jeudi 31 mai 2007

Le cent soixante-quatrième saut de crapaud (24)


Chapitre 58



- J'en suis certaine. Il y a eu du bruit au sous-sol, dit Caro redoutant le moment où quelqu'un ou quelque chose se manifesterait dans cette maison.
- Allons voir ce qu'il peut bien y avoir dans cette pièce, reprit Mario.
- C'est peut-être le gros bonhomme et son chien qui sont en bas. Ils vont monter et nous zigouiller, continua Caro.
- Comment fera-t-il pour tous nous zigouiller en même temps? demanda Rock.
- Avec une bombe atominque miniature portative, dit Annie.
- Ne restons pas plantés là comme du blé d'Inde, termina Mario en ouvrant le troisième porte.
- Pas peur, Raccoon, y zigouillera rien icitte, le gros.


Cette pièce donnait sur un escalier dont les marches fortement distancées les unes des autres, montaient raides. Raccoon, dans les bras de son maître, sa mère ou son frère... enfin vous connaissez la suite... se mit à bouger tant et tellement que Joe peinait à le retenir:
- Y sent queque chose, chu sûr.


Les Six gravirent les marches. À l'étage, un autre escalier, toujours dans le coin nord de la maison, de même que plusieurs portes mais une seule attira leur attention, celle qui était entrebaîllée. Mario s'y dirigea. Il entra.


Le groupe reconstitué le temps de le dire y découvrit: deux rats (un albinos et le second noir et blanc) et par terre, six jeunes endormis.


- Les punks! dit Joe dont les dents se serraient, les poings se fermaient.
- Mais c'était un rêve, Joe, comprends-tu, un rêve, ne cessait de répéter Rock au bord d'une crise de quelque chose.


La pièce répandait des odeurs de bière et de marijuana; Joe venait de le dire et là-dessus personne n'osa le contredire:
- Y sont full bostés.


Derrière eux, la porte se referma et les Six entendirent clairement que l'on verrouillait.
- Nous voilà pris au piège, dit Caro tremblante de peur.
Joe s'approcha d'elle, lui prit le bras ce qui eut pour effet de la calmer.


- Comment se fait-il qu'ils ne se réveillent pas, ils sont tout de même pas morts? demanda Rock pour détendre, si cela pouvait être possible, une atmosphère que même un couteau scout et suisse réunis n'aurait pu couper.


Mario avait bondi vers la porte, s'y était collé l'oreille, tentant de découvrir quelque chose. Il bougea la poignée. Cela ne donna aucun résultat. Ils étaient bel et bien enfermés à clef. Dans cette pièce - sans fenêtre, aux murs blancs comme ceux des hôpitaux, un système de son par terre et tout à côté, un petit réfrigérateur - où deux rats se promenaient sans nullement se soucier des nouveaux arrivés.


Bob se dirigea vers le réfrigérateur pour y trouver autant de bouteilles pleine que de vides autour des jeunes endormis. Il crut un instant que ces derniers avaient été, eux aussi, victimes des champignons; il n'en souffla mot à personne. Sur le système de son, un cendrier rempli de mégots de cigarette et de marijuana.


Raccoon frétillait dans les bras du grand qui ajouta de la pression afin qu'il ne puisse pas se sauver. Cela lui fit mal, suffisamment pour qu'il griffe Joe, s'élance par terre et si dirige directement vers les rats, leur faisant face.


- Attention! Ça peut dégénérer en bagarre, lança Bob.
- J'va l'pogner.
- Non, attends, Regardons ce qu'il va faire.


Joe oébit à la consigne de Mario. Son bras saignait:
- Y a pas voulu m'faire mal, chu sûr... Y voula juste aller les écoeurer.


Les rats ne bougeaient pas. Debout sur leurs pattes arrières, dans le coin de la pièce, ils avaient face à eux un bébé raton laveur à moins d'un mètre de distance. Ni d'un côté ni de l'autre, on semblait se craindre. Le duel était proche...



Chapitre 59




L'inspecteur Jackson, suivant son chien, se retrouva au rez-de-chaussée. Les pistes que flairait Roger Ninja les menèrent dans la troisième pièce, à l'escalier puis finalement à l'étage. C'est là qu'il entendit parler derrière la porte:
- Nous les tenons, Roger Ninja. Tu les entends comme moi, ils sont derrière. J'appelle la Centrale ensuite nous enfonçons avec notre super cri de ralliement et l'affaire est classée.

Au cellulaire, toujours rien. Aucun grichement même. Le néant. Il regarda sa montre:
- Il est certainement beaucoup plus tard que 9 heures. Elle ne fonctionne plus cette montre. Tu te souviens, Roger Ninja, disait-il avec un on-ne-sait-quoi de nostalgie retenue dans la voix, je l'avais reçue en récompense suite à la fameuse enquête que nous avions menée sur cette compagnie de bas-culottes américaine qui vendait illégalement au Canada.

Il s'approcha de la pièce, sonda la porte. Verrouillée. Il chercha dans le trousseau de clefs et finalement, vous pouvez imaginer le nombres de tentatives infructueuses qu'il se tapa avant de parvenir à ouvrir et entendre:
- On est tous morts. C'était le cri de Caro.
- Ne bougez plus personne, Vous êtes tous, individuellement et collectivement, qui que vous soyez et où que vous soyez, dans le plus total état d'arrestation. Ceux qui sont au sol, ces paroles s'adressent également à vous.
- Vous faites erreur, monsieur. dit Mario tout en s'avançant vers le gros homme.

Jackson sortit une arme de petit calibre, la braqua entre les deux yeux de Mario qui avala sa salive, recula et comme dans les films, leva les bras.

Durant ce temps, Roger Ninja qui avait reconnu le bébé raton laveur, se dirigea vers lui. Face à l'augmentation des effectifs devant eux, les rats profitèrent du moment où Raccon fraternisait avec le chien, pour déguerpir. Fuir serait sans doute un euphémisme. Passant entre les jambes de Jackson, celui-ci hurla de frayeur, perdit son révolver sur lequel Annie sauta pour le remettre immédiatement à Mario.

- L'heure des explications est maintenant arrivée, monsieur. - On sentait toute l'influence de la télévision dans cette réplique à l'emporte pièce que les autres reçurent comme si la situation venait brusquement de changer de bord. « Vous rappelez votre chien, sinon je l'abats comme un chien. » - Celle-ci était peut-être de trop. -

Ses paroles sonnaient justes et impressionnèrent l'inspecteur Jackson, pour les autres c'était déjà fait. Mario se sentait maître de la situation, en pleine possession de ses moyens.

- Je suis l'inspecteur Mike Jackson, de la brigade criminelle de la police de Montréal. J'enquête actuellement sur le vol que vous avez commis hier matin derrière le Musée Saint-Antoine. Je n'ai sans doute pas grand chose de plus à ajouter là-dessus.

Les Six se regardèrent, surpris que cette hsitoire de vol soit rendue ici et encore plus de se voir accusés d'en être les responsables.

- Ce grand jeune homme avec un habit de combat correspond tout à fait à la description qu'en ont fait les employés de la Brink's.
- L'grand jeune homme, cé moé ça? Joe ne laissait pas le chow chow des yeux. Un chow chow heureux d'avoir retrouvé son petit ami qui, de son côté, paraissait bien déçu que les rats aient profité de l'altercation entre Jackson et Mario pour prendre la poudre d'escampette.

Un grand voile d'incompréhension, un peu comme le brouillard de ce matin, enveloppait la situation. Les propos du policier ne parvenaient pas à éclaircir quoi que ce soit. Ce fut alors que ça se mit à bouger du côté des punks. Le plus âgé du groupe, l'oeil malicieux, se leva:
- C'est quoi l'affaire? On nous avait dit qu'on serait tout seuls ici. Vous faites quoi?
- T'aura avantage à r'tourner dormir, le tarla.
- Je t'ai déjà vu quelque part, toi.
- Té pas tu seul à dire ça.

L'Inspecteur nageait dans la sueur et la plus inimaginable confusion. Devant lui, tellement de jeunes qu'il ne savait plus lesquels faisaient partie de son enquête et ceux qui n'avaient rien à y voir, que faisaient-ils ici ? En plus, son chien l'abandonnait au profit d'un petit raton laveur.

- À qui appartient cette maison? demanda Jackson en se grattant la tête. Levant son bras pour effectuer sa machinale habitude, il fit reculer Mario d'au moins trois mètrees tellement les odeurs qu'il dégageait ( bras et bouche) étaient épouvantables.

- Vous faites partie de l'organisation? continua le punk incapable de mettre de l'ordre dans l'histoire.

Mario, de loin, tenait le bonhomme en joue mais ne savait plus trop si le danger n'était pas ailleurs, du côté du punk et de ses acolytes toujours inconscients au sol.

- Où est McCrimmon? demanda le punk. Il devait être ici ce matin et nous ramener sur la route principale. Le chauffeur de camion McCrimmon...

Il n'eut pas le temps de rajouter autre chose qu'il s'effondra par terre, atteint en plein milieu du crâne par un clou mesurant autour de quinze centimètres. Le sang qui gicla se mit à lui couler dans la figure.

Devant ce spectacle ahurissant, chacun cherchait un endroit pour se cacher. Comment le faire dans une pièce vide? Le seul escalier, celui qui menait au deuxième, personne n'avait le goût de l'utiliser.

Ce clou lancé vers le punk avec une précision de laser, d'où venait-il?

mercredi 30 mai 2007

Le cent soixante-quatrième saut de crapaud (23)


Chapitre 56



Mario entra le premier dans la maison. Attendant les autres, pas du tout en troisième vitesse, ce fut le profond silence, de ces silences tellement lourds et profonds qu'ils vous blessent les oreilles, qui monopolisa son attention.
- Restons en groupe et pas un mot. On ne se lâche pas pour aucune raison.
- C'est justement cela que je me disais, répondit Caro de plus en plus mal à l'aise.
Par prudence, Joe ramassa Raccoon, lui chuchotant que pour rien au monde il ne devra s'aventurer seul.

Dans cette grand pièce vide, aucun meuble, aucun appareil ni électrique ni ménager, que trois portes formant...


- Un triangle.
- T'es tannant Mario avec té triangles.
- Remarque la disposition des portes, tu vois bien qu'elles forment un triangle.
- J'é jama été bon en maths.
- Un triangle a 180 degrés, continua Rock.
- En additionnant les trois chiffres, on obtient 9.
- Évident, poursuivit le plus petit.
- Voilà. 9. Tout comme un triangle possède trois côtés.
- Je ne te suis plus.
- Continuons en silence, coupa Mario des yeux tout le tour de la tête.


Annie ressentait le goût de fumer, plus que celui de manger, mais à l'intérieur c'est interdit. Elle suivait sa soeur un moment, puis son frère, un autre... comme pour resserrer l'esprit de famille! Mais où était-elle maintenant cette famille? Qu'en sera-t-elle lorsqu'ils reviendront à Rodon Pond, si jamais ils y reviennent?


Les trois portes étaient fermées. Aucune indication particulière ne pouvait les distinguer ou les caractériser. Au sein de la gang, l'assurance qu'on allait suivre les indications de Mario devenait de plus en plus un leitmotiv. Même du côté de Bob, complètement dépassé par la situation. On ne jouait plus maintenant, l'heure scoute avait fait place à la survie, pas la factice, la vraie. Il ne s'amusait plus et espérait de toute sa promesse scoute qu'on allait pouvoir sortir de ce merdier dans lequel, involontairement, il les avait menés. Tout démêler, ce qui ne faisait pas partie de ses plans, devenait une tâche abstraite qu'il venait d'abandonner dans les mains de Mario.


Caro s'approcha de Joe, ne voulant plus le laisser. Elle admit que près de lui une espèce de sécurité l'habitait, sentiment qui naquit le fameux soir... Jamais auparavant elle ne lui aurait fait confiance et ne se plaignait pas de voir Annie s'intéresser à lui, ceci lui permettant de ne pas trop se faire déranger. Mais elle l'avait bien vu, ce grand Joe militaire, lui glisser Raccoon dans les bras lors de la dernière séance de photographie: Raccoon, l'être le plus important dans sa vie.


Sans qu'il ne s'aperçoive, elle le regardait: cette chevelure impressionnante jamais coiffée, cette démarche dégingandée, cette allure de celui qui se fout de tout, Caro ressentait dans le regard qu'elle portait sur lui, que battait un coeur et qu'il l'entendait. Et que dans ce coeur, il y avait plus que ce qu'elle pouvait imaginer.


Mario s'approcha de la première porte. L'ouvrit. Doucement. À l'intérieur, les Six + un y découvrirent une série d'ordinateurs qui ne semblaient pas fonctionner. De marque inconnue - décidemment on était en monde inconnu, après les arbres voici ces appareils - disposés en triangle - admettez que vous vous y attendez! - aucun ne longeait les murs. Celui qui était situé à son sommet possédait une dimension plus importante que les autres.


- Tu vas certainement dire qu'il y en a 9?
- Les as-tu comptés? Rock.


Joe s'avança vers le premier appareil et, appuyant sur une touche placée du côté gauche de l'ordinateur, il sursauta, surpris de la voir démarrer.
- Hey! man, venez voir!


