jeudi 5 novembre 2009

Le trois cent neuvième saut


Jean Bédard

Jean Bédard, philosophe de formation devenu par la suite travailleur social, est essayiste et romancier. Il est reconnu autant au Québec qu’ailleurs pour sa vison globale de la détresse sociale.

Voici ce que l’on peut lire dans l’Encyclopédie du Canada (éditions Stanké, 2000) : «Philosophe et intervenant social, Jean Bédard est apparu comme un bolide dans le monde des Lettres. [...] Cette démarche est à l'origine d'un livre, Maître Eckhart, roman, qui parut avec la chaude recommandation de Ilya Prigogine, Prix Nobel, et connut un succès immédiat. [...] Jean Bédard est un homme d'un esprit ample et profond à la fois...»

Professeur associé à l’Université du Québec à Rimouski, il enseigne l’éthique des relations humaines et des situations sociales extrêmes autant au Québec qu’en France et en Suisse.

Jean Bédard se préoccupe de questions relatives à la détresse morale, la pauvreté galopante surtout celle qui affecte les jeunes de même que la situation des femmes. Il manifeste un grand intérêt envers les hommes et les femmes de l’histoire qui ont connu une expérience spirituelle et un engagement politique ou personnel : Maître Eckhart, Nicolas de Cues, Comenius, pour ne citer que ceux-là.

Les citations que je vous offre aujourd’hui sont tirées de LA VALSE DES IMMORTELS, le premier livre de Jean Bédard que j’ai lu pour ensuite le relire; c’était au début de ma retraite en 2004. Voici ce qu’on retrouve en quatrième de couverture : « Dans chaque existence, il y a un moment critique, une bifurcation; l’instant, infiniment petit, dans lequel repose en puissance toute notre vie comme une forêt dort dans une minuscule graine. Cette histoire est celle d’une jeune fille qui donne naissance à sa mère. On y découvre que la femme, une fois née, est toujours la rédemption du temps.»


. Car nous marchons pieds nus sur un océan à peine gelé et il suffit de manquer de distraction pour tomber dans une profondeur sans limites.

. La musique trouble le silence, le vitrail trouble la lumière, le professeur trouble l’esprit.

. C’est la souffrance d’un grand feu qui anime une petite étincelle, s’il la prend dans sa flamme, il la consume et la tue. S’il l’éloigne trop d’elle, elle se refroidit et meurt. Alors il souffle sur elle pour la tenir chaude mais à juste distance. C’est l’exil de l’âme et l’exode du peuple. Par l’exil, l’âme devient elle-même un feu et son amour pour le feu l’amène à produire ses propres étincelles. Par l’exode, le peuple arrive à se gouverner lui-même.

. L’art de l’exil consiste à développer l’acuité de l’oreille afin de compenser l’aveuglement des yeux. Le sage est une grande oreille vive.

. C’est radical : dire, c’est mentir. Parce que les mots font des limites alors que ce dont ils parlent n’en a pas.

. L’exil est le commencement de la vie. La naissance est un éloignement. Nous commençons par être écartés de Dieu comme les petits poussins de leur mère, nous commençons dans la mort, baptisés en elle. Et ensuite, la mort se met à mûrir à la manière d’un fruit. Lorsque le fruit est mûr, il tombe lui-même et devient un arbre, et l’arbre, une forêt, et la forêt un univers, et l’univers, un débordement démesuré de vie. Une mort bien mûre, c’est une vie à pleine course dans une étendue sans horizon.

. Il est vrai qu’à fuir un malheur, on se jette dans un malheur plus grand.

. L’âme humaine a quelque chose du mammifère marin : elle doit sortir le nez de l’eau chaque fois qu’elle veut respirer. Pourquoi? Parce qu’elle ne vit pas dans sa substance propre. Certes, il y a un d’air dans l’eau, mais il lui en faut davantage.

. La première difficulté du fou consiste à distinguer sa propre folie de celle du monde. Le prophète est celui qui, après les avoir séparées l’une de l’autre, goûte à la Sagesse qui lui a justement permis ce discernement.

. Lorsqu’une chose inusitée disparaît pour ne plus revenir, on a coutume de dire que c’est une vision, une image, une illusion. On accorde statut d’être uniquement à ce qui persiste et se répète. Le temps grignote l’être et s’il l’avale trop vite… Qu’était-ce? Une cendre, une impression, un émoi? Qui peut le dire? Si la Chose ne revient plus pour se confirmer elle-même, mieux vaut affirmer que ce n’était rien.

. Il y a des miroirs que l’on ne peut jamais regarder en face, à moins d’avoir tout perdu.

. On finit toujours par rencontrer la face cachée de nos obsessions.

. C’est vrai que l’exil est un désert, mais au milieu de ce désert, il y a une source.

. Tant que l’homme veut avancer à l’horizontale, une montagne constitue un obstacle. Mais si, tout à coup, il veut se rapprocher des étoiles, le même montagne devient son instrument.

. … ce n’est pas la mort qui succède à la vie, au contraire, c’est la vie qui succède à la mort. Mais cela n’est possible que si la mort est sacrée, rendue source vivante.

. Lorsque la démesure de l’univers touche à la démesure de l’âme, la peur cesse et la mémoire prend feu.

. J’avais enfin compris qu’il n’y a qu’un seul sacrement et c’est celui de l’amour. C’est une messe qui pardonne le passé, qui confirme le présent, qui oint les morts, qui baptise tout, qui fait du plus petit atome le prêtre et le chantre de tout l’univers.

. La souffrance attaque et se retire, provoque et détale. Elle déterre le cœur de l’homme, exhume sa valeur et valide sa dignité. Son jeu érafle et sensibilise; il prépare à la réception. Sa griffe pique et attise; elle pousse à l’action. Sa lame dénude et dévoile; elle laisse le vrai et emporte le contrefait. Elle élève bien plus qu’elle n’abaisse parce que l’homme et la femme sont capables de lui objecter le meilleur d’eux-mêmes.
Mais la misère, elle, fait tout le contraire : elle s’accroche et dure, détruisant tout espoir. Elle s’insinue dans le cœur et le brise. Elle le transperce et y injecte son venin. Elle séquestre, abat, anéantit. La misère défait l’homme. Elle est incompatible avec l’homme. Une fois emporté dans la misère, l’homme devient une honte, non seulement pour lui-même, mais pour toute l’humanité ridiculisée par elle. La misère étale notre impuissance. Elle n’a de cesse que lorsque l’homme lui est devenu semblable : acerbe, vénéneux et cruel.
Devant la misère, qui peut rompre le silence? La misère scandalise, un point c’est tout. Chercher à lui donner une quelconque légitimité nous rend immédiatement suspects de monstruosité. Appartenir à l’humanité, c’est par essence s’indigner devant la misère, lui dénier le droit à l’existence.
L’homme et la misère sont deux ennemis par nature. Pourquoi? Parce que la fin de l’homme est de chasser la misère et que la fin de la misère est de chasser l’homme. On juge donc une civilisation par la misère qu’elle produit et qu’elle détruit.


Au prochain saut

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