jeudi 29 septembre 2011

QUATRE (4) CENT-DIX-HUIT (18)


















Et bien voilà, les parents se sont rejoints en terre maskoutaine le samedi 24 septembre 2011.

Gérard nous avait quittés en juillet 1995 ( un 8) et Fleurette (un 8 également) en août 2009.

Entourés des six enfants, conjoint/conjointes, ex-conjointe, petits-enfants et arrière-petits-enfants, de même que ceux qui y étaient en pensée, les cendres des parents, une fois qu'elles eurent circulé entre les bras de tous et chacun pour un dernier adieu intime, reposent réunies à jamais.

Voici le texte lu par l'aînée de la famille, Françoise - notre lumière - après l'audition de l'AVE MARIA chantée par la Callas que Fleurette aimait tant et le CAPRICE VIENNOIS de Kreisler, le coup de coeur classique de Gérard.



L’AVE MARIA de la Callas et le CAPRICE VIENNOIS de Kreisler s’entremêlent.
Deux musiques, proches et lointaines, l’une dans la cuisine, boulevard Laurier, où l’odeur de renversé à l’ananas se repend, l’autre dans le bureau vert… deux musiques se rejoignent comme des signatures de parents.



GÉRARD, nous disions, en juillet 1995, que tu étais homme de deux familles; blanche et bleue. Nous l’avons dit, l’avons écrit de la main gauche.

FLEURETTE, nous avons dit, en août 2009, que tu étais notre petite fleur accrochée à la boutonnière.

Aujourd’hui, un symbolique 24, celui de septembre 2011, nous t’accompagnons GÉRARD, ici, loin des chênes d’Arthabaska et toi, FLEURETTE, loin de tes si nombreux voyages; nous vous accompagnons en terre connue, celle qui vous permettra d’être définitivement réunis.

Les cendres que nous laissons descendre dans cette terre connue, ces cendres resteront chaudes et allumées pour les six orphelins que nous sommes devenus : six points scintillants qui ceinturent aujourd’hui cette terre connue. Elles permettent maintenant de nous souvenir des images de ce qui, pendant si longtemps, de manière à la fois différente et constamment renouvelée au rythme des époques de notre vie blanche Maintenant, ici, dans cette terre connue, bleue, blanche et fleurie, cette terre ne vous emporte pas, elle vous portera.

On n’aime jamais partir seul. Vous nous avez quittés l’un après l’autre et l’un et l’autre nous avez quittés de manière si noble que vous réunir aujourd’hui, ici, dans cette terre connue revêt un sens profond : celui d’une famille unique et d’une communauté élargie.

Vous avez été deux personnes de famille. Des créateurs de familles. De ceux qui ont fait autrement les choses et nous incitèrent à en faire autant.

Vous avez donné à la famille une dimension nouvelle, au-delà d’une prise de racines, un élan vers la continuité. Comment ne pas le redire encore une fois aujourd’hui, ici, ceinturant cette terre connue.

Vous avez été deux personnes de communauté. Des inventeurs modernes. De ceux qui crurent et partagèrent cette croyance autour d’eux - les six nous d’abord - puis tant et tant d’autres qui se rappelleront de vous comme des précurseurs.

Nous laissons à cette terre connue, un père, une mère, GÉRARD et FLEURETTE, TURCOTTE et BERGERON à jamais réunis, pour toujours aimés.

Vos orphelins proches vous remettent un scintillant bouquet d’adieux blancs et bleus.
Vos orphelins éloignés sauront venir sur cette terre connue et l’arroser.
Et la merveilleuse magie de la vie, sous cette dalle de pierre, en terre connue… se perpétuera.



