lundi 26 mars 2018

5 (CINQ) (CENT CINQUANTE-QUATRE) 54



Ce que je vous offre aujourd'hui m'est tout à fait précieux. Le résultat de près d'une année de travail en collégialité. L'idée provient de ma grande amie, celle de mille ans, Monique Racine-Brouillette. Un jour, elle me propose ce projet: écrire un poème en duo tout en suggérant un thème. Celui que vous découvrirez à la lecture de ce poème intitulé LE MIROIR DES ELLE.

Nous nous échangions des idées, des mots, des impressions, des humeurs. Sa gestation fut longue mais combien captivante. Alors, au fil des jours, des mois et de nos nombreux échanges, s'ajouta Mariette Poirier. Une artiste d'une sensibilité à fleur de peau. Nous lui avons confié la tâche d'illustrer le poème. Ce qu'elle fit relève de la plus pure beauté.

L'émotion que je ressens de le voir, maintenant, reçu et lu par les amis du géant, est très vive. C'est comme recevoir un secret de quelqu'un d'important... recevoir un cadeau à un moment inattendu.

Je tiens à redire toute ma gratitude que je porte envers ces deux femmes que j'aime tant et vous faire profiter de leur immense talent. Je n'aurai été qu'un stylo entre des mains angéliques.



Le ciel grisonne.      
Un éclair de chaleur strie le ciel ; sur le lac, un voile entoure la lueur de la lune.

    La noirceur, bientôt, recouvrira les traces de pas laissées sur la grève sans cailloux. Ça sera la nuit, mystérieuse dame noire !

      Un sentier s’ouvre, sculpté à même la forêt. Toute proche. Les arbres moulent un tunnel. Y règne un silence que seuls les oiseaux, tardant à regagner leur nid, dérangent par leur voyage entre lac et forêt.

    Si, d’aventure, on emprunte ce chemin menant à plus de silence encore, qu’une dernière fois l’on se retourne, quittant des yeux ce chalet d’un vert émeraude - chalet fier d’un balcon donnant sur le lac - apparaît la maison. Isolée. Construite que pour y déposer la solitude. Céleste.

      Le chalet et la maison sont habitées par deux femmes. Sans se connaître, elles possèdent de profondes similitudes. Celle que nous nommerons Elle et l’autre, que nous nommerons elle.

      Deux "elle" appariées aux mots pour l‘une, aux couleurs pour l’autre.

      Personne ne saurait nous informer sur chacune d’elles sauf peut-être qu’elles se vouent corps et âme à la beauté : des mots ; des couleurs.

      Deux femmes nocturnes. De la nuit.




      Elle a pris de l’âge. Sa vie active l’aura doucement amenée à tout quitter : famille et carrière. Les raisons qui l’y incitèrent lui sont personnelles… Ni ermite ni sauvage. Un jour - une nuit peut-être - elle laissa sa vie citadine pour se réfugier ici, dans cette forêt. C’est là qu’Elle s’est retrouvée. Dans cette maison dont elle rêvait depuis mille ans. C’est en rêve qu’elle aime y vivre.

      Trop longtemps Elle n’aura vécu qu’entre ses activités familiales et professionnelles. Puis, un jour - une nuit peut-être - sans vraiment comprendre, assise dans le fauteuil laissé par une grand-mère adorée, lui apparurent des mots nouveaux. Dans toute la majesté de la poésie.

    Elle a aimé ce qu’elle lut. De nouvelles vibrations parcoururent son corps et son âme. Ce corps qu’Elle ne connaissait pas vraiment. Cette âme qu’Elle cherchait sans trop le savoir. Et tout comme cet éclair de chaleur striant la nuit, Elle a choisi de tout laisser. Non pas abandonner. Puis, Elle quitta la ville, trouva cette maison qui depuis longtemps l’appelait. Maison cachée en forêt. Elle l’aura fait poindre des ombres qui obscurcissaient sa vie. Elle n’était pas malheureuse ; inachevée.

      Puis Elle s’installa ici, dans cette forêt à quelques pas à peine du lac qui lave l’immense rocher le jour, gazouille la nuit. Elle apprit à aimer la nuit, à respirer autrement ; lire, écrire et rêver.

