mercredi 17 mai 2023

OTIUM spécial 04.23.1

MES DEUX COLLÈGUES (MON FRÈRE PIERRE ET MA BELLE-SOEUR CLAIRE) SONT ACTUELLEMENT À MARCHER SUR LES ROUTES DE LA CRÈTE. 

TOUS LES TROIS, NOUS SOMMES LES ÂMES DE CETTE ACTIVITÉ - OTIUM- QUE NOUS VOUS PARTAGEONS, ICI SUR CE BLOGUE. 

ALORS QUE JE LES ATTENDS AFIN DE REPRENDRE NOTRE EXPÉDITION DANS LE MERVEILLEUX MONDE DES MOTS ET DE LA CRÉATION, JE VOUS PROPOSE COMME UNE SUITE, PLUTÔT UNE EXTENSION DU DERNIER OTIUM DONT LE THÈME ÉTAIT DE SOUMETTRE UN SYNOPSIS D'UN COURT MÉTRAGE OU D'UN DOCUMENTAIRE À L'OFFICE NATIONAL DU FILM - VOUS COMPRENEZ QU'IL S'AGIT ÉVIDEMMENT D'UNE FICTION -

JE PROFITE DE CETTE RELÂCHE POUR TRAVAILLER UN PEU CELUI QU'INITIALEMENT J'AVAIS PRODUIT.

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Monsieur,

Nous avons bien reçu le synopsis du projet que vous avez soumis à l’Office national du film.

Le comité de sélection juge qu’actuellement il n’a pas suffisamment d’éléments entre les mains pour prendre une décision finale et souhaite que vous approfondissiez votre démarche de présentation.

Pourriez-vous expliciter davantage les différents thèmes soulevés lors de votre rencontre avec l’auteur (le romancier inconnu) ?

Merci.

Nous demeurons en attente de ce document.

Le responsable des projets

ONF


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L’importance de l’environnement dans un projet d’écriture.

Lorsque, par hasard, je découvre un blogue sur Internet derrière lequel se cache un auteur, utilisant un bizarre de pseudonyme (Le Crapaud) que l’idée de faire sa connaissance afin de l’interroger sur cette aventure pour le moins insolite : s’expatrier en Asie, au Vietnam plus précisément, afin d’y écrire un roman. 

À partir de ce déclencheur la mécanique s’est actionnée m’amenant à proposer ce synopsis à l’ONF afin de partager cette découverte et tenter d’approfondir ce qui peut bien, un jour, amener quelqu’un d’abord à s’exiler afin de façonner son projet. C’est beaucoup autour de l’environnement, oui, mais aussi d’un roman inachevé.

Nous nous sommes rencontrés à quelques reprises, d’abord pour se connaître, puis je lui ai proposé de participer à ce court-métrage qui, au fur et à mesure de nos échanges, s’avérera plus un documentaire et, finalement, s’entendre sur une thématique que nous pourrions développer. Ce dernier point fut réglé rapidement : si nous allions de l’avant, ça serait autour du projet d’écriture et son environnement.

Le tout se déroule au moment où il revient de Saïgon après un séjour de plus de dix ans. Tous nos échanges ont été enregistrés - leur verbatim explicitera ce projet - échanges qui, par la suite, furent revus et mis à jour.

Je vous rappelle les questions auxquelles l’auteur inconnu répondra :

1)    Vous suggérez trois (3) composantes à l’environnement, lesquelles  ?

2)    L’élément déclencheur des trois (3) romans écrits au Vietnam.

3)    L’inachevé. 

C’est donc à partir de la transcription de certains extraits des paroles de l’auteur inconnu que je réponds à votre demande d’approfondir la démarche, rappelant que dans le court-métrage/documentaire elles seront enveloppées de photographies prises par lui lors de sa permanence au Vietnam. En sourdine, la musique qu’il nous a proposée. Je rappelle qu’en aucun moment nous le verrons, la caméra respectant ainsi une des conditions émises par lui afin de s’adjoindre au projet.

