mardi 11 février 2014

Les nouvelles chroniques du Café Riverside - 8 -



Toujours un plaisir que de pouvoir parler français à Saïgon! Sa rareté le rend encore plus précieux. C’est ce qui m’est arrivé aujourd'hui mardi dans l’après-midi au Café Riverside avec des compatriotes québécois: Jacques Durocher, sa charmante épouse et leur fille, Yanie, Chinoise d’adoption, globe-trotter et principalement engagée dans le monde de la mode. Elle possède d’ailleurs un blogue (THEMARGINALIST) que je compte bien visiter.

À quelques jours du départ pour le Laos - une semaine à Vientiane - je réalise combien le temps coule rapidement surtout lorsque des gens me disent qu’ils en sont à leurs dernières heures en terre vietnamienne. Au retour, ça sera l’arrivée de l’ami François et sa compagne Danielle avec qui on roulera entre Saïgon, le Mékong, le Centre et finalement autour de Hanoï.

Tout comme en terre occidentale, le rythme des fêtes officielles régit une bonne partie des activités de Saïgon. Après Têt qui succédait à Noël puis au Nouvel An, on se dirige maintenant vers la Saint-Valentin. La traditionnelle fête des amoureux, bien que fort commercialisée tout comme en Occident, prendra ici tout son sens le mois prochain, autour du 21 mars, dans ce que l’on appelle l’après-Valentin, c’est-à-dire la fête de Chu Dông Tu et Tiên Dung, les célèbres amoureux vietnamiens. J’ai déjà raconté leur histoire qui remonte à plus de 2300 ans, je ne vais pas le faire à nouveau, mais il est clair qu’elle a plus de sens que l’autre.

Pas exactement ce dont je souhaitais vous entretenir dans ce billet, mais plutôt de littérature vietnamienne. Ce qui est intéressant avec ce thème, c’est de voir à quel point la littérature du Vietnam est associée à son histoire. Elle s’en est même fait porte-parole et défenseure. À partir d’un livre fort intéressant (MILLE ANS DE LITTÉRATURE VIETNAMIENNE, de Nguyen Khac Vien et Huu Ngoc) ma référence pour entrer dans ce monde merveilleux, je veux d’abord présenter les périodes de l’histoire, les courants religieux ou politiques, les enjeux culturels ou sociétaux qui auront influencé directement ou indirectement les principaux auteurs.




1)      L'influence chinoise : 10 siècles de domination à partie du IIe siècle après JC;
2)      La dynastie des Ly : 1009 – 1225;
3)      La dynastie des Tran : 1225- 1400;
4)      Le Bouddhisme, véritable religion d’État;
5)      Le sentiment national;
6)    Les lettrés confucéens (mandarins) : le confucianisme devient la doctrine officielle au XVe siècle;
7)      Les Lê (1428);
8)     La langue nôm s’installe à côté de la langue chinoise : le Kiêu de Nguyen Du est écrit en nôm;
9)      Les grandes révoltes paysannes du XVIIIe siècle;
10)    1802 : la dynastie des Nguyen;
11)    La conquête française (1860) amène la littérature patriotique;
12)  La fondation du Parti communiste en 1930 (Ho Chi Minh) et les idées d’indépendance nationale;
13)    L’écriture romanisée (quoc ngu) remplace les idéogrammes anciens.


Je vais vous offrir à lire ce qui m’est apparu intéressant et pertinent pour mieux saisir l’âme vietnamienne. La poésie a longtemps été la voie privilégiée qu'emprunteront les auteurs, j’écris auteurs car les femmes sont très peu présentes dans la littérature vietnamienne.

Voici un court texte écrit un peu avant 1018 par Nguyen Van Hanh :

La vie de l’homme est un éclair sitôt né, sitôt disparu.
Verdoyant au printemps, l’arbre se dépouille à l’automne.
Grandeur et décadence, pourquoi s’en effrayer?
Épanouissement et déclin ne sont que gouttes de rosée perlant sur un brin d’herbe.



Le suivant est l’œuvre de Tran Nhan Tông qui vécut entre 1258 et 1308, il porte le titre suivant : MATIN DE PRINTEMPS

À mon réveil, j’ouvre ma fenêtre,
Je ne peux vraiment douter de la venue du printemps.
Un couple de papillons blancs
Battant des ailes, voltigent sur les fleurs.



Ce troisième, un peu dans la même texture, est écrit par Chu Van An mort en 1370. Il a intitulé son poème : MATINÉE DE PRINTEMPS

Dans la chaumière de montagne, on se sent libre tout le jour,
La claie de bambou inclinée protège de l’air froid.
L’herbe verdoie et le ciel est comme ivre,
Les gouttes de rosée s’attardent sur les fleurs vermeilles.
L’homme et le nuage solitaire s’attachent à la montagne,
L’âme, comme l’eau du vieux puits, n’est troublée par aucune ride.
Le bois de pin odorant se consume et la théière s’arrête de bouillir,
Un murmure d’oiseau échappé du ravin m’arrache doucement au sommeil printanier.