En demi-cercle derrière Joe, ils virent apparaître à l'écran le fameux insigne: un aigle à deux têtes avec des griffes puissantes tenant on se sait quoi.
- Cé pas la promière fois qu'on voé c'te bebitte là.
- Regarde le triangle qui entoure l'insigne, constata Rock, heureux de le faire remarquer à un Mario de plus en plus sombre.


L'aigle resta visible à l'écran quelques instants puis s'émietta. Une fois disparu, l'appareil s'éteignit de lui-même ce qui fit ouvrir un deuxième. Tout y était bleu. Vaguement, ils purent distinguer comme sur une carte que l'on verrait à vol d'oiseau, de petites veines blanches y circulant. Lentement, le bleu pâlit et s'y installa une image tout à fait reconnaissable.
- C'est le champ en arrière.
- Ne parle pas trop fort, Rock.
- Je suis certain que c'est le champ de blé artificiel qu'on a vu tout à l'heure. Rock s'excitait rapidement.
- J'te gage qui va flyer pis l'aut va s'allumer.
- Bon raisonnement. termina Mario.


Ce fut exactement ce qui se produisit. Le vert sur lequel les veines blanches s'étiraient offrit une image d'une clarté parfaite: le champ de blé s'ouvrait... sous lui, un cimetière... ou quelque chose dans le genre. Une texture semblable à celle du gazon artificiel que les Six avaient pu voir au Stade Olympique formait cette deuxième couche recouvrant le champ de blé.


Quatrième ordinateur: même stratagème que les trois premiers. Ils étaient, cette fois, dans les teintes de jaune. Les veines blanches aboutissaient sur une piste d'avion. Dire combien ils furent ébahis! La piste semblait à Mario se situer sous le cimetière lui-même, sous le champ... Des sous-étages...


- Je me demande combien il peut bien en avoir de ces étages?
- Tu sais bien qu'il y en a 9, répondit illico Rock à Bob dépassé par les événements mais cherchant à mettre de l'ordre dans tous ces illogismes qui l'agaçaient.


Mario remit du sérieux en leur faisant remarquer que le cinquième ordinateur tardait à s'ouvrir:
- On n'en saura pas plus si le prochain ne démarre pas.
- Comprends-tu mieux maintenant? demanda Bob.
- Pas encore, mais ça ne saurait tarder, précisa Mario.


Il ne venait pas d'achever sa phrase que tout s'éteignit. Les ordinateurs revinrent à leur noirceur originelle.


- Sortons de cette pièce. Allons voir l'autre. Sitôt dit que Mario franchissait la deuxième porte qu'il avait ouverte avec la même délicatesse que la première.


- Mario, remarques-tu? Comme dans l'autre pièce, il n'y a pas de système électrique. Comment tout peut fonctionner? Quand même pas magique!
- C'est clair que nous sommes en présence de quelque chose de très avancée sur le plan technologique. Je ne peux pas dire comment mais...
- ... de la science-fiction? continua Rock.
- Pas certain, non plus.


La deuxième pièce, vide. Une fois les Six + un en plein centre, ils entendirent des sons ou des bruits, c'était vague encore, mais ils semblaient provenir de l'intérieur de la maison sans qu'ils ne puissent voir quoi que ce soit.


- Ça me rappelle ta légende, Mario. Tu te souviens du vieux monsieur qui ne voyait rien mais entendait des choses et ensuite il entendait mais ne voyait plus...
- On est peut-être en train de vivre la légende!
- Mario, ça ne se peut pas, c'est toi-même qui l'a dit, termina Rock qui fouillait le vide de cette pièce yeux et oreilles à l'affût.


Les filles, un peu derrière, encadraient Joe et Raccon. Elles avaient particulièrement hâte que tout cela finisse et se sentaient impuissantes à en accélérer le dénouement.


- Dirigeons-nous vers le porte numéro 3. Mario vérifia derrière lui si tous le suivaient.


Arrêt. Écoute. Cette pièce, la suivante, pourrait leur apporter de nouveaux éléments, voilà l'impression qui fit du saute-mouton de l'un à l'autre. - De toute façon, comme lecteurs, vous vous dites que ça commence à être le temps que tout débloque. On comprend. -


Hésitation. Échange de regards entre les Six + un. Mario ouvrit, cette fois avec précaution plus que délicatesse. - Vous aurez noté la nuance! -

Chapitre 57


Lorsque l'inspecteur Jackson reprit conscience, deux choses lui apparurent: son chien fidèle couché tout à côté et le trousseau de clefs sur son ventre.
- L'odeur ne s'est pas améliorée.


Il chercha autour de lui, le RYLING 1926 sans doute, mais dans sa posture, ce fut la masse imposante du camion qui le surprit. Aucune trace de ces fameux outils volants ressemblant à des armes qui l'avaient obligé à un tour et peut-être moins du dix-roues, avant de s'effondrer.


Pesamment, il réussit à s'asseoir et entreprit un examen approfondi du trousseau de clefs. Elles étaient d'un très ancien modèle malgré le fait qu'elles fussent neuves, de formes différentes sauf une caractéristique commune: un insigne sur lequel se profilait un aigle à deux têtes et des griffes gigantesques tenant des objets difficilement identifiables.


Il considéra le garage où aucune porte, aucun cadenas auraient nécessité une clef afin de les ouvrir. Il se leva, tituba un peu sous l'effet du vieil alcool et celui du choc causé par le marteau volant, refit une autre fois le tour du garage. Dans sa tête un peu endolorie, il devenait certain que sans portes ou sans cadenas... son enquête risquait de faire du sur-place.


Roger Ninja suivait son maître avec une attention préventive... se demandant dans quel guépier il allait se retrouver d'ici peu de temps. Pas encore au bout de ses surprises et pour éviter le pire, le chow chow le regardant aller d'un côté puis de l'autre dans cet espace où l'odeur devenait de plus en plus intenable, se leva pour se diriger à droite du camion.


Sur un des murs, celui donnant sur la maison, le chien découvrit une toute petite serrure, mais vraiment minuscule. Il jappa. Jackson le rejoignit. Au bout du museau de son collaborateur, un orifice pouvant recevoir une clef. Après deux ou trois vaines tentatives, comme il était évident, la plus petite de toutes y trouva son chemin.


L'Inspecteur tourna dans le sens des aiguilles d'une montre. Un trou se forma dans le mur, d'un mètre de diamètre, assez pour y passer la tête. À l'intérieur, trois espaces dont deux étaient éclairés. Il dit à Roger Ninja:
- Ça ressemble à un tunnel. Je pense que l'on vient de découvrir quelque chose d'intéressant, mon cher Roger Ninja. Allons plus en profondeur...


Ils s'y glissèrent, choississant un des deux endroits éclairés. Ils ne pouvaient pas se lever pour le moment, mais d'ici quelques mètres cela leur sera possible. Le trajet allait en s'abaissant et suivait une ligne parfaitement droite.


Au bout de quelques miunutes de marche, les deux compagnons liés par la digne profession de voir à la sécurité publique et la répression du crime, stoppèrent devant une porte en cuivre surdimensionnée. Et cadenassée. Difficilement, Jackson trouva la clef puis ouvrit. Ils se retrouvèrent à ce qui leur sembla être le sous-sol de la maison.
- Au moins, ici, ça ne sent rien dit Jackson tout en jetant un coup d'oeil mais surtout en écoutant attentivement.


Son regard s'était de lui-même élevé vers le plafond comme s'il pouvait voir des bruits à travers le plancher. « Ce petit whisky est beaucoup plus solide que je ne croyais. »


Le sous-sol ne formait qu'une seule et unique grande pièce - il faut s'habituer dès maintenant à cette maison, il nous semble que toutes les pièces seront grandes - remplie de boîtes empilées les unes sur les autres. Une centaine sans doute. Sur chacune, un triangle encadrait l'insigne que l'inspecteur Jackson avait repéré sur les clefs.
- On croirait que voilà un entrepôt. S'il s'agit de whisky, je m'abstiendrai mais je serais plutôt enclin à penser qu'il pourrait s'agir de pierres précieuses. Ce tunnel que nous venons de parcourir leur permet de charger ces boîtes dans des camions stationnés dans le garage. Cela sans que personne dans les environs ne se doutent de rien. Beau plan!


Roger Ninja écoutait son maître donner des explications qui lui semblaient jouer davantage dans le monde de la divagation.
- Nos voleurs font partie d'une organisation beaucoup mieux structurée que nous le croyions au départ. Il nous faudra redoubler de vigilance. Examinons tout de même le contenu de ces boîtes.


L'Inspecteur ordonna à son chien de les flairer. Le chow chow, hésitant quant au côté à prendre, se lança droit devant, quelque chose lui disant qu'il ne devait pas japper. Vous remarquez tout de même de quel instint incroyable était muni ce chien!


En deux temps trois mouvements, Roger Ninja indiqua par des gestes d'aller-retour que certains cartons lui paraissaient suspects. L'Inspecteur, tout sourire, en fit basculer un de la pile pouvant certainement en contenir trente. La boîte de deux mètres de long par un mètre de large sur cinquante centimètres de haut, était scrupuleusement identique aux autres:
- J'ouvre celle-ci? demanda-t-il à son chien qui avait cesser de bouger, n'attendant plus que ce dernier agisse.


Jackson sortit un canif d'une de ses nombreuses poches d'imperméable. Facilement, trop peut-être, la boîte s'ouvrit. Des outils disposés de manière symétrique y reposaient: marteaux, petites masses et barres à clous.
- Des outils. L'inspecteur Jackson offrait une mine patibulaire.


Sur la boîte, il remarqua le fameux triangle et l'insigne de couleur rouge alors que la suivante tout juste au -dessous de celle-ci, eh! bien le triangle et l'insigne étaient de couleur bleue. Il la fit basculer afin de vérifier s'il s'agirait de la même cargaison, comme parfois ce valeureux inspecteur pouvait manifester une once de bon sens...
- Je le savais.


Roger Ninja était tout excité. L'inspecteur Jackson lui avait fait suivre une formation spécialisée pour flairer la drogue et là, devant eux, toute une cargaison de poudre blanche.
- En plus de voler des pierres précieuses, on trafique de la drogue. Ça me semble être de la cocaïne la plus pure qui soit. Qu'est-ce qu'il y a maintenant dans les boîtes avec un triangle et un insigne de couleur verte?


Ce dernier carton fut plus difficile à manipuler, pas plus lourd mais les boîtes semblaient soudées ensemble. Trois pour en former une. En sueurs, il réussit tout de même à en descendre une de la rangée; coup de canif et vlan! il tomba sur une boîte en métal.
- Ça doit être bien précieux, cette affaire-là.


Après plusieurs efforts, il l'ouvrit: des tubes de verre dans lesquels flottaient des ampoules et des seringues. Chaque tube contenait une ampoule et une seringue.


Souhaitant en ouvrir un, son attention fut portée vers l'étage. Il avait entendu marcher. Ou parler. Il regarda du côté de Roger Ninja qui se dirigea tout de suite vers l'escalier au fond de la pièce.

mardi 29 mai 2007

Le cent soixante-quatrième saut de crapaud (22)



Chapitre 54


- Roger Ninja, vois-tu ce que je vois?

Le chien et Raccoon s'amusaient, le plus petit courant dans une direction et le chow chow, oubliant sa formation de chien policier, partait derrière lui et deux instants après, ils se retrouvaient un peu plus loin.

La puissante mâchoire du chow chow aurait pu, d'un seul coup, faire de la bouillie du raton laveur mais Raccoon et Roger Ninja, le moins que l'on puisse dire, étaient devenus d'excellents amis. ce que remarqua l'Inspecteur en plus du fait qu'il parlait tout seul.
- Espèce de bébé de chien! Pas moyen d'être sérieux. Roger Ninja, viens voir ce que j'ai découvert.

Rien de plus normal pour le policier que de voir devant lui cette maison, il n'y trouvait là rien de particulier ou de spécial, cela faisait comme partie intégrante des conclusions de son hypothèse quant au vol de pierres précieuses, convaincu qu'il venait de découvrir le repère des voleurs et que maintenant, il les coffrerait comme des débutants. Plus de problème de communication puisqu'il trouverait à l'intérieur de cette maison un téléphone lui permettant de rejoindre la Centrale de Montraél qui aussitôt lui enverra un hélicoptère pour ramasser tout ce beau monde. Déjà, dans sa tête, il préparait les réponses aux questions de tous ces journalistes venus du monde entier et au-delà pour couvrir cet événement. Le Musée Saint-Antoine lui remettrait un doctorat honoris causa suite à cette capture; une exposition de cette envergure, on n'avait pas l'occasion d'en recevoir à Montréal tous les ans.

Jackson était persuadé que les voleurs dormaient dans la maison et en fin limier qu'il croyait être, s'avança avec toutes les précautions que son métier exigeait, avec des airs, des gestes emprunté à son émule, l'inspecteur Clouzot alias La Panthère Rose pour qui il avait une admiration incommensurable. Mais, au-delà de tout cela, de toute la gloire rejaillissant sur lui, il souhaitait pouvoir casser la croûte dans les plus brefs délais, son appétît lui envoyant des sons non équivoques.
- Roger Ninja, viens ici tout de suite. L'heure est grave. Nous devons nous diriger vers cette maison qui, étrangement, ne porte pas de numéro civique.

