jeudi 27 février 2025

Projet entre nostalgie et fantaisie... (17)

 



difficile à dire

                    les bruits semblent venir de loin
 
une boue ramassée en flaques au milieu de la ruelle
- difficile à dire s’il s’agit de neige ou de pluie -
le vent nuit et jour hante les clôtures
la pleine lune exige l’alignement des étoiles
 
                    les bruits au loin semblent se répercuter
 
- difficile à dire s’il s’agira de pleurs ou de cris -
dans l’inavoué de ces rencontres espérantes
continuellement arrachées à du papier carbone
sur lequel les siècles écrivent à l’encre de sang
des promesses d’angles morts aux intersections humaines
déambulent dos à dos sur des chemins obscurs
 
                    les bruits mouillés dans l’innommé se noieront
 
- difficile à dire si ces larmes diluées dans la neige ou dans la pluie -
comme autant de silences contenus, retenus puis projetés
à même la hargne des oiseaux qui les picorent… se tairont
 
- difficile à dire si leurs microscopiques mouvements -
interrompront l’abrupt parcours des vies en pente descendante
et leurs pas amusés rejailliront des flaques disparues
 
12 juillet 2011
405

 
un ange est passé


un ange passe, 
papillon sur le bout des ailes d’un oiseau se berçant sous les nuages


triste
heureux je fus
puis un ange passa


un ange est passé, 
des étoiles auréolant sa tête piquent ses yeux de diamants


fatigué
puis un ange passa
reposé je fus


un ange est passé 
marchant sous la pluie fine près d’une plage ensoleillée


triste
puis un ange passa
heureux je fus


un ange est passé, 
sa voix enrobée de miel chantait des mots ignorés


fatigué
puis un ange passa
reposé je fus


un ange est passé, 
ses yeux cherchait la terre en lançant des éclairs d’amour


triste
heureux je fus
puis un ange passa


un ange est passé, 
ses mains firent siffler le vent dont l’écho me parvint


triste et fatigué j’étais
heureux et reposé je suis

 

25 juillet 2011
407




lundi 24 février 2025

Poème de mon ami Daniel CYR

 



               Trois ans déjà…
 

C’était l’aube, lourde et blême,
Quand sur Kiev s’abattit l’anathème,
Un ciel de plomb, un vent de fer,
Et le tonnerre en plein hiver.

Le sol trembla sous les obus,
Les toits fendus, les cœurs rompus,
Kharkiv saigna sous les rafales,
Odessa pleura sur son port pâle.

Par trois chemins vint l’envahisseur,
Du nord, du sud, comme un voleur,
Et de l’est, flots d’ombres noires,
Vomissant l’acier et le désespoir.

Mais sous la cendre, un peuple ardent
Brandit son nom face au néant,
La main tremblante, le fusil froid,
Le regard dur, mais plein de foi.

La mort rôdait dans chaque rue,
Les ruines en deuil, les croix nues,
Mais Kiev dressa, sous le déluge,
Un mur d’orgueil contre l’intruse.

Le tyran pensait voir l’oubli,
Un sol soumis, un peuple plié,
Mais sous les bombes, l’âme flamboie,
Et dans la nuit, l’espoir se voit.

Trois ans déjà, mille souffrances,
Mille martyrs, mille espérances,
Mais sur leurs tombes, un chant s’élève :
L’Ukraine vit. L’Ukraine rêve.
- Daniel Cyr

 

INUTILE D'AJOUTER QUOI QUE CE SOIT À CE POÈME FLOTTANT SOUS UN DRAPEAU EFFILOCHÉ MAIS NULLEMENT EN BERNE...

RIEN D'AUTRE À AJOUTER... 
IL FAUT LE FAIRE VOYAGER POUR QU'IL REJOIGNE 
LE PLUS DE CONSCIENCES ET D'ÂMES POSSIBLES.

 

)(     Une fois l'avoir lu, partagez-le, faites-le lire, aux enfants, invitez-les à le mémoriser un peu comme on le fit en France du poème LIBERTÉ de Paul Éluard, à la suite de la Deuxième guerre mondiale 

samedi 22 février 2025

Vous m'appelez... et je serai en retard.

 


Vous m’appelez… et je serai en retard

Le suis si souvent
Surtout lorsque vous m’appelez
Votre voix circule à l’inverse
Comme l’ubac d’un écho
S’accroche un peu partout
Y demeure le temps d’un rinçage
Puis s’élance entre graves et aigus
Vous m’appelez… et je serai en retard

En retard sur le temps de réponse
Comme si je ne savais trop quoi dire
Risquant de répéter les mêmes mots
Ceux que vous connaissez
Depuis que vous m’appelez
Et qu’en retard je vous arrive

Vous auriez pu écrire, m’écrire
Un mot, souvent, touche mieux qu’une voix
Demeure enfoui dans le vieux coffre de cèdre
Jusqu’au prochain vide-grenier
Réfugié entre les pages d’un livre suranné,
Un peu poussiéreux et jauni
Ce mot qu’on a oublié de relire
 
