vendredi 27 novembre 2009
Le trois cent quinzième saut
Novembre s’achèvera sur ces quelques citations.
. L’univers n’est ni hostile ni amical; il est simplement indifférent.
(J.H. Holmes)
. Dans la quantité de choses qu’on fait ensemble, il y a l’annonce de tout ce qui viendra plus tard – et aussi de tout ce qui ne viendra pas.
(Bernard Schlink)
. Elle s’obstinait à croire, comme tous les mal-aimés, que l’amour que l’on n’a pas reçu existe quelque part, prêt à vous fondre dessus.
(Paule Constant)
. … je vous demande si vous m’aimez de me laisser mourir une nuit très loin dans la mer.
(Monique Wittig)
. … la distance qui, peu importe ce qui la motive, finit bien sûr par se creuser entre ceux qui s’aiment.
(Mario Cyr)
. Il est déraisonnable d’aimer raisonnablement. Il n’est pas passionnant de n’aimer qu’avec passion.
(Jacques Cuerrier, Serge Provost)
. Ceux que nous aimons le plus sont ceux qui ont le plus de pouvoir de nous faire mal.
(John Fletcher)
. La joie, la peur, le désir d’en finir avec son propre poids : toutes nos émotions sont mystérieuses, aux autres comme à nous-mêmes.
(Robert Lalonde)
. Mais moi je vous dis qu’elles (joie et tristesse) sont inséparables. Ensemble elles viennent, et quand l’une vient s’asseoir seule avec vous à votre table, rappelez-vous, que l’autre dort sous votre lit.
(Khalil Gibran)
. Les choses les plus ordinaires ne sont pas toujours aussi ordinaires qu’on pourrait le croire.
(Jostein Gaarder)
. Le corps est un gouffre, tout est nuit noire par en dedans.
(Gaétan Soucy)
. La plus atroce offense que l’on puisse faire à un homme c’est de nier qu’il souffre.
(Cesare Pavese)
. Comment peut-on souffrir de l’absence de celui qui est présent? … on peut souffrir de nostalgie en présence de l’aimé si on entrevoit un avenir où l’aimé n’est plus; si la mort de l’aimé, invisiblement, est déjà présente.
(Milan Kundera)
. Un être humain qui souffre est à peine un être humain, il est amputé de la dimension de la santé, de la dimension du plaisir, il est en cage derrière les barreaux de la souffrance, muré dans sa douleur.
(Rubinstein)
. Demandez-vous si vous êtes heureux et vous cessez de l’être.
(J.S. Mill)
. Nous ne vivons jamais, mais nous espérons de vivre, et nous disposant à être heureux, il est inévitable que nous ne le soyons jamais.
(Pascal)
. La vie de l’homme ne peut être «vécue» par une simple répétition d’actions types propres à l’espèce : chacun doit vivre. L’homme est le seul animal capable de s’ennuyer, d’être insatisfait, de se sentir chassé du paradis.
(Éric Fromm)
. Peu de choses conservent leur charme dans la solitude; et si la solitude est complète et définitive, tout devient inévitablement amer. La belle vie humaine est une belle vie entre êtres humains, sinon, ce serait peut-être une vie, mais qui ne serait ni belle ni humaine.
(Fernando Savater)
. Il faut retenir avec toutes nos dents et nos griffes l’usage des plaisirs de la vie que nos ans nous arrachent des poings les uns après les autres.
(Montaigne)
. On mérite souvent sa place dans la vie à cause de certains mouvements brusques qu’on est capable d’avoir.
(Jean Giono)
. Les évidences abondent pour démontrer que le système cognitif a le pouvoir (qu’il n’utilise pas toujours) de modifier l’intensité de la douleur physique.
(Meg Bogin)
. Le divers, le tiroir qu’en enfant n’a jamais ouvert.
(Victor Segalen)
Au prochain saut
mardi 24 novembre 2009
Le trois cent quatorzième saut
Mardi matin, 24 novembre.
Le Salon du livre de Montréal est terminé depuis hier.
Je me suis abstenu en fin de semaine pour la simple raison qu’un retraité, selon moi, devrait s’astreindre à profiter des heures creuses que ce soit pour se rendre à la banque, faire ses courses au supermarché, aller au cinéma ou… au salon du livre, laissant à ceux qui sont encore actifs (les travailleurs) un meilleur espace pour participer à des événements qui s’étendent sur quelques jours ou tout simplement éviter de rallonger la queue dans les endroits publics afin d’obtenir des services. Les centres de vaccination contre la grippe A(H1N1) ont compris le problème en départageant les clientèles puis en émettant des laissez-passer! Je me souviens trop à quel point je rageais lorsque, devant me rendre à la banque sur l’heure du midi (l’heure du lunch) un gentil retraité, attendant qu’on le serve, ralentissait tout le monde alors qu'il aurait très bien pu s’y présenter une heure avant ou une heure après.
Donc, laissant le vendredi soir et les samedi et dimanche aux autres, j’optai pour lundi. Grand bien m’en fit car je me suis retrouvé à la place Bonaventure avec une ribambelle d’écoliers qui arpentaient à une vitesse vertigineuse les allées du salon à la recherche des stands où la littérature jeunesse se terrait. Il s’en trouvait partout.
J’étais heureux de voir tous ces jeunes s’exclamer devant tel ou tel livre, se surprendre de voir l’auteur en chair et en os, ramasser et déposer dans leur sac plastique tous les signets reçus des maisons d’édition, de crier à un ami ou une amie qu’il fallait venir voir ceci ou cela, interroger un ou une enseignante sur le moment prévu pour le lunch… tout en me disant que ce métier n’était plus pour moi. Ça exige un je-ne-sais-quoi que je n’ai plus… Une façon toute pédagogique de voir dans le hurlement de celui-ci une demande d’aide; dans le regard effaré de celle-là, une interrogation qui tarde à se pointer; dans l’éloignement de ceux-ci un désintéressement; et j’en passe.