Le chien, qu'un élan professionel ramena à la complexe réalité de l'enquête , se précipita vers son maître, suivi par Raccoon s'imaginant que son nouvel ami jouait toujours.

Le flair de ce chien était reconnu pour sa presque infaillibilité, de sorte qu'il se dirigea immédiatement vers le garage dont la porte était demeurée ouverte. Il entra. Fit le tour pour ressortir aussitôt après avoir émis un jappement digne du Vagabond.

Les Six, rendus à la haie, entendirent le chien.
- Raccon è avec eux autres, j'y va.
- Non, Joe, tu attends. Tu vas nous faire repérer. Observons d'abord de loin, nous verrons par la suite. Mario se faisait de plus en plus catégorique.
- Oui, mais le chien va flairer nos pas, reprit Bob. Il faut entrer et se barricader dans la maison.
- À moins qu'il n'entre lui-même, s'il est familier avec cette demeure.
- Tu as raison, Mario. Trouvons un endroit où nous cacher.

Les membres de la gang ressentaient de plus en plus de nervosité, cela paraissait dans leurs agissements alors qu'ils allaient d'un côté, d'un l'autre, indécis quant à la direction qu'il leur fallait prendre. En traversant la haie, ils virent un très grand champ dans lequel poussait du blé. Ou quelque chose dans le genre...





- Il ne semble pas vrai, dit Annie.
- Exact. Je n'ai aucune idée en quel matériau il est fait, dit Rock cherchant du regard à en trouver l'extrémité.
- On croirait une espèce de tableau dans lequel on peut s'avancer mais dont les limites se repoussent à mesure.
- Comme du blé artificile, conclut Rock.

Afin de mieux voir et surtout pour épier l'homme, son chien et Raccoon, les Six grimpèrent chacun dans un arbre. Plus ils montaient, mieux ils pouvaient apercevoir la profondeur inimaginable du champ de blé. De la maison, face à eux, toujours impossible de voir à l'intérieur mais le garage sur la gauche paraissait minuscule par rapport à ce château.

Ils pouvaient voir qu'au rez-de-chaussée les fenêtres se faisaient rares alors qu'au deux étages, il leur était difficile de les dénombrer. Pas de rideaux. Pas de stores. Ça semblait obscur à l'intérieur.

- J'voé Raccoon, dit Joe alors qu'il faillit tomber en bas de son perchoir.
- Pas un mot, Joe, lui dit Mario.

L'inspecteur Jackson entra dans le garage. Raccoon resta dehors comme si quelque chose l'incitait à ne pas le suivre. Après s'être arrêté à la hauteur du raton laveur, le chow chow, à son tour, pénétra. La porte se refermait derrière eux.

Alors que les Six ne lâchaient pas l'endroit des yeux, ils entendirent un grand cri, ce qui effraya Raccon. Il recula et se dirigea vers l'arrière de la maison. Joe, voyant que son bébé raton laveur s'approchait des arbres, descendit et l'appela. Raccoon le reconnut et bondit vers son maître, sa mêre ou son frère, la fin de l'histoire finira bien par nous le dire.
- Tu veux m'faire mourir. Cé quoi l'idée de suivre le premier venu qui passe? T'aura pu t'faire dévorer par c't'espèce de gros toutou.

Joe ne s'occupait plus que de son raton laveur et n'entendait pas Mario qui lui chuchotait:
- Joe, tu remontes ou quoi?
- As-tu entendu le cri? On devra allé voir. Y sont p't'être faites tuer eux autres itou.
- Pas question. Tu remontes et tu te la fermes.

Ce que Joe fit, fier d'avoir retrouvé Raccoon. Reprenant son poste dans l'arbre, comme les autres, il attendit tout en placotant avec son animal.

Les montres s'étant arrêtées, impossible de dire quelle heure il pouvait bien être et depuis combien de temps, le bonhomme accompagné de son chien étaient enfermés. Seraient-ils tombés dans un piège qu'eux auraient évité de justesse?

Au bout d'un moment, approximativement quinze minutes, Mario dit:
- Je ne sais pas ce qui se passe mais on ne va tout de même pas mourir ici. Descendons et tentons d'entrer dans la maison. Elle semble abandonnée.
- T'es certain de ce que tu dis? demanda Caro.
- Non, mais il faut bien tenter quelque chose.
- Je ne sais pas si c'est prudent, continua Caro.
- Non, mais ma conscience me dit qu 'il faut franchir cet obstacle, acheva Mario en quittant son poste de surveillance.

Les autres l'imitèrent.

Annie se demanda s'ils pourront trouver quelque chose à manger, eux qui n'ont pas déjeuné et qu'il était au-delà de neuf heures depuis un bon moment.

Mario, songeur, calculait dans sa tête. Rock s'inquiétait pour son ami et lui demanda:
- Pourquoi nos montres se sont-elles arrêtées à neuf heures? Pourquoi tous ces triangles? Le hasard?
- Non, Rock. À partir de l'étang, il ne faut plus parler de hasard. Tous ces événements sont reliés entre eux. Le nombre 9, le triangle, l'insigne... tout cela veut dire quelque chose... Je suis certain que cette maison est la fin ou le commencement de tout cela.
- Peux-tu être plus précis? demanda Caro.
- N'attendons pas un instant de plus et entrons.

Ils n'eurent guère le temps de réfléchir que déjà Raccon était à la recherche d'un endroit pour entrer.
- Un vra raton laveur policier, dit Joe, fier de son petit animal.

Bob jeta un coup d'oeil vers le garage où tout lui semblait bien calme depuis le grand cri qu'ils avaient entendu, sachant très bien ce qui pouvait en avoir été l'origine.

- Ça y est, Raccon a trouvé, dit Bob qui se précipita, suivi des autres, vers une des extrémités de la maison.

Un escalier. Un perron. On déambulait sur la pointe des pieds. Une fenêtre ouverte de quelques millimètres. On ouvrit et voilà, les Six + un à l'intérieur d'une fort silencieuse demeure.


Chapitre 55




L'inspecteur Jackson revint de son évanouissement. La vue des cadavres à l'intérieur de la boîte du camion l'avait renversé. Roger Ninja, immobile à côté de lui, attendait que le gros homme reprenne conscience se demandant où avait bien pu se cacher son jeune nouvel ami.
- C'est effrayant, cette odeur-là!

Debout près du camion, l'Inspecteur jugea plus professionnel d'y remonter afin de prendre quelques empruntes digitales sur chacun des cadavres. Il se demanda comment il allait faire, l'odeur étant suffocante. Revoyant les macchabées, il frissonna d'horreur tout en se grattant la tête.

Ce fut alors qu'il vit une caisse dans un des coins de la pièce. Il s'y rendit. L'ouvrit. À l'intérieur, quelle ne fut pas sa surprise de découvrir de magnifiques bouteilles de whisky. Pleines. En récupérant une, il put lire la marque: RYLING 1926.
- Superbe ! Du 1926...



L'Inspecteur s'en léchait les babines. En calculant rapidement, il constata que trois bouteilles manquaient sur les douze que la caisse devait contenir. Il ouvrit celle qu'il tournait et retournait dans ses mains depuis un bon moment. Il se préparait à en déguster une gorgée quand il vit, par terre, un trousseau de clefs.

Roger Ninja le surveillait, découragé il se cacha les yeux de ses pattes. Les coups d'oeil qu'il lançait à l'occasion ne le rassuraient pas et il était convaincu que quelque chose était sur le point de se produire...

Et voilà! Ce chien et son flair: tout à fait remarquable. L'inspecteur Jackson goûtait à cet incroyable 1926. Il se sentit frapper dans le dos. La bouteille, à moitié vide ou à moitié pleine, cela dépend du point de vue, se retrouva par terre. Jackson également. Se relevant, il vit une espèce de marteau accroché à un système pouvant le propulser qui reculait comme pour mieux s'élancer vers lui. Son seul réflexe fut de partir à courir. Il tournait autour du camion, poursuivi par le projectile, toujours incapable de dire s'il s'agissait d'un marteau ou d'une arme.

Essoufllé au bout de deux instants, l'Inspecteur s'écroula de nouveau au sol. Est-ce la course ou bien le whisky 1926? mais voilà qu'instantanément, il s'endormit échappant le trousseau de clefs. Roger Ninja s'approcha et de sa vigoureuse mâchoire récupéra le trousseau qu'il déposa sur le ventre de son maître.

lundi 28 mai 2007

Le cent soixante-quatrième saut de crapaud (21)


Chapitre 52

- Qu'est-ce que tu fais là? demanda Mario , surpris de voir Joe endromi dans sa tente.

Joe sursauta:
- Où est Raccoon?

Pour sa part, Rock, endormi dans la sac de couchage de Joe fut réveillé par une odeur d'urine qui l'entourait. Un découragement total l'envaillit, encore plus que de ne pas se retrouver dans la tente des Villeneuve entièrement déchirée du côté où normalement où il devait se retrouver et d'où sortit Joe.

Le brouillard à couper au couteau qui sévissait fit croire à Joe qu'il se trouvait dehors alors qu'il était encore à l'intérieur. Il hurla comme un perdu:
- Raccoon. Raccoon.

Les Poulin sortirent sans aucun autre avertissement... s'approchèrent et remarquèrent ce qui s'était passé: les dégats sur la tente empruntée aux Villeneuve étaient importants.

Rock, retrouvant le groupe, s'excusa pour l'odeur qu'il dégageait tout en disant que sa bouteille de parfum servirait de purificateur d'air.

- C'est l'odeur de Raccoon, dit Annie.
- Comment ça se fait que je sois dans le sac de Joe, pas dans la tente? Rock nourrissait une inquiétude moins forte que l'envie d'aller se jeter dans le ruisseau.
- Mais où est-ce qui a ben pu s'sauver? Tu y as pas fait peur, au moins?
- Je ne savais pas que j'étais dans ton sac! C'est toi qui m'a réveillé avec tes cris.

À ces mots, Joe appela une autre fois son bébé raton laveur pendant qu'un Mario sceptique examinait la tente. Il interpella Bob:
- D'après toi, est-ce que c'est l'oeuvre d'un animal? Si c'est ça, il possède toute une paire de griffes et surprenant que personne s'en soit aperçu.
- Un animal, si c'est bien cela, aurait éventré Raccoon en même temps, répondit Bob offrant un air beaucoup moins courageux que ce à quoi il avait habitué Mario.
- On n'est pas sortis du bois! C'est le cas de le dire, acheva Ti-Cote retournant vers les autres.

Rock dit qu'il allait se laver au ruisseau malgré ce brouillard épais qui ne le rassurait pas ni sur l'allée ni sur le retour.
- J'y vais avec toi. Je me souviens du chemin et je pense pouvoir m'y rendre sans m'égarer.
- Allons-y, Caro. Je ne peux plus me sentir.

Annie offrit une cigarette à Joe, tendu comme rarement:
- Té pu fachée?
- J'étais pas fâchée.
- Cé compliqué lé filles, finit Joe de plus en plus attentif au moindre bruit pouvant indiquer la présence de Raccoon aux alentours.

Bob et Mario tentaient de mettre un peu d'ordre ou de logique dans les derniers événements.
- C'est bizarre, on arrive presque à s'habituer aux affaires extraordinaires comme si à force d'en voir, ça devient banal, dit Mario qui n'avait pas tellement le goût de jaser.
- D'après moi, le brouillard devrait se dissiper au cours de l'avant-midi. Ça se terminera en pluie, s'il monte, ou en beau temps comme hier, s'il tombe.
- Tu parles de la météo, continua Mario, un sourire au coin des lèvres.

Le brouillard les emprisonnait à l'intérieur d'un mur de ouate alors que les deux, tout près l'un de l'autre et de la tente déchirée, discutaient du meilleur moyen pour se rendre à la fameuse maison - comme si rien d'autre ne put être envisagé... comme s'ils devaient « magnétiquement » s'y rendre... comme si ... - se demandant même si elle y était toujours. Ce brouillard était-il une autre supercherie pour davantage les perdre? Un moyen des éloigner soit de la maison ou du parc national ou ... ?

Les deux éléments sur lesquels ils furent en accord parfait: 1) ne pas bouger avant que la brume se soit estompée, par en haut ou par en bas et 2) que Joe ait retoruvée Raccoon. Eut-il été préférable de s'entendre sur un troisième (3ième) ? L'histoire, cette pauvre histoire qui ne devait pas avoir de fin, ne le dira peut-être jamais!

Caro et Rock revinrent, annonçant être à peu près certains qu'un petit chemin, un sentier - plus tard, beaucoup plus tard, alors que les Six furent en mesure de reparler de cette aventure, ils s'entendirent sur le fait que ce petit sentier devait porter le nom de « layon » parce qu'ils furent unanimes, on l'avait tracé, placé là afin qu'ils dussent le prendre - longeait le ruisseau.

- Comment avez-vous pu le voir avec tout cette vapeur? interrogea Annie.
- C'est vrai, Caro, au ruisseau il n'y avait pas de brouillard, c'était clair comme hier.
- J'vas voir si Raccoon y s'rait pas. Il partit en courant dans la direction qu'avait empruntée Rock et Caro, scandant le nom de Raccoon.