Moi, j’écris plus facilement que je ne parle
Ça semble plus clair aux yeux de l’autre
Comme un friselis chatouillant les mains
La gauche, la droite, ensemble complices
De tout ce qui, arraché du passé, traverse
L’espace et le temps, évitant les trous noirs
Pour barbouiller de volatils feuillets
 
Et si vous m’appeliez…
Et si je n’étais pas en retard…
Qu’aurions-nous à dire, à lire
De longs monologues, d’inutiles soliloques,
Des pages immaculément blanches
Ou encore, tricoterions-nous du silence
Que nos deux mains scelleraient…


                        

mercredi 19 février 2025

Si Nathan avait su (20)




Il fallait bien que Daniel et son épouse fassent une synthèse de tout ce qui leur arrive depuis l’annonce de la venue d’un deuxième enfant, leur rencontre avec la famille oji-crie, l’entrée de leur fils à l’école et d’un certain courant d’air flottant dans le village de Saints-Innocents... Jésabelle avait détaillé les principales informations reçus à la suite de sa rencontre avec l’épouse de Don, insistant sur les tourments qui l’assaillent quotidiennement, ainsi que sur sa grossesse qui ne lui semblait pas identique à la première.

- Elle se décrit comme perturbée au point que notre courte rencontre dans le boisé que nous partageons avec sa famille lui a arraché, péniblement je dois le dire, quelques confidences. Je n’ai aucune idée de l’étendue du conflit, mais à première vue je ne serais pas du tout surprise qu’elle, d'ailleurs tu sais que son nom n’est toujours pas choisi même si celui qu’elle aime  conviendrait, mais pas à sa belle-mère, tout ça c’est une autre histoire, je reviens à mon inquiétude sur ce qui oppose les deux femmes ; il apparaît évident qu’on se retrouve devant un conflit générationnel. Ça ressemble beaucoup à ce qui nous est arrivé, toi ici et moi dans ma grande ville, à la différence que nous avons pris les moyens pour secouer les jougs qui nous oppressaient alors qu’elle semble complètement démunie. Je ne sais même pas de quel côté loge son mari Don. Par chance ou malchance, je ne sais trop, c’est lui qui a le dernier mot, prend les décisions auxquelles les deux femmes doivent se soumettre. On est en 1975… Incroyable d’assister à cela… C’est certain que la culture joue un rôle important dans toute l’affaire.

Daniel écoutait son épouse avec attention, sirotant la tisane qui fumait devant lui.

- Est-ce que Benjamin t’en a dit davantage sur ses premières journées à l’école?     À croire qu’il souhaite que la conversation dévie un peu. Mais il est comme ça Daniel, il a besoin de temps pour réfléchir, pour retourner les faits dans sa tête avant de prendre position. Pour sûr, il se retrouve à l’avant-poste des informations du fait qu’il traîne au village alors que Jésabelle s’en abstient comme si c’était une loi qu’elle s’était imposée.

- Tu déportes la question, mais ce n’est pas grave, l’important c’est que tu saches que j’ai rencontré Aanzheni.     Daniel fronça les yeux.     Oui, c’est le nom qu’elle souhaite adopter après son deuxième accouchement. De sa deuxième fille.

- Ça sonne bien à l’oreille, mais sais-tu ce que cela signifie en français?

- Esprit d’ange, lui répondit Jésabelle qui ne cessait de tenir son ventre de plus en plus apparent.

Au même instant, ils entendirent le bus scolaire s’arrêter, leur fils en descendre tout en demeurant debout pour répondre au salut de Chelle dont le visage emplissait la vitre salie par la route sablonneuse du rang. Walden venait de rejoindre Benjamin, l’encerclant, défaisant le cercle pour tout de suite en refaire en autre, la queue allant d’un bord et de l’autre.


*****

 

Le bus avait repris à rebours la route menant au rang parallèle, celui de la famille oji-crie pour y déposer la jeune fille aux longues tresses noires. Sa mère attendait sur l’accotement, les mains jointes et les bras prêts à s’ouvrir. À chacun des retours de l’école maternelle cela ramenait chez la mère de Chelle un état d’inquiétude que son visage ne pouvait dissimuler, un peu comme si elle prévoyait la confirmation de son angoisse l’ayant torturée toute la journée.

À la fenêtre de la maison, dissimulée derrière les rideaux de crêpe, des yeux surveillaient la scène. Des yeux dans lesquels on pouvait lire une désapprobation totale de la situation s’offrant à elle. L’ancêtre se disait intérieurement qu’elle devait rapidement trouver une solution au problème perçu comme une atteinte frontale aux traditions objibwéés. Elle se rongeait les sens à propos de cette bru pour qui elle n’avait aucune affection. Une soeur demeurée à la réserve de Sault-Sainte-Marie lui avait signifié son appréhension et conseillé de ne pas l’accepter auprès de son fils, cette femme, selon elle, étant porteuse de malchance et surtout… de malédiction. La famille ojie-crie dont elle est issue aurait continuellement agi de manière à ce que leur groupe - leur race comme le disait l’ancêtre - lentement se désagrège en s’intégrant aux Blancs. Ce fut, a-t-on su au village une fois qu’elle s’était installée, la raison de sa venue à Saints-Innocents. 

