Je suis un être dépressif...
... en fait, je reviens d'un épisode qui aura duré plus de deux ans, un épisode dépressif.
Je suis un être dépressif...
... en fait, je reviens d'un épisode qui aura duré plus de deux ans, un épisode dépressif.
Notre grand-père ne pouvait pas, ce matin, fouler les pierres humides de la grève sans penser à sa fille dont c'est l'anniversaire. Il faisait, le jour de sa naissance, un temps à faire suer les nuages. Toute la journée, Évangéline, afin de provoquer l'arrivée de l'enfant astiquait les planchers comme pour s'assurer que cela serait fait lorsqu'elle reviendrait chez elle après l'accouchement. Son deuxième. Leur deuxième. Les deuxièmes présentent souvent des particularités. Lui-même ainsi qu'Évangéline sont des numéros deux. Une fille devant lui, un garçon devant elle. Celle-ci ou celui-ci, à ce moment ils ne le savaient pas, les infaillibles échographies qui annoncent si vite la bonne nouvelle n'existaient pas à l'époque. Seulement les pronostics du médecin ou encore les prévisions des vieilles femmes qui savaient voir au travers le ventre des mères la couleur du rejeton. On s'attendait à un garçon mais on souhaitait un enfant en bonne santé. La première fut tellement belle qu'on ne pouvait imaginer que le-la numéro deux soit autrement.
La journée passait tout doucement. Dans les yeux et le corps d'Évangéline, on sentait que ce serait aujourd'hui. Les mères ont cette façon de percevoir si fort la vie intérieure qu'elles se trompent rarement. Et il faisait chaud. On n'était pas habitué aux chaleurs après le mois doux. Souvent, mi-septembre, plusieurs habitudes automnales s'installent. Regarder par la fenêtre devient plus courant que de s'asseoir sur le perron.
Notre grand-père ne quittait pas des yeux son Évangéline dont le corps entier, parfois, se mettait à tanguer comme une barque secoué par le vent du large. Il n'attendait d'elle que le signal pour partir. Déjà, on ne naissait plus à la maison. La médecine moderne s'installait dans de nouvelles croyances où l'asepsie occupe toute la place. Les alertes aux microbes et aux virus tenaient le haut du plancher. Pourtant la demeure d'Évangéline respirait le propre, le net comme le disaient les anciennes sages-femmes.
L'alerte rouge n'était toujours pas donnée alors que midi sonna. Notre grand-père, se souvenant tellement, remémorait les faits et gestes d'Évangéline, du médecin-accoucheur, des infirmières survenus lors de la première naissance. Il sentait qu'il avait de l'expérience mais au fond de lui, berçant la belle Catherine, la nervosité le rendait fébrile. Ce profond sentiment d'impuissance qui l'avait habité tout au long des heures de travail, dans une salle blanche, illuminée, trop à son goût, lui revenait. Il caressait fort sa fille. Il s'approcha d'Évangéline, lui souffla dans le coup ; elle réagit comme dans tous leurs moments intimes, reçut son sourire et savait qu'aucun mot ne remplirait cette réalité de la souffrance à venir. Là se situe cette incapacité masculine à rejoindre la femme qui sera mère à nouveau. Le courage de son Évangéline était sa rassurance. Son nénu-phare. Sa rose des sables.
Tout autour on respectait ces moments uniques. Cela les imprègne d'une telle gravité que le jour semble s'immobiliser, respirant si doucement que le vol des oiseaux devient un bruissement léger, subtil.
Un cri retentit dans la cuisine. Ça y est. Il fallait bouger. Notre grand-père rejoignit la voisine qui arriva sur le champ. Évangéline, la main moite collée à la chambranle de la porte d'entrée, embrassait Catherine. Se lisait dans ses yeux l'espoir et la crainte. Jamais elle ne l'aurait traduit en paroles. En sourires et en baisers, seulement. Cela parlait davantage.