Je me promenais donc dans les allées du salon après avoir organisé ma visite selon un sens «périmétrique» : faire le tour pour ensuite quadriller d’est en ouest puis du nord au sud, pour ne rien manquer.
Ce que je fis.
Ce qui me permit de me rendre compte que si j’avais attendu cette visite au salon j’aurais obtenu une réduction sur mon abonnement au journal LE DEVOIR (qui fêtera ses 100 ans le 10 janvier 2010)…
Ce qui me permit de constater à quel point les employés, sans doute de corvée depuis plus de cinq jours, avaient la langue… à terre.
Ce qui me permit de me poser les questions suivantes, cela à partir du point de vue des libraires : est-ce pertinent de tenir un salon du livre à cette époque? Est-ce qu’on ne devrait pas y retrouver, acceptant le fait qu’il persiste à se tenir un mois des Fêtes, que les crus de l'année et une occasion de saluer des auteurs?
Ce qui me permit de faire - comme plusieurs personnes d’ailleurs – le tour des maisons d’édition, carnet en mains et prendre des notes pour des achats chez mon libraire habituel.
Ce qui me permit surtout de constater à quel point les livres sont dispendieux. Je suis revenu du Salon du livre de Montréal, me disant que l’achat d’un livre n’est pas réservé à tout le monde. À moins de se diriger vers les collections de poche, et là encore, il est à peu près impossible de se procurer un livre de 200 pages et plus pour moins de 30 dollars. C’est incroyable, mais vrai. Le livre n’est pas un produit qui s’adresse à tout le monde. Ça prend des sous. Beaucoup de sous. Comme il ne s’adresse pas à tout le monde, c’est qu’il s’adresse à une catégorie de gens en particulier. À ceux qui des sous. Beaucoup de sous. Notez cette merveille de lapalissade!
La culture, celle dont on parle et discute sur toutes les tribunes publiques, ne s’adresse si l’on utilise le coût des livres pour exemple, qu’à une infime partie de la population.
J’ai relu mon cahier de notes en sortant du salon où je n’ai rien acheté. S’y trouvent neuf découvertes qui varient entre 19,95$ et 40$ : au total, si j’achète tout, plus de 200$. Je ne sais pas si mon voisin de quartier (je suis dans Hochelaga-Maisonneuve, quartier ouvrier situé dans l’est de Montréal) ou ma voisine, ou les deux ont budgété autant pour l’achat de livres?
Il y a quelque chose qui cloche ici! Ne devrait-on pas, minimalement, enlever la TPS sur le livre? Ne devrait-on pas chercher des moyens pour rendre accessible l’achat du livre et cela pour tout citoyen quelque soit son revenu?
Sans doute que Yann Martel qui écrit à Stephen Harper aux quinze jours pourrait aborder ce sujet avec lui! Mais ça serait univoque car notre premier ministre, en plus de ne pas lire les suggestions de l’auteur, ne prend même pas le temps de lui répondre autrement que par un accusé de réception rédigé par un adjoint…
Pour en finir avec le Salon du livre qui se voulait orienté vers la famille, je signale que pour une troisième année consécutive le prix du public a été décerné à Michel Tremblay. Je n’élaborerai pas sur cette nouvelle, étant allergique à cet auteur dont je suis incapable de lire les éternelles mêmes histoires. Point final.
Vous aimeriez connaître le contenu de mon cahier de notes?
Voici :
. Le tombeau de Tommy (Alain Blottière);
. Malavita encore (Torino Benacquesta);
. Thérèse pour joie et orchestre (Hélène Monette);
. Montréa Kitsch, 98 lieux hauts en couleur ( Sébastien Diaz);
. cellule esperanza (n’existe pas sans nous) (Danny Plourde)
. Kennedy sait de quoi je parle (Tania Langlais)
. L’édition du centenaire des oeuvres de Gabrielle Roy;
. Paul en Finlande (Yann Martel) publié chez Boréal Compact.
Faites le compte, il y en a pour plus de 200$ avant la TPS… Vous comprenez pourquoi je suis un adepte des bouquineries là où on retrouve des livres de seconds yeux… Mais les droits d’auteur, que leur arrivent-ils lorsque j’achète dans ce type de librairie?
Au prochain saut
mardi 17 novembre 2009
Le trois cent treizième saut
Il y a longtemps. En fait, le dernier poème du crapaud remonte au saut 285, c'est-à-dire en juin dernier. Une certaine panne sèche? Ou, je ne sais trop, une recherche de dire autrement. Je vous laisse le soin de comparer aux autres celui d'aujourd'hui, mais personnellement il me plaît bien. Sans doute parce qu'il aura été difficile de l'achever.
Il porte le titre suivant:
il y eut une invitation et elles furent nombreusesLe voici.