Chelle demanda à sa mère pourquoi son chien-loup n’était pas là pour l’accueillir, ce à quoi elle reçut pour réponse que Ojibwée ne se manifestait plus lorsque le bus avait repris la route sablonneuse. Tu sais ma fille, depuis la rentrée scolaire elle se sent bien seule et je n’ai pas toujours le temps de m’en occuper comme toi le fais. S'éloigner c'est peut-être une façon de tromper son ennui, je ne sais pas trop. Sois certaine qu’elle a entendu arriver le bus et bondira sur toi dans deux minutes.

La mère et la fille se dirigèrent vers la maison où trônait l’ancêtre, les bras croisés.     Va te changer, ensuite nous irons marcher vers les bouleaux. Ouste, je t’attends.     Les paroles acérées de cette vieille femme eurent l’effet de la foudre, statufiant la mère, et précipitant Chelle à l’intérieur. L’ancêtre, sans jamais regarder sa bru, descendit lentement les marches de l’escalier, siffla pour que le chien-loup la rejoigne, lui signifia de s'asseoir d’un doigt inquisiteur, puis s'installa dans l'attente, ce qui représentait certainement le pire des supplices qu’elle puisse endurer.

                                         

Finalement elles s'engagèrent, sans se tenir la main, dans l’entrée du boisé, suivies par Ojibwéée, demuerant toutefois à une certaine distance, mais ne quittant pas l’enfant de ses pas ralentis par leurs constants arrêts, les longs monologues de la vieille femme que Chelle écoutait distraitement.

- Tu m’écoutes quand je parle ! Comment pourras-tu devenir une vraie ojie-crie si tu ne suis pas mes explications ? N’oublie jamais que nous, notre race et nos traditions sont en toi, que tu auras à les protéger, à les défendre toute ta vie sans te laisser corrompre par les Blancs qui veulent nous voir disparaître et font tout pour cela arrive.

- À l’école…

- Tais-toi. À ton âge, on se tait et on écoute. Un jour tu devras répéter à tes enfants ce que je t’enseigne, pour cela ne sois pas distraite, garde toute ton attention sur mes paroles, mes leçons.

- Oui, mais ce n’est pas la même chose que j’entends de maman.

- Ta mère n’a pas encore de nom, n’est donc pas encore une ojie-crie complète. Elle a quitté Sault-Sainte-Marie pour venir épouser mon fils, ton père, mais sa connaissance de nos traditions, de nos mœurs est incomplète et le pire c'est qu'elle cherche seulement à se mêler aux Blancs. Je n’étais pas d’accord avec le fait que tu naisses à l’hôpital et que tu fréquentes l’école du village. Tous, je dis bien tous, veulent te déshériter de notre héritage ojibwé. Il faut…

- Papa aussi ?

- Depuis quand tu te permets de m’interrompre ? C’est une habitude, une mauvaise habitude que tu apprends des Blancs. Ne tiens jamais compte de ce que dit ta mère, obéis à ton père même si parfois il n’a pas raison, cela parce qu'il est beaucoup trop en contact avec les Blancs, ça dérange son esprit, il faut que tu saches ça. C’est moi qui est porteuse de l’héritage de nos ancêtres depuis que ton grand-père, mon mari, est mort, que ses cendres sont enterrées ici dans cet espace de bouleaux blancs. Le sol n’est pas le nôtre, voilà pourquoi toi et moi devons venir le fouler souvent, très souvent afin qu’il devienne progressivement une terre inviolable. Tu as remarqué que notre chienne jamais n’urine par ici. Elle a le sens du respect, elle. Tu dois l’imiter. Respecter ce sol qui avec le temps deviendra sacré. J’obligerai ta mère quand elle aura accouché de venir déposer ta sœur sur cette terre, ici, ça sera comme la présenter à son grand-père, comme un baptême ojibwé. À la suite…

- Grand-mère, tu m’en dis trop, ça m’étourdis.

- Quoi ? Ce que je te dis t’étourdit ? Serais-tu déjà une ingrate ?

Chelle apparaissait de plus en plus impatiente et comme l’obligeait sa grand-mère, ses yeux ne fixaient que le sol, celui au-dessus duquel, attachés aux branches d’un bouleau blanc, flottaient des rubans multicolores.

- Je veux retourner à la maison, dit-elle, alors que le chien-loup se levait, leur tournant le dos et prit la direction du tipi qui parfois lui servait de niche. Les parents de la jeune fille avaient remarqué qu’au retour de chacune des  balades au boisé, Ojibwée s’installait, l’air triste et abattu, devant le tipi. Parfois, un long soupir modulé sortait de sa gueule et ses yeux devenaient intensément tristes. Regrettait-il le grand-père ou comprenait-il dans son cerveau de chien que Chelle n’était pas heureuse de ces promenades, chamboulée par le délire de l’ancêtre ? Les chiens ne reniflent pas seulement des odeurs !





dimanche 16 février 2025

Projet entre nostalgie et fantaisie ... (16)

 Parfois il arrive qu'un poème se présente dans sa plus entière nudité, à un point tel que le nommer paraît impossible. 
C'est le cas ici. Trois poèmes écrits à Paris en 2010.



