mercredi 27 novembre 2024

Si Nathan avait su (13)

 

- Jésa, as-tu remarqué que les livres que tu as achetés à la bouquinerie, sentent quelque chose de pas pareil ?
- Belle remarque mon garçon, sans doute parce qu’ils ont été feuilletés très souvent, traversé plusieurs saisons, certainement dormis sur des rayons d'une foule de bibliothèques et passés d’une main à une autre.
- C’est pourquoi on les nomme «seconde main»?
- Voilà. On pourrait aussi dire «seconds yeux».
 
Benjamin, assis sur la banquette arrière de la camionnette quittant la grande ville, feuilletait le cadeau que lui avait offert Angelle, l’oeuvre complète des poèmes d’Émile Nelligan. Parfois, s’arrêtant sur une page, il la humait, y jetait un regard intéressé puis répétait la même action avec Saint-Denys-Garneau, Anne Hébert, Gatien Lapointe et Roland Giguère. La fierté éblouissait ses yeux, il avait entre les mains plusieurs exemplaires de poètes dont il apprenait les noms.
 
Daniel le suivait dans le reflet du rétroviseur et dit, j’ai une surprise pour toi, mon garçon. Immédiatement la curiosité s’empara de lui. Quand tu fouillais dans les étagères de la bouquinerie, j’ai déniché un livre dans lequel on retrouve les photos de chacun des poètes dont tu possèdes maintenant un exemplaire. Le père lui glissa la copie, épiant l’expression de son visage.
 
- Merci Daniel. Je vais mieux les connaître. Oh! Il y a l’image d’Alain Grandbois. Je ne l’imaginais pas comme ça.
- Il faudra t’habituer à distinguer le poète de ses poèmes, enchaîna Jésabelle. Certaines personnes essaient de trouver des ressemblances entre qui ils sont ou ont été et ce qu’ils écrivent. L’important n’est pas là. L’important c’est ce que le lecteur reçoit lorsqu’il lit. Tu verras par toi-même. La poésie, il faut la lire, la lire encore et la relire. C’est comme ouvrir une immense boîte à surprises. Des choses nous sautent aux yeux maintenant, puis, plus tard, plein d’autres choses qu’on n’avait pas remarquées la première fois. Un peu comme la musique. Elle est une fidèle compagne de la poésie.
 
Le fils écoutait sa mère d’une oreille un peu distraite puis s’arrêta sur une page de Nelligan qu’il proposa de lire.
 
Je sens voler en moi les oiseaux du génie
Mais j’ai tendu si mal mon piège qu’ils ont pris
Dans l’azur cérébral leurs vols blancs, bruns et gris,
Et que mon coeur brisé râle son agonie.
 
**********
                                         
Il ne fait plus aucun doute dans l’esprit de Daniel que les élus au conseil municipal du village ont toujours refusé que le chemin menant chez la famille Oji-Cri soit asphalté. Maintenant, en plus d’être autochtones, ils sont classés dans la catégorie des allochtones, de ceux qui viennent troubler la paisible sérénité apparente qui se lit autant chez les gens que dans les différentes réglementations qui les régissent. Pour sûr rien ne se dit, ne transparaît ouvertement, tout cela demeure dans un non-dit collectif. Vraisemblablement, cette attitude prévaut aussi pour la famille de Daniel à qui on a bien fait comprendre que sa maison étant la seule dans un rang menant à un cul-de-sac, il apparaissait injuste aux édiles municipaux de facturer le travail à toute la population alors que lui seul en bénéficiait.
 
La camionnette roulait sur la terre battue laissant derrière elle s'accroître un nuage de fumée coupant complètement la vue du village. Benjamin s’adressa à sa mère:
- Jésa, qu’a voulu dire Angelle avec ses mots d’animaux et ses chiffres ? J’ai rien compris.
- Tu veux savoir le sens de «poisson», «bélier», «chien», «dragon» ?
- Oui et les chiffres aussi.
 
Jésabelle se retourna vers son garçon qui tenait fermement sur lui les livres qu’on venait de se procurer à la bouquinerie. Ses bras en étaient pleins et il paraissait évident que rien au monde ne pourrait les lui enlever.
 
- Un mot important d’abord. Il est difficile à comprendre parce qu’il est abstrait.
- Abstrait, répéta Benjamin.
- Oui, abstrait. C’est le contraire de concret. Je te donne un exemple. La lune, c’est un mot concret parce qu'en entendant ce mot, une image claire et précise se colle dans ta tête. Tout le monde qui parle la même langue que toi sait ce que cela signifie.
- C’est vrai, acquiesça-t-il.
- Si je dis le mot bonheur, tu ne vois pas dans ta tête une image mais des choses ou des événements qui t’ont donné du bonheur. Alors tous les mots qui ne t’apparaissent pas sous une forme que tu reconnais, ces mots sont abstraits.
 