      Au fil du temps, la maison devint à son image. Aucune saison ne l’attriste; aucun moment ne l’appelle à autre chose qu’à devenir Elle

      Elle a tout meublé à son goût, dans cette simplicité qui la définit si bien. 

      Les habits étriqués dont Elle se vêtait pour traverser la routine quotidienne, de même que ses habitudes, furent accrochés à la patère du passé qu’Elle ne regrette plus. 

      Point de nostalgie. De culpabilité encore moins… ce couteau qui hache les êtres...

      Elle est belle. L’a toujours été. Maintenant, Elle se le dit ; plus besoin des mots des autres, souvent fallacieux, pour s’en assurer… se rassurer. Elle vit sa liberté, sa vérité, consciente d’être qui Elle est.

      Ses besoins, désormais, sont ceux qu’Elle choisit : cette maison dans la forêt… les promenades qui la couvrent de plénitude… le vent qui lui parle différemment selon les saisons… le balcon devenu chambre de lecture, atelier d’écriture, miroir de rêve.

      Tous les jours, Elle va au lac - prend à droite sans trop savoir pourquoi – plonge dans un univers différent selon les saisons. Elle marche, cheveux défaits caressant ses épaules, vêtue de blanc et de rose, les couleurs qu’Elle affectionne. L’intense pureté du blanc, la radieuse odeur du rose. Trois roses séchées ornent sa coiffeuse, doublées par le miroir de sa chambre. Elle ne sait la raison pour laquelle le jaune et le noir l’attirent à présent : en raison de la nuit… en raison du rêve. Peut-être!

La nuit… Le rêve…



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      C’est elle qui a retouché de ses mains en pinceau les verts… jusqu’à reconnaître celui qui deviendrait la couleur de ce chalet. Le balcon, à l’étage donnant sur le lac, c’est là qu’elle passe ses journées. Ses nuits sont offertes à la grève alors que, sans trop savoir pourquoi, prenant sur la gauche une route qui la mène au bout de ses promenades.

      elle aime marcher, bouger. Dans une autre vie, on la voyait contrainte à des courses effrénées entre boulot et dodo. Déjà, depuis toute jeune fille, elle savait que son quotidien devait être autre chose que la vulgaire routine. Ses engagements l’auront empêchée de peindre… sa grande passion.

      elle est femme de passion. De celles qui éclatent en couleurs emmêlées créant des instants d’émerveillement. elle est née pour l’émerveillement… elle est née pour que d’elle, jaillisse, par la magie ensorcelante de ses mains, la face cachée de la beauté.

      La beauté est un tissu entre ses doigts… une agglomération de fils entrelacés, fins comme la douceur de son âme. elle sait, mieux que tout autre, parler aux couleurs, leur donner cette vibration intérieure qui accroche le cœur. 

elle est peintre, à la recherche des confins mystérieux de l’absolu qu’elle ravive.

      Il faut aimer la nuit pour rejoindre les inconnus qu’elle touche, transforme en morceaux d’un éclat infini. elle rejoint l’inatteignable. 

      elle valse sur des tapis de couleurs, sur les formes abstraites de la réalité, canevas dont l’ossature passe du tableau à la broderie.  elle découpe, taille, crénelle, bretelle à partir de tout et de rien. D’un innocent objet émerge la vie... 

      elle fait éclore selon un ordre soigneux. Peu de place pour l’imprécision, la vulgarité. Une princesse aux doigts de fée, aux gestes de baladi qui enjôlent l’air, récupèrent des parfums jaunes et noirs. Parfums de la nuit… qu’elle affectionne… l’absence de la palette des couleurs lui permet d’en créer de nouvelles… elle, c’est la lumière dans la couleur…

      la nuit elle marche, du chalet, puis sur la gauche, vers les montagnes à l’horizon, ces mystérieux êtres cachant le territoire. elle devine l’envers des choses tout comme, abandonnée au rêve qui constamment revient, ce rêve qui surgit du miroir que devant elle le lac esquisse…


Et cette nuit-là… Alors que rien ne le prévoyait, Elle changea de route et elle fit de même… Puis…



_______________________________________________Cette nuit-là



Un vent calme dans la nuit bleutée, 
piquée d'étoiles, de diamants
s’accrocha aux arbres, 
chatouilla les feuilles…
il s’est revêtu des odeurs de la forêt, 
ces effluves qu'elles aiment tant...


