dimanche 27 novembre 2016

5 (CENT) (DOUZE) 12


    Nouvel épisode de ILS ÉTAIENT SIX...




     1o) chacun rentre chez soi. Finalement la lune aura raison alors que confortablement encadrée de nuages roses, elle laissera tomber le rideau sur ce dimanche. Ce week-end qui en aura fait voir de toutes les couleurs. Khuôn Mặt (le visage ravagé) a bien vu Dep passer devant le café. Marcheuse solitaire, porteuse de grands sacs de ballons qu'elle passe d'une main à l'autre. Il ne put s'empêcher de la regarder malgré qu'il ne soit pas posté où habituellement il fait le guet. Ce n’était pas encore le temps de la rejoindre.

Personne ne s'aperçut du départ de Tré (le plus jeune) sauf Cây (le grêle) qui se leva et quitta le groupe, oubliant de saluer les trois autres qui achevaient leur café. Fort probable qu'il tentera de le rejoindre, celui dont l'attitude a semé de l'inquiétude lors du dîner. Comme si une inquiétude supplémentaire pouvait alléger les autres. Comme si une telle journée combinée au samedi soir du rire s'incrustant dans la petite histoire des xấu xí, allait devenir un déclencheur pour chacun. Chacune.

Tùm (le trapu) ne pouvait s'arrêter de discuter avec l'étranger au sac de cuir. Entièrement présent à l'échange qui exigeait de lui une forte concentration en raison de la langue. D'un sujet il passait tout aussitôt à un autre; posant des questions, répondant à celles qu’on lui posait. Il s'établissait entre les deux une belle complicité qui ouvrit une porte à Daniel Bloch :   - Je crois que je vais étirer mon séjour à Hanoï. Il y a eu trop de bouleversements aujourd'hui pour que je puisse espérer aborder avec vous tous les sujets qui m’ont amené ici. De votre côté, ce qui vous frappe de plein fouet tous les quatre ne permet pas encore de discuter d’autres choses.     - En fait, nous sommes six personnes ; cinq maintenant.            - Il en manquait donc un ou une pour le dîner.       
- Thần Kinh (le nerveux) n'y était pas et je n’en suis pas surpris. Vous verrez ce que je veux dire lorsque vous ferez sa connaissance.     L'étranger au sac de cuir comprit dans cette intervention qu'un nouveau rendez-vous devenait envisageable et que la jolie jeune fille vendeuse de ballons multicolores qui l'avait informé quelques heures auparavant ne fait pas partie du groupe.

Madame Quá Khứ n'a jamais mis de gants blancs pour signifier aux traînards qu'elle ferme le café. Ce soir, en raison de la présence de cet inconnu sans doute, elle éteignait plus lentement les lumières une après l'autre. Tout doucement. Son áo dài blanc et noir glisse sur le plancher qu’elle s’apprêtait à récurer. L'agent de sécurité saisissant le message, entreprit sa ronde des lieux, ajoutant ainsi à l'avis de départ une note quasi officielle. Khuôn Mặt (le visage ravagé), silencieux depuis un bon moment, rivé à son téléphone cellulaire, regardait les photos prises dans la pinède. Il se remémora la journée mais ce sont les images qu'il a prises de Dep depuis un bon moment déjà qui accaparent son esprit et ses yeux. Comment ne pas embêter la jeune vendeuse de ballons multicolores tout en s’approchant d'elle?, se demandait-il. Elle vient tout juste de passer… il n’a pas bougé… question sans doute d’éviter de l’importuner.



2o) chacun rentre chez soi. Comme à son habitude, Dep a démonté son kiosque, rangé le matériel dans de grands sacs verts, salué ses voisins vendeurs et pris le chemin vers la maison de son oncle. Celui-ci, sans aucune hésitation, exigera la somme récoltée durant la journée maugréant sur le peu de profits réalisés. Elle connaît la chanson; a déjà commencé à se la répéter alors qu’elle arrive au croisement de la route.

Au même moment une moto s’arrête devant elle. Thần Kinh (le nerveux) coupe le moteur, se braque devant elle.     – Dis-moi ce qu’il t’a fait ?     Surprise par son l’arrivée impromptue et la spontanéité de sa question, la jeune fille qui vend des ballons multicolores ne sait quoi répondre. Elle laisse tomber ses sacs par terre. Le garçon la regarde droit dans les yeux remplis d’une visible agitation. Que répondre ?      -  Tu devrais plutôt demander pourquoi il a posé ce geste.     – Je sais qu’il s’est pendu; ce que je veux savoir c’est ce qu’il a fait hier soir après nous avoir demandé de retourner au café et qu’il soit resté avec toi près du lac. Je ne suis pas innocent. Je sais que depuis que tu es arrivée dans le quartier, il ne pensait qu’à toi.

Un silence s’installe entre eux. De ces silences qui triturent les tripes. Ce genre de silence avaleur de mots, complice entêté de ce que l’on souhaite dissimuler. Il continue de chiquer sa feuille de bétel sans cracher l’espèce de venin oranger qui en émane. Dep ne bouge pas. N’a pas peur. Elle sent mijoter une forte anxiété chez le jeune homme. Consciente également que la réponse qu’elle prépare doucement lui permettra sans doute de le connaître un peu mieux. Après une grande inspiration, Dep dit : -     Il n’a pas été correct avec moi.      
-     Je le savais. S’il ne s’était pas tué lui-même, je l’aurais fait.

La violence des paroles de celui qui maintenant s’appuie au siège de sa moto, la fit frissonner. Elle ne connaît pas les antécédents de Thần Kinh (le nerveux) mais ne cesse de le fixer cherchant à décrypter le pourquoi de son intervention auprès d’elle.

