CATHERINE
Se souvient-on quarante ans plus tard d’un certain 11 août 1977 ?
Inoubliable jeudi caniculaire et nuageux.
11 août, alors qu’une livraison spéciale devait nous arriver le 25 juillet.
Déjà, lors de l’Exposition régionale de Saint-Hyacinthe, celle qui se faisait attendre, changea de prénom ; de Fanchon elle devenait Catherine.
Et nous attendions, jour après jour plus impatients, à l’affût de ces mouvements annonçant ta venue.
Première de la lignée des Turcotte, seconde de la lignée des Gervais, on te savait fille.
Ta mère te sentait.
Ton père t’espérait.
Et puis, du fond de l’éternité où tu te terrais, tu lanças un premier signe. Plusieurs autres suivirent, des plus longs, des plus courts.
Au cours de ta gestation, tes parents écoutaient, lors de leurs siestes quotidiennes, Mortimer Schumann puis Serge Lama.
Nous vivions rue Girouard pour ensuite emménager rue Pratte.
Tu vois, ton goût du voyage date de très loin.
Déjà, en décembre, un mois après ta conception – elle eut lieu au matin du 15 novembre 1976, tes parents se préparaient au travail électoral qui s’achèvera par la victoire du Parti Québécois – en décembre donc, nous partions vers Cuba : «basso leche fria» devint notre mot de passe.
La grossesse fut un monceau de joies, d’incertitudes, de craintes et d’espoir.
On prenait soin de toi, on s’occupait à ce que ta mère soit continuellement protégée. À un point tel que nous dûmes nous séparer de Ti-Gars, notre chat noir et blanc : la salmonellose, c’était sérieux.
Il n’allait plus grimper sur le comptoir de la cuisine pour dévorer le petit gâteau Pique que ta mère adorait.
Tous ces soirs à t’écouter, oreilles attentives comme s’il était possible que tu t’adresses à nous.
Ces jeux de primipares tout à fait débiles, mais combien amusants : tenter de saisir ton pied, sentir te débattre.
Puis ce février outrageusement froid, dans le camion de l’ami François, nous quittions Girouard pour la rue Pratte.
Ça n’allait pas être de tout repos. Un voisin problématique à l’étage supérieur ne nous laissait aucun répit. Jour et nuit.
Tu vois, ton goût pour l’action sociale date de très loin.
En parents sérieux, nous préparions ton arrivée : on se documentait chez Leboyer pour la naissance sans violence… chez Louise Lambert-Lagacé pour la nutrition…
Parfois, au risque de la vie de ta mère, ton maladroit de père faisait sauter le « presto » qui cuisait tes premières bouchées de zucchini que maintenant tu ne peux plus avaler.
Déjà, nous t’avions choisi un parrain et une marraine.
Mon frère Pierre et Louise Audet, la grande amie de ta mère.
Ils furent des choix unanimes puis des témoins lors de notre mariage.
Ils t’aimaient déjà, t’espéraient tout comme les deux familles.
Ta mère saurait dire beaucoup mieux que moi les intimités qui vous liaient toutes deux ; on pouvait les lire dans les yeux de celle qui ne devait pas être mère.
La vitamine E aura causé une surprise de taille chez Rosaire, notre médecin.
Me souviens encore l’entendre réagir dans la salle d’examen lorsqu’il constata le début de ta vie.
Ce qui me valut ma première boîte de Turtles.
Dès la fin du printemps, qui fut magnifique cette année-là, nous nous rendions en campagne ; à Saint-Hugues, chez l’ami François.
Nous logions à l’étage.
Un magnifique et grand érable servait de rideau pour la chambre.
Il me rappelait celui de Londres, un an plus tôt.
On parlait de toi.
Nous parlions toujours de toi.
L’été fut plus beau encore.
Nous donnions un coup de main à l’ami François pour l’entretien de son potager.
Ta mère, étendue dans une piscine grande comme ma main, parlait aux chatons autour d’elle qui s’amusaient à se laisser caresser.
Juillet et août, nos deux mois de vacances, furent entièrement consacrés à te voir grandir, ta mère, se transformer : la grossesse n’est pas une maladie, répétait-elle alors que l’on voulait agir à sa place.
Jamais elle ne refusait la cueillette des petits fruits.
Cette habitude estivale, celle de récupérer, après souper, ton grand-père Gérard, nous rendre dans les grands champs de framboisiers de Saint-Damase y prendre notre dessert, nous allions la conserver longtemps après.
Puis arriva le mois d’août.
Se pointa le 11.
Tôt le matin, tu commençais à te frayer un chemin vers nous.
Les cours de préparation à la naissance nous avaient bien informés sur comment respirer, aspirer et respirer encore.
Ta mère s’y employait, experte, mais cela n’avait rien de plaisant.
Je décodais la souffrance, alors que debout, droite comme un arbre solide, elle s’appuyait au mur de la chambre.
Comme je me sentais impuissant !
Devant ma volonté à trop en faire, ta mère m’invita à aller prendre de l’air.
Suis allé à la Pâtisserie Viens.
Danielle et Yvan travaillaient.
Me suis assis, je m’en souviendrai toujours, à cette table séculaire toute enfarinée, ne tenant pas en place.
Danielle me donna un petit gâteau afin que je puisse l’apporter à ta mère qui, déjà, se préparait à partir pour l’hôpital.
Nous y sommes arrivés vers l’heure du souper.
Une infirmière allait nous accompagner tout au long de cette phase préparatoire. Charmante et combien calme.
Puis Rosaire, se pointant le bout du nez, dit : Me déranger un soir de football !
Nous sommes entrés en salle d’accouchement que l’on avait préparée pour une naissance sans violence.
La tienne.
Il était 20 heures 30 lorsque tu naquis.
Moment éternellement gravé dans notre vie, ta mère et moi.
On te déposa sur le ventre libéré de celle qui fut ta première compagne.
Tu reposais. Pas un seul cri.
J’ai coupé le cordon qui te liait à ta mère, te déposai dans un bain d’eau tiède, à la même température que celle à laquelle tu t’étais habituée depuis dix mois lunaires.
Je crois que tu as souri. Du moins, je veux le croire.
Ta mère, fatiguée, épuisée par tant d’efforts avait tourné la tête vers nous.
Une infirmière te langea puis tu disparus de nos yeux émerveillés.
Ta mère demanda à Rosaire si tout lui semblait correct.
Pleine forme, fut sa courte réponse, occupé à recoudre le passage que tu avais involontairement déchiré.
Tu vois, ton goût pour la rapidité d’exécution date de très loin.
Puis, émus, nous nous sommes retrouvés dans une chambre de l’hôpital.
J’ai offert un collier de perles d’eau douce à celle qui t’avait portée tout ce temps et qui reposait, heureuse du travail bien accompli.
Par la suite, je me suis rendu chez Gérard et Fleurette, leur annoncer ton avènement.
N’eût été de l’heure tardive, je crois qu’ils auraient couru t’accueillir.
Et le 11 août prit fin.
Et nous voici quarante ans plus tard.
Se souvient-on ?
Oui.
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