|
Un petit bonheur!
Je ne sais trop ce qui
affole les petits
poissons blancs - ceux qui sont légion à Vung Tau - alors qu’ils font comme un
amoncellement de gouttes de pluie sur la rivière Saïgon. De ma table, au fond
du Café Riverside, je les vois claquer la surface de l’eau dans un
cliquetis continuel qui arrondit la surface de l’eau.
|
À
l’horizon - cela s’installe depuis deux jours - des nuages gris couvrant une
bonne partie du ciel. Le 15 avril est arrivé, on doit donc s’attendre à un peu plus
d’humidité, des averses impromptues, quelques bons coups de vent : les Vietnamiens
parlent du début de la mousson. Moi, ça m’indique que dans moins de deux
semaines je devrai m’envoler vers le pays.
Je
ne tiens pas particulièrement à jaser météo, sachant qu’au Québec elle s’amuse
à jouer sur les nerfs. Ici, on ne peut pas demander mieux. Je voudrais plutôt vous
entretenir de mes dernières lectures, vous rappelant qu’au Vietnam mes choix sont tout à fait différents que ceux du Québec. Ici, je fréquente des auteurs qui m’étaient
inconnus auparavant ou encore ceux que depuis longtemps je me promettais d’approcher.
C’est
beaucoup avec mon frère Pierre que je discute lecture. Lecteur avide, il s’intéresse à tout. Magique lorsque l’on souhaite partager des coups de cœur
ou des coups d’esprit. Sylvie, ma sœur, également grande et passionnée lectrice
qui me surprend toujours avec ses découvertes éclectiques.
Je
suis actuellement à lire L’EMPIRE DE LA HONTE de Jean Ziegler. Je me le suis
procuré à la Libraire française de Saïgon, récupéré dans la
section des livres seconds yeux
vendus au kilo. On les dépose sur une balance, on multiplie le nombre de kilos par
2000 Dongs… et voilà. Même chose lorsque l’on vient les vendre et, un peu comme
le taux de change, le prix que l’on vous donne est différent.
Je
reviens donc à ce livre qui a su se faire aimer dès l’instant où je l’ai vu
en raison d’une griffure indiquant sa provenance : RANDY’S BOOKS XCHANGE,
HOÏ AN. Le chemin qu’un livre peut emprunter... hallucinant. Imaginons
un instant que le rapportant au Québec, je le laisse dans
une quelconque bouquinerie de Montréal ou Québec; il en aurait vu des
kilomètres…
Sérieusement,
revenons au contenu du livre. Je ne connaissais pas du tout son auteur avant de
tomber tout à fait par hasard sur ce livre publié chez Fayard puis en Livre de
Poche en 2007. Ce Ziegler (docteur en droit et sociologie, professeur à l'Université de Genève puis à la Sorbonne, ayant occupé plusieurs postes à l'ONU) possède une feuille de route impressionnante. Il a entre
autre reçu la collaboration de Régis Debray en 1994 pour un livre portant le
titre IL NE S’AGIT PAS DE SE RENDRE.
Celui que je déguste actuellement, porte sur ce qu’il nomme la « reféodalisation
du monde » et sur les deux armes de destruction massive que sont la faim
et la dette. Il enrobe ses propos du concept de la honte emprunté à
Benjamin Franklin, un des deux scripteurs de la Déclaration d’Indépendance des
États-Unis. Il appuie ses arguments à partir de certains faits tirés de la
Révolution française et des grands mouvements socio-économiques actuels. Ses
références ne sont pas petites : Marx, Ernst Bloch, Jacques Roux du mouvement
Les Enragés lors de la RV, pour ne citer que ceux-là.
Ce
livre suit deux autres qui m’ont profondément touché. Par ordre chronologique :
ÉTOILE DU MATIN de André Schwarz-Bart, puis LOU, HISTOIRE D'UNE FEMME LIBRE de Françoise Giroud.
|
André Schwarz-Bart
|
André
Schwarz-Bart a reçu le Goncourt 1959 pour son roman LE DERNIER DES JUSTES.
Écrivain d’origine juive, son projet d’écriture est de raconter l’histoire de
la destruction des Juifs d’Europe, comprendre l’héroïsme des Juifs du ghetto de
Varsovie – c’est l’essentiel du roman ÉTOILE DU MATIN – et celui des soldats
juifs de Palestine, tentant de démontrer, à partir de son point de vue sioniste, que cela ne dépasse pas en valeur tout
ce que les Juifs des générations précédentes ont subi et comment elles ont
réagi.
