Ce que je vous offre aujourd'hui m'est tout à fait précieux. Le résultat de près d'une année de travail en collégialité. L'idée provient de ma grande amie, celle de mille ans, Monique Racine-Brouillette. Un jour, elle me propose ce projet: écrire un poème en duo tout en suggérant un thème. Celui que vous découvrirez à la lecture de ce poème intitulé LE MIROIR DES ELLE.
Nous nous échangions des idées, des mots, des impressions, des humeurs. Sa gestation fut longue mais combien captivante. Alors, au fil des jours, des mois et de nos nombreux échanges, s'ajouta Mariette Poirier. Une artiste d'une sensibilité à fleur de peau. Nous lui avons confié la tâche d'illustrer le poème. Ce qu'elle fit relève de la plus pure beauté.
L'émotion que je ressens de le voir, maintenant, reçu et lu par les amis du géant, est très vive. C'est comme recevoir un secret de quelqu'un d'important... recevoir un cadeau à un moment inattendu.
Je tiens à redire toute ma gratitude que je porte envers ces deux femmes que j'aime tant et vous faire profiter de leur immense talent. Je n'aurai été qu'un stylo entre des mains angéliques.
Le ciel grisonne.
Un éclair de chaleur strie le ciel ; sur le lac, un voile entoure la lueur de la lune.
La noirceur, bientôt, recouvrira les traces de pas laissées sur la grève sans cailloux. Ça sera la nuit, mystérieuse dame noire !
Un sentier s’ouvre, sculpté à même la forêt. Toute proche. Les arbres moulent un tunnel. Y règne un silence que seuls les oiseaux, tardant à regagner leur nid, dérangent par leur voyage entre lac et forêt.
Si, d’aventure, on emprunte ce chemin menant à plus de silence encore, qu’une dernière fois l’on se retourne, quittant des yeux ce chalet d’un vert émeraude - chalet fier d’un balcon donnant sur le lac - apparaît la maison. Isolée. Construite que pour y déposer la solitude. Céleste.
Le chalet et la maison sont habitées par deux femmes. Sans se connaître, elles possèdent de profondes similitudes. Celle que nous nommerons Elle et l’autre, que nous nommerons elle.
Deux "elle" appariées aux mots pour l‘une, aux couleurs pour l’autre.
Personne ne saurait nous informer sur chacune d’elles sauf peut-être qu’elles se vouent corps et âme à la beauté : des mots ; des couleurs.
Deux femmes nocturnes. De la nuit.
Elle a pris de l’âge. Sa vie active l’aura doucement amenée à tout quitter : famille et carrière. Les raisons qui l’y incitèrent lui sont personnelles… Ni ermite ni sauvage. Un jour - une nuit peut-être - elle laissa sa vie citadine pour se réfugier ici, dans cette forêt. C’est là qu’Elle s’est retrouvée. Dans cette maison dont elle rêvait depuis mille ans. C’est en rêve qu’elle aime y vivre.
Trop longtemps Elle n’aura vécu qu’entre ses activités familiales et professionnelles. Puis, un jour - une nuit peut-être - sans vraiment comprendre, assise dans le fauteuil laissé par une grand-mère adorée, lui apparurent des mots nouveaux. Dans toute la majesté de la poésie.
Elle a aimé ce qu’elle lut. De nouvelles vibrations parcoururent son corps et son âme. Ce corps qu’Elle ne connaissait pas vraiment. Cette âme qu’Elle cherchait sans trop le savoir. Et tout comme cet éclair de chaleur striant la nuit, Elle a choisi de tout laisser. Non pas abandonner. Puis, Elle quitta la ville, trouva cette maison qui depuis longtemps l’appelait. Maison cachée en forêt. Elle l’aura fait poindre des ombres qui obscurcissaient sa vie. Elle n’était pas malheureuse ; inachevée.
Puis Elle s’installa ici, dans cette forêt à quelques pas à peine du lac qui lave l’immense rocher le jour, gazouille la nuit. Elle apprit à aimer la nuit, à respirer autrement ; lire, écrire et rêver.
Au fil du temps, la maison devint à son image. Aucune saison ne l’attriste; aucun moment ne l’appelle à autre chose qu’à devenir Elle.
Elle a tout meublé à son goût, dans cette simplicité qui la définit si bien.
Les habits étriqués dont Elle se vêtait pour traverser la routine quotidienne, de même que ses habitudes, furent accrochés à la patère du passé qu’Elle ne regrette plus.
Point de nostalgie. De culpabilité encore moins… ce couteau qui hache les êtres...
Elle est belle. L’a toujours été. Maintenant, Elle se le dit ; plus besoin des mots des autres, souvent fallacieux, pour s’en assurer… se rassurer. Elle vit sa liberté, sa vérité, consciente d’être qui Elle est.
Ses besoins, désormais, sont ceux qu’Elle choisit : cette maison dans la forêt… les promenades qui la couvrent de plénitude… le vent qui lui parle différemment selon les saisons… le balcon devenu chambre de lecture, atelier d’écriture, miroir de rêve.