il y eut une invitation
et
elles furent nombreuses
il y eut une invitation
un deuil serait souligné
sur le seuil des âmes qui la recevraient
et elles furent nombreuses
invitation adressée par courriel sur clavier qwerty
quelques âmes ébranlées s’en étonnèrent
elles furent nombreuses
une invitation plus buffet que banquet
exhortation au centre d’une île où pleurent des nymphéas
un bateau évanescent transporterait les invitées
furent nombreuses
débuta dans la cohue l’incompréhensible palabre
simultanément tenu d’un bout à l’autre de l’île
sur la grève empoussiérée des sirènes serinaient
des hôtesses démaquillées marmonnaient l’invitation
nombreuses
on assécha le feu
qui depuis le matin dévorait les coraux
entrées froides pour invitées surprises
on alluma les eaux salées
qui depuis la nuit bouillonnaient
comme des mains sacrilèges, aveugles et impaludées
- la vie, un fantôme activé par une marionnette à fils –
cette redondante mélopée
sortait de la bouche affamée
d’on ne sait trop combien de lamantins voraces
arpentant les berges sur lesquelles les âmes accostaient
- la vie, une marionnette à fils hantée par un fantôme –
l’écho chevrotant reprenait en accents torrides
les paroles monocordes, monotones et chantées
lançant la discorde au visage des convives javanaises
un long manteau blanc-fantôme
une jaquette noire-marionnette
cachaient leurs soupirs enfouis dans un bol de chiffres
offert aux convives sulfureusement nourries
afin qu’elles ne cherchent plus
aux creuses paroles, des messages surannés
- un chemin pavé de laideurs mène à la BEAUTÉ –
les invitées infidèles et meurtries
endeuillées par leurs regards vaporeux
retenaient de longs soupirs marins
jusqu’à l’heure des condoléances gratuites
inscrivaient avec des os de requins affamés
le nom des âmes éternellement mortes
unanimement reconnues et oubliées
adressaient alors des psaumes desséchés
aux anges noirs, relève de l’atoll,
pris aux fils fantomatiques des marionnettes débranchées
- la vie, un triste silence à la fenêtre fermée -
et elles mangeaient
comme mangent à des noces mortes
des convives inconnus
à qui on aurait greffé à l’aisselle
des palimpsestes indéchiffrables
enrubannés du colophane des violons timorés
et elles écoutaient
mélopées et psaumes
résonnant à leurs pieds
et elles attendaient
impatientes, de cette patience des coquillages,
que le deuil pour lequel
il y eut une invitation
et elles furent nombreuses
se déplaça sous les vagues, sous les marées
entre ressac et mer bleue verte
et elles attendront
comme on attend
lorsqu’en attendant
on croit ne plus attendre
il y eut une invitation
et elles furent nombreuses
à recueillir sur le sable jaune
des marionnettes sans fils
des fantômes dévastés
et un bateau sabordé
Au prochain saut
samedi 14 novembre 2009
Le trois cent douzième saut
Je suis convaincu que vous manquez de poèmes… On ne vivre sans poésie. On risque la sécheresse permanente. Dans ce novembre encore si beau, si illuminé et presqu’en réconciliation avec l’été pas encore indien, voici un coup de pinceau de celle-ci et un autre de ceux-là…
Quand elle retire sa petite robe de nuit
et la pose au nord des ruptures
l’après-midi je sais que ça recommence
dans la transparente averse
de ses hanches
je connais ses mensonges
chacune de ses manies
alors qui osera demain et en quelle langue
me dire qu’elle m’a tué
avec ma déroute pour mobile
et mes chemises comme bestiaire
(Tania Langlais)
j’oublie ta joue parfois
même certains mouvements des draps
si étroits pourtant
dans leur chorégraphie
quand je reste j’alterne les choses
fragiles comme les océans
qu’on verse le matin
au compte-gouttes
pour rincer nos blessures
(Tania Langlais)
personne ne menace
la solitude des autres
mon obstinée verticale
à présent se retrancher pour penser
à autre chose
car la chasse continue
par-dessus nos épaules
malgré le temps qu’il fait
chaque chose à sa place
la mémoire se ramasse tout à fait
(Tania Langlais)
Extraits tirés de DOUZE BÊTES AUX CHEMISES DE L’HOMME
rien de ce que vous dites n’est oublié
si votre parole s’effeuille et tombe
en terre ferme qui recueille
et allume les moindres brindilles
(Roland Giguère)
on a beau dire l’avenir
le présent n’est jamais là quand il le faut
(Roland Giguère)
À l’horizon va bientôt surgir le griffon que l’on attendait pour poursuivre ce voyage insensé dans les failles du visible.
(Roland Giguère)
Extraits tirés de TEMPS ET LIEUX
La folie seule de l’amour
perce le trou par où s’échappe
l’ivresse d’être enfin dans l’azur
ou dans un carnage éclatant.
(André Frénaud)
Où m’atteindre, qui ne sais où je suis?
Pourquoi je n’aime la voix que fêlée?
Des yeux que ne vente plus aucun vent.
Ce n’est pas moi, c’est l’autre.
(André Frénaud)
Si je dois renaître, que ce soit
dans du bois bien mort,
ou dans de la neige
parce qu’elle fond,
ou dans de la pierre
qui jamais ne rêve.
(André Frénaud)
Extraits tirés de LES ROIS MAGES suivi de L’ÉTAPE DANS LA CLAIRIÈRE
Je me fuis chaque jour mais jamais ne m’échappe
Et la vie me rattrape avec ses bras de plomb.
(Sylvain Lelièvre)
Et nous faisons le voyage
Vaincus d’avance et désarmés
Dans la merveille et dans la rage
D’aimer.
(Sylvain Lelièvre)
Extraits tirés de LE CHANTEUR LIBRE
«un carnet d’ivoire avec des mots pâles»
A I G U I È R E (nom féminin)
. vase à eau, le plus souvent en métal précieux ciselé, muni d’une anse et d’un bec
A L A N D I E R (nom masculin)
. foyer placé à la base d’un four servant à la cuisson des céramiques
Au prochain saut
mercredi 11 novembre 2009
Le trois cent onzième saut
Voici les dernières citations tirées de Maître Eckhart, roman de Jean Bédard. Nous reviendrons à cet auteur d’ici quelques sauts.
. Aucun cheval, ni mule, ni charrette ne furent mis à notre disposition. Nous devions affronter seuls, le Maître et moi, tous les risques du voyage. Je partis comme on part en pèlerinage, plein de péchés à faire pardonner, d’indulgences à obtenir, en disant adieu à tous mes frères, car le pèlerin ne sait jamais à quelle cathédrale ses pas le conduisent, à celle de la terre ou à celle de l’au-delà. Il sait seulement qu’il marche et qu’il marchera tant qu’il aura péché. Le péché fait la distance et donc fabrique l’espace que le pèlerin tente de défaire en revenant au centre, à la grande Cathédrale, la cathédrale des cathédrales.