Ils quittèrent. Le voyage se fit enveloppé d'un silence complet, celui qui annonce les grands événements, celui qui foudroie l'appréhension. Et la mer, tout à côté, les accompagnait dans ses roulis incessants. Les attendrait.
La suite fut rapide. L'accouchement selon les techniques médicales. Tous les deux avaient insisté pour que cela se déroule sans violence. Dans une quasi obscurité afin d'éviter un choc de lumière trop grand. Plongée dans l'eau à température du corps quelques minutes après que grand-père eut coupé le cordon ombilical. C'était le soir. Premier soir de vie et d'automne pour cette fille qui recevait le prénom de Mathilde. Cheveux ébouriffés noirs et yeux brillants, de la même couleur. Évangéline respirait maintenant plus doucement alors que son regard voyageait de sa fille au grand-père. On la sentait déjà prête à reprendre la route vers chez elle.
Notre grand-père, plus fier qu'un paon, ne souhaitait que la prendre, la respirer. Il reconnaissait les enfants par leur odeur. Et celle-ci sentait bon. Elle avait de l'Évangéline en elle. Comme il avait hâte que Catherine la reçoive à son tour: son bébé d'amour.
Quelques jours après la naissance, Mathilde ne semblait pas bien se porter. L'air frais du matin ne la ragaillardissait pas. Au lait d'Évangéline, elle tournait la tête. Les belles couleurs de sa peau d'enfant naissant passaient au jaune tirant sur le vert. Ses nuits pénibles à ne pas dormir la fragilisaient. On s'inquiétait. Pourtant, elle naquit sous de favorables hospices entre les mains d'une science qui vantait son infaillibilité. Les vitamines, elle les régurgitait. L'inquiétude s'empara d'Évangéline. Ils la menèrent au médecin. Urgence. Hospitalisation. Isolation. On plaçait la fille du grand-père dans une pièce froide, aux fenêtres bouchées par des toiles noires, interdisant à tout un chacun d'y pénétrer. On parla de septicémie. Mathilde risquait beaucoup. Trop pour son âge. Trop pour ce qu'il lui restait à vivre.
La crise que fit notre grand-père résonne encore dans les corridors de cet hôpital qui s'écroulait de honte: l'asepsie risquait de tuer sa fille. Personne n'osa se placer devant lui lorsqu'il se dirigea vers la chambre d'isolement. Aucun ne risqua à le renseigner sur les risques encourus s'il la franchissait et, malgré les fils, les tubes qui cachaient la frêle Mathilde, notre grand-père entra. À travers les larmes que sa rage avait fait jaillir, son regard rejoignit celui de sa fille. Une intense douceur l'envahit. Elle souriait. Belle comme un malheur que l'on réussit à combattre. Il la prit. La respira jusqu'au plus profond de lui-même. Il jura qu'elle vivrait. Aucun brouillard, aucune tempête, rien ne briserait la vie qu'il tenait dans ses bras.
Et Mathilde, la batailleuse, s'en sortit. Solide dans sa fragilité, elle sera quelques mois à ne pas dormir. Notre grand-père savait qu'elle refusait de le faire pour éviter de ne plus se réveiller.
Évangéline et Catherine la reçurent, quelques jours après l'isolement, dans de grands coups de respiration qui n'étaient au fond que leur manière de l'aider à continuer. Ainsi pris sa place cette deuxième, une deuxième devenue première dans nos espérances et nos amours.
Jamais dire bonne fête ne fut plus doux que ce matin.
13 septembre 2005
CATHERINE
Se souvient-on quarante ans plus tard d’un certain 11 août 1977 ?
Inoubliable jeudi caniculaire et nuageux.
11 août, alors qu’une livraison spéciale devait nous arriver le 25 juillet.
Déjà, lors de l’Exposition régionale de Saint-Hyacinthe, celle qui se faisait attendre, changea de prénom ; de Fanchon elle devenait Catherine.
