samedi 30 janvier 2010

Le trois cent trentième saut / Le trois-cent-trentième saut



Le crapaud n’apprécie guère revenir sur des évènements passés : exemple, ceux qui suivirent la blessure au tendon d’Achille. Il faut toutefois mettre un point final, un peu pour tourner la page, exorciser le sort ou, tout simplement, réaliser ce qu’ils furent, ce qu’ils ont apporté ou transporté.

Le poème qui suit relève de cette intention.



une ombre blanche


une ombre blanche aux mains de sang
rapetisse les heures de décembre
réchauffe les neiges essoufflées

descendue d’avion sans jamais se retourner
son travail d’espion elle continue
on n’échappe pas à la torture
à l’étouffement des bulles increvables

des confettis de neige sur une ombre blanche
l’enveloppent de draps et de brouillard
et dans un silence digne des fenêtres ouvertes
comme une longue aiguille la perçant
elle se retourne et ne voit rien…


Au prochain saut

- Ce saut est écrit en nouvelle orthographe -

mardi 26 janvier 2010

Le trois cent vingt-neuvième saut / Le trois-cent-vingt-neuvième saut



Allons-y d’un quatrième coup de griffe de nouvelle orthographe.


4) L’accent circonflexe disparait sur le i et le u. On le maintient néanmoins dans les terminaisons verbales du passé simple, du subjonctif et dans cinq cas d’ambigüité.

coût (A) (N) cout
entraîner : nous entraînons (A) (N) nous entrainons
paraître : il paraît (A) (N) il parait

Les mots où le circonflexe est conservé parce qu’il apporte une distinction de sens utile sont : les adjectifs masculins singuliers , mûr et sûr, jeûne(s) et les formes du verbe croitre qui, sans accent, se confondraient avec celles de croire (je croîs, tu croîs, etc.).

Sur i et u, l’accent circonflexe ne joue aucun rôle phonétique; il est l’une des principales causes d’erreurs et son emploi, aléatoire, ne peut être justifié par l’étymologie.

Quelques exemples :
(A) abîme (N) abime
(A) brûler (N) bruler
(A) chaîne (N) chaine
(A) dégoût (N) dégout
(A) surcroît (N) surcroit



Que diriez-vous d’un autre (il s’agira du cinquième) «cadavre exquis»?


CADAVRE EXQUIS
NUMÉRO 5

le mec de chez MacDonald’s
entoure sa tête d’un capuchon noir

la nudité de l’oiseau
sur l’asphalte des rues
dévisage le ciel à rebours des arbres

ils sont (des transgresseurs) de clôtures tubulaires
… à bout de bras…
nouant à leurs ailes des gestes individuels

cendres à la mer jetées
par elle avalées
celles qui avaient broyé
ta souffrance esseulée

Hubble est sa demeure
à demeure



De même que d’un «carnet d’ivoire avec des mots pâles»?

A L G A R A D E (nom féminin)
. sortie inattendue contre quelqu’un

- (accrochage, querelle)


B I S T R É (adjectif)
. couleur du bistre (matière d’un brun noirâtre, faite de suie détrempée et mêlée d’un peu de gomme, servant de couleur).
- basané


Au prochain saut

- Ce saut est écrit en orthographe nouvelle -












vendredi 22 janvier 2010

Le trois cent vingt-huitième saut / Le trois-cent-vingt-huitième saut


Milan Kundera

Kundera, la suite.
Cette suite, L’INSOUTENABLE LÉGÈRETÉ DE L’ÊTRE, dans son premier chapitre nous assomme. La voici :

