Je suis de retour à
Saïgon depuis cinq jours. Le temps de mettre en ordre l’appartement, réajuster
mon horaire en raison du décalage horaire, revoir les amis proches, réorganiser
principalement le courriel suite à l’hameçonnage de mon Hotmail et tous ces
petits détails laissés en plan lors de mon départ en octobre dernier, et me voici
prêt à reprendre le cours habituel de ma vie vietnamienne.
Je suis parti vers
Saint-Pie le 4 octobre dernier dans des conditions plutôt fragiles en terme de
santé mais je puis affirmer maintenant que tout rentre dans l’ordre. Je
rencontre le docteur Laguë demain, vendredi 11 novembre. Il devrait confirmer
que l’épisode Ecoli/infection urinaire/prostatite est chose du passé.
Je suis arrivé à
Saint-Pie n’ayant avisé personne de ce séjour d’un mois avec trois objectifs à réaliser:
le premier, celui de retrouver ma famille que j’avais laissée en novembre 2015
de manière un peu cavalière ainsi que les amis qui me sont chers; le
deuxième, établir un bilan de santé avec mon médecin du Québec; le
troisième, vérifier avec les autorités canadiennes où en est rendue ma demande de
résidence permanente.
Dès lors que tout cela fut fait et je peux me permettre de le dire, fait pour le mieux, j’envisage
cette période qui ira jusqu’en juin prochain – je vais rentrer en juin 2017 –
de manière positive. Captivante cette nouvelle séquence
principalement en raison de la venue, en décembre prochain, de mon frère Pierre: un
mois à parcourir le Vietnam, tous les deux, lors d’un premier voyage ensemble.
Me remettre également à l’écriture.
Mon bureau réinstallé au centre du balcon m’attend tout comme la suite de l'histoire Ils
étaient six… que j’ai dû mettre en veilleuse; le projet
tripartite (Monique, Mariette et moi) qui se voudra un carrefour entre la
poésie et la création artistique; quelques textes, poèmes qui reposent
tout doucement quelque part dans mon nouveau laptop.
Quelqu’un de proche me
rappelait que la mort s’amusait à me frôler, citant les phlébites dans l’avion
me menant en France en 2009 puis cette fois, ici au Vietnam. C’est exact. Une
pensée demeure bien ancrée dans mon esprit lorsque je réalise cela : il n’est
pas difficile de mourir, le pire étant les efforts que la vie canalise afin de
l’éviter. Comme ça bouge! À vitesse vertigineuse, alors que tout semble
dévaler vers on ne sait où, ratant quelques occasions de prendre prise sur du
solide pouvant stopper cette désescalade effrénée! Il semble
toutefois que nous soyons retenus par un mystérieux câble enroulé autour de nous, follement
attirés par l’attraction terrestre, par une chute vers l’inconnu.
Pour certains le câble, trop étiré ou arrivé au bout de sa corde, ira fatalement se fracasser sur d'immuables remparts; pour d’autres, le cordage stoppera
la course, suspendant tel un bungee dans ce vide à reconstruire notre être cherchant à le
demeurer. On dévale entre être et non-être. Passionnant, surtout quand il nous
est permis d’en parler par la suite.
J’ai, mais en fort peu de
mots, dit avoir vécu soixante-douze heures d’hallucinations accompagnées d’une intense session de sudation. Le mot ''hallucination'' est celui que j’ai
utilisé afin de mieux expliquer ce qui s’est réellement passé. Mon ami Guy
Dion m’a beaucoup réconforté alors que nous abordions le sujet, me signalant
avoir vécu quelque chose de semblable suite à une délicate chirurgie au cerveau
subie il y a quelques années.
Hallucination :
phénomène psychique par lequel un sujet en état de veille éprouve des
perceptions ou des sensations sans qu’aucun objet extérieur les fasse naître et
qui apparaît au cours de certaines maladies ou sous l’effet de la drogue.
3 jours et 3 nuits, sans
dormir, sans boire, sans manger, n’ayant que la force de préparer mes sachets d’Immunocal,
bombardé par des milliers et des milliers d’images venant d’aussi loin que l’enfance,
allant aussi loin que l’agonie. Des représentations extraordinairement
précises d’événements passés que je croyais avoir oubliés ou auxquels je n’avais
préalablement jamais porté attention. Et surtout, à une vitesse vertigineuse.
Certaines ne se présentant qu’une fois, d’autres revenant, lancinantes,
insistantes.
Il n’y a pas eu, au cours de
ces soixante-douze interminables heures, un seul moment de répit au cours duquel j’aurais pu intervenir afin d'arrêter le manège ou tenter
de commenter ces spectres.
Il n’y a pas eu, non plus, l’espace
requis pour analyser ce qui se déroulait, pas de temps pour avoir peur ou
conscientiser la souffrance. Celle-ci se manifestait dans toute son horreur
alors que je devais aller uriner, hurlant de douleur.
Guy Dion m’a parlé de ses
propres hallucinations et certaines similitudes me sont apparues. L’intelligence me criait que cela ne pouvait être véridique, ne me laissant pas un seul instant de
détente pour me rassurer. Tout cela était. Point final. Dans un silence
effroyable. Un mutisme parfait. Même pas le bruit insufflé par la
vitesse avec laquelle ça me parvenait.
Lorsque j’y repense, la seule chose qui me revient en tête est la suivante : le cerveau
retient tout. Il ramène le bagage au complet à la consciente réalité, car j’arrivais à me dire que j’étais
conscient de tout. Ça ramenait qui j’avais été, qui je suis et, pire
encore, qui je serai, à savoir un être en marche vers la mort.
Au retour de cette
expérience, une phrase me revint à la mémoire. J’ai dû la lire quelques jours
auparavant:
''… je n’avais plus d’espoir,
donc je n’avais plus peur.'' Didier van Cauwelaert
C’est un peu un moi-même
différent qui vit avec moi-même.
À la prochaine
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