mardi 4 février 2014

Les nouvelles chroniques du Café Riverside - 7 -

Avec les parents de Hân

Les parents de Hân

À la porte d’un grand hôtel situé à une intersection de la rue Nguyen Hué ramenée, au lendemain de Têt, à son allure de grand boulevard, ce vieillard aux doigts longs et fins au bout munis d’ongles solides comme des ivoires d’éléphant, doucement mais efficacement, répare la petite guitare, un jouet en plastique. Patient comme un asiatique, ses doigts agiles comme des ciseaux de cordonnier, il manipule autour de l’endroit où le trouble semble prendre son origine. Un enfant, deux pas plus loin, sage et silencieux, regarde celui qui pourrait être son grand-père. Dans ses yeux se confondent la certitude du résultat et l’anxiété à réentendre les sons que sa guitare lui donnait quelques instants auparavant.


Dans cette suspension du temps, ce retrait autour d’un espace restreint, il y a ces courts instants que la chirurgie emplit, ces mouvements précis du mécanicien, l’immobilité de celui qui attend… une bien étrange complicité.


La rue Nguyen Hué redevenue celle d’avant Têt, longue et peu fréquentée, géométriquement droite aux pieds de la Tour Bitexco, coulant tout doucement vers le monument de Ho Chi Minh qui trône devant l’Hôtel de ville, cette rue qui a vu circuler durant plus d’une semaine, entre fleurs et livres, des milliers de Vietnamiens, est aujourd’hui bien calme. Se repose. Profite des ombres que les buildings lui distribuent, savourant ce vent unique à Saïgon, ni chaud, ni froid, ni tiède, ce vent purement saïgonnais.


Je la traverse en chemin vers le Café Riverside me rappelant dimanche et lundi, dans le delta du Mékong, à Tien Giang puis à Bên Tre, deux provinces que sépare le grand fleuve –je l’ai mieux aimé à Can Tho - me rappelant ces deux journées inoubliables, vécues dans la plus pure tradition du Têt vietnamien : famille et amis. Famille d’une amie très proche de Vicky (Miss Bamboo).

Je ne les connaissais pas du tout, même pas l’amie de mes amis. J’y suis arrivé avec tout de l’étranger qui débarque. Salutations du bout des doigts, on ne te connaît pas encore mais à l’évidence je suis objet d’une surveillance attentive derrière ces sourires polis, ceux qui deviendront cordiaux une fois  accepté.

Au jardin, des hommes fument. On attend d’autres convives pour l’heure du lunch. Cette grande maison qu’habitent les membres de la famille de Hân (l’amie de mes amis) appartient à une grand-mère que je ne rencontrerai pas; je ne saurais dire si elle l’habite toujours, on ne me le dit pas. Grande maison légèrement en retrait de la route, voilée derrière une multitude d’arbres, d’arbustes et de fleurs en pot, elle n’a rien de celles que l’on retrouve à Saïgon ou Hanoï. Maison de campagne, cela me devient évident alors qu’à l’arrière, là où le père de Hân à qui on ne m’a pas encore présenté - donc ne me salue pas - s’occupe à nettoyer ses cochons parqués dans leur enclos de ciment. Des poules et des coqs picorent un peu partout. Un étang où grouillent quelques poissons manifestant leur présence s’échapper par des bulles qui éclatent au-dessus de l’eau. 


Ça bouge devant la maison. Un bon groupe s’est formé : parents, amis et voisins. On nous invite à table. Il y aura lors des lunchs que nous prendrons ici, deux tables : une pour les hommes, la deuxième pour les femmes et les invités. Les femmes se relaient pour le service puis s’assoient à la table numéro deux, où nous sommes. On nous observe à partir de la table masculine alors que la cérémonie d’échange de vœux s’ébranle. Il ne semble pas qu’il y ait un ordre préétabli; on adresse nos vœux, debout devant cette autre personne et on trinque. La politesse veut qu’on accepte mais  pas nécessairement que l’on prenne la parole. Deux manières de faire : un verre ou deux, si on opte pour un verre chacun en boit la moitié, si on y va pour deux, c’est cul sec. Au milieu de la table, un grand bol dans lequel flotte un morceau de glace; on y verse des cannettes de Heinekein (je me suis arrêté de les compter tellement il y en avait). Le lendemain, ça sera un je-ne-sais-plus combien-d’onces de whisky qui remplacera la bière.