. L’éternel retour est une idée mystérieuse, et Nietzsche, avec cette idée, a mis bien des philosophes dans l’embarras : penser qu’un jour tout va se répéter comme on l’a déjà vécu et que cette répétition va encore indéfiniment se répéter! Que veut dire ce mythe insensé?
Le mythe de l’éternel retour nous dit, par la négation, que la vie qui va disparaître une fois pour toutes et ne reviendra pas est semblable à une ombre, qu’elle est sans poids, qu’elle est morte dès aujourd’hui, et qu’aussi atroce, aussi belle, aussi splendide fût-elle, cette beauté, cette horreur, cette splendeur n’ont aucun sens. Il ne faut pas en tenir compte, pas plus que d’une guerre entre deux royaumes africains du XIVe siècle, qui n’a rien changé à la face du monde, bien que trois cent mille Noirs y aient trouvé la mort dans d’indescriptibles supplices.
Mais est-ce que ça va changer quelque chose à cette guerre entre deux royaumes africains du XIVe siècle de se répéter un nombre incalculable de fois dans l’éternel retour?
Oui, certainement : elle va devenir un bloc qui se dresse et perdure, et sa sottise sera sans rémission.
Si la Révolution française devait éternellement se répéter, l’historiographie française serait moins fière de Robespierre. Mais comme elle parle d’une chose qui ne reviendra pas, les années sanglantes ne sont plus que des mots, des théories, des discussions, elles sont plus légères qu’un duvet, elles ne font pas peur. Il y a une énorme différence entre un Robespierre qui n’est apparu qu’une seule fois dans l’histoire et un Robespierre qui reviendrait éternellement couper la tête aux Français.
Disons donc que l’idée de l’éternel retour désigne une perspective où les choses ne nous semblent pas telles que nous les connaissons : elles nous apparaissent sans la circonstance atténuante de leur fugacité. Cette circonstance atténuante nous empêche en effet de prononcer un verdict quelconque. Peut-on condamner ce qui est éphémère? Les nuages orangés du couchant éclairent toute chose du charme de la nostalgie; même la guillotine.
Il n’y a pas longtemps, je me suis pris moi-même sur le fait : ça me semblait incroyable mais, en feuilletant un livre sur Hitler, j’étais ému devant certaines de ses photos; elles me rappelaient le temps de mon enfance; je l’ai vécue pendant la guerre; plusieurs membres de ma famille ont trouvé la mort dans des camps de concentration nazis; mais qu’était leur mort auprès de cette photographie d’Hitler qui me rappelait un temps révolu de ma vie, un temps qui ne reviendrait pas?
Cette réconciliation avec Hitler trahit la profonde perversion morale inhérente à un monde fondé essentiellement sur l’inexistence du retour, car dans ce monde-là tout est d’avance pardonné et tout y est donc cyniquement permis.


Et ça continue. Voici d’autres citations du grand auteur tchèque tirées de cette oeuvre.


. Un proverbe allemand : « Une fois ne compte pas, une fois c’est jamais.»

. Ne pouvoir vivre qu’une vie, c’est comme ne pas vivre du tout.

. On entrait dans la banalité de l’humiliation.

. Celui qui veut quitter le lieu où il vit n’est pas heureux.

. L’amour entre lui et Tereza était certainement beau, mais si pénible : il fallait toujours cacher quelque chose, dissimuler, lui prouver continuellement qu’il l’aimait, subir les reproches de sa jalousie, de sa souffrance, de ses rêves, se sentir coupable, se justifier et s’excuser. Maintenant, l’effort avait disparu et il ne restait que la beauté. … il savourait la douce légèreté de l’être.

. … la pesanteur, la nécessité et la valeur sont trois notions intimement liées : n’est grave que ce qui est nécessaire, n’a de valeur que ce qui pèse.

. En travaux pratiques de physique, n’importe quel collégien peut faire des expériences pour vérifier l’exactitude d’une hypothèse scientifique. Mais l’homme, parce qu’il n’a qu’une seule vie, n’a aucune possibilité de vérifier l’hypothèse par l’expérience de sorte qu’il ne saura jamais s’il a eu tort ou raison d’obéir à son sentiment.

. Ce qui n’est pas l’effet d’un choix ne peut être tenu pour un mérite ou pour un échec.

. Trahir, c’est sortir du rang et partir dans l’inconnu.

. Les extrêmes marquent la frontière au-delà de laquelle la vie prend fin, et la passion de l’extrémisme, en art comme en politique, est désir de mort déguisé.

. Un homme aux yeux fermés n’est qu’un rebut de lui-même.