Songeur, Benjamin lissait les bouquins de ses doigts, fixant le chemin qui tout doucement se remplissait d’arbres et de silence. C’était comme s’il passait en revue tous les mots avec lesquels il avait eu contact, les classait dans une de ces deux catégories.
 
- Maintenant que tu vois ce qu’est un mot abstrait, je vais t’en proposer un qui m’aidera à répondre à ta question. Il s’agit de symbole.
- Je le connais, Daniel le dit souvent quand il se fâche.
- Non, non, Daniel dit «cybole», non symbole. Un mot qui ne veut rien dire, comme lorsque je dis «Zut de Zut».
- Tu le dis quand quelque chose ne fait pas ton affaire.
 
Les deux parents se mirent à rire.
 
- Le mot «symbole» a un sens bien à lui. Ça peut être un objet, une image, un mot écrit, un son, même un être vivant, une marque qui représente quelque chose d’autre.
- Ma «perle fabuleuse» c’est le symbole de la lune, c’est ça?
- Très bel exemple Benjamin. Et Annabelle, ce qu’elle a fait en parlant de certains animaux, de certains chiffres, elle les a utilisés comme symboles qu’on peut attribuer à des personnes nées à un moment précis de l’année, une date précise de l’année.
- C’est quoi mon symbole à moi?
- Comme tu es né le 16 mars 1970, ton symbole est le Poisson et tu en as un autre, celui qui provient des Chinois, tu es Chien.
- Comme Walden?
- C’est peut-être pour cette raison que vous vous entendez si bien.
 
Songeur, le fils de Jésabelle, les yeux plissés, examinait la route s’enfonçant de plus en plus vers la forêt. Il se demandait si cette forêt et la sienne, celle derrière la maison du bout du rang, se rejoignaient quelque part.
 
- Le chiffre ?
- Angelle croit que les nombres ont aussi un sens symbolique. Pour le trouver elle doit faire des calculs. Une fois que le nombre lui est révélé, elle le consulte et en saisit le sens.
- Je suis quel nombre, demande un Benjamin captivé par cette découverte.
- Toi, c’est le 9. Ton frère qui nous arrivera le 16 avril prochain, sera Bélier et Dragon. Son nombre, le 7.
 
Alors que la camionnette entrait dans la cour de famille Oji-Crie, il sembla à Jésabelle que toutes ces nouvelles informations bouillonnaient dans la tête de son fils.

- Un frère. Je vais avoir un frère.





dimanche 24 novembre 2024

Projet entre nostalgie et fantaisie ... (10)

 



il y eut une invitation
et
elles furent nombreuses



il y eut une invitation      un deuil à transcender
invitations adressées par courriel sur clavier qwerty
et elles furent nombreuses

ébranlées, les âmes s’en étonnèrent 
et elles furent nombreuses

invitation plus buffet que banquet au centre de l’île 
où pleurent des nymphéas

un bateau évanescent transporterait les invitées

l’incompréhensible palabre débuta dans la cohue
simultanément tenu d’un bout à l’autre de l’île

sur la grève empoussiérée des sirènes serinaient
les hôtesses démaquillées marmonnaient des appeaux

on assécha le feu depuis le matin il dévorait les coraux
entrées froides pour invitées surprises

on alluma les eaux salées depuis la nuit elles bouillonnaient
dans quelques mains sacrilèges, aveugles et impaludées
 
- la vie,
un fantôme activé
par une marionnette à fils -

                                                     
 
cette redondante mélopée sortie de la bouche affamée
d’on ne sait trop combien de lamantins voraces
arpente les berges d’où les âmes accostèrent
 
la vie,
cette marionnette à fils
hantée par un fantôme -

                                                   

le chevrotant écho bégaie en accents torrides
de monocordes paroles,
de monotones redites
lançant la discorde au visage des convives javanaises

un long manteau blanc-fantôme, 
une jaquette noire-marionnette
enfouis dans un bol de chiffres,
minime espace si vaste à la fois,
les couvrent
offrant aux convives sulfureusement nourries
de creuses paroles, des messages surannés 
pour qu’elles ne cherchent plus

un chemin pavé de laideurs mène à la BEAUTÉ -

les invitées païennes et meurtries
bourrées de regards vaporeux
retiennent de longs soupirs marins
jusqu’à l’heure des condoléances gratuites