Elle
celle qui pianotait, maintenant dénoue sa longue tresse tortillée de cheveux blancs...


se sentir rose et fleur bleue
comtesse de Ségur


des larges fenêtres ouvertes sur la nuit, 
des rideaux de tulle vont et viennent
comme son âme, jeune encore
comme son corps que le temps 
infatigable passant, 
a démodé...



Elle
celle qui brossait de longs cheveux de soie, ferme les yeux... un sourire, celui qui jamais ne l'abandonne, dessine des océans disparus… Elle attend... en ce soir des mille et une nuits, le rêve dont Elle ne peut se séparer... 


rêve, reviens adoucir ma nuit
ne romps pas le charme


forêt... 
nuit des Perséides... 
étoiles filantes s'éteignant dans le lac...
il n'est pas loin, le lac... 
à quelques enjambées peut-être... 
tout va si vite lorsqu'on rêve

Elle
belle Andromède apparue dans le miroir, mère de Cassiopée qui brille dans la nuit clignotante, dans l'obscurité bleutée ...

suis-je encore belle pour lui, 
le serai-je encore 


depuis mille ans la femme de la maison en forêt
conserve trois roses rouges dans un vase antique ...
une pour la naissance de l'amour,
l’autre pour l’odeur de la nostalgie,
la dernière, pour l'amour
trois fleurs séchées qui narguent le temps...

Elle
celle qui se souvient... le satin des draps, couleur de ses roses... Elle y repose, longue fleur coupée... bras ouverts au rêve... le même... fidèle comme la couleur des roses

nous étions enroulés dans le satin
tes bras sous mes reins cabrés


au salon, 
une musique de Schumann se glisse entre silence et nuit... 
trois notes puis à nouveau le silence... 
un vent voyageur engouffre la suite ...

Elle
celle qui écoute, se décoiffe... Elle sait... le miroir a renvoyé son image puis revient le songe... il se campe au coeur de la pièce... lui colle au ventre comme ce tango, celui d'Évora peut-être... abandonnée, Elle dansera avec cet homme au chapeau jaune.

chaud tango dans la nuit fraîche
comme tu es doux à ma peau



est-il réel ce parfum sauvage
comme ces étoiles qui fuient dès qu'on les voit 
est-il irréel cet homme, 
ce tango...  
 l’homme aux bras couleur argentine, 
celui qu'anime le miroir  ...

Elle
celle qui se love au tango... un autre suivra... retrouve l'envoûtante lascivité qui l'enveloppe...

retiens-moi, moi qui m'abandonne
ne m'abandonne pas, toi qui me retiens



la forêt déplacera du silence 
à la vitesse de la musique
devenue valse
essoufflée sans doute
suite aux langoureux tangos
de ses ailes... d'une Elle vers une autre...
la nuit s'abreuvera du rêve
près du lac

Elle sortit de la maison de la forêt, la tête mouillée de feu… ses pas la mènent sur la droite…





elle
femme maritime aux doigts de fée, aux yeux de mille et une couleurs... celle qui parle un pinceau à la main

       comment définir le bleu de cette nuit 
bleu rêve, 
étoiles de diamant, 
 

il y a dans l'air nocturne
comme des odeurs de valses russes
sur les ondoyantes vagues du lac
Anna Karénine au salon couleur d'opale


elle
femme presque fille encore, légère dans le vaporeux des tissus qui doucement choient à ses pieds impatients... nue... orchidée blanche que lèche la vague… marche vers son miroir d'eau... un navire sans pavillon l'aspirera… elle le devine déjà


le lac m'a façonnée pour la musique des violons


elle sait que de l’ombre océane étendue sur le lac, sortira … à pas lents... cet homme qui a dansé, tenu dans ses bras une femme au dos assoupi, revêtue de bombasin… elle  tangue déjà… son cœur perd la raison

elle, qui trempe ses pieds dans le flou des vagues, offre une main, puis l'autre… et la musique s'allonge en eux... corps reconnus dans l'embrun brouillé la nuit


et ils dansent
dansent cette musique de valse
dans l'irréel du rêve
d'un miroir à un autre, 
papillonne le rêve comme une ouate humide
s'entortille entre eux


elle, celle qui accrochera ses yeux noirs au cou de cet homme comme si elle craignait, les fermant, que s'évanouisse la silhouette, s'engloutisse dans le tourbillon de violons

