jeudi 24 mai 2007

Le cent soixante-quatrième saut de crapaud (19)

Chapitre 47



Aucun des repères n'échappait à l'attention de l'Inspecteur. Il trouvait qu'à part les rubans rouges peu d'indices supplémentaires se rajoutaient. Longtemps il marcha, fit quelques pauses afin de reprendre son souffle en profitant pour s'envoyer une gorgée de whisaky derrière la cravate.

Roger Ninja suivait la piste mais devait souvent revenir sur ses pas pour ne pas que Jackson ne s'égare.


Ils passèrent tout près du panneau ensanglanté ou rouillé mais ni l'un ni l'autre ne le remarquèrent. Des bruits bizarres immobilisèrent le chow chow, obligeant l'Inspecteur à adopter son allure d'inquisiteur. Ne pouvant expliquer l'origine de ce qui arrivait, ils repartirent.


Ce ne fut qu'en d'après-midi qu'ils découvrirent l'emplacement situé près du ruisseau.
- Voilà, mon cher Roger Ninja, voilà ce que nous cherchions. Ils sont passés ici il n'y a pas longtemps. Ils ont même fait un feu sans doute pour un petit casse-croûte. Nous allons nous y arrêter, de toute façon il se fait tard et la fatigue nous gagne. Nous passerons la nuit sur place et demain, reposés, nous irons les cueillir comme des fruits mûrs.


L'inspecteur Jackson, examinant autour de lui, trouva que les voleurs avaient vraiment un sens très prononcé de la propreté. Rien de traînait. Le cercle du feu était entouré de pierres et les braises remblayées avec de la terre.


Notre gros bonhomme fit le tour de l'emplacement à la recherche d'un petit quelque chose pouvant l'aider à mieux saisir la psychologie des voleurs, de même que leurs motifs. Rien.


Il déposa finalement son sac brun près d'un arbre, enleva son imperméable, s'approcha du ruisseau afin d'y nettoyer ses chaussures. Son fidèle chow chow paraissait excité, comme si, flairant quelque chose d'anormal, cela le rendait nerveux.
- Que se passe-t-il Roger Ninja?


Le chien s'écrasa par terre et ne bougea plus. La terreur se lisait dans ses yeux. Ce qui semblait se préparer dépassait son niveau de compréhension de sorte que la meilleure solution pour lui était de se terrer.
- J'aime pas quand il est comme ça, se dit l'Inspecteur dévisagant son chien.


Un gigantesque PLOUF! apeura davantage le chow chow qui se sauva. Jackson se retrouva étendu de tout son long dans le ruisseau, se débattant contre le courant. Il pataugeait, essayait de se relever mais l'eau du ruisseau en plus d'être froide descendait avec rapidité, ce qui l'empêcha de se relever.
- Roger Ninja, je recoule!


Le chien, tout attentif aux événements se déroulant un peu plus loin, ne prit pas garde à son maître qui retomba aussitôt qu'il se levait. Même son chapeau lui échappait. Il le rattrapa au dernier instant. Tant bien que mal, il réussit, à quatre pattes qu'il était, à ramper jusqu'au bord du ruisseau alors que l'eau devint rouge, pas le rouge des repères aux arbres, mais un rouge vif, de sang.
- Roger Ninja, je suis très sérieusement blessé!


La bête regardait toujours ailleurs, le museau écrasé au sol. Les paroles désespérées de son maître ne l'atteignirent pas. Ses membres se mirent à bouger comme si de grands frissons le secouaient.
- Roger Ninja, je meurs! À ces mots, l'inspecteur Jackson se retrouva dans l'eau, jusqu'au cou cette fois .


L'immobilité quasi mortuaire du chien l'empêchait de suivre les frasques aquatiques de son maître. Il n'entendait rien alors que ses yeux sortirent de leurs orbites au moment où, devant lui, apparut une ombre pour aussi vite disparaître. Elle revint. Les ondes frigoriques qu'elle dégageait, le chow chow les perçut, ce qui transforma sa vision tout en décuplant les bruits qui lui arrachaient les oreilles. Il se mit à hurler autant de surprise que de peur.


L'inspecteur Jackson ne comprenait pas la réaction inhabituelle de son fidèle compagnon, lui d'habitude si calme, placide même. Dans un effort terrible, il se sortit du ruisseau, tituba jusqu'au chien qui tremblait encore de tous ses membres. De sa gueule écumait une bave nauséabonde.
- Que t'arrive-t-il mon chien?


Stupéfait, à bout de souffle, reluquant la direction où le regard du chien était accroché, il ne vit absolument rien. Il se gratta la tête, enleva son manteau à poches tout en vérifiant si quelque chose n'aurait pas été perdu. Il s'assit par terre devant Roger Ninja, haletant beaucoup plus vite qu'à son habitude.