Jamais il ne faut s’hasarder à regarder droit dans les yeux cet être imprévisible, fragile comme une grenade dont la cuillère est dégagée. Alors, aussi rapidement qu’il apparut, il disparut dans un bruit de moteur poussé à fond. La fumée enveloppa la jeune vendeuse qui, récupérant ses sacs, reprit sa route. La maison de l’oncle n’est pas située très loin du carrefour.


3o)     chacun rentre chez soi. Daniel Bloch et Tùm (le trapu) se saluent, promettant de se revoir. L’étranger au sac de cuir dit :     - Mon hôtel est situé tout juste en face du lac de l’Ouest. Je devais y demeurer quelques jours seulement mais je vais allonger mon séjour.      Le jeune garçon, désireux de le revoir, lui précise son emploi du temps entre le chantier et les cours de musique. -     Demain, lundi, je dois être chez mon professeur de flûte en avant-midi.     
-    On lunche ensemble ?     Tùm (le trapu) accepta avec empressement, lui dictant son numéro de portable.

Rares les Vietnamiens qui se baladent sans téléphone cellulaire. Deuxième nature. Un moment libre que les voilà entièrement absorbés soit sur internet, sur les jeux en ligne ou les réseaux sociaux. À croire qu’ils cherchent à récupérer le temps perdu d’une époque où les conversations entre amis ou entre parents étaient difficiles; où recevoir des informations fraîches relevait de l’inconcevable. L’arrivée de cet outil aura transformé le quotidien de tous les Vietnamiens.

On vous rencontre pour une première fois qu’aussitôt on souhaite devenir votre ami sur Facebook, échanger les numéros de téléphone. Dans le groupe des xấu xí, les plus fervents utilisateurs sont Tùm (le trapu) et Khuôn Mặt (le visage ravagé); pour les autres c’est occasionnel. Dep s’en procurera un lorsqu’elle aura mis assez d’argent de côté. Son oncle a refusé de lui offrir cet outil prétextant qu’il s’agissait là d’un objet pouvant la distraire de son travail. D’ailleurs, il ne lui a jamais offert quoi que ce soit sauf l’hébergement et à des conditions bien précises.

Chacun possède son propre cellulaire, certains plusieurs. Les appareils mobiles se ressemblent tout en étant différents. Certains sont même appelés intelligents. Plusieurs opinions se confrontent sur leur utilité mais il est évident que dans cette société, le portable a modifié les mœurs. Si les ondes qui permettent la télécommunication sont extrêmement bien codées, celles qui cherchent à unir les êtres humains s’avèrent plus complexes et l’instrument idéal pour les faciliter ne semble toujours pas disponible. 


4o)     chacun rentre chez soi. Et le soir tombe. Les frissons de la nuit réapparaîtront bientôt. C’est étrange à quel point, alors qu’une situation bonne ou mauvaise, une fois achevée, reléguée dans les coffres du passé, ne cesse de rejaillir au moindre morceau de vent reconnu, à trois gouttes de pluie, à l’odeur d’une herbe coupée ou d’une fragile fleur. Tout cela, et plus encore venu de nulle part ou d’ailleurs, émiettent le moment présent y déversant ses caprices inopinés.

La nuit dernière, dissonante, sibylline à plusieurs égards, aura semé dans le cerveau étourdi de Cao Cấp (le plus âgé) des idées pernicieuses, perturbé les heures de sommeil des autres membres de son groupe et ankylosé une Dep confuse et souffrante!

Cette nuit, alors que tous sont rentrés à la maison – sauf Thần Kinh (le nerveux) qui navigue en moto de la pente au lac passant par la pinède – celle-ci sera tailladée en périodes d’éveil spontané, en d’incontrôlables secousses du corps, en des envies de hurler ou de pleurer. Demain, lundi, rouvrira le chantier. Deux membres du groupe des xấu xí manqueront à l’appel: un pour toujours, un autre en route vers son cours de flûte.


Le soir tombé, la nuit règne. Les chiens aboient. , le tigre blanc retournera dans la jungle sans que personne ne l’eut vraiment croisé. Il ne pleuvra pas non plus; l’humidité gagne du terrain sur le vent assagi. Les personnages de cette histoire, chamboulés, reprendront leurs activités avec, greffé au cœur une commotion; la troublante confusion que charrient la souffrance et la mort. La nébuleuse perception que l’indicible traîne nerveusement ses cartons, les laissant choir implacablement parfois sans avertissement. 








À suivre









samedi 26 novembre 2016

humeur vietnamienne


L'homme est plus petit que lui-même.  (Günther Anders)
   
      
Je me disais, tout en relisant les quelques citations qui accompagnent ce billet, qu’il fallait bien que j’écrive deux ou trois mots suite au décès de Fidel Castro.  Sans doute ce que dit Gunther Anders sur l’homme aura modifié l’azimut de mon propos. Tout comme le lien paru sur Facebook dans lequel on entend Marine Le Pen prononcer un discours enflammé au Parlement européen suite aux événements survenus à Paris le 13 novembre 2015 : la fusillade au Bataclan.

Sans vouloir faire de parallèle entre les deux personnages, je me suis dit que, dans les faits, les gens que l’on classe à l’extrême-droite et les autres à l’extrême gauche parfois se rejoignent. Mon père Gérard avait l’habitude dire : '' les extrêmes basculent lorsqu’ils arrivent au bout.''