elle, ses pieds enflammés par la valse, ne parle pas, ne parle plus


leur danse, 
unique valse, 
du bout des doigts se marie
comme un pinceau à la toile
dans la pureté de la marceline


                  j'aime ce chuintement, un bégaiement d'eau dormante sur le lac



elle ne s'épuisera pas, 
coulera dans l'espace comme une hirondelle aveugle, 
bouche ouverte avalant la nuit, 
dévorant la fraîcheur de l'espace... 
et l’enjôleuse musique des violons humides la nettoie 


puis, elle marchera sur la grève, à gauche maintenant, sa main encore cherchant le chapeau jaune que les eaux du lac poussent vers l’horizon…


____________________________________________________la rencontre



Deux femmes se croisent. S’arrêtent. Se saluent. 

Il y a 
dans leur regard, l’une vers l’autre, comme une complicité tacite... comme si un rêve les réunissait par cette nuit bleutée…

Il y a 
dans cette rencontre, entre elles deux, une fragrance commune… celle d’un danseur disparu avec le rêve, 
jusqu’à un prochain rendez-vous inscrit déjà au patin de leurs miroirs…  
mystérieux miroirs où le givre des sueurs de la danse aura estampillé les phéromones du désir sur leur épiderme…

Il y a
sur chacun de leurs poignets, une empreinte similaire… une trace jaune et noire… une odeur argentine d’elles seules connue...
la délicatesse de la musique retiendra les soupirs de leur peau…
d’un tango convertit en valse…
un homme à chapeau jaune issu de deux miroirs, l’espace de deux instants aussi longs que la nuit, aura apparu…

Il y a 
le même rêve, les mêmes bras enlaçant leur corps
le même homme fantôme que les mots disent
que dessinent les demi-teintes 
il s’éloigne au bout du lac…

Il y a… il y a eu… il y aura
un tango langoureux et une valse russe
à jamais collés dans l’âme de deux femmes
Elle et elle
qui marchent dans la nuit bleutée, piquée d’étoiles, de diamants…
un vent calme chatouille les arbres…




                        

Merci Monique, merci Mariette, mes deux femmes de la nuit, mes deux Muse..

jeudi 15 mars 2018

humeur vietnamienne



Ma grande amie Monica, co-propriétaire du restaurant Olé de Saigon, s’inquiétait alors que je lui annonçais que j’allais déménager de Nhà Bè vers le District 7.

-      J’ai peur qu’un soir tu te trompes et te retrouves à la porte d’un ancien appartement !
-       
J’admets que depuis juillet 2017, avoir beaucoup voyagé dans Saigon passant du District 8 au District 1 puis à Nhà Bè pour finalement échouer ici, dans ce quartier populaire qui ressemble énormément à Hochelaga-Maisonneuve de Montréal. Une autre manière de visiter ma ville !

J’ai quitté le 8 pour les raisons que j’ai déjà expliquées, quelques petits problèmes avec un manager qui oubliait de régler ses comptes avec le building et associé à la mafia du District. Vous vous souvenez de cette histoire abracadabrante : eau et électricité coupées durant trois jours en raison du non-paiement par ce dernier auprès des gestionnaires de SamLand cie.

Pour le District 1, l’appartement vendu je devais quitter les lieux. Puisque cela devait se faire dans un temps record, je me suis rabattu sur Nhà Bè en compagnie de deux colocataires. Peut-être qu’à mon âge avancé, vivre en compagnie de jeunes ne me convenait pas. Alors, j’ai déniché cet appartement dans le District 7 (au 5e étage d’un building construit assez récemment, situé tout à côté d’une école primaire) qui m’offre un tout tout tout petit balcon avec vue sur un des nombreux ponts enjambant la rivière (ou le fleuve…) Saigon.

L’environnement, composé d’une population que je définirais de locale, me sera plus efficient que dans Nhà Bè où je ne trouvais pas de petits restaurants de rue et un transport vers le centre-ville exigeant que je me tape 30 minutes de bus.

Je me suis assuré avant de signer un contrat d’une année que le bougainvillier de Jacques soit bien installé tout comme le baobab de grand-papa Eudore. L’appartement donne sur l’est ce qui permet suffisamment de soleil, les deux exigeant environ trois ou quatre heures par jour.