elles inscrivent avec des os de requins affamés
le nom des âmes éternellement mortes
unanimement reconnues puis oubliées
adressant aux anges noirs de l’atoll
des psaumes racornis
des fils fantomatiques
aux marionnettes désarticulées

la vie,
du silence devant une fenêtre fermée -

et elles mangent comme mangeraient à des noces mortes
des convives inconnues à qui on aurait greffé à l’aisselle
des palimpsestes indéchiffrables
enrubannés du colophane des violons timorés

elles écoutent antiennes et mélopées résonnant à leurs pieds
elles attendent, impatientes,
un déplacement de vagues      un long répit des marées

elles attendent, de la patience des coquillages,
que le deuil, entre ressac et mer bleue-verte,
pour lequel il y eut invitation 
que des âmes invitées recueillent 
sur le sable jaune
des marionnettes sans fils
des fantômes dévastés
sans vie 
sur un bateau sabordé

elles attendront comme on attend
lorsqu’en attendant on croit ne plus attendre

 
17 novembre 2009
313e saut











mercredi 20 novembre 2024

Si Nathan avait su (12)


Émile NELLIGAN


La grossesse de Jésabelle, débutée en juin, lui permettra de mieux se centrer sur elle-même. Fin août, Daniel conduira Benjamin à l’école du village, mais auparavant la famille quitta la maison du bout du rang pour se rendre à la grande ville: visite auprès de la sage-femme qui assista la maman lors de son premier accouchement et le fera pour le suivant; magasinage dans une bouquinerie pour renouveler la bibliothèque familiale y ajoutant quelques livres de nouveaux poètes tel que souhaité par leur fils. Un fils qui se faisait très discret par rapport à la nouvelle situation, celle qui allait lui donner un frère ou une soeur. La sage-femme le confirmerait tout en dessinant la carte du ciel et ses influences pour  les naissances d’avril prochain.
 
Lorsque la camionnette de la famille traversa le village, nombreux furent les regards qui suivaient sa route, cherchant à apercevoir ce garçon que personne n’avait vu jusqu’à maintenant; était-il à bord? La rumeur qu’il allait fréquenter l’école primaire en surprit plus d’un, sans pour autant modifier d’un iota la mauvaise opinion entretenue sur cette famille atypique.
 
Daniel avait également prévu un arrêt chez leurs amis Ojis-Cris, persuadé qu’il était que l’ancêtre vivant avec eux porterait sur son épouse un regard clairvoyant, sur son fils, y lire ce que le ciel préparait pour lui. Cette très vieille personne au visage à la fois ridé et éblouissant vous transperçait de son regard que sa famille définissait comme une couleur pénétrante, celle qui s’étend dans la forêt, s’y attarde, parfois y demeure. Daniel ne pouvait retenir son nom, trop difficile à prononcer parce qu’incrusté dans la langue ojibwée, langue qu’elle protégeait, lui servant de bouclier contre des attaques qui, avec le temps, se font maintenant plus rares et qu'elle continuait à enseigner à ses petits-enfants.
 
À bord de la camionnette, le père de Benjamin l’avait invité à observer tout ce qui traversera son champ de vision.
 
- Comment on observe, lui avait-il demandé avec toute la naïveté d’un enfant de cinq ans.
- Tu dois utiliser tes sens afin d’imprimer dans ta tête ce qui se déroule devant toi. Tes yeux pour demander ce qu’il y a derrière ou autour des sujets et des objets, qu’ils se meuvent ou pas. Tes oreilles pour entendre, pour écouter et mieux déceler ce que les sons et les bruits te révèlent. La mémoire est comme le sac à dos que nous t’avons procuré pour ton entrée à l’école, il faut la remplir du plus de choses possibles, que tu ne les comprennes ou non. Les odeurs, ça c’est très important. Les images vues peuvent se ressembler, les sons aussi, mais les odeurs sont uniques. La première chose que j’ai faite lorsque tu es né, avant même de couper le cordon qui te reliait à Jésabelle, a été de te sentir. Benjamin devenait unique dans l’univers. Applique-toi à sentir, cela te permettra plus tard de ressentir, pas sentir une autre fois, non, je veux dire sentir ce que ta mémoire a emmagasiné, ce qu’elle a retenu de ce qu’elle a déposé à l’intérieur de toi.
- C’est difficile d’observer avec tout ce que tu dis, enchaîna le fils qui ne cessait de fixer son père des yeux.
- Difficile ? Non. Oui, si tu mets trop de filtres à tes sens. Tu dois, si tu veux vraiment observer la réalité, éviter de juger ce que tu examines, laisser les couleurs être ce qu’elles sont, même chose pour les résonances et recevoir les odeurs comme autant de parties uniques de l’univers. Pour observer, il faut éviter les échos qui se sont attardé un instant sur des murs avant de répandre leur propre compréhension des choses. Les échos  sont des parasites qui cherchent à obstruer ton observation.
 