J’ai un vague souvenir de la Révolution cubaine, des avancées de Castro et du Che vers La Havane où trônait un certain Batista soutenu par les USA. Les Américains avaient asservi l’île à tous leurs caprices, déshumanisant ce peuple profondément vaillant. Les quelques kilomètres séparant Cuba et la Floride permettaient aux Yankees de s’y rendre, s’appropriant des terres à prix ridicule et utilisaient la population de manière frisant l’esclavagisme.


Castro souleva le peuple, lui promettant la libération du joug qui les écrasait. Et il chassa Batista. Plusieurs Cubains ont fui ce qu’ils croyaient voir venir, c’est-à-dire une dictature communiste. Ils ont fui principalement vers la Floride où ils forment une communauté importante, parfois influente. 



Le vulgaire imbécile est toujours avide de grands événements, quels qu'ils puissent être, sans prévoir s'ils lui seront utiles ou préjudiciables; le vulgaire imbécile n'est ému que par sa propre curiosité. 
(Ludovico Ariosto, dit l'Arioste)



     Je ne veux pas entrer dans des analyses socio-politiques mais force est de voir que le changement de régime n’a absolument rien changé au quotidien des gens. On me dira que l’éducation a été davantage mise à leur portée, que les soins de santé se sont grandement améliorés et c’est vrai. Pour m’y être rendu à plusieurs reprises, j’ai pu le constater. Sauf qu’il m’a été donné de voir aussi que le droit de parole, le droit de penser, le droit de se déplacer à l’intérieur tout comme à l’extérieur n’existaient plus. La censure était constante et la délation omniprésente. 



... mais ce que nous disons ne nous ressemble pas toujours. 
Jorge Luis Borges



     La qualité de vie ne s’est pas améliorée. Au contraire. On n’a jamais répondu aux besoins primaires des Cubains, sous le régime dictatorial de Castro. Tous ceux et toutes celles qui s’y sont rendu comme touristes savaient que d’apporter de petites choses aussi insignifiantes qu’une brosse à dent rendaient les habitants très heureux.


À quoi peut bien servir une constitution qui proclame l’indépendance d’un pays si dans le tous les jours on doit se débrouiller avec rien pour obtenir le minimum. Les tickets de rationnement des produits alimentaires par exemple ne leur permettaient de recevoir si peu que c’en était gênant de l’observer.



Pour voir une chose il faut la comprendre. Jorge Luis Borges



     La question qui s’impose est la suivante : si le peuple cubain avait su ce qui allait leur arriver, connaître la suite des choses, aurait-il combattu à côté de Castro? Rien ne peut légitimer un régime dictatorial qu’il soit de droite ou de gauche. Encore moins d’extrême-droite et d’extrême-gauche. Les Russes l’ont réalisé plusieurs années après Lénine et Staline et ne pleurèrent pas longtemps la chute des dictateurs du Kremlin.


 Il l'appela Utopie, mot grec qui veut dire un tel lieu n'existe pas.  (Quevedo)



     La société idéale n’existe pas. N’existera jamais. Seuls les rêveurs y croient. Est-ce que la base du communisme réside dans le fait qu’il est en mesure de nous y mener? Cette doctrine s’écorche lorsqu’elle se voit affublé du pouvoir. Le pouvoir réussit à se maintenir grâce à la corruption et dans le fait d’écraser toute forme d’opposition. Je suis toujours stupéfait de constater que ce qu’on l’on reprochait au régime que l’on veut abattre devient le nouveau credo. Le Vietnam en est aussi un fort bon exemple.



 La puissance peut briser la conscience humaine et le respect de soi. (Duong Thu Huong)



     Fidel Castro est décédé. Raoul, son frère, le remplace depuis déjà quelques années. Il aurait été élu démocratiquement, semble-t-il. Comment associer démocratie et dictature? On dira que tout se fait selon les normes prescrites par la constitution cubaine. Aucun Cubain non-membre du Parti Communiste n’a droit de parole et peut-être même n’a pas droit de citer. Il n’est dans les faits qu’un récepteur de propagande. Combien de fois, discutant avec un Cubain, on lui annonçait des nouvelles extra-insulaires dont il n’était pas au courant?

Je ne me réjouis pas du décès de Fidel Castro, je ne peux que souhaiter que son ombre qu’il croyait protectrice disparaisse de l’île. Qu’avec lui, vestige des années 1960, on en arrive à ne plus revoir ce type de ''libérateur'' se couronne le lendemain, dans un paternalisme parfois criminel, maître absolu. On assiste au même drame en Corée du Nord. La Birmanie des militaires logeait à la même enseigne.

On lui a toujours préféré le mythe du Che. Ce James Dean militaire a fait rêver également mais jamais son combat fut autre que celui de la guerre. Ses allures angéliques lui donnaient bonne presse tout comme ses déclarations fracassantes. Mais dans la vie des gens, ceux et celles qui tous les jours doivent gagner leur pain à la sueur de leur front, les belles images et les beaux mots sont perçus autrement. On aime les héros, et les héros les plus populaires propulsent devant eux des idéaux souvent irréalisables.



... l'homme a besoin de croire à un idéal, tout en se disant secrètement que cet idéal ne le concerne pas. 
(Duong Thu Huong)



     Les dictateurs finissent toujours par tomber. Lorsqu’ils disparaissent d’autres frappent à la porte. Il est tellement plus simple de gérer sans que rien ne nous nuise. Ce n’est pas pour rien que les prisons cubaines, coréennes, vietnamiennes, chinoises et j’en oublie sont remplies de poètes, d’écrivains, d’objecteurs de conscience. Que la censure soit autorisée pour des raisons d’État. Que s’opposer de quelque manière que ce soit est vu comme une atteinte à la sécurité nationale. Que la répression change de signification quand les intérêts des porteurs de pouvoir sont menacés.