Les photos de ce saut ont été prises par Roger Mongeau, Claire, Louise et Sylvie.

lundi 19 septembre 2011

QUATRE (4) CENT-DIX-SEPT (17)



Il se dégage des poèmes écrits en campagne une autre dynamique. Elle se démarque des ruelles montréalaises par un côté plus aérien, plus «vent», davantage «brise».... Si je tente d'interpréter ce qui ne l'est pas, je dirais que le concept réel/irréel/entre-réel... se fait plus... visible.

L'environnement, peut-être parce qu'il est encore à apprivoiser, se faufile par des éléments imagés différents. Également le fait que ce soit ici que boris eut achevé sa course et prît une forme définitive, me parle beaucoup.

Le bureau à Montréal donnait sur un arbre (vous vous souvenez sans doute du bouleau - maintenant coupé - surnommé Garcia Lorca en raison de sa forme ressemblant à un poignard) tout comme celui de la campagne face à une série d'arbres qui servent de platebande au clocher de l'église, les deux orientés vers l'ouest, voilà peut-être pour le réel.

Pour l'irréel, c'est assurément les couleurs beaucoup plus variées, les odeurs complètement différentes et aussi une atmosphère de quiétude que je ne retrouvais pas sur l'île.

L'entre-réel, une façon de manier l'image issue du réel ou de l'irréel afin de situer le geste poétique dans une zone de flottaison, en campagne se voit «malaxer» par une énergie plus aérienne oui, mais aussi une énergie réconciliatrice, plus ouverte sur un appel à l'action.

C'est du moins ce que je vois pour le moment. Et le poème d'aujourd'hui en est peut-être une illustration.

Bonne lecture.


combien



combien de voix perdues
contre un seul cri
celui qui, inlassablement étouffé dans la gorge,
remonte le cours du temps
puis se lance impétueusement
dans l’espace silencieux des mots errants

combien de pas égarés
contre un seul sentier
celui qui promène péniblement
tel un bouleau centenaire
l’orée des forêts parallèles vers ces routes fermées
menant inévitablement au pied des potences

combien de mains tendues
contre un seul adieu
celui qui, inexorablement, achemine au bout de soi,
au recommencement des années,
là où elles achèvent frileusement
de prolonger les plantes vertes de l’oubli

combien de cœurs ouverts
contre une seule haine
celle qui, inévitablement, transfigure les hommes du Yémen
de Lybie de Syrie d’Algérie de Tunisie
marchant en colonnes sur des chemins ensanglantées
vers une incertaine liberté

combien de regards fermés
contre un seul espoir
celui qui annonce, fragilement, au-delà des saisons passagères
le début d’un renouveau au cœur des icebergs
qui se vengeront à coup d’ours polaires
de ces traîtres engoncés dans leurs principes surannés

combien de temps nous faudra-t-il
contre un siècle sourd
pour qu’armés des pinceaux de l’urgence
sur les murs, les socles et les piédestaux
l’irrémédiable cri des mouettes se noyant
hurle aux océans leur cruelle indifférence



«un carnet d'ivoire avec des mots pâles»



C É L A D O N (nom masculin et adjectif invariable)
. vert pâle;
. porcelaine chinoise recouverte d’émail craquelé, le plus couvent vert pâle.


C A U T È R E (nom masculin)
. instrument dont la pointe, chauffée au rouge, sert à brûler les tissus;

thermocautère; moxa.

. locution «un cautère» : un remède inefficace, un expédient inutile



Au prochain saut

mercredi 14 septembre 2011

QUATRE (4) CENT-SEIZE (16)


Didier van Cauwelaert

Je me suis levé, ce matin, avec en tête deux histoires de Didier van Cauweleart: L'ÉVANGILE SELON JIMMY et VINGT ANS ET DES POUSSIÈRES. Me rappelais que j'avais autant apprécié la première que la seconde, lue deux fois. Dans mes cahiers de lecture, voici ce qu'en 2008 j'y avais transcrit.

De L'Évangile...

- Me faire mal avec notre histoire, c'est mon seul moyen d'être encore avec elle.