Sans titre valable   l

depuis si longtemps, depuis si loin il marche
                                                            lui semblait-il…
devant lui s’effiloche une route cartographiée
                                                            croyait-il…
 
derrière un rideau en laine d’eau
coulissent des images
                                                            lui semblait-il…
plus diaphanes que des ombres de fantômes
                                                            croyait-il…
 
on lui avait dit et si tant répété
de ne pas marcher sur cette route,
cela l’atrophierait jusque dans ses couleurs
 
mais les paroles ne le rejoignaient pas
                                                            semble-t-il…
depuis longtemps et depuis plus loin encore il marchait
                                                            croit-il…
 
au croisement de huit lignes parallèles
des odeurs inconnues apparurent
quatre routes entre vie et mort
les autres entre mort et vie
 
et ce fut tout, la fin de tout
l’entrée du départ, la sortie de l’arrivée
                                                            croyait-il…
ou du moins
                                                            lui semble-t-il…
 
29 novembre 2010
384     Paris

 

 

Sans titre valable   ll 

Je crains pour la politique
Bientôt elle disparaîtra
Au profit d’organisations hybrides
Réunies par un même désespoir
Reflétant aléatoirement
Nouveau style de vie et
Décloisonnement social
 
Je crains aussi la violence de ceux qui n’ont rien, rien à espérer, rien à perdre
La vie urbaine semble de plus en plus favoriser ce modèle
Il se réalisera tout doucement, dans le silence complice des vastes cités
Les grandes valeurs qui nous accrochent seront déchiquetées
Manger boire dormir chier et pisser puis faire l’amour avant de mourir
Sans enfants sans projets sans rêves sans papiers sans nom et sans foi
Il pleuvra tout le temps sans que ça ne purifie nos fruits et nos légumes
Un nouveau monde gris de novembre à novembre
 
3 décembre 2010
385     Paris

 

Sans titre valable lll

la jeune fille blonde aux bas noirs striés
lisait ERNESTINE de Sade
dans le métro
 
assise devant moi
sa jupe grise tranchait sur son blouson noir
 
elle tournait les pages
son cou blanc sursautait
ses yeux petits devenaient grands
et cela n’avait rien à voir
avec les soubresauts du train
dans le métro Barbès-Rochechouart
 
et si elle se prénommait JUSTINE…
 
15 décembre 2010
395 Paris


jeudi 13 février 2025

On arrive d’où l’on est parti…




On arrive d’où l’on est parti…

 

        … là où tout le monde s’en va
        Insouciant tel un astéroïde égaré
        Une comète échevelée
        Une lettre à la poste sidérale adressée
 
        … il y a comme un vide étrange
        Difficile à remplir, à combler
        Le vocabulaire nous manque
        Regorgeant de tant d’imprécis
 
        … à leur urgent départ, les gens
        Abandonnèrent des lanternes éteintes
        De longues rues fermées
        Quelques valises pleines
 
        … cherchant à ne rien oublier
        Et sans savoir quoi garder
        N’agrippèrent dans leur hâte
        Que ce qui ne sert à rien
 
        … des bouteilles vides
        Récupérées en bord de mer
        Des liasses de papiers bruns
        Que le vent avait éparpillés
 
        … sans savoir où tout déposer
        Arrivés d’où ils étaient partis
        Se sont regardés, yeux assombris
        Les deux pieds ampoulés
 
        … on cherche à se reconnaître
        Sommes-nous du même ailleurs
        Arrivons-nous là d’où on est parti
        Inconscients de la route franchie
 
        … et si nous étions inéluctablement
        Attirés par une telle gravité
        Différente d’où l’on est parti
        Celle d’un super trou noir…



dimanche 9 février 2025

Si Nathan avait su (19)


Il lui aura fallu quelques années, plusieurs marches dans le petit bois derrière la maison du bout du rang non asphalté, autant en compagnie de Benjamin que seule avant que Jésabelle, ayant maintenant plus de temps à sa disposition et souhaitant conserver l’habitude de ces randonnées, ne découvre que son sentier menait directement, si on accédait au bout, ce qu’elle n’avait pas fait encore, au rang de la famille oji-crie. En fait, à une certaine similitude entre eux : une maison avec cour menant au même petit bois, mais à son opposé. Cet espace boisé s’étend davantage en longueur qu’en largeur, retiré du village, à l'extrémité des rangs non asphaltés - le sien et celui de la famille oji-crie. Uniquement visité par ceux qui y ont accès à partir de leur terrain adjacent, on y découvre, malgré le fait qu’on s’y soit promené depuis des lustres, de petits lieux inconnus, ici, une grappe de plantes nouvelles, une «talle» de petits fruits plus importante que ce qu’on a déjà goûtés, là, des surgeons au pied de grands arbres devant lesquels on s’arrêtait pour mieux leur parler, mieux les écouter. Jésabelle y a marché, au début avec son enfant reposant dans un tikinagan, puis lorsqu'il titubait contre les ronces avant de se déplacer avec facilité et assurance. En toute saison, sous la pluie parfois l’orage, dans la neige parfois en plein blizzard, rien ne les privait du bonheur d’être dans ce boisé que Benjamin qualifiait de forêt. Jamais ils ne croisèrent qui que ce soit, aucun être humain, parfois, un peu en retrait, le souffle confirmé plus tard par Don, le garde-forestier, comme pouvant être un cerf de Virginie qui aime s’installer là où pousse des érables. On sait que la famille oji-crie a quitté l’Ontario pour s’installer dans cette région afin de s’adonner à l’acériculture. 