Castro était de ce type. En nommer d’autres serait fastidieux. Les dégâts dont on peut leur imputer la paternité sont nombreux. Il faudrait être en mesure de connaître le fond de la pensée des citoyens vivant sous leur férule pour mieux les apprécier.


Et que vient faire Marine Le Pen que je citais au début du billet? Je l’écoutais babiller, accusant l’Europe, accusant l’intégrisme islamiste de tuer la société française. Son discours tient la route tout comme celui de Castro à l’époque. C’est ce qui me fait la craindre. Les idées de repli sur soi, de rejet des autres, la croyance que ''chacun chez soi'' est la solution à tous les problèmes actuels, tout comme le promeut Donald Trump, font du chemin. 



Ce n’était pas tant qu’il mentît que le fait qu’il n’y avait pas de vérité à dire. 
(Ernest Hemingway)



     Nous avons la mémoire courte. Les politiciens le savent et jouent sur ce tableau. Castro est devenu politicien et a agi de même. C’est de bonne guerre mais il restera, je crois, que tout doucement un nouvel ordre mondial arrivera en raison de notre propension à détruire la nature autour de nous. Au-delà du populisme, au-delà des sauveurs auto-proclamés qui verront le jour utilisant un discours qui jettera de la poussière aux yeux, il restera un fait indéniable : nous sommes sur une planète qui lentement se désagrège mais qui reprendra ses droits nous remettant, aux dictateurs que nous sommes face à elle, notre ticket de départ.


Ce ne seront pas les Castro et autres du même acabit qui apporteront les véritables solutions aux problèmes de notre cupidité.



... le temps transforme tout en illusion.. L'oubli est le compagnon de la vieillesse, on peut bien tenter de la conjurer, rien n'y fait.. La vie demande des choses bien concrètes dont on ne mesure la valeur que trop tard: toujours après coup...  
(Duong Thu Huong)



 À la prochaine


mercredi 23 novembre 2016

5 (CENT) (ONZE)11

     Nous voici donc de retour avec l'épisode numéro 15. Je rappelle qu'un court résumé des précédents se trouve au blogue 510.

Bonne lecture!

     1n) la mort rôde comme hô*, le tigre blanc.      Khuôn Mặt (le visage ravagé) n'a pas oublié le rendez-vous avec Daniel Bloch. Il lui a promis d'inviter des amis. Ne voulant pas manquer à sa parole, il donne un coup de téléphone à Tùm (le trapu) se doutant bien qu'il aurait, une fois de plus, à parler de la nouvelle. Il le chargera de communiquer avec Cây (le grêle) ne sachant trop si ce dernier pourra se libérer de sa mère. Quant à Thần Kinh (le nerveux) sera-t-il intéressé autant par le dîner que d'apprendre ce qui s'est passé ? On verra bien. Finalement, il suivra le conseil de Dep et insistera pour que Tré (le plus jeune) les rejoigne.

- Cảm ơn*.      Ce fut le seul mot reçut par Khuôn Mặt (le visage ravagé) de celle qui lui semblait être la soeur de Cao Cấp (le plus âgé). Sa mission, il l'avait accomplie répétant textuellement les mêmes mots que lors de sa rencontre avec Dep. Il pourra maintenant retourner vers le café où l'attend ce bizarre d'étranger. Sauf que le kiosque de Dep l'attire davantage. Lui faire rapport servirait de prétexte pour y revenir. Mais il ne veut pas profiter outre mesure de la situation. 

Doucement, le soir s'installe. Les chauves-souris ont pris le relais des hirondelles balayant l'espace d'allers-retours ininterrompus. Les moustiques n'auront aucune chance contre ces rapides et efficaces nettoyeurs. Le ciel s'assombrit. Les enfants, plus tôt qu'à l'habitude, ont rangé leurs cerfs-volants. La mort rôde comme , le tigre blanc. Pour certains, ce tigre est un Seigneur qui protège; pour d'autres, un gage de mort. Aujourd'hui, les derniers en seront plus convaincus avançant même qu'ils avaient perçu son odeur nauséabonde.

On évite de parler du tigre. Semble-t-il que cela attire le malheur. Sauf lorsque l’on doit raconter la légende. Le tigre se présenta à la porte de l'Empereur de Jade afin de régler un litige: les animaux se plaignaient que l'homme les maltraitait. Celui-ci annonça qu’aux premiers arrivés, il leur attribuerait le prestige d'être le symbole d'une année de naissance, les protégeant ainsi de la malice de l'homme. Telle fut sa décision. Dans l'ordre, selon leur entrée au palais, le rat, le boeuf, le tigre et le lapin furent les quatre premiers. Suivirent le dragon, le serpent, le cheval, la chèvre, le singe puis le coq. Finalement, l'Empereur s'étant fait mal comprendre, lui qui n'en souhaitait que dix, il dût se résigner à accepter le chien et le cochon. L'affaire était classée: il y aura douze animaux. 

* Cảm ơn     Merci


2n) la mort rôde comme hô*, le tigre blanc.      On évite de parler du tigre. Tout comme, sans doute, on s’abstiendra dans tout le quartier de parler directement de l'affaire du pendu. On utilisera des mots connexes, des sous-entendus, des allusions pour le faire. Son nom, plus jamais prononcé sauf par les xấu xí, les superstitions ne faisant pas partie de leur vocabulaire. Ils devront aussi ménager la souffrance de Tré (le plus jeune).   