. – Père Eckhart, vous avez oublié que le moine Henri de Lausanne fut pourchassé comme hérétique parce qu’il prétendait libérer l’institution matrimoniale de toutes les obligations civiles. C’est ce qu’il prêchait au Mans; il voulait que le mariage soit fondé exclusivement sur le consentement mutuel.
- Oui, mon ami Conrad, et c’était en 1116; depuis ce temps l’Église a été mise en devoir d’aller au-delà des coutumes pour faire face aux esprits plus éclairés de notre temps. On ne peut modifier quelque chose d’aussi sacré que le mariage sur la crainte des femmes. Il est naturel pour l’homme de craindre l’indéterminé, le possible et les puissances créatrices de la nature, de son propre cœur et de la femme. Nous avons peur de l’obscurité parce que l’obscurité cache le réel et suggère le possible. De même, nous craignons l’avenir et non le passé. Le passé est défini et nous savons ce qu’il contient, l’avenir nous apporte un possible que nous ne connaissons pas encore. Parce que nous ne la connaissons pas, dans nos esprits la femme est indéterminée comme le sont l’obscurité et l’avenir. Alors nous la craignons. Voilà pourquoi nous nous comportons si brutalement envers elle. Mais le péril repose bien davantage en nous-mêmes, dans notre cœur et dans notre cruauté. Ne t’ai-je pas déjà dit : En toutes choses, tout particulièrement dans la nature divine, l’égalité, c’est la naissance de l’Un, et cette naissance de l’Un, dans l’Un et avec l’Un, c’est le principe et l’origine de l’amour qui arde et éclôt. Sans égalité il n’y a pas d’amour et sans amour, le mariage n’est qu’outrage et profanation. Mon ami Conrad, je suis triste qu’après avoir fait tant de chemin, tu te retrouves à nouveau coincé dans tes peurs.
. La prière du paysan :
Ma vie sur terre n’a que quatre saisons. Je surgis de l’hiver, me dégourdis en février, au printemps travaille de toutes mes forces à faire produire mon champ et mon jardin. À l’été je reste courbé et me durcis les mains et le dos. À l’automne je flétris peu à peu et mesure les fruits de ma saison. L’hiver me recouvre et m’emporte, je l’espère, dans le jardin de Dieu. Chaque année de ma vie n’a que quatre saisons. Quand avril de ses averses douces a percé la sécheresse de mars jusqu’à la racine, quand Zéphyr, de sa douce haleine, a ranimé les tendres pousses et quand les petits oiseaux font mélodie, c’est le temps de labourer, de bêcher, de déchirer la terre pour y déposer la semence. Tout faire avant Pâques, et puis c’est la fête qu’il faut préparer pour le Seigneur. En mai, quand la verdure est foncée et le ciel blanc, réparer la maison et la grange, les barrières, les haies et les canaux d’écoulement. Sarcler les jardins du seigneur et soigner les terres. S’il nous reste du temps, désherber notre parcelle. L’été, nous arrachons les chardons sur les terres du seigneur pour que le Seigneur des seigneurs nous donne la célérité de le servir. À la Saint-Jean, il faut courir les champs avec des torches pour éloigner les dragons; le lendemain c’est la fenaison. Il fait chaud sur les terres, seigneur, et on moissonne en trempant les champs de nos sueurs. En novembre, nous battons le lin avec de lourds écangs, nous séparons la ligneuse de la filasse. C’est le mois sanglant, nous tuons les bêtes pour que le fourrage ne manque pas. En hiver, quand les étourneaux s’en vont, au temps de la froidure, je n’ai plus qu’une histoire à dire : les cerfs brament, la neige tombe, nous attendons le printemps. Puisse-t-il revenir car la grange est vide et il fait si froid. Chaque journée de vie n’a que quatre saisons. Le matin est printemps, le midi, été, au soir arrive l’automne et l’hiver tombe à la nuit. Nos jours s’en vont comme la balle au vent; il reste parfois des grains qui tombent en terre, prennent racine et font une autre saison. J’ai eu six enfants, quatre pour engraisser la terre, deux pour la faire rendre. C’est ainsi que roule l’écume du paysan sur les prés de son seigneur. Si tu entends rire un enfant, c’est qu’il est au printemps et moi, tu ne m’entends pas parce que j’entrevois déjà l’hiver qui s’approche.
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dimanche 8 novembre 2009
Le trois cent dixième saut
Les citations d’aujourd’hui proviennent du roman de Jean Bédard, MAÎTRE ECKHART.
Maître Eckhart est né en 1260 à Hochheim (Allemagne) et meurt en 1328, à Avignon. Dominicain, ce philosophe a enseigné à Paris, a prêché à Cologne et Strasbourg, puis a administré la province dominicaine de Teutonie.
Il a vécu à l’époque de Thomas d’Aquin. Ce sont ses disciples qui ont conservé ses propos et ses sermons. On l’a accusé d’hérésie et le pape Jean XXII a condamné certaines de ses thèses. Son enseignement spirituel est centré sur une invitation au détachement comme moyen nécessaire de l’union à Dieu.
Il est intéressant de notre qu'étymologiquement son nom signifie «rivage» et «brave».
Il y aura un autre saut contenant des citations tirées de ce même livre.
. Le doute est ainsi fait qu’il égalise les possibles, qu’il nous ramène à l’indéterminé, comme si de nouveaux commencements surgissaient sans cesse, dans lesquels le passé ne décide plus de l’avenir et où la Providence fait feu de tout bois. Pour un moment, tous les futurs se présentent libres, l’avenir est affranchi. Cependant, il n’exercera cette liberté qu’à la seconde où il basculera du possible dans le réel.