Une fois arrivé, il se jeta par terre: de l'autre côté du ruisseau, un gros bonhomme accompagné d'un chien chow chow. Pour ne pas être vu du bonhomme et flairé par la bête, le grand se mit à ramper tout en surveillant. Du point de vue où il se trouvait, Joe crut que l'homme parlait à son chien mais ils étaient encore trop loin pour saisir leurs propos. Comme muni d'un périscope, le grand déguisé en militaire-marin pour l'occasion, regardait autour afin de voir si Raccoon n'était pas leur prisonnier. Rien ne laissant présager qu'il fût avec eux, il rebroussa chemin, toujours à quatre pattes, et revenu vers les autres de la gang les invita à se taire alors qu'il racontait ce dont il avait été témoin.

- Il nous faut agir vite, dit Mario. Cet homme a certainement un lien avec ce qui se passe depuis deux jours...
- Nous sommes dans la troisième journée, je te fais remarquer, précisa Caro.
- ... Suivons-le tout en prenant garde au chien.
- J'pars pas si Raccoon n'é pas avec moé.
- Va falloir que tu fasses un choix, Joe. Nous sommes dans un sale pétrin et voilà qu'une lueur apparaît au bout du tunnel. On ne la laissera pas passer.
- Ti-Cote, jé dit qu'j'pars pas si Raccoon é pas avec moé, cé clair y'm'sembe.
- On n'a plus de temps à perdre. Laissons le campement comme ça. Nous y reviendrons après avoir suivi ce type et le chien. Si tu ne viens pas avec nous, Joe, tu nous attends ici.
- J'bouge pas, ça cé sûr et certain.

Quittant Joe, les autres de la gang, en quelques enjambées se retrouvèrent au ruisseau comme expulsés du brouillard.

- N'oublie pas les repères, Rock.
- Je n'ai plus de ruban, Mario.
- Ça va comme sur des roulettes!

Suivant le ruisseau, ils n'eurent pas cent mètres de franchis que le chow chow se mit à japper, et si fort qu'Annie crut un instant entendre le chien du voisin, à Rodon Pond. Les Six moins un et moins Raccoon, se retrouvaient à la hauteur du gros bonhomme faisant du sur place et d'un chow chow qui semblait les avoir repérés, mais c'était devant un petit animal dressé sur ses pattes postérieures qu 'il hurlait.

- C'est Raccoon.
- Qu'est-ce qu'il peut bien faire là? demanda Bob. Comment peut-on l'aider?
- Il est perdu, reprit Rock. Il ne prend certainement le gros bonhomme pour Joe.
- J'ai une idée, dit Mario. Dévions leur attention comme cela ils laisseront Raccoon. Mario lança une pierre tout juste devant eux.

L'inspecteur Jackson qui sursauta à la vue du bébé raton laveur, croyant qu'une mouffette se pointait devant lui, sausauta encore plus lorsqu'il entendit un bruit tout près.
- As-tu entendu, Roger Ninja?

Le chien, occupé à faire face au jeune raton laveur pas du tout impressionné par ce dogue au regard intelligent, s'approcha... le renifla... Il en conclut que cette bête était inoffensive, la laissa à sa petite danse joyeuse - toutefois, si vous saviez lire à l'intérieur du cerveau d'un bébé raton laveur élevé par un maître, une mère ou un frère, le mystère n'étant toujours pas résolu, vous auriez vu que ce Raccoon, le temps qu'il lui fallut pour se juquer sur ses pattes, crut voir une ressemblance entre des rats et cette bête; toutefois, comme vous le constaterez plus tard, ceci sera une prémonition qui devrait vous inciter à bien réfléchir sur les niveaux d'intelligence des animaux - Ne s'en occupant plus, il reprit sa marche au moment où Raccoon dans un grand élan de solitude, regardant autour de lui, décida de suivre le chow chow comme s'il... n'insistons pas.

- Faut aller chercher Joe. Vous m'attendez, je reviens.

Mario rebroussa chemin dans le silence le plus complet, rejoignit le grand et lui annonça la nouvelle. Les deux retrouvèrent la gang.
- Té sur qu'la grosse bête l'a pas dévorée?
- Joe, on l'a tous vue. Mieux que ça, on croirait que Raccoon suit le chien... un peu comme il te suivait d'habitude.
- Si y touche, j'l'étripe.

Revenus auprès des autres, on leur apprit que de l'autre côté, les deux... maintenant trois... avaient continué leur route par le ruisseau. De ce côté-ci, pourront-ils trouver la maison vue la veille?

Ils avancèrent sans voir Raccoon et ses deux nouveaux comparses. Il ne cessaient pas de marcher. Le brouillard, selon Bob, avait monté, formant une seconde couche de nuages en-dessous de l'habituelle.

Le chemin s'élargissait au fur et mesure... jusqu'à ce qu'un moment, devant eux, d'un gigantesque trois fois multiplié en raison de la proximité, la maison était là... À trois cents mètres du deuxième campement. Toute blanche avec ses colonnes, elle mesurait que ce que mesure un édifice de trois étages en ville... La largeur était impressionnante.

De son autre côté, l'inspecteur Jackson, passablement surpris de voir que le bébé raton laveur les suivait toujours, crut que son chien l'aurait fait déguerpir mais remarqua plutôt une sorte de complicité... animale... entre les deux. Parfois, le chow chow était devant; d'autres moments, le raton laveur comme plus à l'aise dans cet élément naturel que représentait pour lui, la forêt du parc national. Quelques fois, les deux, comme de vieux autochtones s'étant retrouver, semblaient se consulter sur la suite de la route. Toujours, le plus petit relançait la poursuite et les deux autres suivaient.



Le ruisseau serpentait et il était frappant de remarquer à quel point le gauche devenait identique au droit, comme si un miroir installé de chaque bord reflétait sur l'autre. Les chemins parallèles menaient sans doute à un même lieu, orientés qu'ils étaient vers la même direction.
Il était neuf heures.




Chapitre 53



Les Six moins Raccoon... remarquèrent que le chemin les ayant menés à cette maison possédait deux embranchements la contournant. Les fenêtres, c'était assez évident, présentaient une forme triangulaire alors que l'entrée encadrée par deux immenses portes-patio.

S'avançant tout en épiant, il leur était inpossible de dire si elle était habitée. Aucun bruit. Sur la droite, un garage, derrière lui, un mur d'arbres tout à fait inconnus pour eux.

- Est-ce une maison imaginaire?
- Si nous la voyons, Rock! continua Mario.
- Qu'est-ce qu'on fait? Rock continuait d'adresser ses questions à Mario.
- D'abord, rester ensemble puis faire le tour de cette étrange construction.
- Connais-tu cette espèce d'arbres, là, derrière la maison?
- C'est la première fois que j'en vois d'aussi grands et avec un tel feuillage.

Pendant qu'ils parlaient à voix basse, Joe se dirigea vers le garage, s'essaya à ouvrir la porte. Le bâtiment, tout comme la maison, était d'un blanc immaculé; les petites fenêtres, trop hautes pour qu'il soit possible d'y jeter un coup d'oeil.

- Venez voir. Joe avait découvert une issue à l'arrière.
- Ne faisons pas de bruit, dit Mario s'approchant avec les autres.

Face à la porte, Mario sonda la poignée qui tourna sur elle-même. Ça s'ouvrit. À l'intérieur, un camion stationné.

- Je l'r'connais c'te camion-làq.
- Moi aussi, ajouta Rock.
- Comment y s'appela déjà le bonhomme?
- C'était écrit sur la portière.

Les Six s'avancèrent. Le camion était d'une remarquable propreté. L'écriteau indiquait bien LES TRANSPORTS McCRIMMON, en-dessous, un insigne: un aigle à deux têtes tenant dans ses griffes des objets difficilement identifiables.

Bob s'approcha pour examiner de plus près le symbole sur l'insigne. Les autres vérifièrent la deuxième portière: même chose.

- Comment le camion a-t-il pu? Il n'y a pas de route depuis l'entrée du parc national et ici... C'est impossible!
- Je pense, Rock, que nous vivons dans l'impossible depuis deux jours, répondit Mario.
- Trois, précisa Caro.

Alors que les garçons vérifiaient à l'intéreiur de la cabine du camion, les filles faisaient le tour de ce garage humide. Rien d'autre. À la chaleur se mêlait l'odeur du désiel, rendant l'atmosphère intolérable.

Mario vérifia les pneus: aucun indice. Propres comme un sou neuf. Il monta fouiller la boîte recouverte d'une toile rigide, solidement ficelée aux rebords du camion.

- Il y a peut-être quelque chose sous cette toile. Je n'arrive pas à voir en-dessous. Venez m'aider.

Joe le rejoignit, tentant à son tour de soulever la bâche. À deux, ils n'y parvinrent pas. Même résultat avec l'aide de Bob et Rock.

Les deux soeurs, effrayées, s'éloignèrent de l'engin se tentant près de la porte arrière, observant autant à l'intérieur qu'à l'extérieur du garage.
- Penses-tu que la maison pourrait disparaître aussi vite qu'elle est apparue?
- J'en ai aucune idée, Annie, mais à partir de tout de suite rien ne peut être exclu.
- Si tout disparaît, qu'arrive-t-il de nous?
- Ah! Annie, arrête avec tes questions niaiseuses.

Les gars mettaient le maximum d'énergie afin d'enlever cette toile; un seul coin même et cela aurait été une grande victoire. La résistance était féroce.

- J'aurais dû apporter mon coffre à outils.
- Si Raccoon éta là, y aura pu nous dégriffer la all fit en moins de deux. La voix de Joe se faisait incertaine. On sentait bien qu'il n'aimait pas savoir son bébé raton laveur loin de lui, surtout avec ce chien impressionnant autour.
- Ça y est, on croirait que ça bouge un peu.
- Tu as raison, Bob, continuons tous ensemble, dit Mario.

Les quatre unirent leurs efforts et sentirent que la toile allait se déplacer, assez du moins pour qu'ils puissent y jeter un coup d'oeil. Ce fut l'horreur! D'un même bond, ils se laissèrent tomber en bas du camion. Les yeux sortis de la tête - il semble que cette situation arriva à maintes reprises, mais que voulez-vous quand c'est l'horreur eh! bien, c'est l'horreur - tellement la découverte était horrifiante. Regarder une seconde fois tiendrait de l'exploit, tous occupés à retrouver une respiration dite normale, parce qu'en se moment ça filait comme un super bolide. Même chez Rock...

- C'est quoi? osa Caro, folle de peur seulement qu'à voir la réaction des garçons.

Personne n'avait encore retrouvé l'usage de la parole. L'odeur qui sortait de la boîte se répandit instantanément dans tout le garage. Plus forte que le diésel.

Figés sur place, les garçons virent Annie, n'en pouvant plus, ouvrir la porte du garage et sortir. Tous la suivirent. Ils ne se retenaient pas, non, si cela eut été possible, c'était jusqu'à Rodon Pond qu'ils auraient courru, sans jamais demander une pause.

Dehors, immobilisée près de la maison, une Annie inquiète reposa la question de Caro qui cherchait dans la figure de chacun des gars une réponse qui tardait à venir.

Mario, revenant à lui:
- Il doit y avoir au moins vingt-cinq cadavres là-dedans.
- Nous voilà pris dans une histoire de meurtres, si je comprends bien? enchaîna Annie
- Meurtres collectifs... Pour Mario, ça dépassait tout ce qu'il aurait pu imaginer. Je n'ai pas eu le temps de tout voir mais c'est évident que dans ce camion, il y a des cadavres empilés les uns sur les autres.
- Ça sent la charogne, ajouta Joe complètement écoeuré par ce qu'il avait vu.
- Une affaire pas ordinaire. Rock cherchait à reprendre son souffle.
- Tu vas pas t'étouffer? démanda Joe.
- Non, répondit sèchement le petit, mais je pense que l'on devrait quitter cet endroit au plus vite.
- Oui, mais Raccoon é avec quequn qui doé ête mêlé à c't'affaire là.
- Il va sûrement se pointer bientôt. Je propose que l'on trouve un endroit sécure pour surveiller la suite des choses. Les bonhomme et son chien...
- ... et Raccoon, coupa Joe,
-... et Raccoon. Bous pourrons mieux envisager la suite des choses.
- Pas dans le garage, en tout cas, dit Caro.
- Y penses-tu, Joe, quand on était dans le camion avec monsieur McCrimmon, nous étions peut-être en grand danger. Je me demande encore comment il a bien pu rendre son camion jusqu'ici. Es-tu certain, Bob, qu'il n'y a pas une route qui s'y rende?
- Ma carte date de 1989. Il n'y a pas eu beaucoup de modifications en deux ans. Nous sommes dans le parc national et je suis positif qu'aucune route n'y passe à part celle de l'entrée où nous sommes arrivés.
- Un miracle, alors? demanda Annie qui s'alluma une cigarette en offrant une à Joe, par habitude sans doute.
- Ou une machination, répondit Caro.