Afin de s'assurer que le premier témoin de la catastrophe de l'après-midi soit présent au dîner, évitant qu’il s'isole et ronge sa peine, Khuôn Mặt (le visage ravagé) se rend chez lui. Il découvre un jeune homme abattu, yeux hagards et mine patibulaire. Assis à califourchon, passant et repassant continuellement la main dans ses cheveux noirs comme le charbon, il n'a qu'un seul mot à la bouche : ''Pourquoi ?''

Ne se reconnaissant pas lui-même dans le ton qu'il emploie, Khuôn Mặt (le visage ravagé) s'approchant à trois pas du plus jeune, lui dit:      - Assez. Tu m'entends, c'est assez. Tu lèves ton cul et viens avec moi au café. Les autres nous y attendent. On a rendez-vous pour dîner avec un étranger. Pas question de rester ici à gratter une plaie ouverte; le sel de mer pourrait la ronger et te faire souffrir encore plus.     

Tré (le plus jeune) n'a pas le temps de réagir que le voilà soulevé de terre. Quelques minutes à peine et ils sont en face du Con rồng đỏ. L'agent de sécurité semble moins ivre qu'hier et demain. Il interroge les deux nouveaux arrivés:     - Il y a quelqu'un qui va me dire ce qui se passe dans le quartier?         Tout bizarre de l'entendre parler, davantage de ne pas suffoquer sous ses bouffées d'haleine d'ivrogne.     - On évite de parler du tigre, lui répond Khuôn Mặt (le visage ravagé).  Ils entrent.


3n) la mort rôde comme hô*, le tigre blanc    Le café est vide de ses habitués. Tout au fond, les rats se cachent, épiant les morceaux de riz qui glisseront des tables, courront s'en emparer puis, aussi rapidement, ils retourneront dans leur cachette. Lorsque le groupe des xấu xí se réunit, chacun se campe au même endroit, en semaine et le samedi. Khuôn Mặt (le visage ravagé) reconnaît Daniel Bloch. Autour de lui, Cây (le grêle) écoute attentivement Tùm (le trapu) converser en anglais avec l'étranger appuyé sur son sac de cuir. 

- Thần Kinh (le nerveux) n'est pas venu? demande Khuôn Mặt (le visage ravagé).        Ne sachant trop à qui s'adresse la question, personne n’y répond. Il comprend que le groupe des xấu xí, pour ce dîner, sera amputé de deux personnes. Daniel Bloch se lève, tend la main aux nouveaux venus. Il semble avoir été mis au courant de la tragédie; également de la relation qui liait le disparu à celui qui s'écrase sur une chaise comme si on venait de déposer un sac de ciment.

Un proverbe vietnamien dit: ''Il n'y a pas de situations désespérées; il n'y a que des hommes qui désespèrent des situations.'' Première idée venant à l'esprit du spécialiste en linguistique qui, depuis son arrivée à Hanoï, s'amuse à collectionner proverbes, dictons, aphorismes et toute autre formule lui permettant de mieux comprendre les singularités de ce peuple au travers de sa langue. Il doit les traduire mais Google est parfois bien imprécis.  En côtoyant les gens, il croit pouvoir mieux approfondir leur âme, leur manière de voir la vie. Ou les vies si l'on accepte l'idée que celle-ci n'en est qu'une parmi tant d'autres.

L'atmosphère n'est pas à la fête. On sent chez chacun une retenue, des choses à ne pas dire, des sujets à éviter. Un en particulier. Afin d'interrompre ce silence qui pesamment s'alourdit d'une minute à l'autre, Daniel Bloch, demande à Tùm (le trapu) de lui servir d'interprète. Il fera une pause à chacune des phrases le temps que ce dernier traduise. Une fois sa voix éclaircit par un raclement sonore, il prend la parole:   - Je comprends que votre groupe vit de bien fâcheux moments. Permettez-moi de vous offrir mes plus sincères condoléances. Sachez que je ne veux d'aucune manière vous accaparer, mais je souhaiterais, pour le peu de temps que je passerai à Hanoï, discuter avec vous. Principalement de votre langue que je trouve tellement jolie et, si vous me le permettiez, de la façon de vivre qui est la vôtre.     Comme un coup de tonnerre venu de l'est, celui qui annonce la catastrophe, Tré (le plus jeune) explosa:       - On évite de parler du tigre.     Un coup de tonnerre, s'il vient de l'ouest, est cent fois plus violent. Les paroles du plus jeune eurent l'effet combiné des deux.

4n) la mort rôde comme hô*, le tigre blanc

   L'arrivée de madame Quá Khứ allégea un peu l'air ambiant. Elle dut faire deux voyages entre la cuisine et la table afin que tous puissent être servis. Tré (le plus jeune) repoussa son bol de phở pour se camper dans un mutisme qu'il conservera tout au long du dîner. Du thé au jasmin dans une jarre en grès trônait au centre de la table. Des récipients en nickel. Des baguettes en bois. Des bols verts et blancs furent remplis par les grandes mains de Cây (le grêle).

La grande majorité des restaurants vietnamiens, surtout ceux de la rue, n'offrent qu'un seul mets. Deux manières de se le procurer: s'asseoir sur de petits tabourets autour d'une table aussi petite puis se faire servir; ou s'arrêter en moto devant une échoppe culinaire, attendre qu'on prépare le repas, le dépose dans un contenant en mousse de polystyrène pour vous le remettre dans un sac plastique transparent. Ceci autant pour le petit déjeuner, le lunch ou le dîner. Si l'on souhaite un menu plus élaboré, il faut chercher dans les restaurants plus chics.