- On ne souffre pas, quand on ne sait pas ce qu'on perd.

- Le grand progrès de la médecine, c'est que les médecins sont de mieux en mieux protégés contre les malades.

- Un grand amour ne se guérit que dans un amour encore plus fort. Si on veut guérir. Si on ne craint pas la rechute.

- On se sent seul quand on a perdu l'unique personne sur Terre pour qui l'on était quelqu'un de bien.

- ... la croyance fige, l'élan du coeur est la seule vérité.

- Comme toujours dans la vie, chacun poursuivait son but personnel, au travers d'un enjeu qui n'était qu'un prétexte.

- C'est fou le pouvoir d'un éclat de rire.

- Expier, ce n'est pas se délivrer d'une faute par la pénitence, c'est l'assumer, l'apprivoiser, la mener à terme. C'est une grossesse de l'âme.

- Sans orgueil on ne fait rien, sans humilité on le fait mal.

- Les pensées sont des actes que les autres commettent.


De Vingt ans...

- On a la solitude qu'on mérite...

- ... mais peu de gens aujourd'hui se souviennent que la joie de vivre est une politesse.

- Le jardin reflète ses états d'âme. Quand il est mélancolique, il lui sème des soucis.

- Ils ont peur l'un de l'autre parce qu'ils se rendent heureux.

- Il faut en avoir lourd sur le coeur pour protéger ses roses en les camouflant.

- Tu vois, dit-il après réflexion, celui qui a de l'amour et qui n'en est pas digne, ce qu'il y gagne, c'est la solitude. Seulement la solitude, ça t'enrichit. Et après, là, tu deviens digne.

- L'homme seul qui n'a plus sa raison de vivre, il est encore quelqu'un s'il lui reste une raison de souffrir.

- C'est vrai, de savoir des choses, ça aide quand on souffre, mais celui qui ne sait rien, il a moins l'idée de souffrir.

- Il a planté un décor dans ma vie, et c'est une toile d'araignée où elle est prise.

- Parce qu'au fond, on n'apprend les choses que tout seul.

- Seuls les pêcheurs donnent aux poissons.

- C'est difficile de savoir si on se tait parce qu'on se comprend, ou parce qu'on s'est tout dit.

- C'est le sort des solitaires de se fuir pour ne pas se perdre, de croire qu'un jour ils se retrouveront.



Et pourquoi ces deux histoires, ce matin?

Tout simplement parce qu'elles sont tirées de deux livres que j'ai trouvés; le premier dans une vente de garage (un vide-grenier comme le disent les Français) et l'autre, par terre dans une ruelle de Montréal.



Au prochain saut

samedi 10 septembre 2011

QUATRE (4) CENT-QUINZE (15)



Dire combien je suis soulagé de voir boris arrivé à destination serait un euphémisme. Une longue aventure qui dura sept ans... fallait le faire!

Maintenant que le voici sur le blogue, je suis à travailler (à partir de boris) un autre texte qui incorporera le poème à une plus longue histoire. Est-ce que cela s'étendra sur sept ans, je ne saurais ni le garantir ni le dire mais ce que je sais va dans le sens suivant: ça développera l'idée des trois réalités (le réel, l'irréel et l'entre-réel) que l'on retrouve dans boris.

Comme je suis un peu assujetti à ce rythme des sept ans (le joyeux septennat) il est envisageable que le texte se retrouve sur le blogue... en 2018. Il a toutefois un titre: LE PARADOXE DE ZÉNON.


