Un être dépressif
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L’après se définit-il par l’avant ou l’inverse ?
Qu’en arrive-t-il avec la notion du temps ?
Ayant entre les mains la réponse à une question, il est difficile de commettre une erreur à moins que la réponse soit elle-même une erreur. Quel plaisir ça serait que de connaître à l’avance les numéros gagnants au loto et pouvoir les jouer avant leur divulgation !
Je n’arrive pas à suivre l’évolution de mes pensées noires mutées en idées suicidaires. Il me faut trouver un moyen d’en finir avec ces maux de tête effroyables, établir un plan efficient, cela dans les plus brefs délais.
Traversant, sur la moto de Phuoc, les ponts qui relient les deux rives de Da Nang, je mesure la hauteur des parapets, leur élévation au-dessus du fleuve Han. M’y rendre un soir que le confinement n’est pas la règle obligatoire serait facile ; plonger, plus difficile pour celui qui craint l’eau.
Le building où j’habite se dresse sur quatre étages. Au-dessus du dernier, une sorte de balcon permettant aux locataires d’y faire sécher leur lessive ou s’y installer pour dîner en toute intimité, possède un toit en pente avec vue fantastique sur la mer et la nuit... le firmament étoilé. Une échelle appuyée au mur permet d’y grimper.
Une nuit, hissé sur ce toit pentu, façonné d’un matériau revêche, je rejoignais le sommet des grands arbres ceignant le bâtiment. L’air frais invitait à m’asseoir, à regarder autour et imaginer dans quel état je me retrouverais si l’idée de plonger, si cette idée devenait plus forte que toute résistance
Me lancer sur la gauche, j’atterris devant l’entrée de la maison, en plein milieu de la chaussée.
Me lancer à droite, je zigzague entre les branches des arbres avant de m’effondrer à la porte de chez la propriétaire.
Dans les deux cas j’évalue les chances que mon projet puisse m’amener là où tout s’arrêterait...
La dernière pensée, celle qui retint mon geste fut celle-ci : est-ce que le suicide posera problème à Phuoc ? Serait-il embêté d’une façon ou d’une autre par la police, autorité suprême et peu bienveillante ?
Je suis rentré au 401.
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Les restrictions imposées par le gouvernement de la ville de Da Nang empêchaient aux vendeurs itinérants de se promener dans les rues afin de proposer toute une panoplie de produits et services ; parmi eux, l’affûteur de couteaux. Ceux que je possède à l’appartement sont aussi ronds que le rebord d’une assiette. Je dois éliminer cette option qui, de toute façon, ne m’enchante pas outre mesure.
Les alternatives s’atténuent. Seule ma dépendance à Phuoc augmente. Il sort pour quelque raison que ce soit, je panique. De toute façon la panique agit depuis un bon moment et ne peut que paver la route vers un désordre plus intense encore.
Nous sommes le 11 avril, date d’anniversaire de ma fille que je surnomme “ mon bijou d’avril “. Je lui envoie mes voeux avec, dans l’âme, un profond abattement et l’absolue certitude que jamais je ne sortirai de cette dépression qui n’est pas encore nommée et l’idée de retrouver ma famille s’estompe lamentablement. Impossible d’imaginer qu’un jour je puisse retrouver la force d’être qui j’étais, de retrouver l’environnement proche et lointain qui me stimulait. De jour en jour je ne me reconnais plus.
Le temps.
Tout s’emmêle dans mon esprit, l’avant - le maintenant- l’après... tout dégringole en s’entrechoquant. Déjà que depuis des lunes les jours et les nuits ont cessé d’être chronologiques.
Je n’ai de routine que celle de déambuler entre le 401 et le 402, absent à mes pas, sourd au vent qui parfois siffle par les fenêtres ouvertes, devenant de plus en plus insensible à tout.
Phuoc parle, mais c’est si loin.
CaCao se couche à mes pieds et cela me ramène à mon lit. J’y passe des heures interminables.
De l’extérieur, les aboiements du chien rebelle que la propriétaire a attaché à un piquet deviennent mon seul repère entre jour et nuit.
12 avril, mon plan longuement mijoté prend forme.
À la prochaine