Jésabelle, rêvassant, déambulait nonchalamment sans trop se soucier de la distance parcourue. Sa grossesse ne sera pas un obstacle à ses activités, elle se l’était juré. Comme la première fois, la jeune maman demeurait active, concentrée sur les exercices que son amie la sage-femme lui conseillait de pratiquer afin d’entrer en contact avec l’embryon se développant en elle. Selon Angelle, la méditation active lui permettrait de connecter avec son deuxième fils. Ce qu’elle entendait par là se résume à deux activités journalières ; la première étant de s’arrêter le plus souvent possible afin d’inspirer profondément et d’expirer jusqu’au bout de son souffle, cela lors d’une activité physique douce, mais régulière ; la deuxième se résume en un exercice de visualisation positive pratiquée les yeux fermés, ce qui lui permettrait d’imprimer dans son cerveau des images qu’elle associait à son enfant. Fidèle à ces deux conduites, mieux se porterait le fils à venir. Jésabelle s’inquiétait toutefois que son amie ne lui suggérait rien pour Daniel qui, selon elle, devait s’intégrer à la démarche menant à la naissance, ce à quoi elle répondit que l’homme n’allait devenir actif qu’au jour de la délivrance, étant le premier à recevoir le nouveau-né.
 
Intensément concentrée, la jeune femme poursuivait son chemin jusqu’au moment où, surprise à la vue de quelques rubans de couleurs différentes pendus aux branches d’un bouleau blanc, cela la tracassa. S’en approchant, elle n’osait pas leur toucher, se doutant bien qu’ils furent accrochés là par un des membres de la famille oji-crie, car il lui était possible, entre les arbres, surtout des bouleaux blancs, d’apercevoir pas très loin de son lieu d’observation la maison de Don située à moins de cent mètres d'où elle s'était arrêtée. À quoi servent-ils ? Quel sens leur donner ? Son questionnement fut arrêtée par une voix derrière elle, ce qui mit fin à ses questionnements.
 
- Une tradition de la famille de mon mari, dit celle qui ne porte encore aucun nom. Il ne faut toutefois pas trop s’aventurer par ici,
- Bonjour… c’est purement pas hasard que je tombe sur ces rubans, répondit Jésabelle.
- Ma belle-mère, gardienne des traditions ojibwées…  Elle garda silence comme si en dire davantage dévoilerait un secret qu’une force invisible empêchait de briser. D’ailleurs, vous et nous sommes les seuls qui pouvons venir ici. Les gens du village ne s'y présente jamais.
 
Jésabelle, surprise de l'entendre, s’approcha de la jeune femme imaginant qu’il lui serait difficile d’en savoir plus, pour le moment du moins, ce qui fit bifurquer la conversation. Elle jugea polie de plutôt l’interroger sur sa grossesse, ce à quoi elle ne reçut que de très vagues commentaires.
 
- Ma belle-mère y voit… beaucoup moins que la première surtout qu’elle est déçue que ce soit une deuxième fille… non pas un garçon. Tu es chanceuse, toi, tu donneras naissance à un second fils.
- Nous les femmes avons peu à faire quant au sexe de l’enfant.
- Ce n’est pas ce qu’elle dit. Elle me tient responsable… devient chaque jour de plus en plus amère, surtout qu’elle… elle a donné naissance à un garçon. La jeune femme, tracassée, roulait et déroulait les bords de son tablier, ses yeux fixant le sol.
 
Comme un coup de vent inattendu, un malaise s’installait. L’une et l’autre, maladroitement, tentaient de l’éliminer. La mère de Benjamin reconnut pour une seconde fois, la tension subsistant entre les deux femmes autochtones. Elle ne creusa pas davantage.
 
- Je suis certainement indiscrète, mais l’accouchement se fera-t-il à l’hôpital ou à la maison ? Tu sais que mon amie sage-femme, celle qui m’a accompagnée lors de la naissance de Benjamin, doit être présente pour le deuxième. Toi ?
- Un autre conflit familial… on croirait qu’il n’y a que cela depuis que je suis arrivée ici… conflit après conflit.
- Il y en a eu un à propos de la naissance de Chelle ?
- Mon mari a tenu tête à ma belle-mère et a décidé que c’est à l’hôpital des Blancs que ma fille viendrait au monde. Après cet événement, m’accusant d’avoir influencé Don, nos relations se sont détérioré comme si cela pouvait être pire qu’auparavant. Elle s’interposait entre ma fille et moi, affirmant que je n’avais pas les qualités ojibwées pour en prendre soin… cela risquant de l’éloigner des traditions de notre race. Pour elle, nous sommes une race à part et vous les Blancs une autre à laquelle il ne faut absolument pas se mêler.
- Ça ne doit pas être de tout repos chaque jour.
- Chaque jour dis-tu… chaque seconde. Elle défait régulièrement tout ce que je fais sans jamais me dire pour quelle raison. Le plus difficile pour moi reste encore de constater que Chelle est envahie de toutes sortes d’enseignements qui n’ont plus de sens aujourd’hui, et ça devient des ordres… des commandements auxquels elle doit se plier. Je ne réussis pas, lorsque nous sommes toutes les deux seules et en secret, à tout défaire sans que je sente le trouble l’envahir.  
 