Tous les jours, Elle va au lac - prend à droite sans trop savoir pourquoi – plonge dans un univers différent selon les saisons. Elle marche, cheveux défaits caressant ses épaules, vêtue de blanc et de rose, les couleurs qu’Elle affectionne. L’intense pureté du blanc, la radieuse odeur du rose. Trois roses séchées ornent sa coiffeuse, doublées par le miroir de sa chambre. Elle ne sait la raison pour laquelle le jaune et le noir l’attirent à présent : en raison de la nuit… en raison du rêve. Peut-être!
La nuit… Le rêve…
--------------------------------------------------------------------------------------
C’est elle qui a retouché de ses mains en pinceau les verts… jusqu’à reconnaître celui qui deviendrait la couleur de ce chalet. Le balcon, à l’étage donnant sur le lac, c’est là qu’elle passe ses journées. Ses nuits sont offertes à la grève alors que, sans trop savoir pourquoi, prenant sur la gauche une route qui la mène au bout de ses promenades.
elle aime marcher, bouger. Dans une autre vie, on la voyait contrainte à des courses effrénées entre boulot et dodo. Déjà, depuis toute jeune fille, elle savait que son quotidien devait être autre chose que la vulgaire routine. Ses engagements l’auront empêchée de peindre… sa grande passion.
elle est femme de passion. De celles qui éclatent en couleurs emmêlées créant des instants d’émerveillement. elle est née pour l’émerveillement… elle est née pour que d’elle, jaillisse, par la magie ensorcelante de ses mains, la face cachée de la beauté.
La beauté est un tissu entre ses doigts… une agglomération de fils entrelacés, fins comme la douceur de son âme. elle sait, mieux que tout autre, parler aux couleurs, leur donner cette vibration intérieure qui accroche le cœur.
elle est peintre, à la recherche des confins mystérieux de l’absolu qu’elle ravive.
Il faut aimer la nuit pour rejoindre les inconnus qu’elle touche, transforme en morceaux d’un éclat infini. elle rejoint l’inatteignable.
elle valse sur des tapis de couleurs, sur les formes abstraites de la réalité, canevas dont l’ossature passe du tableau à la broderie. elle découpe, taille, crénelle, bretelle à partir de tout et de rien. D’un innocent objet émerge la vie...
elle fait éclore selon un ordre soigneux. Peu de place pour l’imprécision, la vulgarité. Une princesse aux doigts de fée, aux gestes de baladi qui enjôlent l’air, récupèrent des parfums jaunes et noirs. Parfums de la nuit… qu’elle affectionne… l’absence de la palette des couleurs lui permet d’en créer de nouvelles… elle, c’est la lumière dans la couleur…
la nuit elle marche, du chalet, puis sur la gauche, vers les montagnes à l’horizon, ces mystérieux êtres cachant le territoire. elle devine l’envers des choses tout comme, abandonnée au rêve qui constamment revient, ce rêve qui surgit du miroir que devant elle le lac esquisse…
Et cette nuit-là… Alors que rien ne le prévoyait, Elle changea de route et elle fit de même… Puis…
_______________________________________________Cette nuit-là
Un vent calme dans la nuit bleutée,
piquée d'étoiles, de diamants
s’accrocha aux arbres,
chatouilla les feuilles…
il s’est revêtu des odeurs de la forêt,
ces effluves qu'elles aiment tant...
Elle
celle qui pianotait, maintenant dénoue sa longue tresse tortillée de cheveux blancs...
se sentir rose et fleur bleue
comtesse de Ségur
des larges fenêtres ouvertes sur la nuit,
des rideaux de tulle vont et viennent
comme son âme, jeune encore
comme son corps que le temps
infatigable passant,
a démodé...
Elle,
celle qui brossait de longs cheveux de soie, ferme les yeux... un sourire, celui qui jamais ne l'abandonne, dessine des océans disparus… Elle attend... en ce soir des mille et une nuits, le rêve dont Elle ne peut se séparer...
rêve, reviens adoucir ma nuit
ne romps pas le charme
forêt...
nuit des Perséides...
étoiles filantes s'éteignant dans le lac...
il n'est pas loin, le lac...
à quelques enjambées peut-être...
tout va si vite lorsqu'on rêve
Elle,
belle Andromède apparue dans le miroir, mère de Cassiopée qui brille dans la nuit clignotante, dans l'obscurité bleutée ...
suis-je encore belle pour lui,
le serai-je encore
depuis mille ans la femme de la maison en forêt
conserve trois roses rouges dans un vase antique ...
une pour la naissance de l'amour,
l’autre pour l’odeur de la nostalgie,
la dernière, pour l'amour
trois fleurs séchées qui narguent le temps...