À pas de loup, direction l'arrière de la maison, les Six marchaient. Entreront-ils à l'intérieur? Tous se posaient la question, mais personne n'osant la rendre publique. Sans doute la peur d'y retrouver, là aussi, de nouveaux cadavres ou, si cela fut possible, pire encore. Le chemin qui les mena jusqu'à la maison, en faisait le tour, ce qui fit dire à Mario:
- Encore un triangle!
- Quel triangle? demanda Rock.

Mario lui expliqua qu'en arrivant à la maison par le chemin qu'ils empruntèrent, il remarqua qu'il se dédoublait, la contournant de sorte qu'en arrière cela formait un triangle parfait. Il lui rappela les fenêtres du garage qui, elles aussi, étaient triangulaires.

- Sans doute un hasard, conclut Annie.
- Je me demande si le hasard n'est pas très bien organsié.
- C'est quoi ton idée, Mario?
- Ce n'est pas encore assez clair, Rock. Continuons d'observer.

Derrière la maison, la rangée d'arbres majustueux formait une haie en parfaite ligne droite. La hauteur de ces arbres était telle que l'on ne pouvait absolument rien apercevoir derrière eux.
Les Six étaient à quelques pas, lents, très lents même, de cette haie. Ils jetaient continuellement des regards derrière eux comme pour vérifier si tout n'allait pas, instantanément, disparaître. La haie leur faisait face...

- C'est bizarre.
- Quoi, Rock?
- Ça fait trois fois que je regarde ma montre, et il est toujours neuf heures.

Les autres vérifièrent, sauf Joe qui n'en avait pas.
- Moi j'ai neuf heures neuf, dit Bob.
- Ma montre s'est arrêtée à neuf heures, neuf minutes, neuf secondes, dit Caro, l'enlevant de son poignet pour mieux la secouer. Rien à faire, la pile était morte ou momentanément en panne.

Leur marche les mena jusqu'aux arbres...

vendredi 25 mai 2007

Le cent soixante-quatrième saut de crapaud (20)

Chapitre 50



... étoilé, tout près de là sans doute... une gang de six jeunes...autour d'un feu formait en cercle...

- Ti-Cote, tu contes rien à soir, sinon tu vas compter té dents qui t'restent dans bouche, c'tu clair?
- Ça ne donne rien, Joe, de faire des menaces.
- Cé pa dé menaces, j'fa juste t'avertir de t'la farmer ben comme faut.
- Tu penses que la légende de Mario a tout fait déclencher, demanda Rock.
- J'veux juste qu'à soir on ait la pa.
- Tant qu'on ne sera pas sortis du parc national, on n'aura pas la paix, dit Caro le plus sérieusement du monde.
Les flammes montaient haut dans le ciel, rejoignant certainement quelques ronflements... puis retombaient en petites cendres atterrissant dans les cheveux de l'un ou de l'autre. Parfois, un grand soupir traversait le groupe. Chacun évitait de relancer une discussion qui les mènerait à parler soit de la maison ou encore des événements infiniment présents à leur esprit. Personne, non plus, ne ressentait le besoin d'aller se coucher malgré qu'ils fussent tous épuisés physiquement et moralement. Mario s'en rendait compte en cherchant une histoire qui ferait diversion mais les paroles incisives de Joe résumaient ce qu'individuellement les Six ressentaient.

- Imaginais-tu que ça allait être de même?
- Pas tout à fait, répondit Bob à Mario qui ne cessait de surveiller Caro sur le point d'éclater une autre fois.
- Moi non plus, reprit Annie qui venait de jeter sa cigarette dans le brasier après seulement deux bouffées.

Raccoon dormait, bien installée entre les jambes de Joe qui balayait son regard d'une fille à l'autre. Au fond de lui, il souhaitait se débarrasser d'un espèce de sentiment de culpabilité qui l'habitait, sentiment tout à fait nouveau et le dérangeait au plus haut point.

- Pourquoi t'as peur, Caro? On dirait que tu frissonnes.
- Rien, Mario... tout est normal ici... il n'y a rien pour inquiéter personne.
- Excuse-moi, reprit Mario conscient de ne pas avoir posé la bonne question, mais certain que cette peur dépassait les mises en scène du parc national.
- Pourrais-tu, s'il te plait, arrêter de toujours t'excuser... et ...
- ... et quoi, Caro?
- Je n'en peux plus. Comprends-tu ça, Mario, je n'en peux tout simplement plus.
- Ne viens pas me dire que c'est seulement ce qui se passe ici qui te rend aussi tendue. Je comprends rien aux affaires du parc national, mais toi, il y a d'autres histoires que tu ne comprends pas plus, c'est certain. On est tous chavirés, mais on ne capote pas comme tu le fais.
- Pourrais-tu te mêler de tes oignons, dit une Caro de plus en plus énervée.
- Tu sauras que ce qui arrive ici, ça regarde tout le monde. On a décidé tout le monde de faire ce projet, on est partis ensemble et là on est tous pognés dans le même bateau. Alors dis-moi pas de me mêler juste de mes affaires.
- J'ai peur et je ne peux pas contrôler ça. C'est tout.
- Non, ce n'est pas tout. Je suis sûr que ton histoire de famille, ça aussi tu ne la contrôles pas.
- Quelle affaire de famille? Caro ne savait pas si elle rougissait de rage, de honte ou de peur.
- Tu sais très bien ce que je veux dire.
Mario fixait Caro et n'allait pas lâcher sa morsure. Elle se leva mais Joe lui prit le bras pour l'en empècher.
- C'est pas toi qui le sait... il n'y a que Joe qui soit au courant.

Joe, entendant ces paroles, revint à la réalité. Caro pleurait à chaudes larmes alors que Bob et Annie n'y comprenant plus rien, suivaient leur grande soeur avec grand intérêt.

- Moé, quoi que j'sais pis qu'lé autres y savent pas?
- Ne fais pas l'innocent, Joe. Tu es le seul avoir tout vu. La veille du départ pour notre enfer sauvage, par la fenêtre de ma chambre.

Tout s'illumina dans la tête du grand au point qu'il en recula de stupeur. Raccoon se réveilla et s'accrocha aux pantalons militaires de son maître, sa mère ou son frère.

- Ton père! lâcha Joe, le sang lui glaçant les veines. Y t'viole!

Caro se leva, tournant le dos à la gang. Ses pleurs eurent un effet d'imitation chez Annie alors que Bob, bouche bée, sentait la rigidité envahir tous ses membres. Elle se retourna, droite devant eux, forte dans sa faiblesse, douce malgré une si grande peine:
- Ça fait cinq ans que cela dure... Je n'en peux plus... Personne au monde, pas même Pamy, ne le savait... J'en parle pour la première fois... Avant, c'était mon journal qui recevait tout cela...

Bob était défait. Il ne se percevait plus comme un chef mais un petit frère de treize ans devant sa soeur lui annonçant une vérité qui faisait basculer son père de bien haut. Il se demanda si le déménagement du Nouveau Brunswick vers Rodon Pond avait un lien avec cette histoire encore plus incroyable que tout ce qui se passait ici, autour de lui, depuis deux jours.

Annie, morte de surprise, celle qui venait aujourd'hui même de vivre sa première expérience sexuelle, qui en était encore toute chavirée, d'entendre cela lui donna le goût de vomir. Rien à voir avec les champignons ou tout ce qui put de près ou de loin la tracasser. Annie, comme son frère, celle qui voyait un homme honnête, fort chez son père, lamentablement, s'en faisait maintenent le portrait d'un tricheur hypocrite et lâche.

Comme elle avait de la difficulté à imaginer sa soeur subissant en silence les assauts de son père dénaturé alors qu'elle écoutait paisiblement de la musique dans son baladeur assise sur son lit de sa chambre, face au poster de James Dean!

- Excuse-moi, Caro...
- Je t'ai dit d'arrêter de t'excuser, Mario...
- ... ce n'est absolument pas de cela que je voulais parler quand je disais « ton histoire de famille »... je parlais du fait que tu sois adoptée...
- Mon père m'a adoptée... à sa manière. Elle quitta la gang pour aussitôt revenir, son journal personnel à la main.

Pendant plus d'une heure, Caro leur fit lecture de cinq années de vie, de silence, de secret. Lorsqu'elle referma son journal, regardant son frère et sa soeur, les deux avaient la tête baissée et les yeux vides de larmes. Joe s'approcha d'elle, laissant Raccon là où ils étaient assis:
- Caro, j'me doutais pas de toute ça quand chu allé t'dire bonne nuite par la fenêtre de ta chambre.
- Sans le savoir, tu m'auras permis de passer une dernière nuit tranquille avant de partir. Merci. Elle glissa sa main dans la sienne et la lui serra un peu comme il le faisait pour son bébé raton laveur.

Il n'en revenait pas de recevoir un merci, lui qu'on avait surtout botter le derrière pour qu'il débarasse le plancher ou la place. Boulversé, il se retourna vers Annie:
- Toé, tu peux pas m'dire merci, hein?

Annie se mit à pleurer, prise entre l'histoire de sa soeur, le désir qu'elle avait de lui parler de son aventure avec le grand et Joe, tout à côté d'elle:
- Tu ne peux pas imaginer, Joe, combien je t'aimais.
- Pis là ché ben qu'tu m'aimes pu.
- C'est pas ça, Joe. Tu sais comment je m'accrochais à toi? Je vais te dire pourquoi. Tu représentais tout pour moi, tous mes rêves, mon James Dean en vivant: grand, beau, indépendant... et libre.
- Mets-en cé pas d'l'onguent...
- Ce n'est pas toi qui m'as déçue ce matin, ce sont tous mes fantasmes de l'amour qui se sont écroulés.
- Cé pour ça qu'tu m'r'gardes pu?
- Oui.

On ne semblait pas au bout des surprises. Joe et Annie faisant l'amour dans la clairière pendant que Bob et Mario étaient à la pêche, Rock à ramasser des morceaux bois près du campement.
Bob se débattait dans un véritable cauchemar. Jamais aurait-il imaginé ce qu'il venait d'entendre de la part de ses deux soeurs. Lui, si froid, si organisé, si sûr que tout fonctionnait comme il le voyait, le percevait, jamais il n'aurait pu envisager un tel scénario. Il sembla vieillir en quelques paroles.

- Hier, j'aurais dit que ma mère avait raison de ne pas vouloir que les filles viennent avec nous...
- Et tu dis quoi aujourd'hui? continua Mario.
- ... je dis...

Bob était tout croche: les belles cartes, le matériel auquel il avait pensé, les activités planfiées depuis des mois afin que ce camp sauvage fût une réussite complète... ses attitudes de chef distant et imperturbable... tout cela n'avait plus de sens maintenant que la réalité, celle de ses deux soeurs du moins, le rejoignait, le fouettait en plein visage... Plus jamais il ne pourrait les regarder comme de gentilles petites filles à qui l'on dit quoi faire. Plus jamais il ne pourrait envisager des projets sans penser à comment les autres les vivront.

Bob regardait Caro. Puis Annie. Et Joe, pour qui il n'avait jamais eu tellement d'admiration, le grand Joe amouraché d'un petit raton laveur qu'il ne lâchait plus d'une semelle maintenant, ce grand Joe avait joué très fort dans la vie de ses deux soeurs.

- J'ai comme hâte de retourner au Domaine du Rêve. Je me sens responsable de la situation, ce bourbier dans lequel on se retrouve, c'est de ma faute.
- On ne peut pas tout prévoir, Bob. D'ailleurs comment veux-tu que tous ces phénomènes se retrouvent sur une carte ou au bout d'une boussole?
- Il aurait fallu mieux se renseigner sur le parc national et tous les racontars à son sujet.
- Ça n'aurait rien changé, Bob. Tu serais venu quand même. Tu te connais.
- Je ne sais plus si je me connais.

Mario, assis à côté de son chef dont le moral était au plus bas, s'adressa à Rock:
- Rajoute un peu de bois, on va perdre le feu.
- O.K. chef, répondit le plus petit.
- Je te l'ai déjà dit, ce n'est pas d'un chef qu'on a besoin mais de quelqu'un qui nous expliquera ce qui se passe. Et ça, je pense que personne d'entre nous ne saurait le faire.

Rock partit et revint tout de suite avec une brassée de bois.

- Ça se peut qu'il y ait des choses qui ne s'expliquent pas, reprit Mario.
- C'est vrai. Prends comme moi. D'habitude quand je fais une crise d'asthme, je suis deux jours à ne plus être capable de bouger.
- Parce que ta mère te couve trop, répondit Mario.

Rock sembla surpris des propos de son meilleur ami. Jamais son associé n'avait vraiment discuté avec lui des attitudes de madame Béliveau. Toujours il en parlait sans vraiment aller au fond de sa pensée. Peut-être parce que Mario trouvait Rock chanceux d'avoir quelqu'un pour s'occuper de lui, même si elle s'en occupait, disons trop.