Il vérifiia ses vêtements tachés par cette eau rouge, jeta un coup d'oeil au ruisseau; l'eau était redevenue aussi claire qu'il y avait quelques minutes. Qu'est-ce qui avait bien pu colorer ce ruisseau et de manière si brutale? Pour lui, cela devint un autre mystère...



Chapitre 48



Les Six regardaient la maison. Aucun ne semblait disposé à parler ou avancer une question. On n'était plus dans un rêve. On n'hallucinait plus. On ne cherchait pas d'explications rationnelles à ce qui était devant eux.


Il était 18 heures. Le soleil, encore chaud. Le campement numéro deux serait improvisé et tout ce qui avait été prévu pour la suite du camp sauvage devrait être recentré.


- Nous allons souper et je propose que demain, nous nous approchions de cette maison, dit Bob.
- Une vra maison d'riches.
- Installons nos tentes vers les arbres qui sont là-bas.
- Ça serait peut-être mieux d'éviter les arbres, on ne connaît pas la température pour cette nuit, dit Mario dont le regard ne quittait pas cette maison se confondant à la forêt et la montagne.
- Tu as raison, admit Bob, bousculé dans ses projets.
- Cé où finalement?
- Suivez-moi. Mario récupéra ses affaires pour se diriger vers un endroit qui lui semblait le plus propice, marchant avec l'étrange impression d'être déjà passé par ici. C'était comme s'ils se retrouvaient à l'emplacement numéro un mais disposé de manière différente.


Les tentes furent montées en quelques minutes; la cantine selon la même disposition que ce matin. Rock finissait de ramasser les pierres pour le cercle du feu pendant que les filles flânaient avant de préparer le souper. Bob avait placé dans les provisions de la nourriture déshydratée qui avait l'avantage de ne pas prendre beaucoup d'espace.


- Annie, je vais me rendre au ruisseau chercher de l'eau.
- J'y vais avec toi, Caro.
- N'oubliez pas le petit sachet chimique pour vérifier si elle est potable.
- Ici, ce n'est pas qu'elle soit potable ou non qui m'énerve, mais sa couleur.


Les deux soeurs, se guidant par le bruit du ruisseau, y arrivèrent quelques secondes après.


- On dirait le même endroit que ce matin, mais organisé différemment.
- Tu as raison, Caro.


Elles firent l'analyse de l'eau, remplirent le seau et se préparaient à revenir sans dire un mot. D'ailleurs, il faut préciser qu'elles ne se parlaient pas beaucoup malgré le fait que le cercle de leurs ami(e)s fût passablement le même, à part celles du Collège. Depuis le départ de Rodon Pond, Caro et Annie n'eurent pas l'occasion de se retrouver seules: l'une, occupée à attirer l'attention de Joe, l'autre, une fois les événements bizarres enclenchés, à surveiller tout ce qui se passait autour d'eux.


- J'aimerais te parler, Caro.
- De quoi?


Annie ne savait trop comment aborder la question qui la chamboulait, surtout qu'elle imaginait Caro amoureuse de Joe. Mais dans son coeur, c'était devenu trop lourd à porter et n'avait pas d'autre personne avec qui elle pourrait vider le trop plein.


- C'est au sujet de Joe?
- Je m'en doutais un peu, répondit Caro.
- Comment ça?
- Annie, tu lui cours après depuis presque un an...
- Toi aussi...
- Oh! non, ma belle Annie, Caro elle ne court pas du tout après le grand Joe. Tu ne trouves pas que ça fait bizarre de jaser de ces affaires-là alors qu'on se retrouve dans une histoire tellement invraisemblable que je ne réussis pas à me dire si nous sommes envoûtés ou victimes d'une machination diabolique.
- Ça se peut pas, mais je suis consciente que tout ce qui arrive, arrive pour vrai.
- On lirait cela dans un roman que les cheveux nous dresseraient sur la tête, puis là, on est en plein dedans, alors imagine un peu comment je me sens? Caro se préparait à revenir vers le camp. Oh! c'est vrai, tu voulais me parler de Joe.
- Non, non, laisse faire.


L'une près de l'autre, portant un seau et un secret personnel, arrivèrent à l'emplacement numéro deux.


À tour de rôle, comme s'il s'était donné le mot, les membres de la gang retournaient vers la maison. Est-ce que cela les rassurait de voir que rien ne bougeait? Est-ce que dans le for intérieur des Six, un souhait, celui que tout cela ne fut qu'un rêve, à la limite un cauchemar, et que bientôt, tout d'un coup, comme c'était venu, ça allait repartir? Qu'ils puissent enfin se dire que le camp sauvage, celui que Bob leur avait proposé, vendu, eh! bien qu'il puisse commencer pour vrai avec toutes les activités beaucoup plus scoutes que... que... ce qui arrivait et dont personne pouvait vraiment nommer.