Elle,
celle qui se souvient... le satin des draps, couleur de ses roses... Elle y repose, longue fleur coupée... bras ouverts au rêve... le même... fidèle comme la couleur des roses
nous étions enroulés dans le satin
tes bras sous mes reins cabrés
au salon,
une musique de Schumann se glisse entre silence et nuit...
trois notes puis à nouveau le silence...
un vent voyageur engouffre la suite ...
Elle,
celle qui écoute, se décoiffe... Elle sait... le miroir a renvoyé son image puis revient le songe... il se campe au coeur de la pièce... lui colle au ventre comme ce tango, celui d'Évora peut-être... abandonnée, Elle dansera avec cet homme au chapeau jaune.
chaud tango dans la nuit fraîche
comme tu es doux à ma peau
est-il réel ce parfum sauvage
comme ces étoiles qui fuient dès qu'on les voit
est-il irréel cet homme,
ce tango...
l’homme aux bras couleur argentine,
celui qu'anime le miroir ...
Elle,
celle qui se love au tango... un autre suivra... retrouve l'envoûtante lascivité qui l'enveloppe...
retiens-moi, moi qui m'abandonne
ne m'abandonne pas, toi qui me retiens
la forêt déplacera du silence
à la vitesse de la musique
devenue valse
essoufflée sans doute
suite aux langoureux tangos
de ses ailes... d'une Elle vers une autre...
la nuit s'abreuvera du rêve
près du lac
Elle sortit de la maison de la forêt, la tête mouillée de feu… ses pas la mènent sur la droite…
elle,
femme maritime aux doigts de fée, aux yeux de mille et une couleurs... celle qui parle un pinceau à la main
comment définir le bleu de cette nuit
bleu rêve,
étoiles de diamant,
il y a dans l'air nocturne
comme des odeurs de valses russes
sur les ondoyantes vagues du lac
Anna Karénine au salon couleur d'opale
elle,
femme presque fille encore, légère dans le vaporeux des tissus qui doucement choient à ses pieds impatients... nue... orchidée blanche que lèche la vague… marche vers son miroir d'eau... un navire sans pavillon l'aspirera… elle le devine déjà
le lac m'a façonnée pour la musique des violons
elle sait que de l’ombre océane étendue sur le lac, sortira … à pas lents... cet homme qui a dansé, tenu dans ses bras une femme au dos assoupi, revêtue de bombasin… elle tangue déjà… son cœur perd la raison
elle, qui trempe ses pieds dans le flou des vagues, offre une main, puis l'autre… et la musique s'allonge en eux... corps reconnus dans l'embrun brouillé la nuit
et ils dansent
dansent cette musique de valse
dans l'irréel du rêve
d'un miroir à un autre,
papillonne le rêve comme une ouate humide
s'entortille entre eux
elle, celle qui accrochera ses yeux noirs au cou de cet homme comme si elle craignait, les fermant, que s'évanouisse la silhouette, s'engloutisse dans le tourbillon de violons
elle, ses pieds enflammés par la valse, ne parle pas, ne parle plus
leur danse,
unique valse,
du bout des doigts se marie
comme un pinceau à la toile
dans la pureté de la marceline
j'aime ce chuintement, un bégaiement d'eau dormante sur le lac
elle ne s'épuisera pas,
coulera dans l'espace comme une hirondelle aveugle,
bouche ouverte avalant la nuit,
dévorant la fraîcheur de l'espace...
et l’enjôleuse musique des violons humides la nettoie
puis, elle marchera sur la grève, à gauche maintenant, sa main encore cherchant le chapeau jaune que les eaux du lac poussent vers l’horizon…
____________________________________________________la rencontre
Deux femmes se croisent. S’arrêtent. Se saluent.
Il y a
dans leur regard, l’une vers l’autre, comme une complicité tacite... comme si un rêve les réunissait par cette nuit bleutée…
Il y a
dans cette rencontre, entre elles deux, une fragrance commune… celle d’un danseur disparu avec le rêve,
jusqu’à un prochain rendez-vous inscrit déjà au patin de leurs miroirs…
mystérieux miroirs où le givre des sueurs de la danse aura estampillé les phéromones du désir sur leur épiderme…
Il y a
sur chacun de leurs poignets, une empreinte similaire… une trace jaune et noire… une odeur argentine d’elles seules connue...
la délicatesse de la musique retiendra les soupirs de leur peau…
d’un tango convertit en valse…
un homme à chapeau jaune issu de deux miroirs, l’espace de deux instants aussi longs que la nuit, aura apparu…
Il y a
le même rêve, les mêmes bras enlaçant leur corps
le même homme fantôme que les mots disent
que dessinent les demi-teintes
il s’éloigne au bout du lac…
Il y a… il y a eu… il y aura
un tango langoureux et une valse russe
à jamais collés dans l’âme de deux femmes
Elle et elle
qui marchent dans la nuit bleutée, piquée d’étoiles, de diamants…
un vent calme chatouille les arbres…
Merci Monique, merci Mariette, mes deux femmes de la nuit, mes deux Muse..
Aucun commentaire:
Publier un commentaire