Une autre raison qui m’incitait à me rapprocher du cœur de la ville est en lien avec le transport de mes étudiants. Nhà Bè, éloigné de leurs demeures, représentait une certaine contrainte. J’ai décidé de louer (quatre soirs par semaine) un local dans un café du District 3. Nous nous y rencontrons et ça convient davantage à tous.

Les cours d’anglais (deux rencontres hebdomadaires de deux heures pour chacun des deux groupes) roulent à plein. Je m’amuse beaucoup tout en apprenant énormément sur la langue anglaise et les différents styles d’apprentissage des Vietnamiens. Leur sérieux, leur motivation et leur enthousiasme font qu’ils progressent de façon étonnante. Alors qu’au début des cours, je devais avoir recours à un traducteur vietnamien, maintenant nous n’en avons plus besoin. Tous, sans exception, se situaient au niveau ‘’beginners’’. À la fin du ‘’level 1’’, je les mettrais… à mon niveau… Nous pouvons avoir des discussions là où il n’y avait que monologues de ma part.

Enseigner l’anglais exige pour celui qui est loin d’être bilingue, une formidable tâche mais combien exigeante. Il existe peu de liens entre la langue vietnamienne et celle de Margaret Tatcher… Je dois alors modifier les exemples afin qu’ils puissent être bien reçus de leur part. Le contexte culturel doit continuellement être tenu en compte.

Quant à l’écriture, je me dois d’être discipliné. D’ici une semaine je devrais recevoir une réponse de l’éditeur vietnamien (Thé Gio publishers) sur leur intention de publier mon roman (DEP). Deux autres maisons vietnamiennes ont le manuscrit en leur possession ; attente de ce côté. Les éditeurs français (Ella) doivent aussi me faire savoir s’ils y sont intéressés ou non. Je conclus qu’il est aussi long, en termes de temps, d‘écrire un roman que de le faire publier.

Le prochain qui s’intitulera LES ANCIENS COLONELS repose calmement sur ma table de travail. J’en suis encore à l’étape des recherches. Je compte me rendre au Cambodge d’ici ma rentrée au Québec prévue pour septembre prochain afin de visiter certains lieux où l’action se déroulera. Je suis en contact avec certaines gens qui sont des spécialistes de cette guerre qui opposa Vietnam/Cambodge, dont un vieil homme fervent adepte de Pol Pot. Ça s’annonce… captivant.

Voilà pour cette humeur vietnamienne écrite dans mon nouvel appartement, alors que dehors il fait une température frôlant les 35 degrés. Le soleil est magnifique et ce petit vent qui s’amuse dans mon 505 a tout pour se faire aimer.


À une prochaine




jeudi 1 mars 2018

Jean MOYEN, l'homme au sarrau blanc

Monsieur Jean Moyen, l'homme au sarrau blanc.



Lors de mes séjours au Québec, je m’accorde le plaisir de déjeuner avec monsieur Jean Moyen. J’écris monsieur car il s’agit d’un monsieur dans toute la portée du mot. L’essentiel de nos conversations gravitent, bien sûr, autour de l’époque durant laquelle j’étais étudiant à l’école secondaire Casavant de Saint-Hyacinthe et lui, enseignant de chimie avant d’en devenir le directeur. Il prenait place dans le bureau qu’occupaient avant lui les Frères du Sacré-Cœur.

Je parle d’une époque située dans les 1960, plus spécifiquement celle de l’année scolaire 1964-65. Le Québec bouge. Duplessis, premier ministre omnipuissant, vient de mourir; les Libéraux de Jean Lesage, Paul Gérin-Lajoie, Georges-Émile Lapalme, René Lévesque et compagnie entreprennent une modernisation de l’état québécois sous le vocable de ‘’ Révolution tranquille ‘’.

L’année 1960 s’inscrit comme une date charnière au Québec car depuis quelques mois on nous laisse entendre que le secret de Fatima (le 3e laissé par l’apparition de la Vierge) serait dévoilé, que son contenu mentionnerait l’inquiétante expression « pauvre Canada ». N’en fallait guère plus aux religieux, religieuses qui, majoritairement, prenaient en charge les écoles québécoises, pour nous faire s'agenouiller à l’entrée du matin et à la sortie de fin d’après-midi pour prier, nous devions conjurer ce que l’on croyait être un mauvais sort.