D'ici là et pendant ce temps-là, je me rends compte que l'air de la campagne m'est tout à fait propice pour écrire. Il est assez rare que j'aie deux poèmes sur le chantier... c'est actuellement le cas. Sans oublier le dernier regard, la dernière retouche et le lancement de boris. L'inspiration semble faire de l'équitation sur le vent. Je veux dire par là qu'il existe ici, en campagne, un satané petit vent tout à fait délicieux - je le nomme le «vent-facteur» - qui charrie avec lui de ces odeurs (certains diront des odeurs campagnardes), personnellement je les reçois selon les heures du jour et de la nuit comme autant de cadeaux, de signes ou de messages. Avec lui, sa douceur et sa fraîcheur, emmêlé à des silences réparateurs, que d'images me parviennent qui cherchent à se métamorphoser en poèmes... Je les cueille avec humilité et avec un plaisir renouvelé...


L'inspiration que mon ami ROBERT définit ainsi - sorte de souffle émanant d'un être surnaturel, qui apporterait aux hommes des conseils, des révélations; état mystique de l'âme sans cette inspiration - est fragile. J'ajouterais en me référant au dernier ouvrage de Daniel Mendelshon SI BEAU SI FRAGILE, que l'inspiration est belle et fragile. Je suis convaincu du fait suivant: si ma plume pouvait écrire exactement ce que je vois de beau, si je parvenais à décrire, à saisir la fragilité du moment, de l'instant fugace qui permet à une image de se fusionner en soi, si j'arrivais réellement à mettre tout cela en mots, en mots précis, ciselés à la perfection, alors je pourrais dire que je suis au service de l'inspiration devenue un souffle nourrissant l'âme.


Alors que je participais, il y a quelques mois, à un site français pour poètes amateurs, j'ai pu constater que pour la majorité des gens qui venaient y déposer leurs poèmes, l'inspiration provenait essentiellement de deux sources: l'amour et la perte de l'amour. Est-ce plus facile d'écrire un poème sur un amour naissant ou sur celui qui s'en va? Dans les deux cas, du moins pour ce que j'en retiens, sans être complètement à l'opposé du spectre, ces deux extrémités du même concept présentent des points communs - pour certains ça devient des lieux communs - dont celui de chercher à tracer une figure géométrique universelle, celle ayant la forme du coeur.


Ce n'est pas mon propos d'aujourd'hui mais cette digression me permet de faire un lien entre boris et les poèmes qui l'ont précédé, ceux qui l'ont suivi alors qu'il macérait dans je ne sais quel élixir...

J'ai réuni - ô merveille du traitement de textes - l'ensemble de mes poèmes dans un dossier intitulé à travailler et dans un deuxième temps, les ai classés à partir de thèmes qui me semblaient être un dénominateur commun (le temps; la mer/le fleuve; le corps / la marionnette; la poésie; le fantôme... ceux qui n'y trouvaient pas leur place sont encore sous un grand titre... général. Il me restera dans un troisième temps à les (re)corriger et tenter de faire ressortir les grandes lignes qui permettraient d'établir des liens entre eux ou tout simplement des chevauchements. Il ne faut pas oublier que les poèmes ne sont pas datés. Vous connaissez mon histoire personnelle avec le temps!


Je laisse ce saut en vous proposant quelques définitions de la poésie ou du poète tirées d'auteurs québécois.



André Brochu dans ADÉODAT: * Si je n'étais pas poète, je n'éprouverais pas, chaque jour que le bon Dieu amène, le besoin de me purger des merveilles entrevues aux vitres de la journée qui précède.

Roch Carrier dans DE L'AMOUR DANS LA FERRAILLE: * La poésie c'est de la pensée en train de naître...


François Hertel dans LE BEAU RISQUE: * La poésie n'est pas toujours un phénomèe objectif. Plus souvent, elle s'élabore presque complètement à l'intérieur, quittant l'objet qui l'a fait naître, pour se perdre dans les associations imaginaires.

Wifrid Lemoine dans LE DÉROULEMENT: * Quand le poète a besoin d'un appui, il se construit un poème. Le poème est la communication d'un homme avec lui-même.

Claude Péloquin
dans METS TES RAQUETTES: * ... être poète, c'est faire un tour de passe-passe sans continuer de tourner en rond.