La jeune femme autochtone ne cessait de fixer derrière le bouleau blanc comme si quelque chose de précis y était dissimulée. Ses pieds que recouvraient une paire de mocassins remuaient la terre qui avait été brassée. Leurs yeux se recroisèrent. Il ne faut pas que tu en parles… jamais… secret de famille. Chacun de nous avons fait le serment que cette terre, celle qui est ameublie derrière le bouleau, toujours demeurerait sacrée puisqu’elle conserve les cendres du père de mon mari.
 
Jésabelle recula, saisissant fort bien que les rubans servaient de sémaphore pour que ce lieu ne soit ni profané ni oublié. Les rumeurs ayant circulé dans le village et que Daniel lui avait rapportées s’avéraient donc exactes. Le décès de celui que tous surnommaient «l’ancêtre» n’a pas été signalé aux autorités sans doute parce que son épouse avait insisté pour qu’il soit incinéré, puis enterré près d’un bouleau dans le petit bois faisant partie de leur terrain, le tout comme le veut la tradition ojibwée.
 
Leurs regards circulaient entre elles et la sépulture. Outrage à un cadavre, c’est ce qui s’était dit dans le village, certains souhaitant que des mesures soient prises contre la famille oji-crie, d’autres préférant garder un silence complice afin de ne pas jeter de la lumière autant sur le village que sur l’attitude que l’on réservait à ceux considérés comme des malvenus. La politique adoptée depuis leur arrivée, une nouvelle fois triompha. Comme la génération suivante, celle de Don, manifestait plus d’ouverture envers ce qu’ils appelaient «la civilisation» on s’est entendu pour oublier cette malversation tout comme on le ferait si le sort de la femme du chef de la tribu s’avérait le même.  
 
- Merci de me faire confiance, avança Jésabelle instruite d’un secret familial qui pesait fort sur les épaules de la jeune autochtone mais lui paraissant libérée d’un poids trop lourd à porter, nerveuse toutefois si cette confidence devenait publique. Mais au fond d’elle-même, s’ouvrir ainsi pouvait peut-être s'interpréter comme une demande d’amitié. Ça m’amène à une question. As-tu choisi le nom que tu porteras à la naissance de ta fille ?
- Crois-tu vraiment que je le choisirai ? Après tout ce que je t’ai dit, tu te doutes bien qu’on me l’imposera, enfin… qu’elle me l’imposera… que je devrai obéir... puis vivre avec. Elle prit un court instant de réflexion puis enchaîna, si mon mari manifeste son autorité en m’accordant ce privilège, je m’appellerai Aanzhenii.
- C’est très joli. A-t-il un sens dans ma langue ?

Après quelques secondes d'un moment qui parut autant de l'hésitation que du recueillement, la jeune oji-crie dit:
- Oui, ça signifie esprit d’ange…



vendredi 7 février 2025

O.J. SIMPSON, Netflix et la justice américaine

3 personnages importants du procès...


     
Une procureure (Marcia Clark) ayant subi un viol alors qu'elle était mineure, engagée dans la cause des violences faites aux femmes; 
 
un groupe d'avocats pour assurer la défense d'un accusé (O.J. Simpson) dont la notoriété dépasse tout entendement autant dans le domaine du sport (super vedette des Bills de Buffalo de la NFL), que ceux du  cinéma et de la télévision, équipe dirigée par Johnnie Cochran (un noir) qui réussit à écarter Robert Shapiro (un blanc) afin d'asseoir sa défense sur la discrimination raciale; 
 
des policiers de Los Angeles traînant avec eux une réputation entachée par l'affaire Rodney King survenue en 1992 - celle du footbaleur aura lieu en juin 1994 - et cette hargne citoyenne atterrira sur les épaules de l'inspecteur Mark Fuhrman ; 
 
un juge (Lance Ito) et un jury composé de 8 femmes afro-américaines, deux femmes blanches, un homme afro-américain et un homme hispanique suivront de près ce procès qui débute le 28 janvier 1995 pour s'achever le 3 octobre de la même année, ayant pour mandat de déclarer l'accusé coupable ou non, tout cela sous les yeux des Américains suivant assidûment ce procès télévisé - une première aux USA - qui verra défiler 150 témoins ; 
 
l'utilisation des preuves d'ADN jouera un rôle important et permettra au public d'apprivoiser ce nouvel outil ; 
 
une poursuite télévisée en direct à la télévision américaine, celle de la Bronco blanche à bord de laquelle l'accusé file à tout allure, menaçant de se tirer une balle dans la tête ; 
 
 
une paire de gants noirs ;     
 
les familles Brown et Goldman assurées dès le départ de la culpabilité de l'accusé ;
 
et surtout, mais quasi oubliées, deux victimes cruellement assassinées, Nicole Brown (ex-épouse de l'accusé)et Ronald Goldman, ami de cette dernière.
 