***
Courte parenthèse : il est mercredi 16 avril, 15h28, la pluie tombe à plein
torrents… la rivière Saïgon frémit et les petits poissons blancs ont regagné le
fond… J’image la ville quand il pleut comme maintenant mais pendant des heures
et des heures… Quelque chose comme un blizzard québécois… ***
Revenons
à ce roman tout à fait envoûtant, écrit majestueusement, qui évolue entre récit historique et style poétique. Schwarz-Bart nous a créé des personnages
plus vrais que réels au point que l’on cesse de se demander s’ils ont existé.
Ils auront connu, avant de se retrouver d’abord dans le ghetto de Varsovie puis
à Auschwitz s’ils n’avaient pas accru le nombre de cadavres enfouis dans les rudimentaires fosses communes près de leurs villages, connu la tranquillité, la quiétude de
la vie dans une Pologne d’abord accueillante puis affamée de chair juive
lorsque les Allemands y débarquèrent avec leurs bottes dévastatrices.
Combien
de livres, d’essais, d’études, combien d’auteurs, de spécialistes, de victimes
ont tenté de nous faire comprendre – si c’est possible de comprendre cette
barbarie sanguinaire que fut la Shoah – ou tout au moins nous sensibiliser à cette
tache aussi indélébile qu’indicible de l’histoire de l’humanité.
Scharwz-Bart
qui, rappelons-le, a un point de vue sioniste sur la question juive, ne souhaitait pas publier
ce livre. Il paraîtra à titre posthume alors que sa femme achèvera ce qu’il
aura continuellement remis à plus tard.
Le
deuxième est l’œuvre de Françoise Giroud, LOU, HISTOIRE D'UNE FEMME LIBRE. Journaliste, politicienne – Françoise Giroud sera Secrétaire d’État auprès du Premier ministre chargée de la Condition
féminine de 1974 à 1976 – puis suite à ce saut en politique retournera à l’écriture.
|
Lou, Paul Rée et Nietszche
|
Roman biographique, LOU, HISTOIRE D’UNE FEMME LIBRE, paraît en 2002 chez Fayard, il raconte l’histoire peu commune de Lou Andréas-Salomé, russe d’origine, ayant
vécu une bonne partie de sa vie en Allemagne. Tout un personnage! Elle sera
proche, très proche même, de Nietszche, ce déprimé chronique en sera follement
amoureux; de l'écrivain et philosophe Paul Rée qui se suicidera pour elle; de Rilke dont elle
fera modifier le prénom de René en Rainer; de Freud qui n’aura que de bons
mots à l'endroit de cette femme au charme fou et complètement déconnectée de sa sexualité
– on dira qu’elle aura été vierge jusqu'à très tard dans sa vie, que son
contrat de mariage avec un certain Andréas comprenait une cause selon laquelle jamais le
mariage ne devra être consommé -.
Lou a écrit mais peu de choses seront traduites en français. Elle s’est vivement
intéressé à la psychanalyse et sa présence auprès de Freud aurait, selon certains
dires, permis à celui-ci de mieux faire connaître sa pensée et ses méthodes
thérapeutiques qui en étaient à leur début. Elle a beaucoup fait d'analyses pour des patients à la fois attirés par cette nouvelle méthode et une thérapeute qui obtenait d'intéressants résultats.
Françoise Giroud s’intéresse à Lou car, le croit-elle avec beaucoup d’assurance, cette femme est
la première femme véritablement libre et moderne de l'histoire. Tout le roman va d’ailleurs
dans ce sens. On en arrive à être séduit, se disant toutefois qu’il y a dans
cette femme un côté diabolique qu’elle semble cultiver par des attitudes
pernicieuses dans ses relations avec les hommes qui croulent devant elle.
La
liste des femmes qui citent Lou comme modèle, celles qui se veulent
son émule est vaste. Ce roman nous la présente comme telle.
Voilà
donc ce qui alimente mes heures vietnamiennes en plus du vélo
matinal, de la piscine d’après-midi et des promenades de moto en soirée alors
que la fraîcheur est quasi un aphrodisiaque!
À
la prochaine