mercredi 16 avril 2014

Les nouvelles chroniques du Café Riverside - 12 -

Un petit bonheur!




Je ne sais trop ce qui affole les petits poissons blancs - ceux qui sont légion à Vung Tau - alors qu’ils font comme un amoncellement de gouttes de pluie sur la rivière Saïgon. De ma table, au fond du Café Riverside, je les vois claquer la surface de l’eau dans un cliquetis continuel qui arrondit la surface de l’eau.
À l’horizon - cela s’installe depuis deux jours - des nuages gris couvrant une bonne partie du ciel. Le 15 avril est arrivé, on doit donc s’attendre à un peu plus d’humidité, des averses impromptues, quelques bons coups de vent : les Vietnamiens parlent du début de la mousson. Moi, ça m’indique que dans moins de deux semaines je devrai m’envoler vers le pays.

Je ne tiens pas particulièrement à jaser météo, sachant qu’au Québec elle s’amuse à jouer sur les nerfs. Ici, on ne peut pas demander mieux. Je voudrais plutôt vous entretenir de mes dernières lectures, vous rappelant qu’au Vietnam mes choix sont tout à fait différents que ceux du Québec. Ici, je fréquente des auteurs qui m’étaient inconnus auparavant ou encore ceux que depuis longtemps je me promettais d’approcher.

C’est beaucoup avec mon frère Pierre que je discute lecture. Lecteur avide, il s’intéresse à tout. Magique lorsque l’on souhaite partager des coups de cœur ou des coups d’esprit. Sylvie, ma sœur, également grande et passionnée lectrice qui me surprend toujours avec ses découvertes éclectiques.

Je suis actuellement à lire L’EMPIRE DE LA HONTE de Jean Ziegler. Je me le suis procuré à la Libraire française de Saïgon, récupéré dans la section des livres seconds yeux vendus au kilo. On les dépose sur une balance, on multiplie le nombre de kilos par 2000 Dongs… et voilà. Même chose lorsque l’on vient les vendre et, un peu comme le taux de change, le prix que l’on vous donne est différent.

Je reviens donc à ce livre qui a su se faire aimer dès l’instant où je l’ai vu en raison d’une griffure indiquant sa provenance : RANDY’S BOOKS XCHANGE, HOÏ AN. Le chemin qu’un livre peut emprunter... hallucinant. Imaginons un instant que le rapportant au Québec, je le laisse dans une quelconque bouquinerie de Montréal ou Québec; il en aurait vu des kilomètres…

Sérieusement, revenons au contenu du livre. Je ne connaissais pas du tout son auteur avant de tomber tout à fait par hasard sur ce livre publié chez Fayard puis en Livre de Poche en 2007. Ce Ziegler (docteur en droit et sociologie, professeur à l'Université de Genève puis à la Sorbonne, ayant occupé plusieurs postes à l'ONU) possède une feuille de route impressionnante. Il a entre autre reçu la collaboration de Régis Debray en 1994 pour un livre portant le titre IL NE S’AGIT PAS DE SE RENDRE.

Celui que je déguste actuellement, porte sur ce qu’il nomme la « reféodalisation du monde » et sur les deux armes de destruction massive que sont la faim et la dette. Il enrobe ses propos du concept de la honte emprunté à Benjamin Franklin, un des deux scripteurs de la Déclaration d’Indépendance des États-Unis. Il appuie ses arguments à partir de certains faits tirés de la Révolution française et des grands mouvements socio-économiques actuels. Ses références ne sont pas petites : Marx, Ernst Bloch, Jacques Roux du mouvement Les Enragés lors de la RV, pour ne citer que ceux-là.



Ce livre suit deux autres qui m’ont profondément touché. Par ordre chronologique : ÉTOILE DU MATIN de André Schwarz-Bart, puis LOU, HISTOIRE D'UNE FEMME LIBRE de Françoise Giroud.


André Schwarz-Bart
André Schwarz-Bart a reçu le Goncourt 1959 pour son roman LE DERNIER DES JUSTES. Écrivain d’origine juive, son projet d’écriture est de raconter l’histoire de la destruction des Juifs d’Europe, comprendre l’héroïsme des Juifs du ghetto de Varsovie – c’est l’essentiel du roman ÉTOILE DU MATIN – et celui des soldats juifs de Palestine, tentant de démontrer, à partir de son point de vue sioniste, que cela ne dépasse pas en valeur tout ce que les Juifs des générations précédentes ont subi et comment elles ont réagi.