. Seules les questions les plus naïves sont vraiment de graves questions. Ce sont les interrogations auxquelles il n’est pas de réponse. Une question à laquelle il n’est pas de réponse est un obstacle au-delà duquel on ne peut aller plus loin. Autrement dit : ce sont précisément les questions auxquelles il n’est pas de réponse qui marquent les limites des possibilités humaines et qui tracent les frontières de notre existence.

. Le plus souvent, on se réfugie dans l’avenir pour échapper à la souffrance. On imagine une ligne sur la piste du temps, et qu’au-delà la souffrance présente cessera d’exister.

. Mais le fragile édifice de leur amour serait bel et bien détruit, car cet édifice reposait sur l’unique pilier de sa fidélité et les amours sont comme les empires : que disparaisse l’idée sur laquelle ils sont bâtis, ils périssent avec elle.

. Ce que le moi a d’unique se cache justement dans ce que l’être humain a d’inimaginable. On ne peut imaginer que ce qui est identique chez tous les êtres, que ce qui leur est commun. Le «moi» individuel, c’est ce qui se distingue du général, donc ce qui ne se laisse ni deviner ni calculer d’avance, ce qu’il faut d’abord dévoiler, découvrir, conquérir chez l’autre.

. Le roman n’est pas une confession de l’auteur, mais une exploration de ce qu’est la vie humaine dans le piège qu’est devenu le monde.

. La vraie bonté de l’homme ne peut se manifester en toute pureté et en toute liberté qu’à l’égard de ceux qui ne représentent aucune force.

. On a tous tendance à voir dans la force un coupable et dans la faiblesse une innocente victime.


Au prochain saut

lundi 18 janvier 2010

Le trois cent vingt-septième saut / Le trois-cent-vingt-septième saut


Milan Kundera

Milan Kundera est né en 1929 à Brno (même endroit que Bohumil Hrabal), en Moravie. Il est le fils d’une famille de musiciens. À l’âge de 20 ans, on l’exclut du parti communiste qu’il réintègre un an plus tard. En 1975, il quitte son pays avec sa femme afin de s’installer en France. Il sera professeur à l’Université de Rennes jusqu’en 1979. Il obtient sa nationalité française en 1980.

Ses premiers livres sont publiés en tchèque et sa première œuvre écrite en français sera LA LENTEUR, en 1998. Par la suite, Kundera révise les traductions françaises de ses œuvres tchèques, les jugeant imprécises. On peut considérer, aujourd’hui, que ses textes français ont une égale valeur à ceux qu’il écrivit en tchèque.

Son œuvre développe une critique face à la civilisation occidentale du XXe siècle. Dans L’INSOUTENABLE LÉGÈRETÉ DE L’ÊTRE, roman qui lui vaudra le statut d’écrivain reconnu internationalement, il aborde le mythe nietzschéen de l’éternel retour, en plus d’introduire sa désormais célèbre définition du kitsch : la négation des côtés laids de la vie et le refus d’accepter la mort : « le kitsch est la négation de la merde.»

Parmi les plus connus des titres de Milan Kundera, notons avec les deux cités plus haut: L’IGNORANCE (2003); L’IMMORTALITÉ (1990); LA VIE EST AILLEURS (1973).

Les citations que vous lirez aujourd’hui sont tirées de L’IDENTITÉ (1998).


. … voilà la vraie et seule raison d’être de l’amitié : procurer un miroir dans lequel l’autre peut contempler son image d’autrefois qui, sans l’éternel bla-bla de souvenirs entre copains, se serait effacée depuis longtemps.

. Mais si tu n’as pas d’ambitions, si tu n’es pas avide de réussir, d’être reconnu, tu t’installes au bord de la chute.

. … il arrive qu’on souffre longtemps sans le savoir.

. On se fatigue de la pitié quand la pitié est inutile.

. À l’égard de la religion, comme de beaucoup d’autres problèmes, la peste leur avait donné une tournure d’esprit singulière, aussi éloignée de l’indifférence que de la passion et qu’on pouvait aussi bien définir par le mot «objectivité».