 
    Netflix, dans un documentaire particulièrement efficace, nous propose de revoir, 30 ans après les événements et de fond en comble, cette histoire haute en couleurs, en fait, en noir et blanc : 
une Bronco blanche et paire de gants noirs ; 
deux victimes blanches et un accusé noir ;  
plusieurs membres de la communauté noire dans un palais de justice rutilant d'une blancheur aveuglante ; 
à l'extérieur, noir de monde, le blanc des voitures d'une foule de médias...
 
Ce qui devait être le procès d'un prévenu accusé d'un double meurtre, celui d'une ex-épouse et d'un serveur (Ronald Goldman) venu rapporter à Nicole Brown une paire de lunettes oubliées au restaurant Cheesecake Factory où il travaille. Les deux ne survivront pas à la barbare agression survenue le 12 juin 1994 au 875 South Bundy Drive, Los Angeles. Il est environ 22h15.
 
Sans faire directement un procès d'intention à la justice américaine, UNE TRAQUE AMÉRICAINE pose plusieurs questions auxquelles il nous apparaît facile de répondre 30 ans plus tard, mais qui en ont hanté plusieurs à cette époque.         
 
. A-t-on assisté au procès d'un accusé pour double meurtre ou à celui d'un héros national à qui de tels faits ne peuvent absolument pas lui être collé à la peau ? 
 
. Est-ce que l'équipe de la défense (elle aura récolté plus de 9 millions $ de la part de l'accusé) n'a-t-elle pas parfaitement bien réussi à faire bifurquer l'accusation au profit d'une autre question, soit des intentions racistes cachées sous des actions sournoises, dont le fait d'avoir illégalement souillé les lieux du crime, transporté ailleurs des éléments importants (en pense ici au deuxième gant noir retrouver à la demeure de l'accusé et à l'ADN de l'accusé) ? 
 
. Les procureurs de l'État de Californie ont-ils trop orienté leurs arguments sur la violence faite aux femmes ? 
 
. Aura-t-on réussi à mêler tout le monde (et surtout les membres du jury) avec des théories de l'ADN qui, rappelons-le, sont à l'époque à leur début comme preuve dans les procès pour crime ?
 
. Le juge a-t-il erré en acceptant que le procès soit télévisé en direct ?
 
. Une fois le verdict tombé, pourquoi un seul homme sera condamné, soit l'inspecteur de police Mark Furhman, et cela pour parjure ?
 
. En février 1997, à la suite d'un procès au civil O.J Simpson est déclaré responsable de la mort de Nicole et Ronald et devra payer la somme de 33 millions$ aux deux familles - ce qui ne sera jamais fait. Lequel des deux tribunaux aura rendu le bon verdict ?

 
    Que retenir de cette affaire qui aura fait couler beaucoup d'encre ? Que déduire de la justice américaine ?
 
Nos voisins américains sont-ils tous égaux devant la justice ou comme l'a dit Hans Ytterberg « Tous les hommes sont égaux - mais certains sont plus égaux que d'autres.» 
 
Il n'y a pas que ce procès qui alimente des doutes, on n'a qu'à se reférer à  quelques-uns qui se sont déroulé dernièrement pour avancer l'idée que plus on possède argent, renommée ou pouvoir, plus les chances que la justice rendue nous soit favorable. Pour le cas qui nous intéresse, plusieurs analystes et quelques juristes croient que cela aurait pu jouer, certains ayant même avancé que nous avons assisté à un simulacre de procès, un extraordinaire spectacle télévisé en direct ayant captivé des millions de spectateurs attentifs.

 
    Jusqu'à sa mort, O.J. Simpson sera demeuré discret sur cette affaire, mais lorsqu'il fut condamné à 33 ans de prison pour vol en 2008 et avant son décès en 2024 à la suite d'un cancer, il publie un livre IF I DID IT, dans lequel il raconte la manière dont il se serait pris pour assassiner Nicole et Ronald s'il avait voulu le faire.
 
J'achève ce billet en citant un autre livre, celui-ci écrit par un détective privé texan, William C. Dear, «O.J. IS INNOCENT AND I CAN PROVE IT» dans lequel il avance l'hypothèse que le double meurtre aurait été commis en fait par le fils d'O.J., Jason âgé de 24 ans lors des faits et diagnostiqué avec un «trouble explosif intermittent» (le syndrôme Jekyll and Hyde).




P.S.   
                           
Hier soir, sur CRAVE cette fois, j'ai visionné le film JOKER : FOLIE À DEUX, la suite du film JOKER de Todd Philips mettant en vedette Joaqim Phoenix et Lady Gaga.

Bizarrement... l'intrigue tourne autour d'un procès (fictif celui-ci) que le réalisateur présente comme étant celui du siècle... dans la ville imaginaire de Gotham.




