Le crapaud a toujours été sensible aux images qui l'assaillent, le surprennent, le captivent. Elles se logent dans un recoin de son cerveau là où la mémoire les emmagasine, parfois à l'insu du principal intéressé, y mûrissent, pour s'entrechoquer parfois avec une intruse. Cette dernière a souvent rien à voir avec les autres, ce qui en fait le charme.
Une image se pointe sous différentes apparences: des couleurs, des odeurs, des mots, des sons. Parfois, au cours d'une lecture, une expression ou une description me ramène à d'anciens souvenirs qui fracassent, font voler en éclats ce que l'auteur voulait insinuer. Alors tout cela se mêle, forme comme une fricassée dont je n'ai aucune idée s'il faut lui ajouter des épices ou tout autre condiment.
Et ça doit mûrir. Mûrir encore et longtemps. J'ai souvenance d'un poème qui mijota plusieurs mois. Les habitués du CRAPAUD se rappelleront Boris, à titre d'exemple, qui lui fermenta - si l'expression peut s'appliquer - jusqu'à ce voyage à Paris, visitant la ville de George Sand (Nohant-Vic), j'appris que son fils Maurice s'était vivement intéressé au monde magique des marionnettes. C'est à partir de ce moment que Boris devint intelligible pour moi.
Ce n'est pas toujours ainsi que cela se produit. Pas du tout. L'exemple d'aujourd'hui, le poème au café l'illustrera parfaitement.
Je suis installé dans un café du District 1 (Highlands Café) entreprenant la lecture de LES LETTRES DE CAPRI de Mario Soldati. Je ne vais pas souvent à cet endroit, seulement lorsque je dois rencontrer des amis vietnamiens qui travaillent dans les tours à bureau encerclant le café situé tout juste derrière la maison de l'Opéra de Saïgon.
Je lis, nullement concerné par ce qui grouille autour de moi. Le lunch s'achève, l'endroit se vide. Ne reste qu'une femme. D'où je suis, elle m'apparaît vietnamienne sans que j'en sois certain; asiatique, c'est sûr. Un stylo à la main, elle le fait pivoter sur la table; le menu y est demeuré. Devant elle une tasse de café latte refroidi; elle scrute la rue ou le stationnement rempli de motos (plusieurs cafés offrent un service de parking pour les travailleurs du coin).
Je cesse de lire. Bien des gens me disent: ''Lorsque, en public, tu regardes quelqu'un, tu ne te lasses pas avant d'avoir découvert ce que cette personne peut représenter.'' Il y a du vrai dans cela. D'ailleurs, le texte que je suis à préparer pour un prochain billet et qui s'intitulera Elle est en route mettra en valeur ce point de vue.
Je surveille. Emmagasine.
Voici ce qui en reste:
Je surveille. Emmagasine.
Voici ce qui en reste:
au
café
assise au fond du café
sous l’éventail qui tournoie
elle attend
le flot des paroles
fait tohu-bohu
autour d’elle
la fumée des Marlboro
emplit l’espace
de légères arabesques
elle songe à écrire
le menu cartonné
l’y invite
elle griffonne
tu ne peux partir
tu es déjà en allé
de la page des apéritifs
elle fit
une boule de papier
dans la rue
les gens passent leur chemin
Aucun commentaire:
Publier un commentaire