… la suite…
- Tu ne m’as pas encore dit ton nom. Le mien, tout le village le connaît.
- Clémence.
- C’est joli. Il rejoint tout à fait ce qui se passe actuellement sur la mer et dans le ciel.
- Que veux-tu dire Philip?
- Que le temps est clément depuis la fin de l’hiver. Tu ne trouves pas?
- C’est tout le contraire que le monde pense. Et le monde, il est très inquiet.
- Inquiet ou incapable d’accepter que le ciel et la mer sont des forces supérieures à la leur?
La vieille fille Guillemette, telle était la façon dont les habitants de ce bout de côte gaspésienne la surnommaient, n’avait pas tardé à répondre à la demande des émissaires et à l’autorisation de ses parents d’aller enquêter chez Philip afin de tenter d’apporter des explications sur la situation du temps prévalant encore à la mi-juillet. Elle croyait qu’il ne s’avèrerait pas nécessaire de mettre des gants blancs et de passer par quatre chemins. Clémence irait directement chez le géant et au but.
- On m’a demandé de venir afin de savoir si tu as des explications aux phénomènes météorologiques. Dans le coin c’est la première fois que tout cela se produit et certains imaginent qu’il pourrait y avoir un lien entre cela et ton arrivée.
- On me donne bien du pouvoir, dit-il, un peu d’ironie dans la voix.
- On ne te donne pas du pouvoir, ils veulent simplement ton idée.
- Et pourquoi ne pas exiger l’opinion des plus âgés, ceux qui en connaissent plus que moi sur les vents et les pluies, les silences et les échos d’ici, ceux qui savent déchiffrer mieux que moi ce grand livre?
- Ils ne disent rien qui explique.
Philip, depuis l’arrivée impromptue de Clémence, était demeuré debout, le regard ancré dans celui de la fille, ses mains et ses bras d’une surprenante immobilité. Dans le vert de ses yeux se dessinait des horizons inconnus pour elle, laissant dégager de cet homme une telle sécurité comme si un jour on avait arraché de son âme tous les tourments, les déchirements ou les égratignures d’un passé drapé de mystère.
Le jour ressemblait aux autres : indescriptible. Même Francis, le plus jeune des Synnett, celui qui revenait l’été après de grandes études à l’université de Québec, et qui écrivait des nouvelles pour le journal régional en plus, du moins on le disait, passait ses journées près de la mer en remplissant de poèmes un carnet dont il ne se séparait jamais. Ça donne quoi au juste de payer pour la grande ville et les grandes écoles, si on ne fait que rêvasser sur le bord de la grave et écrire des insignifiances pour le journal, voilà ce qui se répandait à son sujet. Car ici, on ne pouvait pas vivre sans avoir pour chacun et chacune une idée précise sur ce qu’il faisait et une opinion arrêtée sur les actions ou les inactions individuelles. Personne ne tenait rigueur à personne d’une telle indiscrétion mais, afin d’éviter que les racontars et les cancans se ramassent dans le vent de la médisance et soient balayés sur tous les perrons, un à un et par groupe de familles, on taisait tout. On avait même développé avec les années des secrets de famille se transmettant d’une génération à l’autre par une loi du cadenas tellement rigide que des légendes naissaient faisant office de vérités. On voulait tout savoir des autres sans rien dire de soi. Tout cela tricoté serré.
- Est-ce que l’on croit que mon opinion pourrait changer quelque chose à l’état des faits? reprit Philip.
- Aucune idée mais ça calmerait une partie de la population qui commence à voir sortir tout doucement, sans jamais le mentionner, les griffes du démon.
- Je ne suis pas surpris.
- Qu’on parle du démon?
- Tu sais, lorsque quelque chose dépasse ce que l’on connaît ou ce que l’on imagine, qu’on est incapable de lui trouver une explication ou encore une ressemblance avec du déjà connu ou du déjà imaginé, on invoque le bon Dieu ou on évoque le démon. C’est comme si ce qui bouge dans notre tête ne rejoignait pas ce qu’il y a sous nos pieds.
- Je ne te comprends pas, Philip.
- Regarde comme il faut ce qui se passe autour de toi. Il y a des choses qui sont toujours les mêmes. Le soleil reste le soleil. La lune est encore la lune. Les nuages ressemblent encore à des nuages. Mais une chose a changé. Le vent.
- Ici le vent est toujours le même. Présent et puissant. Du nordoît ou du suroît.
- Si tu crois cela, si tu t’arrêtes à ne voir que cela, alors, comme les autres tu verras des mystères dans le temps.
Il y eut un énorme coup de tonnerre qui fit se courber Clémence. Elle savait que les éclairs ne viendraient pas. Elles ne venaient plus malgré les gris menaçants des nuages mêlés aux roulements en staccato du tonnerre. Parfois, une pluie diluvienne s’écrasait comme si on versait de l’eau à la chaudière ou encore, une bruine si légère qu’elle ressemblait à des morceaux de brouillard que l’on détacherait l’un après l’autre pour les lancer dans un vent sans force.
Philip examina le ciel et dit :
- Si je t’offrais une tasse de thé.