Je termine cette période de la littérature classique qui s’étend du XIe siècle au début du XVe, que l’on a appelé PÉRIODE LY-TRAN, par ce célèbre poème de Dang Dung qui, prisonnier et emmené en Chine, se suicidera : PROFESSION DE FOI

Les événements s’enchevêtrent et voici déjà la vieillesse.
L’univers infini vibre dedans mon chant et dedans mon ivresse
Quand leur sourit la chance, pêcheur et boucher peuvent réussir,
Mais que le destin s’oppose, et le héros doit avaler tant d’amertume.
Au service de mon seigneur, je voudrais tenir ferme le pivot de la terre.
Je ne puis hélas! prendre l’eau du Fleuve d’argent pour laver mes armes.
Et la patrie n’est pas vengée que déjà mes cheveux blanchissent,
Combien de fois pourtant, j’aiguisais mon épée aux clartés de la lune.


Voici donc pour un premier regard.

À la prochaine

dimanche 9 février 2014

Court poème



vide, la cage d’oiseau


comme une cicatrice au paradis la cage d’oiseau est vide
pour seule trace
cette plume abandonnée aux barreaux, oubli d’un locataire enfui 

la cage détruite aux frontières incendiées d’un ciel gris,
le soleil ecchymose ses envols
la déchire comme une vulgaire chemise effilochée

tête abattue sous l’aile
l’oiseau unicolore se consume
entre velours et bambou

épuisé par une cage vide




mardi 4 février 2014

Les nouvelles chroniques du Café Riverside - 7 -

Avec les parents de Hân

Les parents de Hân

À la porte d’un grand hôtel situé à une intersection de la rue Nguyen Hué ramenée, au lendemain de Têt, à son allure de grand boulevard, ce vieillard aux doigts longs et fins au bout munis d’ongles solides comme des ivoires d’éléphant, doucement mais efficacement, répare la petite guitare, un jouet en plastique. Patient comme un asiatique, ses doigts agiles comme des ciseaux de cordonnier, il manipule autour de l’endroit où le trouble semble prendre son origine. Un enfant, deux pas plus loin, sage et silencieux, regarde celui qui pourrait être son grand-père. Dans ses yeux se confondent la certitude du résultat et l’anxiété à réentendre les sons que sa guitare lui donnait quelques instants auparavant.


Dans cette suspension du temps, ce retrait autour d’un espace restreint, il y a ces courts instants que la chirurgie emplit, ces mouvements précis du mécanicien, l’immobilité de celui qui attend… une bien étrange complicité.


La rue Nguyen Hué redevenue celle d’avant Têt, longue et peu fréquentée, géométriquement droite aux pieds de la Tour Bitexco, coulant tout doucement vers le monument de Ho Chi Minh qui trône devant l’Hôtel de ville, cette rue qui a vu circuler durant plus d’une semaine, entre fleurs et livres, des milliers de Vietnamiens, est aujourd’hui bien calme. Se repose. Profite des ombres que les buildings lui distribuent, savourant ce vent unique à Saïgon, ni chaud, ni froid, ni tiède, ce vent purement saïgonnais.


Je la traverse en chemin vers le Café Riverside me rappelant dimanche et lundi, dans le delta du Mékong, à Tien Giang puis à Bên Tre, deux provinces que sépare le grand fleuve –je l’ai mieux aimé à Can Tho - me rappelant ces deux journées inoubliables, vécues dans la plus pure tradition du Têt vietnamien : famille et amis. Famille d’une amie très proche de Vicky (Miss Bamboo).

Je ne les connaissais pas du tout, même pas l’amie de mes amis. J’y suis arrivé avec tout de l’étranger qui débarque. Salutations du bout des doigts, on ne te connaît pas encore mais à l’évidence je suis objet d’une surveillance attentive derrière ces sourires polis, ceux qui deviendront cordiaux une fois  accepté.

Au jardin, des hommes fument. On attend d’autres convives pour l’heure du lunch. Cette grande maison qu’habitent les membres de la famille de Hân (l’amie de mes amis) appartient à une grand-mère que je ne rencontrerai pas; je ne saurais dire si elle l’habite toujours, on ne me le dit pas. Grande maison légèrement en retrait de la route, voilée derrière une multitude d’arbres, d’arbustes et de fleurs en pot, elle n’a rien de celles que l’on retrouve à Saïgon ou Hanoï. Maison de campagne, cela me devient évident alors qu’à l’arrière, là où le père de Hân à qui on ne m’a pas encore présenté - donc ne me salue pas - s’occupe à nettoyer ses cochons parqués dans leur enclos de ciment. Des poules et des coqs picorent un peu partout. Un étang où grouillent quelques poissons manifestant leur présence s’échapper par des bulles qui éclatent au-dessus de l’eau. 