( Nous avons obtenu l’autorisation des éditions THÉ GIO pour présenter des extraits du roman DEP. )


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“ Au départ, un projet d’écriture n’a rien de concret  ; c’est une idée, un déclencheur, l’esquisse d’une route à emprunter, à explorer, l’espoir de rencontrer des gens pour mieux les connaître quand il ne s’agit tout simplement pas de les inventer, de les créer. Lorsqu’il s’actualise, le voici enchâssé dans un processus vivant ; il a à se définir, se clarifier, se préciser puis s’articuler dans un environnement qui, lui-même, englobe quelques composantes, dont les principales, à mon point de vue, sont de l’ordre de l’humain, de la culture et de l'histoire-géographie. “ 

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“ Afin de définir l’environnement, permettez-moi de passer du général - ce qui a trait à l’ensemble de l’humanité partageant la planète Terre - au particulier - je veux dire par cela la réalité d’un lieu précis - et dans le cas qui m’intéresse, le Vietnam, pays construit d’humains originaux, d’une culture bigarrée, d’histoire commune, et  de géographie hybride. Le particulier pris dans le sens des choix liés à la situation qu’un groupe d’individus adopte pour s’adapter à son milieu proche et lointain.

Nous sommes tous pétris d'un savant mélange d’inné et d’acquis. C’est vieux comme concept, mais je vous avoue en avoir saisi une partie de son étendue alors qu’à la fin de 2011, posant les pieds sur l’aéroport de Saïgon (actuellement nommée Ho-Chi-Minh-Ville), saisi devant une porte qui s’ouvrait à mes yeux, je ressens comme une révélation : celle d’avoir déjà vécu ici, incapablee de préciser ce que cette ville, ce pays auraient pu incruster en moi, dans une hypothétique vie antérieure. Déjà, certains éléments culturels me semblent contigus : le ralenti installé dans l’effervescence de la vie ; l’importance de l’amitié se transformant en familiarité ; l’écoute attentive à travers de continus babillages ; la curiosité de tout et souvent de rien. Toutefois, j’aurai à apprendre à vivre sous un soleil torride, manger léger et souvent, multiplier les cafés,  ne pas me soucier du lendemain me préoccupant davantage de l’instant présent. Et principalement, sans risque de me tromper, l’étendue, l’importance et la force de la mémoire incrustée au plus profond de chaque Vietnamien, l’incitant à un essentiel respect des personnes âgées et des ancêtres.

Cela illustre sans doute l’idée que j’avance, à savoir que l’environnement se développe à travers plusieurs espaces, la culture principalement, de sorte qu’agir d’une telle façon semble être l’apanage de tout le monde, un dénominateur commun formidablement stable chez chacun d’eux.

Aussi, ce socle bien ancré dans leur société que représente l’histoire du pays, une rigoureuse mémoire des faits et gestes qui ont construit au cours des siècles - ici, des millénaires - des individus achevés mais toujours en devenir au sein de l’institution primitive qui se révèle être la famille. Tout à côté de l’histoire, je place la géographie, celle qui arrange le milieu dans lequel on évolue. Histoire inspirante et géographie faite de mer et de montagnes, de climats diversifiés, de deltas impressionnants, tout cela intimement lié compose cet humain unique si particulier. Les Vietnamiens, ayant vécu des siècles et des siècles sous la menace constante d’envahisseurs qu’ils soient chinois, français, japonais ou américains, forment un peuple composé de plus de cinquante ethnies différentes ayant réussi à conserver, protéger et améliorer son environnement au sens général autant que particulier.”


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“ Un projet d’écriture s’ancre donc dans un environnement précis. Exemple, il m’aurait été impossible d’écrire DEP, même d’y songer, alors que je vivais au Québec. Il en est de même pour les deux autres romans qui ont suivi.

Le premier a germé dans mon esprit alors que je reconduis des amis français à l’aéroport de Hanoi suite à une tournée nord-sud du pays. J’attends mon vol qui me ramènera à Saïgon. Une jeune fille, début de la vingtaine, guère plus, s’assoit devant moi, sa carte d’embarquement à la main, nerveuse, attentive aux informations sur les vols qui partent, reluquant constamment son carton comme si elle craignait de rater l’avion. Puis elle part. Ça sera pour Nha Trang, si ma mémoire est bonne.