. Jusqu’à quatre heures du matin, on ne fait rien en général et l’on dort, même si la nuit a été une nuit de trahison. Oui, on dort à cette heure-là et cela est rassurant puisque le grand désir d’un cœur inquiet est de posséder interminablement l’être qu’il aime ou de pouvoir plonger cet être, quand le temps de l’absence est venu, dans un sommeil sans rêves qui ne puisse prendre fin qu’au jour de la réunion.

. Le mal qui est dans le monde vient presque toujours de l’ignorance, et la bonne volonté peut faire autant de dégâts que la méchanceté, si elle n’est pas éclairée. Les hommes sont plutôt bons que mauvais et en vérité ce n’est pas la question. Mais ils ignorent plus ou moins, et c’est ce qu’on appelle vertu ou vice, le vice le plus désespérant étant celui de l’ignorance qui croit tout savoir et qui s’autorise alors à tuer. L’âme du meurtrier est aveugle et il n’y a pas de vraie bonté ni ce bel amour sans toute la clairvoyance possible.

. L’amour demande un peu d’avenir, et il n’y avait plus pour nous que des instants.

. … je sais que l’homme est capable de grandes actions. Mais s’il n’est pas capable d’un grand sentiment, il ne m’intéresse pas.

. Qu’est-ce que l’honnêteté? Je ne sais pas ce qu’elle est en général. Mais dans mon cas, je sais qu’elle consiste à faire mon métier.

. Rien au monde ne vaut qu’on se détourne de ce qu’on aime.

. Chez les uns, la peste avait enraciné un scepticisme profond dont ils ne pouvaient pas se débarrasser. L’espoir n’avait plus de prise sur eux. Alors même que le temps de la peste était révolu, ils continuaient à vivre selon ses normes. Ils étaient en retard sur les événements. Chez les autres, au contraire, et ils se recrutaient spécialement chez ceux qui avaient vécu jusque-là séparés des êtres qu’ils aimaient, après ce long temps de claustration et d’abattement, ce vent d’espoir qui se levait avait allumé une fièvre et une impatience qui leur enlevaient toute maîtrise d’eux-mêmes. Une sorte de panique les prenait à la pensée qu’ils pouvaient, si près du but, mourir peut-être, qu’ils ne reverraient pas l’être qu’ils chérissaient et que ces longues souffrances ne leur seraient pas payées. Alors que pendant des mois, avec une obscure ténacité, malgré la prison et l’exil, ils avaient persévéré dans l’attente, la première espérance suffit à détruire ce que la peur et le désespoir n’avaient pu entamer. Ils se précipitèrent comme des fous pour devancer la peste, incapables de suivre son allure jusqu’au dernier moment.

. … il y avait toujours une heure de la journée et de la nuit où un homme était lâche et qu’il n’avait peur que de cette heure-là.

. Tout ce que l’homme pouvait gagner de la peste et de la vie, c’était la connaissance et la mémoire.

. … il y a dans les hommes plus de choses à admirer que de choses à mépriser.


Pour terminer ce saut, voici le «cadavre exquis» numéro 4 :

CADAVRE EXQUIS 4


… au bout de la colline se détachaient
- (projetant dans la trop courte vallée) -
des images accrochées au faite des arbres
mutilés par l’automne

une longue ligne blanche assombrit l’horizon
s’exalte dans mille-et-une nuits

je suis à l'hiver de l'écriture alors que les fantômes du passé
solitude impatience anxiété
ne cessent de me harceler…

… enveloppe les grains de sable
ceux que la plage emboite sous les pieds du marcheur
marcheur aux jambes mouillées
au cœur léger
insoucieux

un oiseau griffe la neige
l’autre, la bécote

l’écho insolite troue l’espace
une plume d’ange s’enfuit

… quel d(és)astre!



Au prochain saut

- Ce saut est écrit en nouvelle orthographe. -


















jeudi 14 janvier 2010

Le trois cent vingt-sixième saut / Le trois-cent-vingt-sixième saut



On le fera plus tôt, cette année, le relevé des lectures. Cet exercice permet de revoir en un seul coup d’œil ce vers quoi nos yeux se sont tourné et quelles découvertes nous a permis de faire les cinquante-deux dernières semaines.

