vendredi 15 décembre 2017

Humeur vietnamienne



WE ARE ONE





Qui a eu cette idée folle d’inventer l’école ? La chanson popularisée par France Gall y répond en identifiant Charlemagne. Dans les faits, cette vénérable institution date de plus loin encore. Puisque le mot « école » prend ses racines dans le grec « schole » et devint « schola » en latin, oublions un peu l’illustre personnage de la chanson. Bizarrement, les deux termes réfèrent à « loisir ». Je ne suis certain que la majorité des élèves qui la fréquentent y voient bien le rapport.

Entendons-nous sur cette idée que l’école est un lieu où les apprentissages voisinent avec le contact d’autres individus. Une école, une classe, un lieu d’apprentissage deviendront des synonymes dans ce billet que j’entreprends à partir du calque d’un proverbe devenu une expression populaire de la langue française : « Qui a bu, boira. » Je dirai : Qui a enseigné, enseignera. »

J’ai enseigné durant plus de vingt-cinq années. J’ai aimé toutes ces années. À la retraite, jamais j’aurais imaginé un seul court instant que l’enseignement allait me rattraper. Pourtant, j’étais caché à l’autre bout du monde…

Lorsqu’un de mes amis, ingénieur, m’a proposé de donner un coup de pouce à des collègues qui venaient d’être déclassifiés en raison de leur parfaite ignorance de la langue anglaise, ma réponse fut celle-ci : « Je suis loin d’être bilingue mais je suis un bon enseignant. Comme une excellente façon d’apprendre quelque chose c’est de l’enseigner, j’accepte le défi. »

C’en est un ! Afin de bien le relever, j’ai placé mes conditions – un peu comme dans les écoles privées qui annoncent leurs couleurs en fixant des critères d’admission – conditions auxquelles chacun des étudiants devaient se soumettre librement. La première, ils devaient être motivés et capables de bien préciser leur motivation. Le seconde, être sérieux, ce qui voulait dire ne pas rater une leçon à moins d’un contretemps inévitable ainsi que de mettre un minimum d’une heure par jour en-dehors des cours à réviser les leçons et s’astreindre à parler anglais dix à quinze minutes par jour. La troisième, et pour moi une des plus importantes, accepter de faire partie d’un groupe qui de leçon en leçon allait se solidifier, groupe auquel on allait donner un nom.

Deux groupes sont actuellement actifs. Celui qui a démarré en mai 2017 répond à l’appellation suivante WE ARE ONE. Composé d’ingénieurs, les cinq (5) membres de ce groupe ont tous réussi des études universitaires, travaillent au chantier du métro de Saigon et proviennent du Nord du Vietnam, soit autour de Hanoi. En mai, lors de nos premiers balbutiements, aucun d’entre eux n’étaient en mesure d’articuler quoi que ce soit dans la langue de Shakespeare. Comme je ne pouvais m’adresser à eux en vietnamien, j’avais recours à un traducteur. Maintenant, cette nécessité a disparu. Ils peuvent comprendre mon anglais que je réduis à sa plus simple expression afin de ne pas les perdre dans la brume.

SWEET DREAMS est un nouveau noyau d’étudiants qui ont pour dénominateur commun, celui de réaliser un rêve : avancement de carrière, communication avec les étrangers de passage au Vietnam, se voir attribuer des rôles au théâtre exigeant une parfaite connaissance de langue anglaise et surtout une excellente prononciation.

Le grand challenge, pour le « teacher » comme il me surnomme, réside dans la prononciation. Lorsque je m’adresse à des Vietnamiens qui se disent bilingues parce qu’ils ont suivi pendant deux ou trois années des cours d’anglais dans une des nombreuses écoles privées qui offrent le service, j’arrive difficilement à bien les comprendre. Il existe un monde de distance entre l’anglais et le vietnamien. Plusieurs lettres de notre alphabet n’existent pas dans leur langue et les prononcer leur est ardu. En vietnamien, le « f », le « j », le « w » ainsi que le « z » sont absents. De plus, tout repose sur la voyelle dans cette langue aux multiples tonalités, monosyllabique et aux accents qui diffèrent du Nord au Sud.