Au prochain saut

(La photo du clocher de l'église a été prise un matin de brouillard à partir de la fenêtre de mon bureau.)











vendredi 2 septembre 2011

QUATRE (4) CENT-QUATROZE (14)

boris


peut-on?
aux portes d’un fleuve en partance vers le Japon,
installer le silence

doit-on?
lui exiger une couleur particulière
y glisser un enfant de cire
qui se numérotait le corps en binaire pour devenir universel
pour être celui qu’il n’est plus
celui qui parlait aux marionnettes
boris
le prénom qu’il lui avait donné



…une marionnette révélée
incognito sur les photos des autres épinglées dans la chambre noire
leurs mots collés sur papier émeri

autant de nous sur mille je

retrouvés aux pieds de sa figure de plâtre



un camelot mort,
,piétiné,
camelot de cire aux chiffres tatoués sur le corps

boris le nommait d’aucun substantif
celui qui le tirait par les fils

sophia
éthérée, voilée
traversant les chemins des nuages
des remuages
pour que le temps ait un sens
au cœur des colonnes grecques
l’attendra



boris,
,déjà,
n’a plus la figure in
couleur pierrot
ne défonce plus les rues avec son carrosse
qui cache
,le soir,
deux places publiques et comateuses
à rendre fou la foule

il virevolte, drille aveugle
angle mort à portée de main
couvrant d’ébène les ombres effacées
par les sabots du contretemps



à vouloir devenir
cheval de bois
atrabilaire insane jobard
nourri à la vésanie des nuits
assailli par mille succubes enfermés dans leur course infernale
déchiffrant un enfant mort



boris
marionnette déséquilibrée,
cavalier sur cheval de bois
,cruellement,
comme un jésuite nocturne marmonne des onomatopées incompréhensibles
grises et maussades
s’asphaltait s’engluait
dans la vitesse impuissante
où un fleuve l’attendait



alors tomba le camelot
calfeutré de feuilles mortes
sous les abris de l’automne
une sacoche rouge au flanc opposé
pleine encore des journaux matinaux



quelqu’un sur lui se pencha
bavant des insanités
attendues recopiées semblables

alors mourût le camelot

sur le miroir d’un grand fleuve orientalement en marche
on le déposera
lugubre cérémonie souffrante

à peine entré dans la vie il mourait
une marionnette au regard fixe
plus loin que les lents demains
enfilée à la main gauche

sophia
hautement vêtue dans les nues azurées
touchera du bout de ses doigts invisibles
le regard mathématiquement chiffré d’un enfant se raidissant

le transportera

au-delà des fils actionnés

au-dedans du delà fantoche

l’imprégnant d’une couleur origan



un camelot flottant entre huit idées perdues

flottant
entre et sur les os
,inconnu,
en route vers, sur et par les eaux glacées d’un pays clos
où se cachent des marionnettes intemporelles

flottait
cet enfant mort
cadavre ossuaire

il flottait
de l’immuable à l’imperméable
nouveau pensionnaire du guignol



boris
,au poignet,
sophia,
,l’inconnue,
au cœur



le camelot de cire
comme un Icare sans ailes
repose là
tout à côté
tout juste là
dans le silence des cieux

le ciel,
échiffre de ses yeux



- boris, je te suivais dans le peu de pas que la vie m’a donnés et tu me suivais dans le peu de mouvements que ma main te donnait -je te vêtais des mêmes habits semblables à ceux de tes premiers jours, de mes derniers jours, - nous nous suivions dans des allées incertaines, dans des avenues dessinées à même les nuits, à même les matins, toujours les mêmes, où je me fatiguais à me lever, à reprendre dans ma main tes fils flasques et partir vers les enclos de ma ville, toujours et toujours la même sacoche rouge accrochée au bras, regard bleu vers un soleil timide, sourire malade de ces souffrances grouillant dans mes os - je me racontais sans écoute, tu m’écoutais boris, leucomes dans tes pupilles agrandies et noires et immobiles et inertes, regard dilaté