- C'est la première fois que tu me dis ça, Mario. Pourquoi?
- Je le sais pas.
- Tu le sais pas? C'est pas ton genre de ne pas savoir.
- J'étais peut-être pas capable de t'en parler.
- Et maintenant?
- Tu sais, Rock, c'est toi qui faut qui t'en parle. Penses-tu que je suis bien placé pour dire que ta mère est trop dans tes baskets? Moi qui suis tout le temps seul entre mon père, ma mère et leurs activités. Penses-tu que je peux me permettre de juger ta mère de tout faire à ta place alors que mes parents ne font jamais rien pour moi?
- Mais un ami c'est un ami, on doit pouvoir tout lui dire.
- C'est exact, mais seulement quand on est prêt et quand il est capable de le prendre.
- On dirait que tu vis seulement des sentiments des autres, Mario.
- Je suis un peu comme Joe. Je sais pas c'est quoi les sentiments à moins de voir ça chez les autres.
- C'est pas tellement mieux d'être inondé par les sentiments. Tu sais, j'ai parfois l'impression que ma mère c'est pas moi qu'elle aime.
- Non?
- Elle s'aime elle-même. Je suis un peu comme sa poupée, son jouet. Je suis un objet pour elle. Ce que je pense, ce que j'ai le goût de faire c'est pas important. Il ne faut pas que la bebelle s'éloigne, change ou se brise.
Rock reprit son souffle.
- Fais-en pas un'crise, là!
- Mes crises, ça ressemble à comme si ma mère manquait d'air. Et puis c'est moi qui pompe.
- J'peux tu t'poser une question, Rock? demanda Joe, sérieux comme il ne nous avait peu habitué.
- Quoi? répondit le petit.

Dans les yeux de Rock, son regard s'éclaircissait. Jamais auparavant, on n'aurait cherché dans son visage autre chose que l'image de sa mère ou, dans sa voix, les mots de Mario qu'il répétait. C'était comme si tout un monde vivait en lui et que lui, il le regardait vivre.

- Es-tu aux hommes?
- Voyons, Joe. Ce n'est pas une question à poser, dit Annie mal à l'aise pour celui qui s'était éloigné du groupe, sans doute pour alimenter le feu.

Rock fixait les flammes. Ses yeux, se dirigeant vers Joe, le regardaient intensément. Il fit le tour du cercle que les flammes faisaient apparaître plus clair et ensuite moins clair. Il s'arrêta sur Mario:
- On dirait qu'on est à conter notre vie, pas des légendes. Il se leva pour aller s'asseoir près d'Annie.

Quelle heure était-il lorsque Rock en termina avec sa petite vie, sous le regard étonné des autres? Difficile à dire, mais la fraîcheur du soir se faisait présente dans leur dos.

- Es-tu content, Joe? C'est vrai qu'avant le camp, je savais pas grand chose sur moi. Tout ce que je savais, ça venait de ma mère. Depuis qu'on est parti, tu ne peux pas savoir comment je me sens seul, et en même temps, en gang. Il s'est passé des événements chez chacun d'entre nous que personne d'autre n'est au courant. Comme hier, Joe, quand tu as cru entendre un animal près de la tente des Poulin. Eh! bien, c'était moi, caché derrière un arbre. J'espionnais. Je t'ai vue, Annie, en train de mettre ton pyjama.
- Rock?
- C'est la vérité. Depuis qu'on est ensemble, je commence à vivre par moi-même et je laisse aller ce qui monte en moi. Je ne sais pas à quoi cela ressemblera une fois revenu chez nous, mais c'est comme ça et c'est bien comme ça.

Les paroles de Rock grimpaient dans la nuit au rythme d'une respiration régulière, ininterrompue. Plus il parlait, plus les autres lui découvraient une voix inconnue. Même Joe n'avait pas du tout le goût de rire ou de lancer une farce. Étendu, il regardait le firmament:
- Dé fois, on pense être tu seul à avoir des crottes, pis d'écouter même ceux qu'tu trouvas téteux... ben... tu voé comme mieux dans té affaires...

Mario se leva, proposant que l'on aille se coucher: « Demain, c'est visite d'une maison! »:
- C'est là, peut-être, que nous aurons les explications à tout ce qui arrive depuis hier.
- Pas d'opéra demain! Joe s'étirait et baillait en même temps.
- Promis.

Cinq jeunes, beaucoup plus calmes malgré tout, prirent le chemin des tentes alors qu'un grand soldat sortit d'un sac de poubelle vert, un vieux sac de couchage tout en poussant un maigre raton laveur.



Chapitre 51


L'inspecteur Jackson bourra sa pipe de tabac à cigarette, l'alluma, prit une profonde bouffée qu'il retint à l'intérieur de ses poumons pendant quelques secondes. Il n'osait pas regarder du côté de Roger Ninja, sachant très bien ce que son chien pensait: « Tu ne t'es pas réveillé et c'est moi qui ait gardé les yeux ouverts toute la nuit.»


- Arrête de me dévisager comme ça. C'est pas de ma faute si j'ai passé tout droit.


Le chow chow fit quelques pas que déjà l'Inspecteur le perdit de vue tellement il y avait de brouillard dans ce dimanche matin. Il renifla du côté du sac de provisions avant de revenir vers Jackson à moitié englouti par sa fumée de pipe et la brume.


Les vêtements du policier paraissaient secs, il les remit. De temps à autre, il jetait un coup d'oeil vers son chien comme pour voir si l'animal avait changé de mine. Pas encore! Il tenta une autre fois de communiquer avec la Centrale mais le cellulaire ne démordait pas: rien. Concentrant son attention, il réexamina scrupuleusement la carte tout en dressant un plan dans sa tête. Le ruisseau semblait être ce qu'il fallait suivre et souhaitait pouvoir continuer à se guider avec les repères rouges.


Alors que Roger Ninja se désaltérait à l'eau du ruisseau, l'Inspecteur s'ouvrit une canette de bière: ce sera son déjeuner. Il sortit l'appareil-photo d'une de ses nombreuses poches d'imperméable, prit quelques clichés de l'endroit et dans son calepin écrivit des mots que de toute façon il ne saura relire, comme personne d'autre d'ailleurs.


- En route, mon Roger Ninja. Des voleurs nous attendent impatiemment. Surtout, restons l'un près de l'autre pour éviter de nous perdre dans ce brouillard. Suivons le ruisseau et je suis certain que notre enquête donnera des résultats convaincants dans peu de temps.


Il se dirigea vers le ruisseau mais n'ayant pas fait attention aux pierres du feu, s'y barra avant de s'allonger de tout son long sous les yeux dépités du chow chow.
- Pas obligé de me regarder de même, ça arrive des accidents.


Il se releva, se demanda s'il apportera le sac brun, secoua sa pipe, replaça son chapeau et d'un pas incertain rejoignit le chien qui reniflait par terre autour du ruisseau.






jeudi 24 mai 2007

Le cent soixante-quatrième saut de crapaud (19)

Chapitre 47



Aucun des repères n'échappait à l'attention de l'Inspecteur. Il trouvait qu'à part les rubans rouges peu d'indices supplémentaires se rajoutaient. Longtemps il marcha, fit quelques pauses afin de reprendre son souffle en profitant pour s'envoyer une gorgée de whisaky derrière la cravate.

Roger Ninja suivait la piste mais devait souvent revenir sur ses pas pour ne pas que Jackson ne s'égare.


Ils passèrent tout près du panneau ensanglanté ou rouillé mais ni l'un ni l'autre ne le remarquèrent. Des bruits bizarres immobilisèrent le chow chow, obligeant l'Inspecteur à adopter son allure d'inquisiteur. Ne pouvant expliquer l'origine de ce qui arrivait, ils repartirent.


Ce ne fut qu'en d'après-midi qu'ils découvrirent l'emplacement situé près du ruisseau.
- Voilà, mon cher Roger Ninja, voilà ce que nous cherchions. Ils sont passés ici il n'y a pas longtemps. Ils ont même fait un feu sans doute pour un petit casse-croûte. Nous allons nous y arrêter, de toute façon il se fait tard et la fatigue nous gagne. Nous passerons la nuit sur place et demain, reposés, nous irons les cueillir comme des fruits mûrs.


L'inspecteur Jackson, examinant autour de lui, trouva que les voleurs avaient vraiment un sens très prononcé de la propreté. Rien de traînait. Le cercle du feu était entouré de pierres et les braises remblayées avec de la terre.


Notre gros bonhomme fit le tour de l'emplacement à la recherche d'un petit quelque chose pouvant l'aider à mieux saisir la psychologie des voleurs, de même que leurs motifs. Rien.


Il déposa finalement son sac brun près d'un arbre, enleva son imperméable, s'approcha du ruisseau afin d'y nettoyer ses chaussures. Son fidèle chow chow paraissait excité, comme si, flairant quelque chose d'anormal, cela le rendait nerveux.
- Que se passe-t-il Roger Ninja?


Le chien s'écrasa par terre et ne bougea plus. La terreur se lisait dans ses yeux. Ce qui semblait se préparer dépassait son niveau de compréhension de sorte que la meilleure solution pour lui était de se terrer.
- J'aime pas quand il est comme ça, se dit l'Inspecteur dévisagant son chien.


Un gigantesque PLOUF! apeura davantage le chow chow qui se sauva. Jackson se retrouva étendu de tout son long dans le ruisseau, se débattant contre le courant. Il pataugeait, essayait de se relever mais l'eau du ruisseau en plus d'être froide descendait avec rapidité, ce qui l'empêcha de se relever.
- Roger Ninja, je recoule!


Le chien, tout attentif aux événements se déroulant un peu plus loin, ne prit pas garde à son maître qui retomba aussitôt qu'il se levait. Même son chapeau lui échappait. Il le rattrapa au dernier instant. Tant bien que mal, il réussit, à quatre pattes qu'il était, à ramper jusqu'au bord du ruisseau alors que l'eau devint rouge, pas le rouge des repères aux arbres, mais un rouge vif, de sang.
- Roger Ninja, je suis très sérieusement blessé!


La bête regardait toujours ailleurs, le museau écrasé au sol. Les paroles désespérées de son maître ne l'atteignirent pas. Ses membres se mirent à bouger comme si de grands frissons le secouaient.
- Roger Ninja, je meurs! À ces mots, l'inspecteur Jackson se retrouva dans l'eau, jusqu'au cou cette fois .


L'immobilité quasi mortuaire du chien l'empêchait de suivre les frasques aquatiques de son maître. Il n'entendait rien alors que ses yeux sortirent de leurs orbites au moment où, devant lui, apparut une ombre pour aussi vite disparaître. Elle revint. Les ondes frigoriques qu'elle dégageait, le chow chow les perçut, ce qui transforma sa vision tout en décuplant les bruits qui lui arrachaient les oreilles. Il se mit à hurler autant de surprise que de peur.


L'inspecteur Jackson ne comprenait pas la réaction inhabituelle de son fidèle compagnon, lui d'habitude si calme, placide même. Dans un effort terrible, il se sortit du ruisseau, tituba jusqu'au chien qui tremblait encore de tous ses membres. De sa gueule écumait une bave nauséabonde.
- Que t'arrive-t-il mon chien?


Stupéfait, à bout de souffle, reluquant la direction où le regard du chien était accroché, il ne vit absolument rien. Il se gratta la tête, enleva son manteau à poches tout en vérifiant si quelque chose n'aurait pas été perdu. Il s'assit par terre devant Roger Ninja, haletant beaucoup plus vite qu'à son habitude.


Il vérifiia ses vêtements tachés par cette eau rouge, jeta un coup d'oeil au ruisseau; l'eau était redevenue aussi claire qu'il y avait quelques minutes. Qu'est-ce qui avait bien pu colorer ce ruisseau et de manière si brutale? Pour lui, cela devint un autre mystère...



Chapitre 48



Les Six regardaient la maison. Aucun ne semblait disposé à parler ou avancer une question. On n'était plus dans un rêve. On n'hallucinait plus. On ne cherchait pas d'explications rationnelles à ce qui était devant eux.


Il était 18 heures. Le soleil, encore chaud. Le campement numéro deux serait improvisé et tout ce qui avait été prévu pour la suite du camp sauvage devrait être recentré.


- Nous allons souper et je propose que demain, nous nous approchions de cette maison, dit Bob.
- Une vra maison d'riches.
- Installons nos tentes vers les arbres qui sont là-bas.
- Ça serait peut-être mieux d'éviter les arbres, on ne connaît pas la température pour cette nuit, dit Mario dont le regard ne quittait pas cette maison se confondant à la forêt et la montagne.
- Tu as raison, admit Bob, bousculé dans ses projets.
- Cé où finalement?
- Suivez-moi. Mario récupéra ses affaires pour se diriger vers un endroit qui lui semblait le plus propice, marchant avec l'étrange impression d'être déjà passé par ici. C'était comme s'ils se retrouvaient à l'emplacement numéro un mais disposé de manière différente.


Les tentes furent montées en quelques minutes; la cantine selon la même disposition que ce matin. Rock finissait de ramasser les pierres pour le cercle du feu pendant que les filles flânaient avant de préparer le souper. Bob avait placé dans les provisions de la nourriture déshydratée qui avait l'avantage de ne pas prendre beaucoup d'espace.


- Annie, je vais me rendre au ruisseau chercher de l'eau.
- J'y vais avec toi, Caro.
- N'oubliez pas le petit sachet chimique pour vérifier si elle est potable.
- Ici, ce n'est pas qu'elle soit potable ou non qui m'énerve, mais sa couleur.


Les deux soeurs, se guidant par le bruit du ruisseau, y arrivèrent quelques secondes après.