Et nous attendions, jour après jour plus impatients, à l’affût de ces mouvements annonçant ta venue.
Première de la lignée des Turcotte, seconde de la lignée des Gervais, on te savait fille.
Ta mère te sentait.
Ton père t’espérait.
Et puis, du fond de l’éternité où tu te terrais, tu lanças un premier signe. Plusieurs autres suivirent, des plus longs, des plus courts.
Au cours de ta gestation, tes parents écoutaient, lors de leurs siestes quotidiennes, Mortimer Schumann puis Serge Lama.
Nous vivions rue Girouard pour ensuite emménager rue Pratte.
Tu vois, ton goût du voyage date de très loin.
Déjà, en décembre, un mois après ta conception – elle eut lieu au matin du 15 novembre 1976, tes parents se préparaient au travail électoral qui s’achèvera par la victoire du Parti Québécois – en décembre donc, nous partions vers Cuba : «basso leche fria» devint notre mot de passe.
La grossesse fut un monceau de joies, d’incertitudes, de craintes et d’espoir.
On prenait soin de toi, on s’occupait à ce que ta mère soit continuellement protégée. À un point tel que nous dûmes nous séparer de Ti-Gars, notre chat noir et blanc : la salmonellose, c’était sérieux.
Il n’allait plus grimper sur le comptoir de la cuisine pour dévorer le petit gâteau Pique que ta mère adorait.
Tous ces soirs à t’écouter, oreilles attentives comme s’il était possible que tu t’adresses à nous.
Ces jeux de primipares tout à fait débiles, mais combien amusants : tenter de saisir ton pied, sentir te débattre.
Puis ce février outrageusement froid, dans le camion de l’ami François, nous quittions Girouard pour la rue Pratte.
Ça n’allait pas être de tout repos. Un voisin problématique à l’étage supérieur ne nous laissait aucun répit. Jour et nuit.
Tu vois, ton goût pour l’action sociale date de très loin.
En parents sérieux, nous préparions ton arrivée : on se documentait chez Leboyer pour la naissance sans violence… chez Louise Lambert-Lagacé pour la nutrition…
Parfois, au risque de la vie de ta mère, ton maladroit de père faisait sauter le « presto » qui cuisait tes premières bouchées de zucchini que maintenant tu ne peux plus avaler.
Déjà, nous t’avions choisi un parrain et une marraine.
Mon frère Pierre et Louise Audet, la grande amie de ta mère.
Ils furent des choix unanimes puis des témoins lors de notre mariage.
Ils t’aimaient déjà, t’espéraient tout comme les deux familles.
Ta mère saurait dire beaucoup mieux que moi les intimités qui vous liaient toutes deux ; on pouvait les lire dans les yeux de celle qui ne devait pas être mère.
La vitamine E aura causé une surprise de taille chez Rosaire, notre médecin.
Me souviens encore l’entendre réagir dans la salle d’examen lorsqu’il constata le début de ta vie.
Ce qui me valut ma première boîte de Turtles.
Dès la fin du printemps, qui fut magnifique cette année-là, nous nous rendions en campagne ; à Saint-Hugues, chez l’ami François.
Nous logions à l’étage.
Un magnifique et grand érable servait de rideau pour la chambre.
Il me rappelait celui de Londres, un an plus tôt.
On parlait de toi.
Nous parlions toujours de toi.
L’été fut plus beau encore.
Nous donnions un coup de main à l’ami François pour l’entretien de son potager.
Ta mère, étendue dans une piscine grande comme ma main, parlait aux chatons autour d’elle qui s’amusaient à se laisser caresser.
Juillet et août, nos deux mois de vacances, furent entièrement consacrés à te voir grandir, ta mère, se transformer : la grossesse n’est pas une maladie, répétait-elle alors que l’on voulait agir à sa place.
Jamais elle ne refusait la cueillette des petits fruits.