Qu’en est-il de l’apprentissage ? Si le lieu que je définis comme un cénacle de l’apprentissage individuel au contact des autres, est-ce que ce lieu se ressemble si on l’examine d’un point de vue occidental ou oriental ?

Longtemps, trop peut-être, l’enseignement résidait sur la culture de la mémoire : tu possèdes une bonne mémoire, tes chances de réussir se voient décuplées. Même croyance ici au Vietnam. De sorte que toutes les écoles que je connais et qui offrent des cours de langues, s’appuient sur elle : beaucoup de vocabulaire, mémorisation des règles de grammaire et une forme de périssologie ou répétition de phrases-types utiles à la communication. Je constate toutefois que cela ne donne pas les résultats attendus.

Apprendre n’est pas répéter. Apprendre c’est plutôt accueillir des nouvelles informations et les transformer selon nos besoins qui sont multiples et différents d’un individu à un autre. Si chaque individu est différent, il y a de fortes chances que son style d’apprentissage le soit aussi. La bonne route à suivre me semble être celle qui suit : l’enseignant doit tabler sur les talents de chacun, les affiner afin qu’ils deviennent des vecteurs d’avancement dans leur apprentissage.

C’est ce vers quoi je tends. Placer mes étudiants dans des situations de communication réelle afin qu’ils puissent par la suite les intégrer à leur quotidien. Communiquer, l’objectif prioritaire pour ceux qui s’aventurent à intégrer une nouvelle langue, exige que les individus soient à l’écoute des autres, soient aussi en mesure de bien décoder les messages puis d’en construire un qui aille dans le sens logique de la communication.

Mes étudiants sont doués, je l’avoue et cela facilite ma tâche. Toutefois, je dois admettre que le fossé culturel séparant un Oriental d’un Occidental est considérable. Il me fallait donc travailler avec un matériel qui puisse être compréhensible pour eux et non ces livres style Oxford qui s’appuient sur des exemples européens ou américains. J’ai trouvé et cela est d’un grand secours.

Je travaille aussi avec les « lyrics » de chansons anglaises. Ils voient, ils entendent puis ils chantent. Le Vietnamien adore chanter, ce n’est pas pour rien que le karaoké est si populaire.

J’incorpore les règles grammaticales lorsqu’elles se présentent à notre attention et sont immédiatement applicables car non désincarnées dans une leçon mais issues des éléments de la leçon.

Je pourrais vous parler des heures de temps de tout le plaisir que j’éprouve à leur enseigner mais je ne veux surtout pas omettre le point suivant qui m’apparaît essentiel. ‘’Apprendre au contact des autres…’’ Crucial ! Mes étudiants sont d’abord et avant tout des êtres humains qui, tout comme chacun d’entre nous, continuent à se construire. Des êtres humains trempés dans une culture particulière, la LEUR, toute imprégnée de valeurs, de croyances et de peurs. Une fois le contact solidement établi, aller plus loin devient envisageable, plus loin sur notre route humaine.

J’aborde avec eux, sans pudeur, sans retenue, des problématiques parfois complexes. WE ARE ONE est un groupe bien ancré, ses membres en mesure d’ouvrir leur âme et leur cœur à bien des choses. Le premier sujet que nous avons traité est celui de la différence. Un membre du groupe est dyslexique, un autre bégaie. Au début, cela alimentait les rires. Nous en avons discuté; maintenant les deux étudiants qui présentent ces difficultés ont fait d’immenses progrès. Celui qui bégaie a accepté les petits exercices que je lui ai proposés, et sa situation s’améliore mais surtout les moqueries (sans méchancetés) provenant de ses confrères ont disparues.

QUI A ENSEIGNÉ, ENSEIGNERA… Tellement, mais tellement vrai.






mardi 5 décembre 2017

CHRONIQUES VIETNAMIENNES


Lundi, c’est journée de congé pour Monica et Toni, mes amis propriétaires du restaurant espagnol OLÉ de Saigon. Congé, oui, mais pas repos, il y a trop à découvrir dans cette Saigon aux multiples facettes.

