Jamais je ne publie sur le blogue du crapaud les critiques de films auxquels j’assiste. Elles sont sur VOIR. CA et y demeurent. Mais je me permets aujourd’hui de vous faire lire, non pas la critique du film UN ANGE À LA MER de Frédéric Dumont, mais le poème de Baudelaire, Réversibilité, qui lui sert de support. Je vous convie également à voir ce bijou de film traitant d’un sujet… dont je garde le secret.
Réversibilité
Ange plein de gaieté, connaissez-vous l’angoisse,
La honte, les remords, les sanglots, les ennuis,
Et les vagues terreurs de ces affreuses nuits
Qui compriment le cœur comme un papier qu’on froisse?
Ange plein de gaieté, connaissez-vous l’angoisse?
Ange plein de bonté, connaissez-vous la haine?
Les poings crispés dans l’ombre et les larmes de fiel,
Quand la Vengeance bat son infernal rappel,
Et de nos facultés se fait le capitaine?
Ange plein de bonté, connaissez-vous la haine?
Ange plein de santé, connaissez-vous les Fièvres,
Qui, le long des grands murs de l’hospice blafard,
Comme des exilés, s’en vont d’un pied traînard,
Cherchant le soleil rare et remuant les lèvres?
Ange plein de santé, connaissez-vous les Fièvres?
Ange plein de beauté, connaissez-vous les rides,
Et la peur de vieillir, et ce hideux tourment
De lire la secrète horreur du dévouement
Dans des yeux où longtemps burent nos yeux avides?
Ange plein de beauté, connaissez-vous les rides?
Ange plein de bonheur, de joie et de lumières,
David mourant aurait demandé la santé
Aux émanations de ton corps enchanté;
Mais de toi je n’implore, ange, que tes prières,
Ange plein de bonheur, de joie et de lumières!
Si vous voyez le film, vous comprendrez tout le sens de ce poème. Mais saviez-vous que les anges portent des prénoms? En effet. On nous a habitués aux anges et archanges de l’histoire sainte, il y en a toutefois d’autres. L’ange du feu porterait le prénom de NOURIEL; celui de la pureté, TAHARIEL; l’ange de la délivrance, PADAEL; RAEIL serait l’ange des secrets, ministre suprême de la Sagesse et l’ange de la mort, le messager ultime dont la beauté touche à l’effroi répondrait au nom de AZRAËL.
Qu’est-ce qu’un ange? Pascal dit : « L’homme n’est ni ange ni bête, et le malheur veut que qui veut faire l’ange fait la bête. » Pas très aidant. Je me souviens que dans mon enfance on nous parlait énormément de l’ange gardien. L’image que j’en avais à cette époque est celle d’un «suiveux», quelqu’un qui ne me lâchait pas d’une semelle et, combien de fois, m’empêchait d’être complètement moi-même. Un genre de police secrète connue qui te colle aux fesses. Je ne peux pas dire les choses que je me suis retenu de faire à cause de cet ange collé à mon dos. Parce qu’un ange gardien, ça se tient dans ton dos. Ça parle aussi dans ton dos. Ça fait tout dans ton dos. Et souvent, alors que tu risquais un geste qu’on allait soit te reprocher ou pour lequel on risquait de te réprimander, ce foutu «suiveux» s’organisait pour te placer dans un état de culpabilité intense. Je me rappelle la fois où délibérément j’ai laissé choir une boîte de carton en bas du deuxième étage et que le carton s’est retrouvé sur la tête de Monsieur Gaumond (compote aux oignons, tel était le sobriquet que nous lui avions trouvé) qui la reçut, je ne vous dis pas avec quelle dignité… cette dignité d’un propriétaire offensé jusqu’aux entrailles et béni… Eh! bien (oui, une faute, je le sais…) je me souviens très bien de mon réflexe : comment mon ange gardien allait réagir et à qui il allait illico me dénoncer.
Cet ange gardien – est-il toujours derrière moi? – m’a suivi à un point tel qu’il m’a complètement fait oublier que d’autres pouvaient exister, à part évidemment ceux que l’on nous indiquait à je ne sais trop quel numéro du petit catéchisme. Aujourd’hui, je comprends que son rôle en était un de police secrète, de vigile muet et combien délateur. Je suis assuré que de la première cigarette fumée en cachette, la réaction réprobatrice de ma mère provenait de mon ange gardien à qui on avait oublié de donner une menthe afin de camoufler une haleine accusatrice. Convaincu que ma première bière, lorsque mon père l’a sue, ça émanait de la même source.
En fait, l’ange gardien – je continue de jaser de lui (est-ce que les filles ont une ange gardienne?) parce que c’est le seul qui ait croisé mon chemin – cet ange s’avère bien pratique pour les parents biologiques, pour ceux et celles qui ont un rôle de surveillance (ou d’éducation) à jouer dans la vie des enfants. Je dis les enfants parce qu’à partir du moment où tu balances ton ange gardien, tu n’es plus un enfant. Si tu as choisi de le demeurer dans ton esprit jusqu’à ton dernier souffle, l’ange gardien t’accompagne. Ce rôle de surveillance s’étend de l’extérieur à l’intérieur de l’individu. Je vous donne comme exemple d’un rôle de surveillance joué par l’ange gardien, le fait que je ne lisais pas des livres que l’on classait à l’INDEX, étant convaincu que je serais pris et excommunié. Oui, excommunié, parce que mes yeux allaient permettre à mon cerveau puis à ma conscience de lire, d’entendre et d’essayer de comprendre des idées aussi révolutionnaires que celle-ci : les anges n’existent pas.
Rien de pire dans une vie que de se rendre compte que ce à quoi on t’incitait à croire, ce qui devait régir tes faits et gestes et tout cela avec un radar collé au derrière, d’apprendre puis d’en être certain, que cela est faux, pire, que cela n’existe pas. Ton ange gardien n’était en fait qu’un tissu diaphane, translucide laissant passer le vide. Et malgré que tu aies cru qu’il fût derrière toi, que maintenant tu as la preuve qu’il n’a jamais été présent, que malgré cela tu aies survécu… ça donne un coup! Il doit certainement y avoir un ange qui a fomenté cet immense complot!
UN ANGE À LA MER ne traite absolument pas de ce thème.
Au prochain saut
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