Cette habitude estivale, celle de récupérer, après souper, ton grand-père Gérard, nous rendre dans les grands champs de framboisiers de Saint-Damase y prendre notre dessert, nous allions la conserver longtemps après.
Puis arriva le mois d’août.
Se pointa le 11.
Tôt le matin, tu commençais à te frayer un chemin vers nous.
Les cours de préparation à la naissance nous avaient bien informés sur comment respirer, aspirer et respirer encore.
Ta mère s’y employait, experte, mais cela n’avait rien de plaisant.
Je décodais la souffrance, alors que debout, droite comme un arbre solide, elle s’appuyait au mur de la chambre.
Comme je me sentais impuissant !
Devant ma volonté à trop en faire, ta mère m’invita à aller prendre de l’air.
Suis allé à la Pâtisserie Viens.
Danielle et Yvan travaillaient.
Me suis assis, je m’en souviendrai toujours, à cette table séculaire toute enfarinée, ne tenant pas en place.
Danielle me donna un petit gâteau afin que je puisse l’apporter à ta mère qui, déjà, se préparait à partir pour l’hôpital.
Nous y sommes arrivés vers l’heure du souper.
Une infirmière allait nous accompagner tout au long de cette phase préparatoire. Charmante et combien calme.
Puis Rosaire, se pointant le bout du nez, dit : Me déranger un soir de football !
Nous sommes entrés en salle d’accouchement que l’on avait préparée pour une naissance sans violence.
La tienne.
Il était 20 heures 30 lorsque tu naquis.
Moment éternellement gravé dans notre vie, ta mère et moi.
On te déposa sur le ventre libéré de celle qui fut ta première compagne.
Tu reposais. Pas un seul cri.
J’ai coupé le cordon qui te liait à ta mère, te déposai dans un bain d’eau tiède, à la même température que celle à laquelle tu t’étais habituée depuis dix mois lunaires.
Je crois que tu as souri. Du moins, je veux le croire.
Ta mère, fatiguée, épuisée par tant d’efforts avait tourné la tête vers nous.
Une infirmière te langea puis tu disparus de nos yeux émerveillés.
Ta mère demanda à Rosaire si tout lui semblait correct.
Pleine forme, fut sa courte réponse, occupé à recoudre le passage que tu avais involontairement déchiré.
Tu vois, ton goût pour la rapidité d’exécution date de très loin.
Puis, émus, nous nous sommes retrouvés dans une chambre de l’hôpital.
J’ai offert un collier de perles d’eau douce à celle qui t’avait portée tout ce temps et qui reposait, heureuse du travail bien accompli.
Par la suite, je me suis rendu chez Gérard et Fleurette, leur annoncer ton avènement.
N’eût été de l’heure tardive, je crois qu’ils auraient couru t’accueillir.
Et le 11 août prit fin.
Et nous voici quarante ans plus tard.
Se souvient-on ?
Oui.
MES DEUX COLLÈGUES (MON FRÈRE PIERRE ET MA BELLE-SOEUR CLAIRE) SONT ACTUELLEMENT À MARCHER SUR LES ROUTES DE LA CRÈTE.
TOUS LES TROIS, NOUS SOMMES LES ÂMES DE CETTE ACTIVITÉ - OTIUM- QUE NOUS VOUS PARTAGEONS, ICI SUR CE BLOGUE.
ALORS QUE JE LES ATTENDS AFIN DE REPRENDRE NOTRE EXPÉDITION DANS LE MERVEILLEUX MONDE DES MOTS ET DE LA CRÉATION, JE VOUS PROPOSE COMME UNE SUITE, PLUTÔT UNE EXTENSION DU DERNIER OTIUM DONT LE THÈME ÉTAIT DE SOUMETTRE UN SYNOPSIS D'UN COURT MÉTRAGE OU D'UN DOCUMENTAIRE À L'OFFICE NATIONAL DU FILM - VOUS COMPRENEZ QU'IL S'AGIT ÉVIDEMMENT D'UNE FICTION -
JE PROFITE DE CETTE RELÂCHE POUR TRAVAILLER UN PEU CELUI QU'INITIALEMENT J'AVAIS PRODUIT.