. Ce n’est pas établissant des murs que l’on croît, mais au contraire en ouvrant des fenêtres et des portes.
. Si l’on se fixe obstinément sur une façon de voir, on perd de vue l’ensemble et c’est l’ensemble qui rachète le particulier. Après la révolte, il est bon de reprendre le dialogue, d’accepter le dialogue qui, entre l’invisible et le visible, tisse la sagesse. Le monde est si grand, si intelligent, si majestueux que les fautes que l’on y voit ont plus de chances d’être des erreurs de point de vue que des scandales d’incohérence.
. Une pierre ne reste jamais longtemps dans les airs, un oiseau finit toujours par s’envoler, le loup, par attaquer et l’homme ordinaire, par prier.
. … vous verrez combien le fond de l’océan reste tranquille malgré l’agitation des vents et des surfaces.
. Il est si rare que la parole puisse mieux faire que le silence.
. Il y a des moments où le silence hurle et crie bien trop de silences à la fois, bien trop pour ce que l’on peut contenir. Ce silence tue, il enterre même le souffle des prières. C’est alors que l’on éprouve le besoin d’entendre son semblable, de l’entendre gambader et courir dans une lande verte, de l’entendre nous rappeler qu’il existe quelque chose et non pas rien.
. Tu connais maintenant ta souffrance parce que tu as enfin accepté ton incarnation dans ce corps de femme. La consolation ne vient pas de l’extérieur de la souffrance comme une eau qui viendrait éteindre un feu. Au contraire, elle vient du dedans de la souffrance comme la source première du feu reste à l’intérieur du feu. La propriété première de la source du feu est de ne jamais être totalement consommée par le feu qu’elle engendre. Aucun mouvement de l’être ne détruit l’être.
. La consolation est au-dedans de la souffrance, dans son tréfonds. La souffrance passe, mais la consolation reste.
. Une chose va, mais ce qu’elle me dit reste. Si je souffre parce que j’ai perdu une chose, c’est là un signe certain que j’aime cette chose et que ce que j’aime donc en réalité c’est la perte, la peine de perdre et non pas ce que m’a révélé cette chose.
. … l’espace est l’expression de la distance entre les choses. Or, cette distance se définit par le temps qu’une chose met à se rapprocher d’une autre. Si toutes les choses étaient infiniment rapprochées, il n’y aurait plus d’espace puisqu’il n’y aurait plus de temps de rapprochement. En somme, l’espace est l’effet du temps, son expression.
. La conversion n’est pas l’adhésion aveugle à des dogmes et à des adjurations, la conversion c’est une transformation, c’est le passage de la mort à la vie.
. La chasteté, c’est quand l’amour déborde à ce point que, si vous ne mourez pas d’amour pour votre prochain, vous ne pouvez pas vivre.
. J’avais été élevé entre tant de pierres; comment aurais-je pu comprendre le cri d’une fleur, la plainte d’un ruban d’eau dans une lézarde de mousse?
. Mais la misère prépare des griffes qu’il n’est pas long de subir.
. … il faut apporter de la lumière et non tenter de déplacer les choses vers la lumière.
. … mieux vaut libérer le bien que de tenter de disloquer le mal…
. L’Église est là pour amener le nouveau dans le temps et non pour perpétuer les institutions, pour continuer la création et non pour fixer les épaves du temps.
. Le Maître restait à l’écart et savourait cet instant privilégié où le passé apparaît chuchoter à l’avenir les secrets visant à le rendre meilleur.
. Généralement, la souillure comme la violence sont des choses que l’on se passe de l’un à l’autre, et peut-être ne font-ils que tenter de remettre cette souillure et cette violence à qui représente ceux qui les leur ont donnés.
. Comment une maison peut-elle tenir si elle ne réchauffe plus personne?
. Un homme laissé sans critique court à sa perte. Jamais nous n’avons assez d’yeux pour nous passer de ceux des autres.
. Chaque chose du visible n’est qu’une respiration que l’on retient un temps avant de le laisser partir.
. Les paysans connaissent le temps, ils en suivent les saisons, ce sont eux l’Église vivante. Quant aux doctrines, si elles ne suivent pas le voyage des hommes dans leur culture changeante, elles ne sont que des pierres qui coulent à pic dans des fonds dont elles ne reviendront jamais. Malheur à celui qui veut se faire un esquif de pierre, il est perdu. Qui se perd se trouve, qui cherche à se maintenir se perd.
. Et un jour particulièrement sombre où l’orage voulait tout déchirer, il glissa comme hors de sa douleur, il entra dans le pourtour de la paix qui permet aux âmes de dire leurs adieux.
. Aucun homme ne peut survivre aux machines qu’il met en place pour le tenir hors de lui-même.
Il y aura un autre saut contenant des citations tirées de ce même livre.
. Le doute est ainsi fait qu’il égalise les possibles, qu’il nous ramène à l’indéterminé, comme si de nouveaux commencements surgissaient sans cesse, dans lesquels le passé ne décide plus de l’avenir et où la Providence fait feu de tout bois. Pour un moment, tous les futurs se présentent libres, l’avenir est affranchi. Cependant, il n’exercera cette liberté qu’à la seconde où il basculera du possible dans le réel.
. Ce n’est pas établissant des murs que l’on croît, mais au contraire en ouvrant des fenêtres et des portes.
. Si l’on se fixe obstinément sur une façon de voir, on perd de vue l’ensemble et c’est l’ensemble qui rachète le particulier. Après la révolte, il est bon de reprendre le dialogue, d’accepter le dialogue qui, entre l’invisible et le visible, tisse la sagesse. Le monde est si grand, si intelligent, si majestueux que les fautes que l’on y voit ont plus de chances d’être des erreurs de point de vue que des scandales d’incohérence.
. Une pierre ne reste jamais longtemps dans les airs, un oiseau finit toujours par s’envoler, le loup, par attaquer et l’homme ordinaire, par prier.