- Tu ne m’as pas encore dit ton nom. Le mien, tout le village le connaît.
- Clémence.
- C’est joli. Il rejoint tout à fait ce qui se passe actuellement sur la mer et dans le ciel.
- Que veux-tu dire Philip?
- Que le temps est clément depuis la fin de l’hiver. Tu ne trouves pas?
- C’est tout le contraire que le monde pense. Et le monde, il est très inquiet.
- Inquiet ou incapable d’accepter que le ciel et la mer sont des forces supérieures à la leur?
La vieille fille Guillemette, telle était la façon dont les habitants de ce bout de côte gaspésienne la surnommaient, n’avait pas tardé à répondre à la demande des émissaires et à l’autorisation de ses parents d’aller enquêter chez Philip afin de tenter d’apporter des explications sur la situation du temps prévalant encore à la mi-juillet. Elle croyait qu’il ne s’avèrerait pas nécessaire de mettre des gants blancs et de passer par quatre chemins. Clémence irait directement chez le géant et au but.
- On m’a demandé de venir afin de savoir si tu as des explications aux phénomènes météorologiques. Dans le coin c’est la première fois que tout cela se produit et certains imaginent qu’il pourrait y avoir un lien entre cela et ton arrivée.
- On me donne bien du pouvoir, dit-il, un peu d’ironie dans la voix.
- On ne te donne pas du pouvoir, ils veulent simplement ton idée.
- Et pourquoi ne pas exiger l’opinion des plus âgés, ceux qui en connaissent plus que moi sur les vents et les pluies, les silences et les échos d’ici, ceux qui savent déchiffrer mieux que moi ce grand livre?
- Ils ne disent rien qui explique.
Philip, depuis l’arrivée impromptue de Clémence, était demeuré debout, le regard ancré dans celui de la fille, ses mains et ses bras d’une surprenante immobilité. Dans le vert de ses yeux se dessinait des horizons inconnus pour elle, laissant dégager de cet homme une telle sécurité comme si un jour on avait arraché de son âme tous les tourments, les déchirements ou les égratignures d’un passé drapé de mystère.
Le jour ressemblait aux autres : indescriptible. Même Francis, le plus jeune des Synnett, celui qui revenait l’été après de grandes études à l’université de Québec, et qui écrivait des nouvelles pour le journal régional en plus, du moins on le disait, passait ses journées près de la mer en remplissant de poèmes un carnet dont il ne se séparait jamais. Ça donne quoi au juste de payer pour la grande ville et les grandes écoles, si on ne fait que rêvasser sur le bord de la grave et écrire des insignifiances pour le journal, voilà ce qui se répandait à son sujet. Car ici, on ne pouvait pas vivre sans avoir pour chacun et chacune une idée précise sur ce qu’il faisait et une opinion arrêtée sur les actions ou les inactions individuelles. Personne ne tenait rigueur à personne d’une telle indiscrétion mais, afin d’éviter que les racontars et les cancans se ramassent dans le vent de la médisance et soient balayés sur tous les perrons, un à un et par groupe de familles, on taisait tout. On avait même développé avec les années des secrets de famille se transmettant d’une génération à l’autre par une loi du cadenas tellement rigide que des légendes naissaient faisant office de vérités. On voulait tout savoir des autres sans rien dire de soi. Tout cela tricoté serré.
- Est-ce que l’on croit que mon opinion pourrait changer quelque chose à l’état des faits? reprit Philip.
- Aucune idée mais ça calmerait une partie de la population qui commence à voir sortir tout doucement, sans jamais le mentionner, les griffes du démon.
- Je ne suis pas surpris.
- Qu’on parle du démon?
- Tu sais, lorsque quelque chose dépasse ce que l’on connaît ou ce que l’on imagine, qu’on est incapable de lui trouver une explication ou encore une ressemblance avec du déjà connu ou du déjà imaginé, on invoque le bon Dieu ou on évoque le démon. C’est comme si ce qui bouge dans notre tête ne rejoignait pas ce qu’il y a sous nos pieds.
- Je ne te comprends pas, Philip.
- Regarde comme il faut ce qui se passe autour de toi. Il y a des choses qui sont toujours les mêmes. Le soleil reste le soleil. La lune est encore la lune. Les nuages ressemblent encore à des nuages. Mais une chose a changé. Le vent.
- Ici le vent est toujours le même. Présent et puissant. Du nordoît ou du suroît.
- Si tu crois cela, si tu t’arrêtes à ne voir que cela, alors, comme les autres tu verras des mystères dans le temps.
Il y eut un énorme coup de tonnerre qui fit se courber Clémence. Elle savait que les éclairs ne viendraient pas. Elles ne venaient plus malgré les gris menaçants des nuages mêlés aux roulements en staccato du tonnerre. Parfois, une pluie diluvienne s’écrasait comme si on versait de l’eau à la chaudière ou encore, une bruine si légère qu’elle ressemblait à des morceaux de brouillard que l’on détacherait l’un après l’autre pour les lancer dans un vent sans force.
Philip examina le ciel et dit :
- Si je t’offrais une tasse de thé.
… à suivre…
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