- Croyez-vous qu'il soit possible pour un Occidental d'apprendre la langue vietnamienne assez rapidement, demanda Daniel Bloch afin de dérider l'assemblée entièrement paralysée suite à l'éclat de voix de Tré (le plus jeune). Tùm (le trapu) traduisit. Personne n'avait de réponse. Ce dimanche aura été beaucoup trop pesant. Encore tôt pour s'enlever de la tête ce qui l'emplit encore, personne n'ayant pu imaginer que cela puisse s'y infiltrer. Alors, réfléchir...

Pour l'étranger au sac de cuir, il devint évident que cette réunion n'apporterait rien assouvissant sa soif d'apprendre sur le Vietnam. La foudre avait rendu ses invités aussi muets qu'aveugles. Il résolut de ne pas insister, s'assurant toutefois que ce premier contact puisse être les prémices à d'autres. Il envisageait prolonger son séjour dans le nord du Vietnam. Laisser du temps au temps lui sembla être la meilleure chose à faire.












 À la prochaine









jeudi 17 novembre 2016

5 (CINQ) (CENT DIX) 10

DEP



Il est bon avant de reprendre les parutions du récit Ils étaient six que diverses circonstances ont stoppée, de faire un retour sur les premiers épisodes.

Chacun porte un titre et a été publié sous un numéro sur le blogue. Alors voici un résumé de chacun.








Dans Ils étaient six... (blogue 486), on présente les six marcheurs du soir qui vont et viennent, passant quotidiennement devant le kiosque de Dep, la jeune fille qui vend des ballons multicolores.


 

Au blogue 488, le deuxième épisode (Ils sont six...) nous raconte que le samedi les six s'adonnent à la bière au point de s'enivrer. Ce soir-là, ils souhaitent rire, rire dans un sens fort différent que celui qu'on lui donne habituellement.On invite et force la jeune vendeuse de ballons multicolores à les suivre.


Ils ne sont plus six... (blogue 490). Le groupe, suite aux ordres du plus âgé se réduit... Il oblige les autres à retourner vers le café afin de l'attendre, demeurant seul avec Dep qu'il violera.






Ils sont encore six... blogue 492
Suite au drame, chacun retourne chez-soi, ébranlé par ce samedi pas comme les autres. Dep, péniblement. Le plus âgé passe une fort mauvaise nuit.



 La nuit des six... (blogue 494) nous décrit la nuit de chacun des personnages: Dep, le plus âgé, le plus jeune, le nerveux, le grêle, le visage ravagé et le trapu.



C'est encore la nuit
 (blogue 495) nous poursuivons dans la même veine tout en précisant le caractère de chacun des six qui composent le groupe surnommé les 
xu xí.

 En finira-t-on avec cette nuit? On le retrouve au blogue 496 et continue la présentation des personnages.








Enfin pointe le soleil... blogue 498


Lever du jour, un dimanche qui ne sera pas non plus une journée ordinaire. On termine la présentation de nos personnages.


 Un dimanche comme les autres (blogue 499). Ici, nous affichons les véritables noms des six et en dirons beaucoup plus sur l'histoire de Dep avant qu'elle n'arrive à Hanoï, sur son affection pour sa mère.





La première lettre de Dep... blogue 501
La mère de Dep lui a lu et relu Pearl Buck alors qu'elle vivait dans son village. Le jeune vendeuse de ballons multicolores utilisera quelques mots de leur auteure préférée afin de lui raconter sa triste aventure. Un étranger s'arrêtera devant son kiosque pour une information.

 Le premier pas est le plus difficile (blogue 502). 

L'arrivée dans le décor de David Bloch au café Con rng đ . La propriétaire, Madame Quá Khứ, entre en scène alors que Dep lunche avec son amie couturière.





Ainsi va l'après-midi (blogue 503)
David Bloch discute avec le visage ravagé tout à son observation de Dep. Celle-ci, en choc post-traumatique, verra passer devant elle son agresseur qui semble fuir.




On assistera dans l'épisode fleurs de papier (blogue 504) au deuxième drame en moins de 24 heures. Le plus âgé se pend dans la pinède. Le plus jeune, passant en courant devant le café, éveillera des doutes dans l'esprit du visage ravagé qui se rendra au kiosque de Dep. Il ira vers la pinède, constatera l'étendue de la tragédie puis se rendra chez les parents du plus âgé, comme le lui recommande Dep.



Comment achever une telle journée? est le dernier épisode paru. On le retrouve au blogue 506.

Les premières suites à la pendaison et la rencontre du groupe avec Daniel Bloch.


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Je souhaite que ce retour sur les épisodes passés permettra de vous remettre au coeur de l'histoire.

Cette histoire dont on pourrait, jusqu'à maintenant, dire qu'elle tente de tracer le portrait de différents types vietnamiens comme je les perçois; de certaines habitudes, traditions qui peuvent nous sembler incongrues mais qu'il faut regarder avec des lunettes différentes que celles que nous utilisons pour voir la vie occidentale.

Le personnage centrale, Dep, cette jeune fille aura à vivre le conflit toujours présent dans la société vietnamienne: le combat entre la tradition et la modernité. Également, comment être femme au Vietnam actuel.

Les six, rapidement devenus cinq, peuvent représenter comment se vit la masculinité au Vietnam. Civilisation machiste, il faut le dire. Mais ces hommes, ces jeunes gens devront de plus en plus se positionner sur leurs relations avec la femme, avec eux-mêmes, leurs conflits intérieurs, leurs difficultés à partager sentiments et émotions.