- je te parlais avec des mots-images imaginaires cueillis à l’ a b é c é d a i r e de mes incertitudes



comme les kilomètres sont courts derrière des chevaux de bois
à entendre les marionnettes se taire



et sophia
dans de grands mouvements espagnols et musicaux
racontera en un langage inconnu
tel celui des médecins ne connaissant des maladies que les mots
si peu les souffrances enfantines



comme les kilomètres sont courts

quand sophia
exhalant des étrangetés innommées
dira la mort à la vie qui s’en va



- sophia, je te parlais à toi dont je ne connaissais ni le nom ni la provenance, te disant ma souffrance parce qu’une mère, parce qu’un père ne peuvent la recevoir, trop encore emprisonnés dans les filets de leur angoisse, me disaient de te parler à toi sophia, te dire je ne sais quoi avec des mots en cire, ceux d’un enfant qui meurt, te dire le mal qui chatouillait mes os et se préparait à me catapulter hors de moi-même, me versant comme le feraient trois notes de violon sur de longues remontées vers là où je ne croyais pas si rapidement aller, une marionnette entourée à mon poignet - dans ce si froid matin automnal, les chiffres d’un matin mauve que l’on reconnaît bien lorsqu’il se lève du même côté, toujours le même côté, où je sentais l’entre réalité entrer, les chiffres parlant entre eux, tout est entre tout



la mort est un immense courant d’air
que des fenêtres asymétriques sur la patine des ruelles
calfeutrent
le voyant venir
à la tête d’un cortège sifflant
la mort s’enroba au camelot de cire
à la marionnette flasque
effilée
qui révulsait vers nulle part
des yeux desquels tombèrent des morceaux d'âme



- je ne sais ce qu'est une âme, jamais on ne me l'a dit, jamais tu ne me l'as dit boris, tu ne parlais pas, tu ne me parlais pas boris, c'est moi qui parlais, que moi qui te parlais boris - je ne sais pas c'est quoi la mort, ce satellite bleu - je sais encore moins sophia, ce conte dans lequel les anges, ces éclairs de brouillard placardés sur le vent, récupèrent les morceaux d’âme - suis-je? toujours un morceau d'âme - je suis où je ne sais pas il y a entre boris et moi, dans une gestuelle parlée indéchiffrable, d’éternelles incompréhensions : une clôture barbelée comme les murs d’une prison; une ruelle sans fin comme la prise stérile de la glace sur les eaux hybrides du fleuve; des regards ternes comme des huit inversés; verticalement perdus, des poteaux délimitant les mécaniques mouvements de mon bras; des géants peureux; des grouillements gutturaux de chats; des couinements monocordes d’écureuils; des tournoiements interminables d’oiseaux durcis autour de croûtes sulfurées; des ordres et des mots d’ordre; l’ordre uniforme du bien souillant le mal dans l’obscure clarté du matin triangulant les axes et les parallèles d’un quadrilatère sphérique



sont-ce? les sons qui font les mots
y donnent leur sens
comment? ici la mort peut-elle s’inscrire
et, ailleurs si proche, absente
devenir une ombre qui se blafarde dans les yeux
d’une marionnette triste maintenant
une goutte de néant à son doigt