- On dirait le même endroit que ce matin, mais organisé différemment.
- Tu as raison, Caro.


Elles firent l'analyse de l'eau, remplirent le seau et se préparaient à revenir sans dire un mot. D'ailleurs, il faut préciser qu'elles ne se parlaient pas beaucoup malgré le fait que le cercle de leurs ami(e)s fût passablement le même, à part celles du Collège. Depuis le départ de Rodon Pond, Caro et Annie n'eurent pas l'occasion de se retrouver seules: l'une, occupée à attirer l'attention de Joe, l'autre, une fois les événements bizarres enclenchés, à surveiller tout ce qui se passait autour d'eux.


- J'aimerais te parler, Caro.
- De quoi?


Annie ne savait trop comment aborder la question qui la chamboulait, surtout qu'elle imaginait Caro amoureuse de Joe. Mais dans son coeur, c'était devenu trop lourd à porter et n'avait pas d'autre personne avec qui elle pourrait vider le trop plein.


- C'est au sujet de Joe?
- Je m'en doutais un peu, répondit Caro.
- Comment ça?
- Annie, tu lui cours après depuis presque un an...
- Toi aussi...
- Oh! non, ma belle Annie, Caro elle ne court pas du tout après le grand Joe. Tu ne trouves pas que ça fait bizarre de jaser de ces affaires-là alors qu'on se retrouve dans une histoire tellement invraisemblable que je ne réussis pas à me dire si nous sommes envoûtés ou victimes d'une machination diabolique.
- Ça se peut pas, mais je suis consciente que tout ce qui arrive, arrive pour vrai.
- On lirait cela dans un roman que les cheveux nous dresseraient sur la tête, puis là, on est en plein dedans, alors imagine un peu comment je me sens? Caro se préparait à revenir vers le camp. Oh! c'est vrai, tu voulais me parler de Joe.
- Non, non, laisse faire.


L'une près de l'autre, portant un seau et un secret personnel, arrivèrent à l'emplacement numéro deux.


À tour de rôle, comme s'il s'était donné le mot, les membres de la gang retournaient vers la maison. Est-ce que cela les rassurait de voir que rien ne bougeait? Est-ce que dans le for intérieur des Six, un souhait, celui que tout cela ne fut qu'un rêve, à la limite un cauchemar, et que bientôt, tout d'un coup, comme c'était venu, ça allait repartir? Qu'ils puissent enfin se dire que le camp sauvage, celui que Bob leur avait proposé, vendu, eh! bien qu'il puisse commencer pour vrai avec toutes les activités beaucoup plus scoutes que... que... ce qui arrivait et dont personne pouvait vraiment nommer.


Mais la réalité, cette réalité dans laquelle ils étaient plongés bien malgré eux, combien elle était différente. Les Six, en plein coeur du parc national, tourmentés par des événements sur lesquels ils n'avaient aucun contrôle, les bousculant à un rythme effarant, ne leur laissant aucun répit, les Six ne pouvaient plus maintenant les nier.


Ils soupèrent. L'appétit n'y était pas nécesssairement surtout que ces aliments déshydratés n'avaient aucun goût particulier. Rock s'occupa du peu de vaisselle pendant que Bob et Mario montaient le feu de camp. Les filles étaient retirées dans leur tente.


Le feu de camp de ce soir allait-il leur apporter autant d'émotions que celui de la veille? Quel genre de nuit passeront-ils? L'environnement, demain au réveil, il allait ressembler à quoi? Et cette maison, en plein bois? Il n'y avait aucune ligne électrique la desservant. Ni route. Ni services. Comment alors expliquer tous ces phénomènes les encerclant comme si bientôt, un piège allait se refermer sur eux?


Par chance, la soirée s'annonçait belle. Exception faite des moustiques qui ne lâchaient jamais, ce fut d'un calme incroyable. Un calme annonçant la tempête? Caro avait cette idée bien ancrée dans sa tête et interrogeait celui ou celle qui revenait de sa courte visite après avoir vérifié si la maison... en fin si quelque chose avait changée. Aucune lumière, de sorte qu'elle devenait, la soirée passant, plus invisible mais aussi présente.


Rock embrasa les bûches. Encore une fois, la magie du feu opéra. Les yeux se fixèrent. Personne ne parlait... mais n'en pensait pas moins...



Chapitre 49



Roger Ninja revint lentement de sa léthargie au moment où l'inspecteur Jackson achevait d'enlever ses vêtements pour les faire sécher. Il avait d'abord vidé ses nombreuses poches, plaçant les objets près de l'arbre où il avait laissé son sac de provisions puis son inséparable imperméable.


Il sortit quelques boîtes de nourriture:
- On va manger du bon manger.


Jackson constata qu'il n'avait acheté que de la nourriture pour chats. Roger Ninja s'en rendit compte: il s'écrasa de nouveau le museau par terre.
- Bon! C'est juste une petite erreur... on devrait certainement pouvoir faire quelque chose avec ça. Bon! Voyons voir...


Il prit les quelques canettes de bière complétant les provisions, en ouvrit une et chercha un endroit où il pourrait reprendre un peu ses esprits. Le chien présentait la mine découragée de celui qui recevait une autre preuve des maladresses de son maître.


- Veux-tu l'essayer?
Le chow chow tourna la tête. L'Inspecteur rejeta la boîte de nourriture dans le sac brun, entama sa bière tout en regardant la nuit prendre lentement forme. Dans quelques minutes, il fera très noir et il se demanda si son briquet, le seul qu'il avait, ait pu survivre à ses escapades aquatiques bien involontaires. Il ramassa quelques branches sèches qu'il plaça à l'endroit où un feu avait eu lieu, la veille.


Il sortit son cellulaire, tenta de rejoindre quelqu'un quelque part. Rien ne se produisit. Il acheva sa bière:
- Je vais prendre une petite marche avant de dormir.


Il se leva. La nuit était tombée autour de lui, le ciel illuminé d'étoiles, la lune accrochée au loin: les seules choses connues que l'Inspecteur put voir, se sentant comme enveloppé par de grands draps noirs:
- Bon! Assez marché pour aujourd'hui, je peux me permettre de passer une journée dans mon programme de conditionnement physique.


Après bien des tentatives, le briquet répondit laissant tomber quelques flamèches qui embrasèrent les branches. Il avait un feu. Son imperméable bien qu'encore humide, lui servira de couverture.


- Roger Ninja, tu montes la garde quelques heures, ensuite ce sera mon tour. N'oublie pas de me réveiller. Ne fais pas comme l'inspecteur Leduc lors de l'enquête au camp de Sainte-Victoire en novembre dernier et t'endormir sans prévenir personne. Bonne nuit, mon chien.


Presqu'aussitôt, un incroyable ronflement monta vers le firmament.

mercredi 23 mai 2007

Le cent soixante-quatrième saut de crapaud (18)


Chapitre 45


Plus il s'avançait dans la forêt du parc national, plus l'inspecteur Jackson trouvait moins facile le sentier qu'ils avaient emprunté, Roger Ninja et lui. Occasionnellement, il découvrait un repère rouge enroulé à un arbre et, examinant sa carte, établit un lien entre les points rouges sur celle-ci et les bandes de tissu posées depuis peu de temps.

La fierté qu'il ressentait, elle lui bombait le torse, alors que tout ce qu'il avait émis comme hypothèse semblait se vérifier. Il se voyait gravir les échelons de la police montréalaise, devenant l'un des inspecteurs-enquêteurs les plus en vue de Montréal, du Québec, du Canada, du monde... Tout entier à son imagination, l'Inspecteur en oubliait qu'en marchant dans le bois, ses souliers devenaient rapidement couverts de boue, que les moustiques le pourchassaient et que ses vacances, vieilles d'une journée, il n'avait pu encore en profiter.

L'après-midi avançait plus vite que Roger Ninja et Jackson qui, encombré avec son sac de provisions et sa carte, furent stupéfaits de se retrouver face à un étang tellement répugnant que même le chow chow recula d'horreur.
- On ne va pas traverser cette mare à canards! Il y a certainement un autre chemin qui contourne. Vérifions.

L'Inspecteur déposa par terre son sac en papier brun , scruta minutieusement la carte, mais son attention revenait continuellement sur les points rouges, persuadé qu'il était que cela représentait l'intinéraire des voleurs. Il lui paraissait essentiel, une question de survie, de trouver impérativement une autre route pour traverser sans avoir à plonger dans cette horreur.

Roger Ninja courait sur place, tournait en rond comme si toutes les pistes, fatalement, le ramenaient au même endroit: devant l'étang. En désespoir de cause, il s'élança sur le côté droit du marécage, trottina entre les aulnes et les quenouilles, revenant pour repartir aussitôt.
- As-tu une piste, Roger Ninja?

Le chien fonça davantage sur sa droite et en deux enjambées franchit aisément quelques centimètres d'une eau qui n'en méritait pas le nom, pour se retrouver sur la terre sèche pouvant contourner l'étang.

L'Inspecteur reprit son paquet après s'être envoyé une bonne goulée de whisky. La chaleur faisait de l'effet sur lui, un effet pouvant ressembler en terme d'odeur, à ce que l'étang dégageait. Il s'avança dans la même direction que son chien mais en deux temps trois mouvements, il sentit que le sol n'était pas solide sous ses pieds, qu'il était mouvant. Il vit qu'une boue glaiseuse envahissait sa jambe droite jusqu'au mollet. Il la retira rapidement et ce fut l'autre qui connut le même sort.
- Roger Ninja, je coule!

Il protégeait son sac tout en tirant sur un pied alors que le deuxième s'enfonçait davantage. Il ne savait plus s'il devait avancer ou reculer ou ne pas bouger alors que la terre mêlée d'eau lui grimpait aux genoux. Son imperméable s'engloutit dans le sable mouvant; dans quelques secondes, il ne pourra plus bouger.

Le chow chow s'aperçut dans quel pétrin son maître venait, encore une fois, de s'empêtrer et se mit à la recherche d'une manière de l'en dégager. Il ne disposait pas de beaucoup de temps, l'inspecteur Jackson étant un bonhomme assez lourd, certain qu'il s'enliserait fatalement s'il n'agissait pas.
- Roger Ninja, je coule de plus en plus!

Le chien, de sa gueule impressionnante, ramassa une branche qui traînait, la poussa vers l'Inspecteur qui se demandait s'il devait ou non lâcher son sac de provisions. La montée du sable mouvant se faisait de plus en plus rapide. Jackson réussit à accrocher le bout du bâton tendu par son fidèle compagnon et se laissa lentement tirer.
- Ça fait longtemps que je le dis, je dois me mettre au régime. Allez Roger Ninja, un petit effort et je pourrai débloquer mes jambes.

Le chien tirait si fort que le poil sur son dos levait. Qui dira après cette formidable démonstration que le chow chow n'est pas un animal serviable? En tout cas, toute une force de bête!
Lentement, méthodiquement et sûrement, l'inspecteur Mike Jackson sentit que la pression donnée par le chien était plus forte que celle qui l'aspirait vers le bas. Progressivement, ses jambes purent bouger et il put se diriger vers le bord de l'étang où se trouvait son indispensable collaborateur. Après une dizaine de minutes de tire, de contorsion, de succion vers le haut et vers le bas, de levée de jambes, de perte et de reprise du morceau de bois, l'Inspecteur sortit enfin de sa fâcheuse position.

Épuisé, Roger Ninja, s'écrasa aux pieds boueux de l'Inspecteur, courant après son souffle. Lorsque son maître voulut le caresser, il s'éloigna.
- Merci, mon vieux! et l'Inspecteur sortit sa bouteille de whisky.

Quelques instants pour se remettre de leurs émotions puis ils reprirent le sentier de moins en moins carossable. Jackson, méconnaissable dans son imperméable boueux, regarda autour de lui, incapable de dire dans quelle direction se fera la suite. Il se mit à détester ces voleurs se promettant bien de leur faire payer cher tout ce qui lui arrivait depuis le début de cette enquête qui sentait mauvais. Très mauvais.


Chapitre 46


Des trois endormis, ce fut Bob qui, le premier, se réveilla. Il regardait autour de lui:
-Qu'est-ce qui est arrivé? J'ai l'impression d'avoir dormi des siècles.
- On vient de sortir de la grotte, répondit Rock. Son regard sur le chef avait changé.
- Je ne m'en souviens absolument pas, dit-il devant une Annie et un Joe toujours étendus, complètement assommés par le sommeil.
- Je suis certaine que même si on te disait tout ce qui s'est passé dans cette grotte, tu n'en croirais rien. Parti comme tu étais, c'est une raison de plus pour me dire que l'imagination nous a joué des tours.
- Tu sais, Bob, les champignons que vous avez mangés ne vous ont pas fait halluciner, ils vous ont envoyés au pays des rêves, reprit Rock qui aimerait bien voir Mario proposer au chef de réenvisager la suite du camp sauvage.

Bob recula d'un pas. Il remarqua que ses lunettes avaient écopé lors de sa chute. Il les solidifia en les essuyant avec son éternel foulard rouge attaché au cou, ne laissant des yeux les deux autres dormeurs que pour jeter un coup d'oeil vers l'entrée de la grotte.