Ils m’ont invité à les suivre dans une excursion guidée par Stéphane (un Viet Kieu français : viet kieu signifie le vietnamien de retour au pays). Il est guide touristique et offre quelques randonnées à travers la ville. Selon qu’il s’agisse d’une première fois ou s’approprier des lieux plus spécialisés (l’underground), Stéphane propose différents circuits. Celui que nous allions suivre se composait des éléments suivants : visite d’un hôpital du District 5 (ancien Cho Lon), de la maison où se terraient les responsables du FNL (Front national de libération) du Sud-Vietnam, quelques églises et pagodes tout en faisant un détour sur les lieux où le moine bouddhiste Thích Qung Đc s’est immolé par le feu le 11 juin 1963 afin de protester contre la répression anti-bouddhiste ordonnée par le président catholique Ngô Đình Dim.

Comme dans toute ville, si on ne s’arrête pas pour s’instruire des monuments historiques en place, nous passons à côté de bien intéressantes informations qui nous permettant de mieux saisir les actions du passé et d'y mettre une certaine perspective.

D’abord l’hôpital Cho Ray

À l’époque, cet hôpital recevait les patients souffrant de problèmes ou de troubles psychiatriques. Comme on peut s’en douter, le traitement qui leur était offert… datait de l’époque dinosaure de la psychiatrie. On y voit deux pavillons adjacents l’un à l’autre où les hommes séparés des femmes se retrouvaient dans des chambres (plus des cellules qu’autre chose) pouvant rassembler plusieurs personnes. Des salles individuelles les côtoient, dans lesquelles on y installait les "cas graves". On peut encore y voir les anneaux de fer que l’on enserrait aux mollets des personnes afin de les immobiliser. L’atmosphère est macabre, me rappelant les prisons de Phu Quoc et de Con Dao. De style colonial français, cet hôpital jouxte une construction hyper moderne de plusieurs étages. L’endroit est interdit au public mais grâce à l’initiative et aux contacts (tout fonctionne ici par contacts) de notre guide Stéphane, nous avons pu y pénétrer et prendre quelques photos. Le plus intéressant toutefois se situe ailleurs.


Je ne connaissais Tran Phu que de nom. Une très importante rue de Saigon (ainsi que dans toutes les villes du Vietnam) porte son nom. Né le 1er mai 1904, il fut le premier secrétaire général du Parti communiste d’Indochine. Il y est mort (certains disent "exécuté") dans cet hôpital, le 6 septembre 1931.

Stéphane nous faisait remarquer que les mouvements nationalistes étaient nombreux sous le régime colonial français et que Hô Chi Minh est celui dont on retient le mieux l’action, en raison sans doute de ses qualités de politicien. Tran Phu et Oncle Hô se connaissaient, ils furent tous les deux des enseignants et, bizarrement, natifs du Centre du Vietnam. Le Général Giap, également. Il y aurait beaucoup à apprendre de cette époque où l’on parlait de guerre civile, de mésententes opposant les divers mouvements de libération nationale.
Les dernières paroles de Tran Phu avant de mourir furent celles-ci : "Gardez l’esprit combattif !"


Nous avons quitté l’hôpital afin de nous diriger vers le District 3, tout près du District 1 où se trouve le Palais présidentiel de l’époque maintenant rebaptisé Palais de l’Indépendance ou Palais de la Réunification. Nous y attendait monsieur Thanh que Stéphane connaît bien. Grâce (encore) à ce contact nous avons pu entrer dans une maison classée maintenant au Ministère de la 
Culture, des Sports et du tourisme comme lieu historique. 

Ce qui nous y avons découvert fut passionnant.