La femme vietnamienne est forte, résiliente mais encore beaucoup dépendante. Il y a de l'espoir toutefois. Personnellement, je mets toute ma confiance en Dep. Je crois qu'elle ne se décevra pas, nous non plus.

La semaine prochaine, publication du prochain épisode:
la mort rôde comme hô*, le tigre blanc


À la prochaine

samedi 12 novembre 2016

LEONARD COHEN

LEONARD COHEN
(1934-2016)


     Je ne sais trop ce qu'il faut dire de plus suite à tout ce que l'on entend actuellement après le décès de Leonard COHEN, le géant.

Un géant. Un immense géant a rendu les armes, à quelques jours du 11 novembre.

Poète, d'abord et avant tout. Poète de l'humain qui ferme les yeux lorsqu'il chante afin de mieux voir ce qui se cache en lui, en nous. Non seulement ses intimités, les nôtres aussi, par ses mots, ses clefs de sol et de fa, par la chaleureuse profondeur de sa voix que Bono de U2 qualifiait être la voix de Dieu. Par lui nous avons entendu ce qu'auparavant personne ne disait.

Je ne peux te suivre mon amour
Tu ne peux me suivre
Je suis la distance que tu as mise
Entre tous les moments qui seront
                                          
Troubadour allant de ville en ville, il propageait non pas les valeurs actuelles de notre société d'hinterland mais les vérités de nos sommeils personnels, hachant à grands coups de gueule et d'intelligence les ambiances fallacieuses depuis les années '60 jusqu'à tout récemment.

Tous les hommes que tu as connus
Te disaient qu'ils ne voulaient plus
Donner les cartes, pris comme dans un piège
C'est dur de retenir la main d'un Homme
Qui veut atteindre le Ciel pour se livrer 
Et qui veut atteindre le Ciel pour se livrer. 

Leonard Cohen n'aura pas été un chanteur populaire, populaire dans le sens de ce que l'on entend ad nauseam à la radio - Patrick Lagacé dans le journal LA PRESSE le mentionnait si bien - Leonard Cohen est la voix... la voie de la nostalgie. 

Leonard Cohen n'aura pas reçu le Prix Nobel de Littérature, on a préféré le remettre à Bob Dylan, mais comme il l'aurait mérité. 

Je vous laisse continuer de penser à lui en vous écrivant le texte de cette chanson magistrale The Future dans sa mouture française.

Rendez-moi ma nuit brisée 
ma chambre aux miroirs, ma vie secrète
On est seul ici, 
il ne reste personne pour torturer

Donnez-moi un contrôle absolu
sur chaque âme vivante
Et couche-toi près de moi, mon amour,
C'est un ordre!

Donnez-moi du crack et baisons par-derrière, 
Prenez l'unique arbre qui reste
et enfoncez-le dans le trou
de votre culture

Rendez-moi le Mur de Berlin
rendez-moi Staline et Saint-Paul
J'ai vu l'avenir, mon frère
ce n'est que meurtre. 

Les choses vont partir dans toutes les directions

Il n'y aura plus rien
Plus rien que vous pourrez mesurer
Le blizzard du monde
a franchi le seuil
et il a renversé
l'ordre de l'âme
Quand ils disaient REPENTANCE
Je me demande ce qu'ils voulaient dire

Vous ne me connaissez pas vraiment
Vous ne me connaîtrez jamais
Vous ne m'avez jamais connu
Je suis le petit juif 
qui a écrit la bible

J'ai vu les nations dominer et sombrer
J'ai entendu leurs histoires, toutes leurs histoires
mais l'amour est le seul moteur de survie
A votre serviteur ici présent, on a conseillé
de le dire clairement, froidement
c'est fini, ça n'ira pas plus loin
Et maintenant les rouages du ciel s'arrêtent 
vous sentez l'arrivée de Satan
Tenez-vous prêts pour l'avenir
ce n'est que meurtre.

Les choses vont partir dans toutes les directions

Il y aura l'effondrement
de l'ancien code occidental
Votre vie privée explosera soudain
Il y aura des fantômes
il y aura des feux sur la route
et l'homme blanc qui danse
Vous verrez votre femme
pendue la tête en bas 
le visage caché par sa robe renversée
et tous les petits poètes pouilleux
arriveront
en essayant de ressembler à Charlie Manson

Rendez-moi le Mur de Berlin
rendez-moi Staline et Saint-Paul
Donnez-moi le Christ
ou donnez-moi Hiroshima
Détruisez un autre foetus
Nous n'aimons plus les enfants
J'ai vu l'avenir, mon amour
ce n'est que meurtre.

Les choses vont partir dans toutes les directions

Il n'y aura plus rien
Plus rien que vous pourrez mesurer
Le blizzard du monde
a franchi le seuil
et il a renversé
l'ordre de l'âme
Quand ils disaient REPENTANCE
Je me demande ce qu'ils voulaient dire


Je ne sais trop ce qu'il faut dire... mieux vaut se taire... le relire... le réécouter, nous rappelant... You want it darker

Salut Cohen!

mercredi 9 novembre 2016

humeur vietnamienne




     Je suis de retour à Saïgon depuis cinq jours. Le temps de mettre en ordre l’appartement, réajuster mon horaire en raison du décalage horaire, revoir les amis proches, réorganiser principalement le courriel suite à l’hameçonnage de mon Hotmail et tous ces petits détails laissés en plan lors de mon départ en octobre dernier, et me voici prêt à reprendre le cours habituel de ma vie vietnamienne.