. … vous verrez combien le fond de l’océan reste tranquille malgré l’agitation des vents et des surfaces.
. Il est si rare que la parole puisse mieux faire que le silence.
. Il y a des moments où le silence hurle et crie bien trop de silences à la fois, bien trop pour ce que l’on peut contenir. Ce silence tue, il enterre même le souffle des prières. C’est alors que l’on éprouve le besoin d’entendre son semblable, de l’entendre gambader et courir dans une lande verte, de l’entendre nous rappeler qu’il existe quelque chose et non pas rien.
. Tu connais maintenant ta souffrance parce que tu as enfin accepté ton incarnation dans ce corps de femme. La consolation ne vient pas de l’extérieur de la souffrance comme une eau qui viendrait éteindre un feu. Au contraire, elle vient du dedans de la souffrance comme la source première du feu reste à l’intérieur du feu. La propriété première de la source du feu est de ne jamais être totalement consommée par le feu qu’elle engendre. Aucun mouvement de l’être ne détruit l’être.
. La consolation est au-dedans de la souffrance, dans son tréfonds. La souffrance passe, mais la consolation reste.
. Une chose va, mais ce qu’elle me dit reste. Si je souffre parce que j’ai perdu une chose, c’est là un signe certain que j’aime cette chose et que ce que j’aime donc en réalité c’est la perte, la peine de perdre et non pas ce que m’a révélé cette chose.
. … l’espace est l’expression de la distance entre les choses. Or, cette distance se définit par le temps qu’une chose met à se rapprocher d’une autre. Si toutes les choses étaient infiniment rapprochées, il n’y aurait plus d’espace puisqu’il n’y aurait plus de temps de rapprochement. En somme, l’espace est l’effet du temps, son expression.
. La conversion n’est pas l’adhésion aveugle à des dogmes et à des adjurations, la conversion c’est une transformation, c’est le passage de la mort à la vie.
. La chasteté, c’est quand l’amour déborde à ce point que, si vous ne mourez pas d’amour pour votre prochain, vous ne pouvez pas vivre.
. J’avais été élevé entre tant de pierres; comment aurais-je pu comprendre le cri d’une fleur, la plainte d’un ruban d’eau dans une lézarde de mousse?
. Mais la misère prépare des griffes qu’il n’est pas long de subir.
. … il faut apporter de la lumière et non tenter de déplacer les choses vers la lumière.
. … mieux vaut libérer le bien que de tenter de disloquer le mal…
. L’Église est là pour amener le nouveau dans le temps et non pour perpétuer les institutions, pour continuer la création et non pour fixer les épaves du temps.
. Le Maître restait à l’écart et savourait cet instant privilégié où le passé apparaît chuchoter à l’avenir les secrets visant à le rendre meilleur.
. Généralement, la souillure comme la violence sont des choses que l’on se passe de l’un à l’autre, et peut-être ne font-ils que tenter de remettre cette souillure et cette violence à qui représente ceux qui les leur ont donnés.
. Comment une maison peut-elle tenir si elle ne réchauffe plus personne?
. Un homme laissé sans critique court à sa perte. Jamais nous n’avons assez d’yeux pour nous passer de ceux des autres.
. Chaque chose du visible n’est qu’une respiration que l’on retient un temps avant de le laisser partir.
. Les paysans connaissent le temps, ils en suivent les saisons, ce sont eux l’Église vivante. Quant aux doctrines, si elles ne suivent pas le voyage des hommes dans leur culture changeante, elles ne sont que des pierres qui coulent à pic dans des fonds dont elles ne reviendront jamais. Malheur à celui qui veut se faire un esquif de pierre, il est perdu. Qui se perd se trouve, qui cherche à se maintenir se perd.
. Et un jour particulièrement sombre où l’orage voulait tout déchirer, il glissa comme hors de sa douleur, il entra dans le pourtour de la paix qui permet aux âmes de dire leurs adieux.
. Aucun homme ne peut survivre aux machines qu’il met en place pour le tenir hors de lui-même.
À suivre...
jeudi 5 novembre 2009
Le trois cent neuvième saut
Jean Bédard
Jean Bédard, philosophe de formation devenu par la suite travailleur social, est essayiste et romancier. Il est reconnu autant au Québec qu’ailleurs pour sa vison globale de la détresse sociale.
Voici ce que l’on peut lire dans l’Encyclopédie du Canada (éditions Stanké, 2000) : «Philosophe et intervenant social, Jean Bédard est apparu comme un bolide dans le monde des Lettres. [...] Cette démarche est à l'origine d'un livre, Maître Eckhart, roman, qui parut avec la chaude recommandation de Ilya Prigogine, Prix Nobel, et connut un succès immédiat. [...] Jean Bédard est un homme d'un esprit ample et profond à la fois...»
Professeur associé à l’Université du Québec à Rimouski, il enseigne l’éthique des relations humaines et des situations sociales extrêmes autant au Québec qu’en France et en Suisse.
Jean Bédard se préoccupe de questions relatives à la détresse morale, la pauvreté galopante surtout celle qui affecte les jeunes de même que la situation des femmes. Il manifeste un grand intérêt envers les hommes et les femmes de l’histoire qui ont connu une expérience spirituelle et un engagement politique ou personnel : Maître Eckhart, Nicolas de Cues, Comenius, pour ne citer que ceux-là.
Les citations que je vous offre aujourd’hui sont tirées de LA VALSE DES IMMORTELS, le premier livre de Jean Bédard que j’ai lu pour ensuite le relire; c’était au début de ma retraite en 2004. Voici ce qu’on retrouve en quatrième de couverture : « Dans chaque existence, il y a un moment critique, une bifurcation; l’instant, infiniment petit, dans lequel repose en puissance toute notre vie comme une forêt dort dans une minuscule graine. Cette histoire est celle d’une jeune fille qui donne naissance à sa mère. On y découvre que la femme, une fois née, est toujours la rédemption du temps.»