Mais la réalité, cette réalité dans laquelle ils étaient plongés bien malgré eux, combien elle était différente. Les Six, en plein coeur du parc national, tourmentés par des événements sur lesquels ils n'avaient aucun contrôle, les bousculant à un rythme effarant, ne leur laissant aucun répit, les Six ne pouvaient plus maintenant les nier.


Ils soupèrent. L'appétit n'y était pas nécesssairement surtout que ces aliments déshydratés n'avaient aucun goût particulier. Rock s'occupa du peu de vaisselle pendant que Bob et Mario montaient le feu de camp. Les filles étaient retirées dans leur tente.


Le feu de camp de ce soir allait-il leur apporter autant d'émotions que celui de la veille? Quel genre de nuit passeront-ils? L'environnement, demain au réveil, il allait ressembler à quoi? Et cette maison, en plein bois? Il n'y avait aucune ligne électrique la desservant. Ni route. Ni services. Comment alors expliquer tous ces phénomènes les encerclant comme si bientôt, un piège allait se refermer sur eux?


Par chance, la soirée s'annonçait belle. Exception faite des moustiques qui ne lâchaient jamais, ce fut d'un calme incroyable. Un calme annonçant la tempête? Caro avait cette idée bien ancrée dans sa tête et interrogeait celui ou celle qui revenait de sa courte visite après avoir vérifié si la maison... en fin si quelque chose avait changée. Aucune lumière, de sorte qu'elle devenait, la soirée passant, plus invisible mais aussi présente.


Rock embrasa les bûches. Encore une fois, la magie du feu opéra. Les yeux se fixèrent. Personne ne parlait... mais n'en pensait pas moins...



Chapitre 49



Roger Ninja revint lentement de sa léthargie au moment où l'inspecteur Jackson achevait d'enlever ses vêtements pour les faire sécher. Il avait d'abord vidé ses nombreuses poches, plaçant les objets près de l'arbre où il avait laissé son sac de provisions puis son inséparable imperméable.


Il sortit quelques boîtes de nourriture:
- On va manger du bon manger.


Jackson constata qu'il n'avait acheté que de la nourriture pour chats. Roger Ninja s'en rendit compte: il s'écrasa de nouveau le museau par terre.
- Bon! C'est juste une petite erreur... on devrait certainement pouvoir faire quelque chose avec ça. Bon! Voyons voir...


Il prit les quelques canettes de bière complétant les provisions, en ouvrit une et chercha un endroit où il pourrait reprendre un peu ses esprits. Le chien présentait la mine découragée de celui qui recevait une autre preuve des maladresses de son maître.


- Veux-tu l'essayer?
Le chow chow tourna la tête. L'Inspecteur rejeta la boîte de nourriture dans le sac brun, entama sa bière tout en regardant la nuit prendre lentement forme. Dans quelques minutes, il fera très noir et il se demanda si son briquet, le seul qu'il avait, ait pu survivre à ses escapades aquatiques bien involontaires. Il ramassa quelques branches sèches qu'il plaça à l'endroit où un feu avait eu lieu, la veille.


Il sortit son cellulaire, tenta de rejoindre quelqu'un quelque part. Rien ne se produisit. Il acheva sa bière:
- Je vais prendre une petite marche avant de dormir.


Il se leva. La nuit était tombée autour de lui, le ciel illuminé d'étoiles, la lune accrochée au loin: les seules choses connues que l'Inspecteur put voir, se sentant comme enveloppé par de grands draps noirs:
- Bon! Assez marché pour aujourd'hui, je peux me permettre de passer une journée dans mon programme de conditionnement physique.


Après bien des tentatives, le briquet répondit laissant tomber quelques flamèches qui embrasèrent les branches. Il avait un feu. Son imperméable bien qu'encore humide, lui servira de couverture.


- Roger Ninja, tu montes la garde quelques heures, ensuite ce sera mon tour. N'oublie pas de me réveiller. Ne fais pas comme l'inspecteur Leduc lors de l'enquête au camp de Sainte-Victoire en novembre dernier et t'endormir sans prévenir personne. Bonne nuit, mon chien.


Presqu'aussitôt, un incroyable ronflement monta vers le firmament.

Aucun commentaire:

Un peu de politique à saveur batracienne... (19)

  Trudeau et Freeland Le CRAPAUD ne pouvait absolument pas laisser passer une telle occasion de crapahuter en pleine politique fédérale cana...