           





samedi 1 février 2025

Projet entre nostalgie et fantaisie ... (15)

                             

Les poèmes du 61ième saut de crapaud, en date du 20 décembre 2005 tournent autour de la symbolique du fantôme. Il faut préciser qu'à cette époque, LE CRAPAUD écrivait un récit dans lequel les fantômes prenaient une place proéminente.

                                                                      fantôme

un fantôme diaphane emmêlé au brouillard,
yeux clignotants, noircis de rougeurs,
durcit ses pas-à-pas qu’il glace de ses foulées défraîchies
                                                       il marche          il glisse          il frôle

son manteau solitaire bazardé près d’un trou vide
lèche les mouillures de neige échappées des nuages engourdis,
sa marche sa glissade et sa frôlure l’ont abandonné

le froid transperçant ses veines pâlichonnes
s’y accroche comme autant de flèches bousculées par le vent
qui allait, venait aux sapins endeuillés puis revenait
                        il marche                              il glisse                                     il frôle

dans la rigueur de la nuit que les étoiles mortes ont fuie,
venu d’un autre monde, le froid fantôme marque de ses pas 
l’horizon hoquetant des musiques frissonnantes
                                         il marche                      il glisse                      il frôle

lui, bâfreur d’ozone bleu électrique, éjecte des banquises
enfermées dans son âme afin de mieux réchauffer le globe,
il s’avance obstinément dans notre temps passager
                                                           marchant                 glissant                 frôlant

toujours là, ce fantôme pénètre jusqu’à la moelle de nos os,
écrit dans l’hiver méticuleux des solitudes harcelantes,
des impatiences saturniennes, de féroces anxiétés…

... et nous 
sur nos pieds cadavériques nous nous promenons
dans de tristes ruelles blanches comme d’aveugles brumes
qui neigent de fulgurantes tempêtes balayant des passés aux avenirs trop présents…

... et au printemps revenu, 
fléchissant sous d'immenses fracas d'érable,
toujours  et encore immobilisés au cœur craintif de la ville,
les pieds du fantôme réveilleront nos impatiences, nos anxiétés, nos solitudes…

... et fouettés par les grands vents d'avril 
ils demanderont si  les rêves inanimés
que la vie aura sauvés des feux de l'hiver 
vieilliront toujours…

                                                                                                 


    *****     *****     *****     *****     *****     *****     *****    

                                                                           la morte chanson

une vieille musique - en sourdine - balaie de faux devenirs,
se glisse entre les taches vernies qui racornissent le tapis,
épie une lointaine présence s’approchant à pas feutrés

il y a une fois…
la claire noirceur prenant forme sur la portée de la nuit
seule, criante - assoupie - accroche à un arbre écorcé
le squelette noirci d’un fantôme évanoui

le vent - entre les stores ébréchés - se faufile par la fenêtre ouverte sur l’hiver
pas tout à fait froid encore - à demi boutonné dans son cardigan rouge -
il empale aux poteaux électriques ces corps endormis
pointant sa solitude jazzée sur l’entre-ouverture du firmament

en marche sur le piano mécanique - sans notes -
une silencieuse symphonie orchestre la fugue des saisons
puis - sans raison - entonne de sa voix continue 
les mots d’une morte chanson

        *****     *****     *****     *****     *****     *****     *****   

                                                                                et là encore

... et encore
à écrire
dans l’hiver
comme un fantôme qui passe
harcelant les solitudes
les impatiences
les anxiétés...
... et encore


dans l'hiver
les pieds se promenant dans de tristes ruelles blanches comme des brouillards perdus
qui neigent de fulgurantes tempêtes
balayant des passés aux avenirs trop présents

... et au printemps revenu, encore immobilisés
au coeur de la ville ployant sous d'immenses placards d'érable,

les pieds du fantôme écraseront les impatiences
les anxiétés
les solitudes

... et

fouettés par les grands vents d'avril
ils demanderont si pour toujours
encore
les rêves inanimés que la vie aura sauvés des feux de l'hiver
vieilliront encore
là…


 *****     *****     *****     *****     *****     *****     *****    

                                                       l’haleine de la neige


les mots silencieux, hors d’haleine,
tombent en neige
au pied des étoiles qui s’accumulent


                                                                            douce équinoxe

le soleil de minuit s’éteint
alors que rôdent
ruellement poursuivis
par de magnétiques chats en quête d’eau,
électrifiant les feuilles mortes


plus loin que les proches paroles échappées dans des flaques mauves
circulent parallèlement à la croisée des chemins
une fulgurante étoile filante

les saisons emmêlées comme de chaotiques girouettes
pointent leurs ailes de plomb aux embrasures du vent
idéefixent le nord, exhument les routes égarées
se multiplient encore et encore
tels des guignols pivotant sur eux-mêmes

triste légende au bout des années
que buvait l’éphémère, se dressent
telles de transparentes colonnes de givre
les trous des pas incertains engorgés de ciment

                                                                                                    lancinante mélancolie


(le mardi 20 décembre 2005, 
soixante et unième saut de crapaud)


Si Nathan avait su (22)

                                     - Mademoiselle Thompson, je veux voir deux minutes ? - Madame Abigaelle Thompson est mon nom.   Un cour...