L’éducation devint le point central du programme que les Québécois allaient entériner en élisant ce nouveau gouvernement. Fut alors créer la Commission Parent mandatée pour faire le tour de la question, que ce soit en termes politique, pédagogique et organisationnel. Le chantier, immense, transformera radicalement le système d’éducation québécois, donnant naissance à la fréquentation scolaire obligatoire ainsi qu’aux polyvalentes qui poussèrent comme des champignons à la grandeur du territoire.

Voici donc pour le cadre général. Je le particularise maintenant à partir de ma propre expérience.

Mon père Gérard fit ses études chez les Frères du Sacré-Cœur, devint à 16 ans un enseignant chevronné avant de réaliser que sa vocation fondait au soleil devant les yeux de mère Fleurette. Il ''défroqua''– l’expression était à la mode – se maria et poursuivit sa carrière d’enseignant avant de devenir directeur d’école, en fait le premier directeur laïc à Sherbrooke.

On comprendra que l’école, l’éducation, l’enseignement, tous ces termes se regroupaient sous un même concept : ''aller à l’école''. Avec un certain raccourci, il sous-entend qu’avant le Rapport Parent, les Québécois fréquentaient nos écoles de rangs aux classes multiniveaux jusqu’à la septième année, celle de la communion solennelle qui, après la Confirmation, nous invitait à renouveler notre adhésion à la foi catholique.  Peu continuait leurs études puisque l’enseignement secondaire, hors des collèges classiques, n’existait pratiquement pas, sauf dans les villes à certaine densité de population. On allait alors au séminaire ou les écoles religieuses pour garçons ou pour filles si la famille pouvait défrayer les coûts ou si une âme charitable, bien souvent un curé de village, vous parrainait. Le cursus scolaire se résumait donc à ceci pour la très grande majorité des enfants québécois: école primaire jusqu’en 7e année puis le marché du travail.

Le Rapport Parent bouleversera tout, de fond en comble.

L’école secondaire Casavant servit de laboratoire, si j’ose m’exprimer ainsi, de ce que l’on prévoyait être les prochaines polyvalentes devant regrouper mille élèves et plus. Comment structurer tout cela ? Des lieux à reconvertir, des enseignants à guider, des élèves à accompagner… une société scolaire se mettait en place.

Monsieur Jean Moyen, l’homme au sarrau blanc, devint alors le capitaine de ce navire à capacité réduite (l’école secondaire Casavant n’était pas construite pour recevoir les mille cent élèves qu’elle s’apprêtait à voir déambuler dans ses corridors et sur ses trois étages) devant voguer sur des mers houleuses, ce petit grand bonhomme manœuvra de main de maître.



Je le revois encore, debout au haut de l’escalier menant aux locaux du premier étage, les yeux voyant tout, déchiffrant les humeurs, interpellant celui-ci ou celui-là ; sa mémoire phénoménale ne l’aura jamais trahi.

Je le revois aussi, derrière son bureau, menant une conversation directement au but qu’il s’était fixé avant de l’entreprendre. L’homme au sarrau blanc savait où il allait mais surtout qu’il ne pouvait y parvenir sans appuis solides, stratégiques et diversifiés. De chimiste il allait devenir alchimiste !

Je fus un des élèves privilégiés à qui il confia des responsabilités : le journal étudiant (HEBDO-CASAVANT) et la mise sur pied d’une association étudiante. Comme il lui est facile de lire l’intérieur des gens ! L’homme au sarrau blanc venait de déposer devant moi les défis qui me permirent, par la suite et pour fort longtemps, de réfléchir et d’agir dans le sens du bien commun. Dire qu’il fut le précurseur de la participation citoyenne, si à la mode aujourd’hui, serait un pléonasme.

Monsieur Jean Moyen devint créateur d’espace afin que chacun puisse se réaliser. Il n’a jamais cru en autre chose que la chimie des talents : la transformation d’une réalité quelconque sous l’effet d’un agent extérieur, par combinaison d’éléments. Mais l’espace avait ses limites. Il savait nous les préciser de manière claire et franche.