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Programme OTIUM
Re: L’INACHEVÉ
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Monsieur,
Nous avons bien reçu le synopsis du projet que vous avez soumis à l’Office national du film.
Le comité de sélection juge qu’actuellement il n’a pas suffisamment d’éléments entre les mains pour prendre une décision finale et souhaite que vous approfondissiez votre démarche de présentation.
Pourriez-vous expliciter davantage les différents thèmes soulevés lors de votre rencontre avec l’auteur (le romancier inconnu) ?
Merci.
Nous demeurons en attente de ce document.
Le responsable des projets
ONF
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L’importance de l’environnement dans un projet d’écriture.
Lorsque, par hasard, je découvre un blogue sur Internet derrière lequel se cache un auteur, utilisant un bizarre de pseudonyme (Le Crapaud) que l’idée de faire sa connaissance afin de l’interroger sur cette aventure pour le moins insolite : s’expatrier en Asie, au Vietnam plus précisément, afin d’y écrire un roman.
À partir de ce déclencheur la mécanique s’est actionnée m’amenant à proposer ce synopsis à l’ONF afin de partager cette découverte et tenter d’approfondir ce qui peut bien, un jour, amener quelqu’un d’abord à s’exiler afin de façonner son projet. C’est beaucoup autour de l’environnement, oui, mais aussi d’un roman inachevé.
Nous nous sommes rencontrés à quelques reprises, d’abord pour se connaître, puis je lui ai proposé de participer à ce court-métrage qui, au fur et à mesure de nos échanges, s’avérera plus un documentaire et, finalement, s’entendre sur une thématique que nous pourrions développer. Ce dernier point fut réglé rapidement : si nous allions de l’avant, ça serait autour du projet d’écriture et son environnement.
Le tout se déroule au moment où il revient de Saïgon après un séjour de plus de dix ans. Tous nos échanges ont été enregistrés - leur verbatim explicitera ce projet - échanges qui, par la suite, furent revus et mis à jour.
Je vous rappelle les questions auxquelles l’auteur inconnu répondra :
1) Vous suggérez trois (3) composantes à l’environnement, lesquelles ?
2) L’élément déclencheur des trois (3) romans écrits au Vietnam.
3) L’inachevé.
C’est donc à partir de la transcription de certains extraits des paroles de l’auteur inconnu que je réponds à votre demande d’approfondir la démarche, rappelant que dans le court-métrage/documentaire elles seront enveloppées de photographies prises par lui lors de sa permanence au Vietnam. En sourdine, la musique qu’il nous a proposée. Je rappelle qu’en aucun moment nous le verrons, la caméra respectant ainsi une des conditions émises par lui afin de s’adjoindre au projet.
( Nous avons obtenu l’autorisation des éditions THÉ GIO pour présenter des extraits du roman DEP. )
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“ Au départ, un projet d’écriture n’a rien de concret ; c’est une idée, un déclencheur, l’esquisse d’une route à emprunter, à explorer, l’espoir de rencontrer des gens pour mieux les connaître quand il ne s’agit tout simplement pas de les inventer, de les créer. Lorsqu’il s’actualise, le voici enchâssé dans un processus vivant ; il a à se définir, se clarifier, se préciser puis s’articuler dans un environnement qui, lui-même, englobe quelques composantes, dont les principales, à mon point de vue, sont de l’ordre de l’humain, de la culture et de l'histoire-géographie. “
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“ Afin de définir l’environnement, permettez-moi de passer du général - ce qui a trait à l’ensemble de l’humanité partageant la planète Terre - au particulier - je veux dire par cela la réalité d’un lieu précis - et dans le cas qui m’intéresse, le Vietnam, pays construit d’humains originaux, d’une culture bigarrée, d’histoire commune, et de géographie hybride. Le particulier pris dans le sens des choix liés à la situation qu’un groupe d’individus adopte pour s’adapter à son milieu proche et lointain.
