WE ARE ONE |
Qui a eu cette idée folle d’inventer l’école ?
La chanson popularisée par France Gall y répond en identifiant Charlemagne.
Dans les faits, cette vénérable institution date de plus loin encore. Puisque
le mot « école » prend ses racines dans le grec « schole »
et devint « schola » en latin, oublions un peu l’illustre personnage
de la chanson. Bizarrement, les deux termes réfèrent à « loisir ». Je
ne suis certain que la majorité des élèves qui la fréquentent y voient bien le
rapport.
Entendons-nous sur cette idée que l’école est un
lieu où les apprentissages voisinent avec le contact d’autres individus. Une
école, une classe, un lieu d’apprentissage deviendront des synonymes dans ce
billet que j’entreprends à partir du calque d’un proverbe devenu une expression
populaire de la langue française : « Qui a bu, boira. » Je
dirai : Qui a enseigné, enseignera. »
J’ai enseigné durant plus de vingt-cinq années.
J’ai aimé toutes ces années. À la retraite, jamais j’aurais imaginé un seul
court instant que l’enseignement allait me rattraper. Pourtant, j’étais caché à
l’autre bout du monde…
Lorsqu’un de mes amis, ingénieur, m’a proposé de
donner un coup de pouce à des collègues qui venaient d’être déclassifiés en
raison de leur parfaite ignorance de la langue anglaise, ma réponse fut
celle-ci : « Je suis loin d’être bilingue mais je suis un bon
enseignant. Comme une excellente façon d’apprendre quelque chose c’est de
l’enseigner, j’accepte le défi. »
C’en est un ! Afin de bien le relever, j’ai
placé mes conditions – un peu comme dans les écoles privées qui annoncent leurs
couleurs en fixant des critères d’admission – conditions auxquelles chacun des
étudiants devaient se soumettre librement. La première, ils devaient
être motivés et capables de bien préciser leur motivation. Le seconde, être
sérieux, ce qui voulait dire ne pas rater une leçon à moins d’un contretemps
inévitable ainsi que de mettre un minimum d’une heure par jour en-dehors des
cours à réviser les leçons et s’astreindre à parler anglais dix à quinze
minutes par jour. La troisième, et pour moi une des plus importantes,
accepter de faire partie d’un groupe qui de leçon en leçon allait se solidifier,
groupe auquel on allait donner un nom.
Deux groupes sont actuellement actifs. Celui qui
a démarré en mai 2017 répond à l’appellation suivante WE ARE ONE.
Composé d’ingénieurs, les cinq (5) membres de ce groupe ont tous réussi des
études universitaires, travaillent au chantier du métro de Saigon et
proviennent du Nord du Vietnam, soit autour de Hanoi. En mai, lors de nos
premiers balbutiements, aucun d’entre eux n’étaient en mesure d’articuler quoi
que ce soit dans la langue de Shakespeare. Comme je ne pouvais m’adresser à eux
en vietnamien, j’avais recours à un traducteur. Maintenant, cette nécessité a
disparu. Ils peuvent comprendre mon anglais que je réduis à sa plus simple
expression afin de ne pas les perdre dans la brume.
SWEET DREAMS est un nouveau noyau d’étudiants qui ont pour dénominateur
commun, celui de réaliser un rêve : avancement de carrière, communication
avec les étrangers de passage au Vietnam, se voir attribuer des rôles au
théâtre exigeant une parfaite connaissance de langue anglaise et surtout une
excellente prononciation.
Le grand challenge, pour le « teacher »
comme il me surnomme, réside dans la prononciation. Lorsque je m’adresse à des
Vietnamiens qui se disent bilingues parce qu’ils ont suivi pendant deux ou
trois années des cours d’anglais dans une des nombreuses écoles privées qui
offrent le service, j’arrive difficilement à bien les comprendre. Il existe un
monde de distance entre l’anglais et le vietnamien. Plusieurs lettres de notre
alphabet n’existent pas dans leur langue et les prononcer leur est ardu. En
vietnamien, le « f », le « j », le « w » ainsi
que le « z » sont absents. De plus, tout repose sur la voyelle dans
cette langue aux multiples tonalités, monosyllabique et aux accents qui
diffèrent du Nord au Sud.