- boris, t’en souvient-il? Comment ne peux-tu plus t’en souvenir? Nous passions de blanc à noir et tu t’accrochais au noir, ébène sans doute, telle une chambre noire continuellement enfermée sur moi et je te gardais précieusement - j’avais peur… et ton silence me protégeait de ce que je ne savais pas - j’avais mal… et ta présence mettait du silence sur mes os et des eaux à mes yeux que l’on séchait en pleurant, ne sachant trop qui devait moins souffrir - boris, j’ai appris à avoir mal avant toute autre chose et les autres choses ne sont jamais venues à moi dans la clarté artificielle de ma vie, de mes jours, de mes nuits… - j’ai appris que les mots n’ont pas de sens, que des sons… que les mots sont les squelettes de la réalité… que je ne saisissais rien de rien, rien à rien, ni les uns ni les autres… des musiques évanescentes au bout des corridors-prisons sur lesquels se désarticulaient de longues envolées d’oiseaux libres… et des chiffres, des chiffres encore et nombre de chiffres sur des gens inconnus d’eux-mêmes qui me regardaient piteusement de leurs regards rayons-x qui parlaient toujours autour de moi avec des mots dont je ne saisissais pas les symptômes… puis s’en allaient, quittaient, revenaient pour ensuite encore me quitter à la vitesse de la couleur… - j’ai ainsi appris à compter les gens, les couleurs blanches, les murs d’oiseaux et les musiques, celles bourrées de notes blanches… avec toi, boris, ma seule présence



mon colostrum…



sur le fleuve les horizons s’évanouissent
les couleurs se noient entre elles
quelque part entre blanc et gris et le gris-blanc

sait-on? distinguer l’eau d’un fleuve des autres eaux
plus loin, encore et toujours plus loin que couleurs et musiques



sophia
trace du blanc
puis du gris



- je n’arrive plus à voir même si je regarde dans la direction horizontale, celle que l’on m’a indiquée, la verticale étant réservée à d’autres, ceux qui n’ont pas ma cataracte, ceux qui peuvent lamentablement se traîner vers ce qui me sera interdit. Enfermé dans ma camisole isolante, baptisé par l’eau du silence, secouru des limbes, je ne vis ma souffrance que laciniée davantage et définitivement enroulée à mon poignet, à ma cheville. Je pris dès lors partie pour le mutisme, pour un mutisme intégral, obstiné. Je ne parlerai plus que par les yeux. Secs. Sans eaux. Je serai un ensemble d’os. Et par des sons sans sons, je n’exigerai qu’une marionnette. Sans fils. Sans regard. Noire. Pour mon poignet, le jour. Ma cheville, la nuit. boris. Je te savais déjà dans ma vie, autant que je savais sophia, hors de ma vie. Autant ma vie, déjà, sortait de moi, pour s’installer entre les chiffres, confortablement régularisée et prête à attendre. Qu’attendre. Attendre l’attente et lui demander à son tour d’attendre aussi. Et regarder par les yeux de boris, ceux dont on voit qu’ils ne bougeront jamais, cristal sous la roche. Au coin de toutes les ruelles. Sombres et sales. Je verrai qu’attendre n’a de sens que si rien ne vient.



de formidables bruits de sabots se précipitent
hors des catacombes des océans
personne ne les reconnaît
seul ne les entend
qu’un camelot naissant dans la cire du sans rien dire
tel un soliflore
il penche sa tête de côté
tend une main blanche
ouverte
à l’immuabilité
à une marionnette
noire
fermée



une sacoche rouge tranche sur le blanc du lit

les architectes universels dessinent
avec des crayons de cire
sur un corps immobile
toute une série de chiffres nubiles



- je pris la décision de ne plus ressentir mes souffrances, de ne les reconnaître que par les yeux des autres, les insensibiliser et les nommer boris. Et on racontait… me racontait… et je n’écoutais pas, je n’écoutais plus déjà. Je regardais au-delà des murs et jetais mes yeux dans les eaux du fleuve, fleuve que personne ne voyait, ne s’attardant, ne s’intéressant qu’à ma bizarrerie. Mes parents-architectes s’immobilisaient devant moi… ne reconnaissant plus mes odeurs ils sentaient que j’allais dès ce moment devenir cet être de ruelles aux gestes mécaniques, amoureux fébrile d’une marionnette noire qui rêve d’un cheval de bois.


Merci d'avoir si longtemps attendu!

Au prochain saut


















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