*** Courte parenthèse : il est mercredi 16 avril, 15h28, la pluie tombe à plein torrents… la rivière Saïgon frémit et les petits poissons blancs ont regagné le fond… J’image la ville quand il pleut comme maintenant mais pendant des heures et des heures… Quelque chose comme un blizzard québécois… ***


Revenons à ce roman tout à fait envoûtant, écrit majestueusement, qui évolue entre récit historique et style poétique. Schwarz-Bart nous a créé des personnages plus vrais que réels au point que l’on cesse de se demander s’ils ont existé. Ils auront connu, avant de se retrouver d’abord dans le ghetto de Varsovie puis à Auschwitz s’ils n’avaient pas accru le nombre de cadavres enfouis dans les rudimentaires fosses communes près de leurs villages, connu la tranquillité, la quiétude de la vie dans une Pologne d’abord accueillante puis affamée de chair juive lorsque les Allemands y débarquèrent avec leurs bottes dévastatrices.

Combien de livres, d’essais, d’études, combien d’auteurs, de spécialistes, de victimes ont tenté de nous faire comprendre – si c’est possible de comprendre cette barbarie sanguinaire que fut la Shoah – ou tout au moins nous sensibiliser à cette tache aussi indélébile qu’indicible de l’histoire de l’humanité.

Scharwz-Bart qui, rappelons-le, a un point de vue sioniste sur la question juive, ne souhaitait pas publier ce livre. Il paraîtra à titre posthume alors que sa femme achèvera ce qu’il aura continuellement remis à plus tard.



Le deuxième est l’œuvre de Françoise Giroud, LOU, HISTOIRE D'UNE FEMME LIBRE. Journaliste, politicienne – Françoise Giroud sera Secrétaire d’État auprès du Premier ministre chargée de la Condition féminine de 1974 à 1976 – puis suite à ce saut en politique retournera à l’écriture.

Lou, Paul Rée et Nietszche

Roman biographique, LOU, HISTOIRE D’UNE FEMME LIBRE, paraît en 2002 chez Fayard, il raconte l’histoire peu commune de Lou Andréas-Salomé, russe d’origine, ayant vécu une bonne partie de sa vie en Allemagne. Tout un personnage! Elle sera proche, très proche même, de Nietszche, ce déprimé chronique en sera follement amoureux; de l'écrivain et philosophe Paul Rée qui se suicidera pour elle; de Rilke dont elle fera modifier le prénom de René en Rainer; de Freud qui n’aura que de bons mots à l'endroit de cette femme au charme fou et complètement déconnectée de sa sexualité – on dira qu’elle aura été vierge jusqu'à très tard dans sa vie, que son contrat de mariage avec un certain Andréas comprenait une cause selon laquelle jamais le mariage ne devra être consommé -.

Lou a écrit mais peu de choses seront traduites en français. Elle s’est vivement intéressé à la psychanalyse et sa présence auprès de Freud aurait, selon certains dires, permis à celui-ci de mieux faire connaître sa pensée et ses méthodes thérapeutiques qui en étaient à leur début. Elle a beaucoup fait d'analyses pour des patients à la fois attirés par cette nouvelle méthode et une thérapeute qui obtenait d'intéressants résultats.

Françoise Giroud s’intéresse à Lou car, le croit-elle avec beaucoup d’assurance, cette femme est la première femme véritablement libre et moderne de l'histoire. Tout le roman va d’ailleurs dans ce sens. On en arrive à être séduit, se disant toutefois qu’il y a dans cette femme un côté diabolique qu’elle semble cultiver par des attitudes pernicieuses dans ses relations avec les hommes qui croulent devant elle.

La liste des femmes qui citent Lou comme modèle, celles qui se veulent son émule est vaste. Ce roman nous la présente comme telle.

Voilà donc ce qui alimente mes heures vietnamiennes en plus du vélo matinal, de la piscine d’après-midi et des promenades de moto en soirée alors que la fraîcheur est quasi un aphrodisiaque!


À la prochaine

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