Le lunatique garçon retourna son regard à travers la fenêtre de la camionnette qui arrivait dans la grande ville. Une révélation pour Benjamin. Le bruit assourdissant contrastait avec les sons de la forêt et des musiques l’entourant jour et nuit, sans jamais l’effrayer. Les couleurs qu'il jugea fades et peu parlantes, certaines dégradées entre gris et noir. Plusieurs odeurs répugnaient à son odorat, si différentes des effluves de son environnement, mais pour éviter de porter un jugement trop rapide, il leur donnait des noms afin de mieux les conserver dans sa mémoire. Et le rythme autour de lui, sans l’affoler, n’offrait aucune ressemblance avec quoi que ce soit de connu. Entré chez la sage-femme, il sentit l’atmosphère changer, devenir plus calme, plus à sa ressemblance.
 
- Ce garçon évolue bien, dit Angelle, déjà grand pour ses cinq ans, des yeux couleur de l’écorce des arbres, ces cheveux touffus, on croirait reconnaître Émile Nelligan.
- C’est qui celui que tu viens de nommer ?
- Nelligan, répondit la sage-femme, surprise par la répartie spontanée de Benjamin, un grand poète.
- Crois-tu qu’il connaît Alain Grandbois ?
 
Angelle prit un pas de recul, examinant ce garçon qui, à un si jeune âge, pouvait lui citer le nom d’un poète qu’elle identifiait difficilement. Il reprit la parole, citant une partie d’un poème déjà lu à sa lune :
 
« Parmi tous et toutes ou seul avec soi-même
  Nous lèverons nos bras dans des appels durs
Comme les astres
  Ce mortel instant d’une fuyante éternité. »
 
Les parents de Benjamin et la sage-femme furent éblouis par le ton qu’il employa pour réciter ce bout de poème, autant que par l’impression d’une respectueuse  affinité se dégageant de sa compréhension de tous les mots qu’il articulait dans un mouvement passionné.
 
- Je ne sais pas si Nelligan a connu cet Alain Grandbois que tu récites avec tant d’affection, mais tu découvriras ce jeune homme tout à fait remarquable à travers le livre que je vais t’offrir.
- Tu me donnes un livre de poésie ?
- Avec plaisir et je souhaite que lors de l’arrivée de ton frère ou ta soeur, tu me lises quelques-uns des poèmes que tu auras aimés.
 
Benjamin regardait la sage-femme, transfiguré par cette offre. Un nouveau poète à découvrir, cela le ravissait. Il s’approcha d’Angelle, le recueil en mains, lui demanda s’il aura un frère ou une soeur. Nous verrons ça tout de suite après que j’aie examiné ta maman.
 
Les deux femmes se dirigèrent vers une salle au fond de l’appartement empli d’une musique enveloppante, alors que le père et le fils s’installèrent au salon entièrement décoré de couleurs rappelant à Daniel son époque hippie.
 
                                                                            *****





lundi 18 novembre 2024

Des mots pour notre temps




Mots pour notre temps


    Ceux et celles qui suivent LE CRAPAUD depuis assez longtemps savent que pour lui, il est essentiel de lire crayon à la main. Cela ressemble au pêcheur qui, en silence sur la grève ou dans sa barque, devant la beauté des eaux, à la recherche d’une prise qui le rendra heureux et reconnaissant tout à la fois, voit s'agiter devant lui mille et uns grouillements, des coups de vague, des éclaboussures de jets d’eau et puis, tout à coup, se révèle quelque chose comme un miracle, une illumination. LE CRAPAUD lit le plus attentivement possible et lorsque quelque chose comme un miracle, une phrase, une idée, un mot, une phrase, un magnifique jet poétique, il s’arrête pour le transcrire dans son cahier de lecture.
 
En cette époque de bouleversements actuels ou à venir, LE CRAPAUD vous offre ces «mots pour notre temps».
 