Ça bouge devant la maison. Un bon groupe s’est formé : parents, amis et voisins. On nous invite à table. Il y aura lors des lunchs que nous prendrons ici, deux tables : une pour les hommes, la deuxième pour les femmes et les invités. Les femmes se relaient pour le service puis s’assoient à la table numéro deux, où nous sommes. On nous observe à partir de la table masculine alors que la cérémonie d’échange de vœux s’ébranle. Il ne semble pas qu’il y ait un ordre préétabli; on adresse nos vœux, debout devant cette autre personne et on trinque. La politesse veut qu’on accepte mais  pas nécessairement que l’on prenne la parole. Deux manières de faire : un verre ou deux, si on opte pour un verre chacun en boit la moitié, si on y va pour deux, c’est cul sec. Au milieu de la table, un grand bol dans lequel flotte un morceau de glace; on y verse des cannettes de Heinekein (je me suis arrêté de les compter tellement il y en avait). Le lendemain, ça sera un je-ne-sais-plus combien-d’onces de whisky qui remplacera la bière.


Hân
Puis Hân m’avise : quelqu’un me proposera un échange de vœux accompagné du verre de bière dont il faudra faire cul sec. (Le lendemain, ça sera le whisky.) Le type, celui qui se lève et me dévisage (au palmarès des impolitesses vietnamiennes, on est en tête du peloton), tend son verre de bière dans ma direction alors qu’une autre personne s’approche de moi m’offrant un verre de bière froide rempli à ras bord. C’est un ami de la famille. Il bafouille trois mots en anglais : Happy New Year. Je lui réponds, mon verre pointé dans sa direction, par un Chuc Mung Nang Moï que je veux le plus proche possible du vietnamien intelligible. Et on liquide nos verres. Le rite accompli, dirigeant vers moi, sourire aux lèvres comme seuls les Vietnamiens peuvent nous l’offrir, il me serre la main. À la réaction manifestée par les occupants de la table masculine, je sens que l’on vient de m’accepter. On se moque fort gentiment de mon vietnamien approximatif tout en appréciant que j’aie répondu dans la langue de celui qui m’avait invité. Et ça sera la ronde des invites. Moi qui ne suis pas tellement « bière » je les accepte toutes. Le lendemain, avec un groupe différent mais tout aussi sympathique, la cérémonie reprendra alliée à un whisky de très grande qualité.


Il y eut au cours de ces deux lunchs, de ces échanges mutuels de vœux, ces culs secs de bière ou de whisky, une façon particulière de partager le repas – je revivais l’époque de ma jeunesse, alors que chez ma tante Madeleine, certainement la plus grande cuisinière de son temps, nous dégustions ses spécialités du temps des Fêtes – un repas au-dessus de toute description que je saurais en faire. Comment décrire ce poisson (local) auquel, avant de le cuire, on a enlevé les arêtes les remplaçant par une farce unique; ce riz tellement succulent qu’une sauce légèrement gingembre en multipliait la saveur; ce porc ayant mariné durant des heures avant de retrouver ces carottes et oignons cuits juste à point… Et j’en passe!


Ces repas furent de pures merveilles culinaires, oui, mais surtout des moments de rencontres, de partages entre humains qui  ne se connaissaient pas, jamais vus, jamais rencontrés et qui maintenant fraternisaient avant de se quitter sur de chaleureuses accolades.

Café face au Mékong

Assis à la table masculine – Hân me dira ce privilège : un étranger à la même table que la famille, les amis et les voisins, ce n’est pas habituel  – ne comprenant rien à leurs conversations, par chance tout à côté de moi, l’ami de cœur de Hân me traduisait rapidement de sorte qu’un moment j’ai cru, était-ce l’effet du whisky?, que je comprenais, que j’y participais.



Repas, bière et jeux de cartes en famille, entre amis cela pourrait assez résumer les rencontres au cours de la période de Têt mais ici, dans cette campagne du Mékong, tout prenait une dimension immense. Alors que la veille, j’eus droit à des sourires de circonstance de la part des parents de Hân, moi (l’étranger) qui investissais leur maison, le lendemain et à l’heure du départ vers Saïgon, j’avais droit aux invitations à rester une autre journée, à revenir sans attendre le nouveau Têt et, cadeau de la maman de Hân, une petite boîte remplie de ces extraordinaires bonbons confits composés de gingembre, de banane et de d’arachides. Et ces mains nous saluant alors que nous reprenions la route… en motocyclette.





Promenade sr le Mékong, entre Tien Giang et Bên Tre





Jacquiers

Arroyo


Le bateau qui nous voyageait d'une île à une autre


Le groupe du Mékong


Les adieux aux parents de Hân



À la prochaine



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