Nous sommes tous pétris d'un savant mélange d’inné et d’acquis. C’est vieux comme concept, mais je vous avoue en avoir saisi une partie de son étendue alors qu’à la fin de 2011, posant les pieds sur l’aéroport de Saïgon (actuellement nommée Ho-Chi-Minh-Ville), saisi devant une porte qui s’ouvrait à mes yeux, je ressens comme une révélation : celle d’avoir déjà vécu ici, incapablee de préciser ce que cette ville, ce pays auraient pu incruster en moi, dans une hypothétique vie antérieure. Déjà, certains éléments culturels me semblent contigus : le ralenti installé dans l’effervescence de la vie ; l’importance de l’amitié se transformant en familiarité ; l’écoute attentive à travers de continus babillages ; la curiosité de tout et souvent de rien. Toutefois, j’aurai à apprendre à vivre sous un soleil torride, manger léger et souvent, multiplier les cafés, ne pas me soucier du lendemain me préoccupant davantage de l’instant présent. Et principalement, sans risque de me tromper, l’étendue, l’importance et la force de la mémoire incrustée au plus profond de chaque Vietnamien, l’incitant à un essentiel respect des personnes âgées et des ancêtres.
Cela illustre sans doute l’idée que j’avance, à savoir que l’environnement se développe à travers plusieurs espaces, la culture principalement, de sorte qu’agir d’une telle façon semble être l’apanage de tout le monde, un dénominateur commun formidablement stable chez chacun d’eux.
Aussi, ce socle bien ancré dans leur société que représente l’histoire du pays, une rigoureuse mémoire des faits et gestes qui ont construit au cours des siècles - ici, des millénaires - des individus achevés mais toujours en devenir au sein de l’institution primitive qui se révèle être la famille. Tout à côté de l’histoire, je place la géographie, celle qui arrange le milieu dans lequel on évolue. Histoire inspirante et géographie faite de mer et de montagnes, de climats diversifiés, de deltas impressionnants, tout cela intimement lié compose cet humain unique si particulier. Les Vietnamiens, ayant vécu des siècles et des siècles sous la menace constante d’envahisseurs qu’ils soient chinois, français, japonais ou américains, forment un peuple composé de plus de cinquante ethnies différentes ayant réussi à conserver, protéger et améliorer son environnement au sens général autant que particulier.”
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“ Un projet d’écriture s’ancre donc dans un environnement précis. Exemple, il m’aurait été impossible d’écrire DEP, même d’y songer, alors que je vivais au Québec. Il en est de même pour les deux autres romans qui ont suivi.
Le premier a germé dans mon esprit alors que je reconduis des amis français à l’aéroport de Hanoi suite à une tournée nord-sud du pays. J’attends mon vol qui me ramènera à Saïgon. Une jeune fille, début de la vingtaine, guère plus, s’assoit devant moi, sa carte d’embarquement à la main, nerveuse, attentive aux informations sur les vols qui partent, reluquant constamment son carton comme si elle craignait de rater l’avion. Puis elle part. Ça sera pour Nha Trang, si ma mémoire est bonne.
Alors s’échafaude mon projet d’écriture. De cette jeune fille du nord du Vietnam quittant sa famille, rejoignant un oncle dans le centre du pays pour ensuite se retrouver à Hanoi y vivre les aventures que la vie urbaine, à des lieux de sa vie rurale qu’elle doit abandonner, lui feront réaliser que son pays est en pleine mutation.