Je suis parti vers Saint-Pie le 4 octobre dernier dans des conditions plutôt fragiles en terme de santé mais je puis affirmer maintenant que tout rentre dans l’ordre. Je rencontre le docteur Laguë demain, vendredi 11 novembre. Il devrait confirmer que l’épisode Ecoli/infection urinaire/prostatite est chose du passé.

Je suis arrivé à Saint-Pie n’ayant avisé personne de ce séjour d’un mois avec trois objectifs à réaliser: le premier, celui de retrouver ma famille que j’avais laissée en novembre 2015 de manière un peu cavalière ainsi que les amis qui me sont chers; le deuxième, établir un bilan de santé avec mon médecin du Québec; le troisième, vérifier avec les autorités canadiennes où en est rendue ma demande de résidence permanente.

Dès lors que tout cela fut fait et je peux me permettre de le dire, fait pour le mieux, j’envisage cette période qui ira jusqu’en juin prochain – je vais rentrer en juin 2017 – de manière positive. Captivante cette nouvelle séquence principalement en raison de la venue, en décembre prochain, de mon frère Pierre: un mois à parcourir le Vietnam, tous les deux, lors d’un premier voyage ensemble.

Me remettre également à l’écriture. Mon bureau réinstallé au centre du balcon m’attend tout comme la suite de l'histoire Ils étaient six… que j’ai dû mettre en veilleuse; le projet tripartite (Monique, Mariette et moi) qui se voudra un carrefour entre la poésie et la création artistique; quelques textes, poèmes qui reposent tout doucement quelque part dans mon nouveau laptop.

Quelqu’un de proche me rappelait que la mort s’amusait à me frôler, citant les phlébites dans l’avion me menant en France en 2009 puis cette fois, ici au Vietnam. C’est exact. Une pensée demeure bien ancrée dans mon esprit lorsque je réalise cela : il n’est pas difficile de mourir, le pire étant les efforts que la vie canalise afin de l’éviter. Comme ça bouge! À vitesse vertigineuse, alors que tout semble dévaler vers on ne sait où, ratant quelques occasions de prendre prise sur du solide pouvant stopper cette désescalade effrénée! Il semble toutefois que nous soyons retenus par un mystérieux câble enroulé autour de nous, follement attirés par l’attraction terrestre, par une chute vers l’inconnu. Pour certains le câble, trop étiré ou arrivé au bout de sa corde, ira fatalement se fracasser sur d'immuables remparts; pour d’autres, le cordage stoppera la course, suspendant tel un bungee dans ce vide à reconstruire notre être cherchant à le demeurer. On dévale entre être et non-être. Passionnant, surtout quand il nous est permis d’en parler par la suite.

J’ai, mais en fort peu de mots, dit avoir vécu soixante-douze heures d’hallucinations accompagnées d’une intense session de sudation. Le mot ''hallucination'' est celui que j’ai utilisé afin de mieux expliquer ce qui s’est réellement passé. Mon ami Guy Dion m’a beaucoup réconforté alors que nous abordions le sujet, me signalant avoir vécu quelque chose de semblable suite à une délicate chirurgie au cerveau subie il y a quelques années.

Hallucination : phénomène psychique par lequel un sujet en état de veille éprouve des perceptions ou des sensations sans qu’aucun objet extérieur les fasse naître et qui apparaît au cours de certaines maladies ou sous l’effet de la drogue.

3 jours et 3 nuits, sans dormir, sans boire, sans manger, n’ayant que la force de préparer mes sachets d’Immunocal, bombardé par des milliers et des milliers d’images venant d’aussi loin que l’enfance, allant aussi loin que l’agonie. Des représentations extraordinairement précises d’événements passés que je croyais avoir oubliés ou auxquels je n’avais préalablement jamais porté attention. Et surtout, à une vitesse vertigineuse. Certaines ne se présentant qu’une fois, d’autres revenant, lancinantes, insistantes.

Il n’y a pas eu, au cours de ces soixante-douze interminables heures, un seul moment de répit au cours duquel j’aurais pu intervenir afin d'arrêter le manège ou tenter de commenter ces spectres.

Il n’y a pas eu, non plus, l’espace requis pour analyser ce qui se déroulait, pas de temps pour avoir peur ou conscientiser la souffrance. Celle-ci se manifestait dans toute son horreur alors que je devais aller uriner, hurlant de douleur.

Guy Dion m’a parlé de ses propres hallucinations et certaines similitudes me sont apparues. L’intelligence me criait que cela ne pouvait être véridique, ne me laissant pas un seul instant de détente pour me rassurer. Tout cela était. Point final. Dans un silence effroyable. Un mutisme parfait. Même pas le bruit insufflé par la vitesse avec laquelle ça me parvenait.

Lorsque j’y repense, la seule chose qui me revient en tête est la suivante : le cerveau retient tout. Il ramène le bagage au complet à la consciente réalité, car j’arrivais à me dire que j’étais conscient de tout. Ça ramenait qui j’avais été, qui je suis et, pire encore, qui je serai, à savoir un être en marche vers la mort.

Au retour de cette expérience, une phrase me revint à la mémoire. J’ai dû la lire quelques jours auparavant:

''… je n’avais plus d’espoir, donc je n’avais plus peur.'' Didier van Cauwelaert

C’est un peu un moi-même différent qui vit avec moi-même.

À la prochaine




Un peu de politique à saveur batracienne... (19)

  Trudeau et Freeland Le CRAPAUD ne pouvait absolument pas laisser passer une telle occasion de crapahuter en pleine politique fédérale cana...