- Les champignons! J'étais certain qu'ils étaient comestibles.
- C'est quand même spécial qu'au lieu de vous faire halluciner, ils vous ont endormis.
- Serait-ce aussi bizarre, Rock, si les champignons qui nous ont fait dormir avaient fait halluciner ceux qui n'en ont pas mangé?

Cette explication de Bob, il y tenait puisqu'il ne voulait pas se laisser impressionner par des choses inexplicables. Pour lui, tout devait avoir un sens, une logique donc une raison pour l'expliquer. Mais là, il peinait à croire lui-même aux arguments qu'il formulait depuis hier. Il ne pouvait pas réfuter les images qui flottaient dans son cerveau malgré l'épisode des champignons. Pas certain d'avoir vu cet aigle à deux têtes, mais convaincu qu'une ombre s'était gravée en lui, floue peut-être, surgissant parfois, incitant son intelligence à expliquer ce « quelque chose » qui se produisait. Afin de ne pas tomber dans l'hystérie collective, le chef avait opté pour la raison, tentant à chaque occasion de trouver une explication plausible que la gang pouvait acheter et surtout, ramener le calme et la sérénité. Il se voyait également talonné par Mario, ce qui l'obligerait, très bientôt, à prendre de graves décisions. D'ici là, il achetait du temps:
- Il ne faut pas les brusquer, mais lorsqu'ils seront réveillés nous nous dirigerons vers le campement numéro deux. La fatigue qui le tenaillait devenait de plus en plus apparente.
- Crois-tu qu'en entrant plus creux dans la forêt, les phénomènes bizarres seront moins pires? demanda Caro.
- Nous devons suivre notre plan à la lettre, répondit-il sèchement.

Annie se leva. Se frotta les yeux de ses poings fermés. Regarda autour. Vit Joe étendu à côté de Raccoon. L'espace d'une seconde, elle revit les instants passés avec lui, avant le dîner... et recula de quelques pas.
- Que s'est-il passé?

Rock se fit un plaisir de tout lui raconter. S'approchant d'elle - Annie ne bougea pas - il n'oublia aucun détail. Satisfaite des explications du plus petit de la gang, elle dit:
- Je croyais que les champignons nous faisaient halluciner ou pire encore, mais pas dormir.
- Comme halluciner des bananes, tenta Mario piur détendre l'atmosphère. La farce tomba à plat.

Une fois Joe revenu à lui, le groupe reconstitué, ils prirent la direction du campement de la veille, récupérèrent leurs affaires, vérifièrent si rien ne traînait, que le feu était bel et bien éteint et se mirent en route vers le campement numéro deux.

- J'ai vérifié sous les braises... dit Caro
- ... et tu n'as effectivement rien trouvé de spécial, continua Bob.
- C'est ça. Tu vas donc dire qu'il n'y a rien eu d'anormal, hein! mon petit frère. Caro installa son sac à dos et alla se placer entre Mario et Rock. Elle n'avait surtout pas le goût de marcher seule ou d'être seule à voir se produire des choses... qui n'existeraient que dans son imagination.
- On va dans quelle direction? demanda Annie qui s'allumait une cigarette, en prit une bouffée avant de la jeter dans le ruisseau.
- Tu jettes des choux gras, lança Joe.
- J'ai pas le goût de fumer.
- Voilà peut-être un effet positif des champignons, lança Bob en même temps que le signal du départ.
- Toi, t'auras plus le goût de quoi? lui demanda Rock.
- Certainement pas d'arrêter. Bob acheva d'attacher son foulard et prit la direction de la clairière. Vers l'est.

Raccoon, derrière Joe, s'arrêta un moment pour regarder le campement numéro un. On aurait cru à le voir qu'il se demandait si les humains n'étaient pas tous des nomades? S'ils pouvaient, un jour, s'installer quelque part et y demeurer? Ou bien, quel élan les poussait vers l'aventure sans qu'ils ne sachent trop pourquoi ou vers quoi? Mais la seule chose qui lui importait, c'était de suivre son maître, sa mère ou son frère, il ne le savait toujours pas.

- Tu sais, Raccoon, l'été passé j'éta pas mal su'a dope. Toutes mes journées, j'les dorma pis les soirs, dans l'parc à fumer avec ma gang de sniffeux. Un bon jour, est arrivée une gang de p'tits moffes qui visitaient le parc. Y sont passés proche de moé pis y en a un qui m'a r'gardé dans face. J'y ai dit que j'éta pas à vende mais y continua d'me r'garder. Là, y sé approché de moé. Tu sais pas c'qui m'a dit? Eh! ben, y m'a dit qu'à son école y éta en train d'écrire une histoire pis qu'un des personnages c'éta mon vra portra. J'lai envoyé s'prom'ner. Y é parti mais trois pas plus loin, y sé r'tourné pis y m'a crié: « Salut, Joe!» Ché pas comment y a faite pour savoir mon nom. Pis j'lai vu s'en aller. Dé fois j'me dit que j'hallucine!

Raccoon suivait Joe, le regardait, l'écoutait.

- Ché pas pourquoi j'te dis ça. Mais ça m'a faite drôle d'y r'penser. D'aut' fois j'me dis que cé pas nécessaire de s'doper pour halluciner. Prends Bob, y hallucine des camps sauvages. Annie hallucine su moé. Caro hallucine su a peur. Rock hallucine su sa mère pis Mario, on dira qui nous r'garde halluciner.
- Tu parles tout seul, Joe, dit Rock se retournant vers le grand qui fermait la marche.
- J'doé halluciner, et il se mit à rire.

Ils marchaient sous un soleil de moins en moins puissant, dans cette continuellement pareille forêt mais tellement différente à la fois. Cela faisait maintenant plus de trente minutes qu'ils avaient quitté le ruisseau alors que Mario devint certain qu'ils tournaient en rond. Il se dirigea vers Bob qui lui répondit:
- Ma boussole fait des 360 degrés. Je ne comprends pas ce qui peut bien se passer. Pourtant ma carte est précise puisque nous avons franchi comme prévu les petits rochers situés au nord-nord-est.
- Es-tu en forme, Bob? Mario fixait le chef sachant bien que ses yeux parlaient mieux que sa voix.
- Il doit y avoir du magnétisme quelque part qui fait que la boussole se dérègle.
- Tu ne réponds pas à ma question.
- Oui, oui, ça va. Manifestement, Bob devenait impatient.
- Les cartes?
- Nous venons de croiser des obstacles naturels qui ne sont pas indiqués sur la carte comme ces immenses rochers et cet embranchement d'un ruisseau, la carte n'en fait pas mention. Bizarre!
- Bizarre que tu utilises ce mot, Bob.
- Tu t'imagines que j'hallucine?
- Non, seulement que tu nous fais tourner en rond depuis une demi-heure sans t'en rendre compte.
- Veux-tu prendre la boussole?
- Je suggère plutôt que l'on fasse un arrêt. Un repos sera profitable pour tout le monde.

Tous les sacs à dos se retrouvèrent par terre à l'annonce de la pause. Chacun respirait alors que Bob, la tête dans les mains, examinait à la loupe tous les détails de la carte, ne cessant pas d'y placer, déplacer, replacer sa boussole comme pour faire des vérifications d'une extrême précision avec la minutie dont il était le maître incontesté.
- Moi je dis que s'il y a encore une affaire bizarre qui se produit, je retourne, annonça Caro qui ne s'amusait plus du tout.

Le soleil, comme accroché à la cime des grands arbres, jouait avec les ombres par terre, aux pieds des Six + un moins Mario et Bob, en grande discussion. Annie venait d'éteindre une cigarette, deux bouffées après l'avoir allumée que Joe lui demanda:
- J'peux tu la prendre si ta jette?

Elle ne répondit pas, s'affairant à chercher l'appareil-photo dans son sac. Rock la suivait des yeux, remarquant que les relations entre elle et Joe avaient bien évolué depuis le matin. Sans doute l'effet des champignons, se disait-il.

Bob et Mario revinrent de leur conciliabule, attirèrent l'attention du groupe ayant un message que le chef allait leur transmettre:
- La boussole nous fait tourner en rond. Normalement, nous devions avoir ce ruisseau à notre gauche, côté ouest, pour ensuite le laisser et croiser une série de petites collines que nous n'avons jamais rencontrées. Toujours ce ruisseau qui nous revient.

Caro laissa tomber un profond soupir, se leva comme si elle allait quitter le groupe.
- Caro, j'aimerais que tu restes ici, lui dit Bob.
- J'en ai plein mon casque de tout ça, est-ce assez clair? Elle se mit à pleurer autant de rage que de découragement.

Joe se leva et se dirigea vers elle. La prenant par le bras:
- Reste avec Raccoon, y va te r'monter l'moral. Tu vas voir, qu'elle se décourage pas même que...
- ... même que quoi? coupa Caro, surprise de voir le grand si proche d'elle, la regarder et lui offrir ce qu'il avait de plus précieux au monde. Elle le revit à genoux dans la fenêtre de sa chambre.
- ... que rien, mais cé bon pareil de savoir quequ'un là, jusse pour être là.

Caro se retourna, les yeux mouillés.

- On a beau replacer l'azimut, la boussole ne réussit pas à suivre. Pourtant, elle est précise, les cartes aussi. Après en avoir jasé avec Mario, je propose que nous trouvions un endroit correct pour nous installer cette nuit et...
- ... et demain, retour au Domaine du Rêve, acheva Caro le dos tourné à la gang.
- ... et demain, nous retournerons sur nos pas, compléta Bob.
- Pas en passant par l'étang, dit Joe.
- Il n'y a pas d'autre solution étant donné que l'emplacement numéro deux ne nous semble pas accessible, termina Bob.

Annie se leva, son appareil-photo à la main, s'installant pour prendre une photo du groupe. Il était quand même remarquable de constater que malgré tout ce qui se produisait - que l'on pourrait classer dans le monde du fantastique ou de l'irréel - chaque membre de la gang gardait bien en tête ses responsabilités personnelles, celles que Bob leur avait assignées au départ du projet.

- Ça nous fera un souvenir de la gang, le moral à terre, dit Mario qui jamais ne voulait voir le mauvais côté des choses.

Tous s'installèrent alors qu'Annie demanda à Joe de bien vouloir prendre Raccoon dans ses bras. Le grand donna le bébé raton laveur à Caro qui lui retourna un charmant sourire. La petite bête ne se laissaait pas prendre facilement et afin qu'elle ne bougea pas sur la photo, Joe se plaça à côté de Caro donnant ainsi l'impression que tous les deux tenaient l'animal. Annie prit grand soin de se placer dos au soleil qui déclinait et, dans le viseur, remarqua Caro à côté d'un Joe... resplendissant. Son coeur battit vite alors que des souvenirs encore frais à sa mémoire lui firent venir des larmes aux yeux. Elle appuya sur le déclencheur. Le flash illumina l'espace. Pour immortaliser ce moment une deuxième fois, avec Annie sur la pellicule, Bob la remplaça, elle qui s'installa entre Mario et Rock. Un deuxième flash explosa dans cette fin d'après-midi.

Le groupe se dispersa alors qu'Annie fixait à l'horizon, un panorama d'une très grande beauté. Des arbres à flanc de montagnes lui offraient des couleurs magnifiques, des couleurs qu'elle n'avait jamais vues auparavant. « Cela fera une belle photo» se dit-elle. Elle visa et déclencha une autre fois... une troisième photo venait d'être prise!

Aussitôt... devant une Annie incrédule, apparut une immense maison dont les proportions semblaient importantes, du moins vue de cette distance. Elle n'en croyait pas ses yeux et resta bouche bée. Recula. Cligna une autre fois des yeux comme pour s'assurer que les champignons ne venaient pas lui jouer un mauvais tour. Tenta de chasser cette vision mais la maison ne bougea pas. Annie demeurait comme foudroyée, la voix coupée, immobile devant ce coup de magie. Elle essaya de parler mais ne put pas. Souhaitant retrouver les autres de la gang, elle était hypnotisée, incapable d'aucun mouvement.

Joe voyant qu'Annie, depuis un bon moment, ne revenait pas, se dirigea vers elle. À son tour, il aperçut cette maison à environ trois cents mètres d'eux. Une maison d'une blancheur immaculée, comme déposée devant des arbres qui brusquement se seraient enlevés pour lui laisser toute la place, à flanc de montagne.

- Vois-tu ce que je vois?
- Faut app'ler les autres, tu suite, Joe était incapable de bouger.

Annie cria mais ce fut un léger murmure qui sortit de sa bouche, que personne n'entendit. Elle recula, difficilement, les yeux toujours plaqués sur cette image irréelle:
- Caro... Caro...

Le son de la voix d'Annie ne s'était pas rendu très loin mais Caro vit bien que les deux paraissaient extasiés devant ce qui lui sembla être un paysage; elle se dirigea vers eux:
- C'est pas vrai!

Elle revint tout de suite vers Bob, Mario et Rock. La gang de Rodon Pond partie en camping puis en camp sauvage en plein parc national, les Six se retrouvaient maintenant, devant... une apparition.

Un peu de politique à saveur batracienne... (19)

  Trudeau et Freeland Le CRAPAUD ne pouvait absolument pas laisser passer une telle occasion de crapahuter en pleine politique fédérale cana...