LES ANCIENS COLONELS, un roman que les éditions THÉ GIOI se sont abstenu de publier pour des raisons historico-politiques, c’est entre Saïgon et le Cambodge que se situe l’action. Pour ce deuxième, tout comme le premier, il m’aura fallu consacrer beaucoup de temps à la recherche d’informations crédibles et vérifiables. À ce moment-là je me convaincs qu’il est impossible d’écrire sans avoir, au préalable, jeter ses amarres dans l’environnement qui nous accueille.
L’exemple le plus patent, c’est l’inachevé. Vous souhaitez que nous l’approfondissions, celui qui s’intitule MARCHER À L’OMBRE DES FANTÔMES. J’y viens.
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P A U S E
Avant de poursuivre et d’aborder le troisième élément de cette entrevue, à titre de réalisateur du court-métrage/documentaire, je tiens absolument à signaler que le rythme que j’ai choisi d’adopter est celui de la lenteur. Les photos qui circuleront de même que la musique qui habillera cette vingtaine de minutes de prise de parole d’un auteur inconnu, je les veux tout imprégnées d’un profond sentiment... d’inachevé. Voici pourquoi la musique choisie ( Ora, de Ludovico Einaudi) un ensemble de sons provenant d’environnements hétéroclites, une musique entrechoquée de légers échos, issue du nord comme du sud, on ne saurait le dire, s’avère universelle.
Je rappelle que les photographies qui défileront proviennent toutes de l’auteur lui-même et s’étalent sur dix années. (Elles seront accessibles en pièce attachée.)
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“ Le troisième, celui qui s’ajuste bien au titre que vous souhaitez donner à votre court-métrage (avouons entre nous que le produit fini ressemblera davantage à un documentaire, mais c’est vous le maître d’oeuvre) soit l’inachevé relève davantage de la chronique. C’est le seul chez qui le narrateur est nommé, il s’agit de moi-même.
DEP, c’est le nord vietnamien. Saïgon et le Cambodge pour le deuxième, alors qu’ici nous sommes aux USA après un court passage en Europe, puis de la Chine au Vietnam. Le tout débute autour des années 1950 pour s’achever en 2006. J’accélère afin d’en arriver au pourquoi il est inachevé. Une dame ayant travaillé à l’ONU comme traductrice reçoit une commande toute particulière du Dalai-Lama qu’elle devra exécuter une fois arrivée à la retraite. Je n’en dis pas plus puisse qu’il est inachevé.
Pourquoi ? Je synthétise afin de demeurer dans le thème de nos entretiens : il s'inachève quand je quitte le Vietnam alors que près de 300 pages sont écrites.
Pourquoi quitter le Vietnam ? La pandémie a incité le gouvernement vietnamien à cesser d’émettre des visas aux étrangers, les invitant ainsi à rejoindre leur pays d’origine pour profiter des vaccins tellement rares sur leur territoire et, sous-entendu, relayer à ceux-ci l’odieux de la prolifération virale sévissant du nord au sud d’une contrée ayant été épargnée jusque-là par la covid-19.
À la fin du projet LES ANCIENS COLONELS, une petite voix intérieure m’interpelle, me faisant remarquer que le fait de demeurer à Saïgon pour y entreprendre le prochain roman risquerait de me pousser, involontairement peut-être, à user de répétitions, et qu’il serait donc souhaitable de changer d’environnement. Je suis déménagé à Da Nang.
C’est là que tout a commencé à basculer. Je parle d’abord de mon état de santé. Des modifications sérieuses à mon protocole médicamenteux auxquelles se sont ajoutées les restrictions sévères en lien avec la pandémie, restrictions allant jusqu’au confinement total (24 heures sur 24) et cela durant de très longues périodes, ce sinistre cocktail m’a poussé à une tentative de suicide. Mon voisin de palier, s’inquiétant de mon enfermement, réagit en appelant les services d’urgence. J’ai été plongé dans un coma profond qui a duré quatre jours. S’en est suivi un temps d’hospitalisation d’une autre semaine avant que je sois déplacé dans une institution accueillant des patients présentant des troubles psychologiques et psychiatriques. J’y suis resté plus d’une semaine à vivre un enfer total, je veux dire par là, qu’il brûlait jour et nuit.