Alors s’échafaude mon projet d’écriture. De cette jeune fille du nord du Vietnam quittant sa famille, rejoignant un oncle dans le centre du pays pour ensuite se retrouver à Hanoi y vivre les aventures que la vie urbaine, à des lieux de sa vie rurale qu’elle doit abandonner, lui feront réaliser que son pays est en pleine mutation.

LES ANCIENS COLONELS, un roman que les éditions THÉ GIOI se sont abstenu de publier pour des raisons historico-politiques, c’est entre Saïgon et le Cambodge que se situe l’action. Pour ce deuxième, tout comme le premier, il m’aura fallu consacrer beaucoup de temps à la recherche d’informations crédibles et vérifiables. À ce moment-là je me convaincs qu’il est impossible d’écrire sans avoir, au préalable, jeter ses amarres dans l’environnement qui nous accueille.

L’exemple le plus patent, c’est l’inachevé. Vous souhaitez que nous l’approfondissions, celui qui s’intitule MARCHER À L’OMBRE DES FANTÔMES. J’y viens.


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P  A  U  S  E


Avant de poursuivre et d’aborder le troisième élément de cette entrevue, à titre de réalisateur du court-métrage/documentaire, je tiens absolument à signaler que le rythme que j’ai choisi d’adopter est celui de la lenteur. Les photos qui circuleront de même que la musique qui habillera cette vingtaine de minutes de prise de parole d’un auteur inconnu, je les veux tout imprégnées d’un profond sentiment... d’inachevé. Voici pourquoi la musique choisie ( Ora, de Ludovico Einaudi) un ensemble de sons provenant d’environnements hétéroclites, une musique entrechoquée de légers échos, issue du nord comme du sud, on ne saurait le dire, s’avère universelle.

Je rappelle que les photographies qui défileront proviennent toutes de l’auteur lui-même et s’étalent sur dix années. (Elles seront accessibles en pièce attachée.)


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Le troisième, celui qui s’ajuste bien au titre que vous souhaitez donner à votre court-métrage (avouons entre nous que le produit fini ressemblera davantage à un documentaire, mais c’est vous le maître d’oeuvre) soit l’inachevé relève davantage de la chronique. C’est le seul chez qui le narrateur est nommé, il s’agit de moi-même.

DEP, c’est le nord vietnamien. Saïgon et le Cambodge pour le deuxième, alors qu’ici nous sommes aux USA après un court passage en Europe, puis de la Chine au Vietnam. Le tout débute autour des années 1950 pour s’achever en 2006. J’accélère afin d’en arriver au pourquoi il est inachevé. Une dame ayant travaillé à l’ONU comme traductrice reçoit une commande toute particulière du Dalai-Lama qu’elle devra exécuter une fois arrivée à la retraite. Je n’en dis pas plus puisse qu’il est inachevé.

Pourquoi ? Je synthétise afin de demeurer dans le thème de nos entretiens : il  s'inachève quand je quitte le Vietnam alors que près de 300 pages sont écrites.

Pourquoi quitter le Vietnam ? La pandémie a incité le gouvernement vietnamien à cesser d’émettre des visas aux étrangers, les invitant ainsi à rejoindre leur pays d’origine pour profiter des vaccins tellement rares sur leur territoire et, sous-entendu, relayer à ceux-ci l’odieux de la prolifération virale sévissant du nord au sud d’une contrée ayant été épargnée jusque-là par la covid-19.

À la fin du projet LES ANCIENS COLONELS, une petite voix intérieure m’interpelle, me faisant remarquer que le fait de demeurer à Saïgon pour y entreprendre le prochain roman risquerait de me pousser, involontairement peut-être, à user de répétitions, et qu’il serait donc souhaitable de changer d’environnement. Je suis déménagé à Da Nang.