. Car nous marchons pieds nus sur un océan à peine gelé et il suffit de manquer de distraction pour tomber dans une profondeur sans limites.
. La musique trouble le silence, le vitrail trouble la lumière, le professeur trouble l’esprit.
. C’est la souffrance d’un grand feu qui anime une petite étincelle, s’il la prend dans sa flamme, il la consume et la tue. S’il l’éloigne trop d’elle, elle se refroidit et meurt. Alors il souffle sur elle pour la tenir chaude mais à juste distance. C’est l’exil de l’âme et l’exode du peuple. Par l’exil, l’âme devient elle-même un feu et son amour pour le feu l’amène à produire ses propres étincelles. Par l’exode, le peuple arrive à se gouverner lui-même.
. L’art de l’exil consiste à développer l’acuité de l’oreille afin de compenser l’aveuglement des yeux. Le sage est une grande oreille vive.
. C’est radical : dire, c’est mentir. Parce que les mots font des limites alors que ce dont ils parlent n’en a pas.
. L’exil est le commencement de la vie. La naissance est un éloignement. Nous commençons par être écartés de Dieu comme les petits poussins de leur mère, nous commençons dans la mort, baptisés en elle. Et ensuite, la mort se met à mûrir à la manière d’un fruit. Lorsque le fruit est mûr, il tombe lui-même et devient un arbre, et l’arbre, une forêt, et la forêt un univers, et l’univers, un débordement démesuré de vie. Une mort bien mûre, c’est une vie à pleine course dans une étendue sans horizon.
. Il est vrai qu’à fuir un malheur, on se jette dans un malheur plus grand.
. L’âme humaine a quelque chose du mammifère marin : elle doit sortir le nez de l’eau chaque fois qu’elle veut respirer. Pourquoi? Parce qu’elle ne vit pas dans sa substance propre. Certes, il y a un d’air dans l’eau, mais il lui en faut davantage.
. La première difficulté du fou consiste à distinguer sa propre folie de celle du monde. Le prophète est celui qui, après les avoir séparées l’une de l’autre, goûte à la Sagesse qui lui a justement permis ce discernement.
. Lorsqu’une chose inusitée disparaît pour ne plus revenir, on a coutume de dire que c’est une vision, une image, une illusion. On accorde statut d’être uniquement à ce qui persiste et se répète. Le temps grignote l’être et s’il l’avale trop vite… Qu’était-ce? Une cendre, une impression, un émoi? Qui peut le dire? Si la Chose ne revient plus pour se confirmer elle-même, mieux vaut affirmer que ce n’était rien.
. Il y a des miroirs que l’on ne peut jamais regarder en face, à moins d’avoir tout perdu.
. On finit toujours par rencontrer la face cachée de nos obsessions.
. C’est vrai que l’exil est un désert, mais au milieu de ce désert, il y a une source.
. Tant que l’homme veut avancer à l’horizontale, une montagne constitue un obstacle. Mais si, tout à coup, il veut se rapprocher des étoiles, le même montagne devient son instrument.
. … ce n’est pas la mort qui succède à la vie, au contraire, c’est la vie qui succède à la mort. Mais cela n’est possible que si la mort est sacrée, rendue source vivante.
. Lorsque la démesure de l’univers touche à la démesure de l’âme, la peur cesse et la mémoire prend feu.
. J’avais enfin compris qu’il n’y a qu’un seul sacrement et c’est celui de l’amour. C’est une messe qui pardonne le passé, qui confirme le présent, qui oint les morts, qui baptise tout, qui fait du plus petit atome le prêtre et le chantre de tout l’univers.
. La souffrance attaque et se retire, provoque et détale. Elle déterre le cœur de l’homme, exhume sa valeur et valide sa dignité. Son jeu érafle et sensibilise; il prépare à la réception. Sa griffe pique et attise; elle pousse à l’action. Sa lame dénude et dévoile; elle laisse le vrai et emporte le contrefait. Elle élève bien plus qu’elle n’abaisse parce que l’homme et la femme sont capables de lui objecter le meilleur d’eux-mêmes.
Mais la misère, elle, fait tout le contraire : elle s’accroche et dure, détruisant tout espoir. Elle s’insinue dans le cœur et le brise. Elle le transperce et y injecte son venin. Elle séquestre, abat, anéantit. La misère défait l’homme. Elle est incompatible avec l’homme. Une fois emporté dans la misère, l’homme devient une honte, non seulement pour lui-même, mais pour toute l’humanité ridiculisée par elle. La misère étale notre impuissance. Elle n’a de cesse que lorsque l’homme lui est devenu semblable : acerbe, vénéneux et cruel.
Devant la misère, qui peut rompre le silence? La misère scandalise, un point c’est tout. Chercher à lui donner une quelconque légitimité nous rend immédiatement suspects de monstruosité. Appartenir à l’humanité, c’est par essence s’indigner devant la misère, lui dénier le droit à l’existence.
L’homme et la misère sont deux ennemis par nature. Pourquoi? Parce que la fin de l’homme est de chasser la misère et que la fin de la misère est de chasser l’homme. On juge donc une civilisation par la misère qu’elle produit et qu’elle détruit.
Au prochain saut
lundi 2 novembre 2009
Le trois cent huitième saut
Jamais je ne publie sur le blogue du crapaud les critiques de films auxquels j’assiste. Elles sont sur VOIR. CA et y demeurent. Mais je me permets aujourd’hui de vous faire lire, non pas la critique du film UN ANGE À LA MER de Frédéric Dumont, mais le poème de Baudelaire, Réversibilité, qui lui sert de support. Je vous convie également à voir ce bijou de film traitant d’un sujet… dont je garde le secret.
