoi que ce soit qui fut le fruit de sa propre pensée? Était-elle assez sûre d’elle-même pour avancer des opinions qui ne fussent pas autre chose que le dire collectif? Qui était-elle pour s’exprimer sur une situation défiant même les mieux aguerris?
- Peut-être que ton point de vue est-il celui qui apaiserait les craintes, continua Philip laissant la tasse de thé lui réchauffer les mains.
- Je ne crois pas.
- Je comprends donc que tu en as un.
- Il est trop ridicule pour être dit, osa Clémence, étonnée et ravie que quelqu’un sonde un peu son esprit.
- Le plus ridicule serait encore de ne rien dire.
L’après-midi passait dans une atmosphère faisant oublier à Clémence la raison de son arrivée dans la maison du géant Philip et la centrait sur une indicible impression de bien-être profond et réconfortant. Elle recevait les paroles de Philip comme une libération, une permission à délier de son âme les fils tordus depuis longtemps et qui formaient un nœud l’étouffant. Se voir autorisée à penser et présenter les résultats de sa réflexion à quelqu’un qui l’écoutait, qui voulait l’entendre, cela était de l’inédit pour elle.
- Tu sais, dans notre village, l’habituel c’est que tout soit comme ça doit être. Les journées, les semaines, les mois, les saisons et les années si elles ne suivent pas leur route qu’hier, avant-hier, la semaine dernière, le mois passé, la saison avant celle-ci et les années avant toutes les années nous ont accoutumés, eh! bien on ne comprend plus rien. Les bouleversements sont des mauvaises choses. On ne parle jamais de progrès. Quand l’électricité fut installée dans chacune des maisons du village, plusieurs craignaient que ça explose. Tout est correct quand rien ne bouge, ne change. Alors tu peux comprendre que depuis la fin du printemps, c’est la convulsion générale. Personne ne cherche à savoir, tout le monde souhaite un retour à la normale.
- Ça ne me dit pas ce que toi, tu en penses.
- Je crois qu’il ne se passe rien d’autre que des mouvements naturels du temps. Comme s’il voulait se rafraîchir. Se donner une nouvelle allure. Mettre de l’ordre dans des affaires anciennes qui auraient trop durées. Chasser l’ancien pour installer du nouveau.
- Et qu’est-ce qui t’a amené à penser cela?
Clémence regardait la mer par la grande fenêtre et reporta ses yeux vers celui qui l’incitait à pousser plus loin sa réflexion. Elle n’était pas habituée à le faire.
- La mer est toujours à la même place. Tout comme le jour et la nuit, ils suivent le même rythme qu’auparavant, il y a seulement leur contenu qui est perturbé. Les nuages courent, c’est vrai, mais ils sont dans le ciel. Les étoiles s’éteignent et dansent, mais ce sont encore des étoiles. Les animaux ont des comportements bizarres mais ils se nourrissent de la même manière. Les oiseaux ne font pas de nids et s’attardent, perchés sur les piquets des clôtures, après avoir voltigé en huit, très bas, mais ce sont les oiseaux que l’on connaît. C’est comme si les mouvements naturels du temps changeaient de linge parce que l’ancien ne fait plus.
- Et pourquoi les autres ne te croiraient-ils pas si tu leur disais ce que tu viens de me dire?
- Parce que ma réponse n’est pas une réponse.
- C’est une réponse pour toi et c’en est pas une pour les autres, voilà ce que tu me dis?
- Oui. Si je disais cela, on me croirait folle ou encore on me dirait que je ne connais rien à rien, que je devrais juste me taire.
- Et c’est ce que tu fais.
La fille Guillemette, la fille aux petits fruits, celle qui achevait de boire une tasse de thé chez l’étranger, venait de laisser fuir de son esprit les pensées qui y trottaient depuis le début des bouleversements affectant son village. Elle eut la vague impression qu’en les laissant sortir d’elle-même, une profonde délivrance y prenait place, la réconfortant. Ne plus ressentir le besoin de comprendre par les autres alors qu’elle achevait de s’écouter et d’être écoutée, lui fit un bien énorme.
Philip la regardait, un sourire complice et combien généreux aux lèvres. Il but sa dernière gorgée de thé avant de lui dire :
- Je vais te dire maintenant ce que moi j’en pense.
... à suivre...
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