C’est là que tout a commencé à basculer. Je parle d’abord de mon état de santé. Des modifications sérieuses à mon protocole médicamenteux auxquelles se sont ajoutées les restrictions sévères en lien avec la pandémie, restrictions allant jusqu’au confinement total (24 heures sur 24) et cela durant de très longues périodes, ce sinistre cocktail m’a poussé à une tentative de suicide. Mon voisin de palier, s’inquiétant de mon enfermement, réagit en appelant les services d’urgence. J’ai été plongé dans un coma profond qui a duré quatre jours. S’en est suivi un temps d’hospitalisation d’une autre semaine avant que je sois déplacé dans une institution accueillant des patients présentant des troubles psychologiques et psychiatriques. J’y suis resté plus d’une semaine à vivre un enfer total, je veux dire par là, qu’il brûlait jour et nuit.

Depuis mon arrivée à Da Nang et les modifications que des médecins ayant trop peu d’expertise dans le domaine de la médication traitant les problèmes de santé mentale, j’aurai cessé de dormir, refusé de me nourrir, perdu plus de 25 kilos, et... laissé mon troisième roman sur la planche de travail. Je ne me doutais pas encore, le redoutant toutefois, qu’inévitablement ce travail qui avait exigé tant et tant de recherches, eh bien ! il allait demeurer... inachevé.’’


P  A  U  S  E   (2)

À ce moment-ci, l’auteur inconnu se lance dans une énumération d’auteurs ayant quitté temporairement ou définitivement leur pays d’origine pour vivre l’espace de quelques années (ou quelques oeuvres) dans une contrée étrangère, non pas comme voyageur ou touriste, mais bien comme résident. Il avance l’hypothèse que le nouvel environnement a une influence sur la thématique de certains projets d’écriture ou du moins sur leur style. 

Vous apprécierez, je crois, l’exemple du poète québécois Alain Grandbois, celui qui a si magnifiquement écrit ‘’Nous allions plus loin que les plus lointains horizons’’


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‘’ Est-ce qu’à ce moment-là je me doutais qu’il serait impossible de terminer MARCHER À L’OMBRE DES FANTÔMES ? Que j’allais l’inachever ? Non. C’est de retour au Québec, dans un état absolument lamentable, réalisant que me réadapter à l’environnement serait une tâche ardue en raison du fait que la concentration m’avait abandonné - je ne pouvais ni lire ni écrire, entre autres - que l’évidence s’est plaquée en moi. Je luttais tellement pour réintégrer la réalité, pour accepter le fait que je devais vivre avec une maladie mentale - 

La psychologue qui me suit actuellement me fait réaliser qu’un choc post-traumatique chez une personne anxieuse, lorsqu’il s’accompagne d’angoisse et de stress, eh bien ! çà ne se résout pas en criant ‘’ciseaux’’ -

À ce moment-là le mot ‘’inachevé’’ s’est immatriculé en moi. J’ai cherché à mieux le comprendre pour ne pas l’associer à l’échec, la lâcheté ou l’abandon. Qu’est-ce que j’ai découvert ? En premier lieu, ce mot est, soit un verbe  qui peut se conjuguer à la forme pronominale, ainsi que passive, soit un adjectif ; pas du tout un substantif, c’est-à-dire un nom signifiant une substance ou un être ayant une existence propre. Puis, sa concordance avec ‘’état transitoire d’un être’’. Dans mon cas, plus que celui du roman, ce rapport s’avère exact. C’est dans cette optique que j’ai pris la décision de le publier sur mon blogue et cela dans toute sa simplicité... à titre d’inachevé.

Aurais-je pu le terminer ici au Québec ? Je suis catégorique, non. La chose qui toutefois m’a sauté aux yeux, c’est le fait qu’au début la question de l’environnement c’est à nouveau poser à moi. Non pas l’environnement culturel et historico-géographique, mais humain. J’ai eu à renouer avec des gens, certains ne comprenaient pas la situation dans laquelle je me trouvais et agissaient comme si jamais le Vietnam n’eut été une composante essentielle dans ma vie. D’autres ont su, avant moi peut-être, que j’avais à me poser, me reposer, prendre le temps de prendre le temps. Mais, nous n’avons pas tous la même notion du temps...


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Voici donc l’essence du projet qui, maintenant, passe du court-métrage au documentaire. 

Merci de prendre le temps de vous y attarder.


Jean

Mai ‘23

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