Hân
Puis Hân m’avise : quelqu’un me proposera un échange de vœux accompagné du verre de bière dont il faudra faire cul sec. (Le lendemain, ça sera le whisky.) Le type, celui qui se lève et me dévisage (au palmarès des impolitesses vietnamiennes, on est en tête du peloton), tend son verre de bière dans ma direction alors qu’une autre personne s’approche de moi m’offrant un verre de bière froide rempli à ras bord. C’est un ami de la famille. Il bafouille trois mots en anglais : Happy New Year. Je lui réponds, mon verre pointé dans sa direction, par un Chuc Mung Nang Moï que je veux le plus proche possible du vietnamien intelligible. Et on liquide nos verres. Le rite accompli, dirigeant vers moi, sourire aux lèvres comme seuls les Vietnamiens peuvent nous l’offrir, il me serre la main. À la réaction manifestée par les occupants de la table masculine, je sens que l’on vient de m’accepter. On se moque fort gentiment de mon vietnamien approximatif tout en appréciant que j’aie répondu dans la langue de celui qui m’avait invité. Et ça sera la ronde des invites. Moi qui ne suis pas tellement « bière » je les accepte toutes. Le lendemain, avec un groupe différent mais tout aussi sympathique, la cérémonie reprendra alliée à un whisky de très grande qualité.


Il y eut au cours de ces deux lunchs, de ces échanges mutuels de vœux, ces culs secs de bière ou de whisky, une façon particulière de partager le repas – je revivais l’époque de ma jeunesse, alors que chez ma tante Madeleine, certainement la plus grande cuisinière de son temps, nous dégustions ses spécialités du temps des Fêtes – un repas au-dessus de toute description que je saurais en faire. Comment décrire ce poisson (local) auquel, avant de le cuire, on a enlevé les arêtes les remplaçant par une farce unique; ce riz tellement succulent qu’une sauce légèrement gingembre en multipliait la saveur; ce porc ayant mariné durant des heures avant de retrouver ces carottes et oignons cuits juste à point… Et j’en passe!


Ces repas furent de pures merveilles culinaires, oui, mais surtout des moments de rencontres, de partages entre humains qui  ne se connaissaient pas, jamais vus, jamais rencontrés et qui maintenant fraternisaient avant de se quitter sur de chaleureuses accolades.

Café face au Mékong

Assis à la table masculine – Hân me dira ce privilège : un étranger à la même table que la famille, les amis et les voisins, ce n’est pas habituel  – ne comprenant rien à leurs conversations, par chance tout à côté de moi, l’ami de cœur de Hân me traduisait rapidement de sorte qu’un moment j’ai cru, était-ce l’effet du whisky?, que je comprenais, que j’y participais.



Repas, bière et jeux de cartes en famille, entre amis cela pourrait assez résumer les rencontres au cours de la période de Têt mais ici, dans cette campagne du Mékong, tout prenait une dimension immense. Alors que la veille, j’eus droit à des sourires de circonstance de la part des parents de Hân, moi (l’étranger) qui investissais leur maison, le lendemain et à l’heure du départ vers Saïgon, j’avais droit aux invitations à rester une autre journée, à revenir sans attendre le nouveau Têt et, cadeau de la maman de Hân, une petite boîte remplie de ces extraordinaires bonbons confits composés de gingembre, de banane et de d’arachides. Et ces mains nous saluant alors que nous reprenions la route… en motocyclette.





Promenade sr le Mékong, entre Tien Giang et Bên Tre





Jacquiers

Arroyo


Le bateau qui nous voyageait d'une île à une autre


Le groupe du Mékong


Les adieux aux parents de Hân



À la prochaine



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