Depuis mon arrivée à Da Nang et les modifications que des médecins ayant trop peu d’expertise dans le domaine de la médication traitant les problèmes de santé mentale, j’aurai cessé de dormir, refusé de me nourrir, perdu plus de 25 kilos, et... laissé mon troisième roman sur la planche de travail. Je ne me doutais pas encore, le redoutant toutefois, qu’inévitablement ce travail qui avait exigé tant et tant de recherches, eh bien ! il allait demeurer... inachevé.’’
P A U S E (2)
À ce moment-ci, l’auteur inconnu se lance dans une énumération d’auteurs ayant quitté temporairement ou définitivement leur pays d’origine pour vivre l’espace de quelques années (ou quelques oeuvres) dans une contrée étrangère, non pas comme voyageur ou touriste, mais bien comme résident. Il avance l’hypothèse que le nouvel environnement a une influence sur la thématique de certains projets d’écriture ou du moins sur leur style.
Vous apprécierez, je crois, l’exemple du poète québécois Alain Grandbois, celui qui a si magnifiquement écrit ‘’Nous allions plus loin que les plus lointains horizons’’
*
‘’ Est-ce qu’à ce moment-là je me doutais qu’il serait impossible de terminer MARCHER À L’OMBRE DES FANTÔMES ? Que j’allais l’inachever ? Non. C’est de retour au Québec, dans un état absolument lamentable, réalisant que me réadapter à l’environnement serait une tâche ardue en raison du fait que la concentration m’avait abandonné - je ne pouvais ni lire ni écrire, entre autres - que l’évidence s’est plaquée en moi. Je luttais tellement pour réintégrer la réalité, pour accepter le fait que je devais vivre avec une maladie mentale -
La psychologue qui me suit actuellement me fait réaliser qu’un choc post-traumatique chez une personne anxieuse, lorsqu’il s’accompagne d’angoisse et de stress, eh bien ! çà ne se résout pas en criant ‘’ciseaux’’ -
À ce moment-là le mot ‘’inachevé’’ s’est immatriculé en moi. J’ai cherché à mieux le comprendre pour ne pas l’associer à l’échec, la lâcheté ou l’abandon. Qu’est-ce que j’ai découvert ? En premier lieu, ce mot est, soit un verbe qui peut se conjuguer à la forme pronominale, ainsi que passive, soit un adjectif ; pas du tout un substantif, c’est-à-dire un nom signifiant une substance ou un être ayant une existence propre. Puis, sa concordance avec ‘’état transitoire d’un être’’. Dans mon cas, plus que celui du roman, ce rapport s’avère exact. C’est dans cette optique que j’ai pris la décision de le publier sur mon blogue et cela dans toute sa simplicité... à titre d’inachevé.
Aurais-je pu le terminer ici au Québec ? Je suis catégorique, non. La chose qui toutefois m’a sauté aux yeux, c’est le fait qu’au début la question de l’environnement c’est à nouveau poser à moi. Non pas l’environnement culturel et historico-géographique, mais humain. J’ai eu à renouer avec des gens, certains ne comprenaient pas la situation dans laquelle je me trouvais et agissaient comme si jamais le Vietnam n’eut été une composante essentielle dans ma vie. D’autres ont su, avant moi peut-être, que j’avais à me poser, me reposer, prendre le temps de prendre le temps. Mais, nous n’avons pas tous la même notion du temps...
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Voici donc l’essence du projet qui, maintenant, passe du court-métrage au documentaire.
Merci de prendre le temps de vous y attarder.
Jean
Mai ‘23
Trudeau et Freeland Le CRAPAUD ne pouvait absolument pas laisser passer une telle occasion de crapahuter en pleine politique fédérale cana...