Je sais qu’il lisait notre petit journal (HEBDO-CASAVANT) que l’on publiait et vendait les 500 copies au début (5 sous) à chacune des entrées de l’école, le lundi matin. L’équipe du journal devait souvent se réunir le samedi à l’école; en aucune occasion monsieur Jean Moyen ne fit obstruction à nos efforts, au contraire, il nous stimulait à devenir meilleurs de publication en publication, mettant à notre disposition toutes les ressources nécessaires. Un bon capitaine sait prévoir... Je suis certain que notre illustre lecteur devait être fier de son abonnement et pour cela, toute l’équipe respectait le code d’honneur que nous étions donnés.

La création de l’Association des étudiants de Casavant (AGEC) représentait un défi gigantesque, allant directement au cœur d’une nouvelle pratique : la démocratie de base, ce à quoi l’homme au sarrau blanc croyait et encourageait. Je le rappelle, nous sommes en dans les ’60, et ces mots (participation citoyenne et démocratie de base) ne sont pas encore enregistrés dans le dictionnaire qui prévaut maintenant. Nous devions bousculer les anciennes structures, celles que les bons Frères du Sacré-Cœur défendaient et qui gravitaient autour de mouvements à caractère religieux. Nous avions à laïciser la participation des étudiants; ''nous avions à démocratiser une institution encore en devenir''. Au comment faire qui risquait de nous torturer l’esprit, monsieur Jean Moyen, avec ce sourire narquois qui désarmait qui ce que ce soit répondait : '' Vous ne vous attendez tout de même pas que je le fasse à votre place. Quand vous avez un dossier entre les mains c’est que je crois que vous pouvez le rendre à bon port.'' Encore ici, le capitaine fixait l’azimut nous laissant le soin de choisir les bons outils, les instruments efficaces pour y arriver. Quel homme !

Lorsque je lui présentai l’ébauche de la constitution devant régir l’Association, sa réponse fut aussi rapide que la rencontre de deux éléments chimiques complémentaires : ''Tu fais ratifier ça par tout ton monde''.

Le congrès de l’Association, tenu un samedi, réunit je ne me souviens plus combien d’élèves : une première à Saint-Hyacinthe. Le discours de monsieur Jean Moyen, à la clôture de nos délibérations, fut un appel à la confiance : il fut entendu et compris. Nous avions devant nous le Directeur de l’école mais, davantage, un éducateur qui traçait dans ses grandes lignes l’importance de l’éducation, source d’un meilleur avenir individuel et collectif, que nous étions les prochains porteurs de flambeau, que Saint-Hyacinthe devait voir GRAND et LOIN. Pas de petitesse, jamais, dans ses paroles, ses gestes qui soufflaient sur nos ambitions.

Je pourrais citer tellement d’occasions devenues des réalités quotidiennes dans cette école-laboratoire. Elles portent un visage, celui de l’homme au sarrau blanc devenu capitaine.

Je ne puis achever ce trop court texte qui se veut un hommage à celui qui fut pour moi, et pour combien d’autres, un infatigable défricheur, par deux événements tout à fait personnels.


Je devais préparer le discours de celui qui allait être élu président de l’Association (je me rappelle qu’il s’agit de Gladu -son prénom m’échappe). Afin de bien présenter notre orateur, j’ai couru à la résidence de monsieur Moyen, rue Payan, venant quérir des informations. Je fus reçu si aimablement par Victoire, sa chère épouse, qu’elle demeure toujours dans ma mémoire et mon estime. Je découvrais une femme à la fois douce, posée et combien admirative de ce que son mari accomplissait. Elle m’appela alors monsieur Turcotte. Je l’ai revue à quelques autres occasions par la suite et le plaisir s’en est toujours vu renouvelé.

Ma dernière rencontre avec lui eut lieu dans son bureau, vers la fin de l’année scolaire 1964-65. Assis, fier je crois de ce que cette année scolaire avait pu ressembler à ce qu’il concevait comme pouvant être une polyvalente, il répondit à la question qui m’oppressait : je fais quoi maintenant, où dois-je me diriger ?

Verbatim : ''Il n’y a que toi qui semble ne pas le savoir. Tu dois devenir enseignant.''

Et nous nous sommes donné la main, poignée de main solide qu’il me fait plaisir de recevoir chaque année alors que je débarque au Québec.

Merci HOMME AU SARRAU BLANC

J’ajoute, seulement pour lui s’il reçoit ce texte : Jean, je t’aime.

 

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