Un ami écrivain français, Patrick Taisne Nguyen, vient de publier un magnifique roman dans lequel il aborde les dernières années de Saigon, avant sa chute aux mains des communistes du Nord, soit de 1958 à 1975. Il relate quelque part dans ce livre que je vous recommande (aux Éditions Ella) des rencontres entre les responsables du FNL (Front national de Libération du Sud-Vietnam) tenues dans des lieux secrets. Lieux qui campaient à l’aboutissement de la Piste Hô Chi Minh (elle avait Hanoi pour point d’origine).


On entre dans une maison totalement conventionnelle qui, à l’époque, abritait une petite usine de fabrication de rideaux. Le propriétaire dont j’ai malheureusement oublié le nom, était membre du Viet Minh, situation dont personne ne pouvait se douter. L’intérêt se trouve dans la cave. Impossible pour tout œil aguerri de découvrir cette cache puisque son entrée entièrement camouflée n’était connue que du maître de céans. S’y tenait des réunions dont celle qui précéda l’attaque du Palais présidentiel lors de l’Offensive du Têt en 1968.


On voit sur les murs des photos des dirigeants viet cong de l’époque, des habits militaires, des décorations et… cette ouverture menant à la cave. Nous y sommes descendus, se rappelant qu’elle n’a pas été pratiquée afin que des Occidentaux comme Toni et moi puissions l’emprunter. Je me suis cru dans les tunnels de Cu Chi.

   

























En bas, des armes disposées au mur et au sol selon leur grandeur, leur importance. Tout au fond, une échappatoire donnant sur une ruelle, une deuxième sur la rue principale. Un moment, je me suis imaginé en 1968… prostré dans ce sous-terrain, attendant l’ordre d’agir. Le plus comique dans cette histoire réside dans le fait que le fameux ordre suivait le calendrier du Nord du Vietnam et non celui du Sud, de sorte que l’Offensive du Têt fut donc enclenchée une journée plus tard que celles de Khe Sanh et Hué.

  


   

  

Nous nous sommes par la suite arrêtés devant aux monuments dédiés au moine Thích Qung Đc également sis dans le District 3. Stéphane nous rappelait que le Parti communiste du Vietnam, peu friand d’hommages aux héros sauf s’il s’agit de membres du Parti ayant une renommée telle celle de Hô Chi Minh, fit une dérogation pour cet homme que les Vietnamiens considèrent comme un personnage immensément important.

Lors du lunch - nous avons opté pour une cuisine du Centre puisque Toni n’apprécie pas le trop sucré des plats du Sud - nous y sommes allés de mille et une questions auxquelles les réponses offertes par notre érudit de guide ne pouvaient qu’aiguiser l’appétit.

Entre autres, et celle-là je ne la connaissais pas, il nous a parlé de "la famille 54"; ces gens qui ont tout abandonné au Nord afin de se soustraire aux communistes. Ses parents en furent. Arrivés au Sud, ils se retrouvent vingt ans plus tard à nouveau sous le joug des communistes : double défaite.

Des camps de rééducation… de la corruption sous les différents régimes sud-vietnamiens et maintenant celle des dirigeants actuels… des variantes phonétiques existant dans la langue vietnamienne selon la région dans laquelle on se trouve… du contenu de la carte d'identité vietnamienne... de l'histoire de ce viet cong qui reçoit une balle dans la tête de la part d'un général sud-vietnamien, moment filmé, photographié et qui fit le tour de la planète aussi rapidement que la jeune fille brûlée au dos par le napalm. 

Nous avons achevé notre excursion - sous la pluie - dans une pagode appelée "la pagode flottante"Située dans Gò Vp, tout à côté du fleuve, cette pagode fût érigée par les Chinois afin de les protéger contre l’âme errante d’une noyée inconnue. 



Puis nous sommes rentrés – sous la pluie - fort satisfaits de cette excursion. Je demandais à Stéphane s’il pouvait aller plus dans l’underground saigonnais. Son sourire me laisse croire que nous nous reverrons bientôt.

























































Si Nathan avait su (12)

Émile NELLIGAN La grossesse de Jésabelle, débutée en juin, lui permettra de mieux se centrer sur elle-même. Fin août, Daniel conduira Benjam...