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.  … les prétendues bonnes ou grandes causes politiques et religieuses ne sont prétextes à détruire choses et gens : ce qui importe, c’est l’acte de destruction. Les êtres humains sont des boules d’énergie, des blocs d’acétone incarné, et rien n’enflamme mieux l’énergie que de l’exciter à détruire, tant est ardue la création, tant elle réclame d’intelligence et d’imagination. Mais l’homme étant créature d’esprit autant que de nerf et de muscle, il faut fabriquer une cause au nom de quoi justifier la destruction. La destruction, dont, en ces temps où j’écris ceci, la meilleure forme d’expression est le terrorisme, trouve en vérité sa seule raison d’être en elle-même; mais le simulacre du patriotisme religieux ou séculier lui fournit une apparence d’agent créateur.
                                            Anthony BURGESS
 
. L’humanité, comme une armée en campagne, avance à la vitesse du plus lent.
                                            Gabriel GARCIA MARQUEZ
 
. Pour diminuer nos fautes passées, nous nous efforçons de croire qu’elles étaient fatales. Nous nous persuadons que nous avons lutté par scrupule, par générosité et par égoïsme, alors que nous savions dès le premier instant qu’il n’y avait rien à faire, que la tentation était trop forte, et la partie perdue d’avance. Et pourtant, si nous sommes honnêtes, si nous évoquons ces instants, parfois si brefs, hélas! dans leurs détails tragiques, nous nous rappelons que nous étions alors libres, libres de choisir entre le sacrifice d’un plaisir et le sacrifice d’un devoir : et le remords que nous éprouvons aujourd’hui n’est que la certitude d’avoir été libres alors.
                                            Mario SOLDATI
 
. Il existe des centaines de milliers d’univers, les myriades de segments les plus divers d’une société dont le degré de civilisation se mesure au nombre de contradictions qu’elle comporte. Ces univers sont séparés, inconnus les uns des autres, indifférents les uns aux autres. Mais quelque chose les unit, le seul lien commun qui tisse cette carte inimaginable, cette toile arachnéenne aussi bien nationale que mondiale et que domine la peur, comme l’espoir. Tous sont soudés par la puissance de ce qui a révolutionné les mœurs : l’image, et sa transmission immédiate.

Les gens, c’était tout le monde et c’était n’importe qui. Souvent, ils ne savaient plus très bien où ils en étaient, les gens. On leur expliquait que la banquise arctique fondait, que les ours polaires allaient mourir, que des inondations géantes feraient disparaître des îles, puis des villes et peut-être des continents, et que le poumon d’oxygène du monde continuerait d’être déforesté, que l’asphyxie les gagnerait tous un jour, et sinon eux, du moins leurs enfants ou leurs petits-enfants, ou leur arrière-petits-enfants. Et pourtant, ils continuaient d’aimer, construire, inventer, créer, soigner, rechercher, enseigner, lutter.

Les gens, on leur expliquait que l’économie du monde basculait, que les séismes et les tsunamis, les cyclones et les éruptions volcaniques, les marées noires et les fuites des centrales nucléaires, les massacres et les génocides, tout cela n’était rien par rapport à ce qui pouvait encore leur arriver. On leur prédisait des années de privations et de crises, et ils comprenaient qu’ils n’étaient pas à l’abri d’aucune guerre, d’aucun geste fou d’un dictateur fou, à l’abri d’aucune catastrophe mondiale qui remettrait en question la trame même de leur vie quotidienne. Et pourtant, ils ne l’acceptaient pas, et, s’ils ne se révoltaient pas encore, ils opposaient à la noirceur des choses la force de la vie.

Tous enfants de la même algue bleue, tous issus de l’universelle et commune cellule ancestrale, ils suivaient l’évolution, le phénomène dont personne ne connaissait l’ultime bout de course – s’il devait jamais y en avoir un. Ils avaient intégré la notion de l’imminence de l’impossible. Ils vivaient dans l’âge de l’instantanéisme, l’immédiateté universelle, l’accélération des événements réels. Le chaos. Personne ne pouvait plus leur proposer le point fixe dont avait parlé Pascal. Et pourtant, ils se soumettaient à la grande loi de la nature comme à un mouvement perpétuel, ils continuaient. Ils n’avaient pas d’autre choix. Il faudrait bien qu’ils s’adaptent, les gens, ils l’avaient toujours fait.

Les gens de gauche disaient : Les choses sont intolérables.
Les gens de droite disaient : Les choses sont inévitables.
Les sages disaient : Les choses sont ce qu’elles sont.

Churchill disait : L’optimiste est quelqu’un qui voit une chance derrière chaque calamité.
                                            Philippe LABRO
 
. On fait l’idiot pour plaire aux idiots; ensuite, on devient idiot sans s’en apercevoir.
                                            MONTHERLANT
 
L’essentiel est sans cesse menacé par l’insignifiant.
                                            René CHAR



Un peu de politique à saveur batracienne... (19)

  Trudeau et Freeland Le CRAPAUD ne pouvait absolument pas laisser passer une telle occasion de crapahuter en pleine politique fédérale cana...