Réversibilité
Ange plein de gaieté, connaissez-vous l’angoisse,
La honte, les remords, les sanglots, les ennuis,
Et les vagues terreurs de ces affreuses nuits
Qui compriment le cœur comme un papier qu’on froisse?
Ange plein de gaieté, connaissez-vous l’angoisse?
Ange plein de bonté, connaissez-vous la haine?
Les poings crispés dans l’ombre et les larmes de fiel,
Quand la Vengeance bat son infernal rappel,
Et de nos facultés se fait le capitaine?
Ange plein de bonté, connaissez-vous la haine?
Ange plein de santé, connaissez-vous les Fièvres,
Qui, le long des grands murs de l’hospice blafard,
Comme des exilés, s’en vont d’un pied traînard,
Cherchant le soleil rare et remuant les lèvres?
Ange plein de santé, connaissez-vous les Fièvres?
Ange plein de beauté, connaissez-vous les rides,
Et la peur de vieillir, et ce hideux tourment
De lire la secrète horreur du dévouement
Dans des yeux où longtemps burent nos yeux avides?
Ange plein de beauté, connaissez-vous les rides?
Ange plein de bonheur, de joie et de lumières,
David mourant aurait demandé la santé
Aux émanations de ton corps enchanté;
Mais de toi je n’implore, ange, que tes prières,
Ange plein de bonheur, de joie et de lumières!
Si vous voyez le film, vous comprendrez tout le sens de ce poème. Mais saviez-vous que les anges portent des prénoms? En effet. On nous a habitués aux anges et archanges de l’histoire sainte, il y en a toutefois d’autres. L’ange du feu porterait le prénom de NOURIEL; celui de la pureté, TAHARIEL; l’ange de la délivrance, PADAEL; RAEIL serait l’ange des secrets, ministre suprême de la Sagesse et l’ange de la mort, le messager ultime dont la beauté touche à l’effroi répondrait au nom de AZRAËL.
Qu’est-ce qu’un ange? Pascal dit : « L’homme n’est ni ange ni bête, et le malheur veut que qui veut faire l’ange fait la bête. » Pas très aidant. Je me souviens que dans mon enfance on nous parlait énormément de l’ange gardien. L’image que j’en avais à cette époque est celle d’un «suiveux», quelqu’un qui ne me lâchait pas d’une semelle et, combien de fois, m’empêchait d’être complètement moi-même. Un genre de police secrète connue qui te colle aux fesses. Je ne peux pas dire les choses que je me suis retenu de faire à cause de cet ange collé à mon dos. Parce qu’un ange gardien, ça se tient dans ton dos. Ça parle aussi dans ton dos. Ça fait tout dans ton dos. Et souvent, alors que tu risquais un geste qu’on allait soit te reprocher ou pour lequel on risquait de te réprimander, ce foutu «suiveux» s’organisait pour te placer dans un état de culpabilité intense. Je me rappelle la fois où délibérément j’ai laissé choir une boîte de carton en bas du deuxième étage et que le carton s’est retrouvé sur la tête de Monsieur Gaumond (compote aux oignons, tel était le sobriquet que nous lui avions trouvé) qui la reçut, je ne vous dis pas avec quelle dignité… cette dignité d’un propriétaire offensé jusqu’aux entrailles et béni… Eh! bien (oui, une faute, je le sais…) je me souviens très bien de mon réflexe : comment mon ange gardien allait réagir et à qui il allait illico me dénoncer.
Cet ange gardien – est-il toujours derrière moi? – m’a suivi à un point tel qu’il m’a complètement fait oublier que d’autres pouvaient exister, à part évidemment ceux que l’on nous indiquait à je ne sais trop quel numéro du petit catéchisme. Aujourd’hui, je comprends que son rôle en était un de police secrète, de vigile muet et combien délateur. Je suis assuré que de la première cigarette fumée en cachette, la réaction réprobatrice de ma mère provenait de mon ange gardien à qui on avait oublié de donner une menthe afin de camoufler une haleine accusatrice. Convaincu que ma première bière, lorsque mon père l’a sue, ça émanait de la même source.
En fait, l’ange gardien – je continue de jaser de lui (est-ce que les filles ont une ange gardienne?) parce que c’est le seul qui ait croisé mon chemin – cet ange s’avère bien pratique pour les parents biologiques, pour ceux et celles qui ont un rôle de surveillance (ou d’éducation) à jouer dans la vie des enfants. Je dis les enfants parce qu’à partir du moment où tu balances ton ange gardien, tu n’es plus un enfant. Si tu as choisi de le demeurer dans ton esprit jusqu’à ton dernier souffle, l’ange gardien t’accompagne. Ce rôle de surveillance s’étend de l’extérieur à l’intérieur de l’individu. Je vous donne comme exemple d’un rôle de surveillance joué par l’ange gardien, le fait que je ne lisais pas des livres que l’on classait à l’INDEX, étant convaincu que je serais pris et excommunié. Oui, excommunié, parce que mes yeux allaient permettre à mon cerveau puis à ma conscience de lire, d’entendre et d’essayer de comprendre des idées aussi révolutionnaires que celle-ci : les anges n’existent pas.
Rien de pire dans une vie que de se rendre compte que ce à quoi on t’incitait à croire, ce qui devait régir tes faits et gestes et tout cela avec un radar collé au derrière, d’apprendre puis d’en être certain, que cela est faux, pire, que cela n’existe pas. Ton ange gardien n’était en fait qu’un tissu diaphane, translucide laissant passer le vide. Et malgré que tu aies cru qu’il fût derrière toi, que maintenant tu as la preuve qu’il n’a jamais été présent, que malgré cela tu aies survécu… ça donne un coup! Il doit certainement y avoir un ange qui a fomenté cet immense complot!
UN ANGE À LA MER ne traite absolument pas de ce thème.
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