Qu’en est-il de l’apprentissage ? Si le
lieu que je définis comme un cénacle de l’apprentissage individuel au contact
des autres, est-ce que ce lieu se ressemble si on l’examine d’un point de vue
occidental ou oriental ?
Longtemps, trop peut-être, l’enseignement
résidait sur la culture de la mémoire : tu possèdes une bonne mémoire, tes
chances de réussir se voient décuplées. Même croyance ici au Vietnam. De sorte
que toutes les écoles que je connais et qui offrent des cours de langues,
s’appuient sur elle : beaucoup de vocabulaire, mémorisation des règles de
grammaire et une forme de périssologie ou répétition de phrases-types utiles à
la communication. Je constate toutefois que cela ne donne pas les résultats
attendus.
Apprendre n’est pas répéter. Apprendre c’est
plutôt accueillir des nouvelles informations et les transformer selon nos
besoins qui sont multiples et différents d’un individu à un autre. Si chaque
individu est différent, il y a de fortes chances que son style d’apprentissage
le soit aussi. La bonne route à suivre me semble être celle qui suit :
l’enseignant doit tabler sur les talents de chacun, les affiner afin qu’ils
deviennent des vecteurs d’avancement dans leur apprentissage.
C’est ce vers quoi je tends. Placer mes
étudiants dans des situations de communication réelle afin qu’ils puissent par
la suite les intégrer à leur quotidien. Communiquer, l’objectif prioritaire
pour ceux qui s’aventurent à intégrer une nouvelle langue, exige que les
individus soient à l’écoute des autres, soient aussi en mesure de bien décoder
les messages puis d’en construire un qui aille dans le sens logique de la
communication.
Mes étudiants sont doués, je l’avoue et cela
facilite ma tâche. Toutefois, je dois admettre que le fossé culturel séparant
un Oriental d’un Occidental est considérable. Il me fallait donc travailler
avec un matériel qui puisse être compréhensible pour eux et non ces livres
style Oxford qui s’appuient sur des exemples européens ou américains. J’ai trouvé
et cela est d’un grand secours.
Je travaille aussi avec les « lyrics »
de chansons anglaises. Ils voient, ils entendent puis ils chantent. Le
Vietnamien adore chanter, ce n’est pas pour rien que le karaoké est si
populaire.
J’incorpore les règles grammaticales
lorsqu’elles se présentent à notre attention et sont immédiatement applicables
car non désincarnées dans une leçon mais issues des éléments de la leçon.
Je pourrais vous parler des heures de temps de
tout le plaisir que j’éprouve à leur enseigner mais je ne veux surtout pas
omettre le point suivant qui m’apparaît essentiel. ‘’Apprendre au contact des
autres…’’ Crucial ! Mes étudiants sont d’abord et avant tout des êtres
humains qui, tout comme chacun d’entre nous, continuent à se construire. Des
êtres humains trempés dans une culture particulière, la LEUR, toute imprégnée
de valeurs, de croyances et de peurs. Une fois le contact solidement établi, aller
plus loin devient envisageable, plus loin sur notre route humaine.
J’aborde avec eux, sans pudeur, sans retenue, des problématiques parfois
complexes. WE ARE ONE est un groupe bien ancré, ses membres en mesure d’ouvrir
leur âme et leur cœur à bien des choses. Le premier sujet que nous avons traité
est celui de la différence. Un membre du groupe est dyslexique, un autre
bégaie. Au début, cela alimentait les rires. Nous en avons discuté; maintenant
les deux étudiants qui présentent ces difficultés ont fait d’immenses progrès.
Celui qui bégaie a accepté les petits exercices que je lui ai proposés, et sa
situation s’améliore mais surtout les moqueries (sans méchancetés) provenant de
ses confrères ont disparues.
QUI A ENSEIGNÉ, ENSEIGNERA… Tellement, mais tellement vrai.
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