Vous vous souvenez des deux coups de cœur du crapaud en 2008: Bohumil Hrabal et Atiq Rahini. Depuis, j’aurai passé au travers tout ce que ces deux merveilleux écrivains, Tchèque pour un, nous a laissé et pour le deuxième, l’Afghan, ce que l’on a actuellement, espérant encore beaucoup d’autres bijoux.

Pour l’année 2008, le crapaud dénombrait 35 titres; 2009, on monte à 54. Quelles raisons permettent d’expliquer cette augmentation? La crise économique? L’augmentation du taux de chômage au Canada? L’accumulation de neige à Montréal au cours de l’hiver 2009 (un record, je crois) et l’extraordinaire déblaiement des trottoirs qui permit à un et un autre marcheur de risquer sa vie afin d’aller respirer sa dose de CO2 quotidienne et la réélection du maire Tremblay? Je ne le sais pas, mais c’est comme ça.

Voici les lectures 2009, et à la fin je vous livre mes deux coups de cœur.


1.- SYLVAIN LELIÈVRE
. Le chanteur libre

2.- NICOLE BROSSARD
. Baiser vertige (Anthologie)

3.- ANDRÉ FRÉNAUD
. Il n’y a pas de paradis

4.- DANNY PLOURDE
. cellule esperanza (n’existe qu’en nous)

5.- ROLAND GIGUÈRE
. Cœur par cœur

6.- VICTOR HUGO
. L’art d’être grand-père

7 à 12.- BOHUMIL HRABAL
. Une trop bruyante solitude
. La chevelure sacrifiée
. Trains étroitement surveillés
. La petite ville où le temps s’arrête
. Moi qui ai servi le roi d’Angleterre
. Les noces dans la maison

13.- DAN BROWN
. Anges et Démons

14.- HERMANN HESSE
. Knulp

15 à 18.- MICHEL HOUELLEBECQ
. La possibilité d’une île
. Les particules élémentaires
. Extension du domaine de la lutte
. Plateforme

19.- ALDOUS HUXLEY
. Le meilleur des mondes

20.- MARIO CYR
. Revenir à toi

21.- PAT CONROY
. Saison noire

22.- ANDRÉE CHEDID
. La maison sans racines

23.- HERMANN BROCH
. La mort de Virgile

24.- HUBERT AQUIN
. L’antiphonaire

25 et 26.- JEAN-FRANÇOIS BEAUCHEMIN
. La fabrication de l’aube
. Ceci est mon corps

27 et 28.- DANIEL MENDELSHON
. Les disparus
. L’étreinte fugitive

29.- CHRISTINE EDDIE
. Les carnets de Douglas

30.- ROBERT LALONDE
. Un cœur rouge dans la glace

31.- GUILLAUME CORBEIL
. L’art de la fugue

32.- NICOLAS DICKNER
. Tarnac

33.- ADÈLE LAUZON
. Pas si tranquille

34.- DANTE
. La divine comédie

35.- ANDRÉ MAJOR
. L’esprit vagabond

36.- FRANCIS MALKA
. Le violoncelliste sourd

37.- ANTONI CASA ROS
. Le théorème d’Almodovar

38.- SIMON GIRARD
. Tuer Lamarre

39.- BRUNO HÉBERT
. Alice court après René

40.- SACHA SPENLING
. Mes illusions donnent sur la cour

41.- MONIQUE WITTIG / SANDE ZEIG
. Brouillon pour un dictionnaire des amantes

42.- GENEVIÈVE LANDRY / SÉBASTIEN RAYMOND
. Enquête de Paternité

43.- YANN MARTEL
. Mais que lit Stephen Harper?

44.- FRED PELLERIN
. L’Arracheuse de temps

45.- WILLIAM BURROUGHS
. Junky

46.- LÉON TOLSTOÏ
. La mort d’Yvan Illitch
. Maître et serviteur

47.- DANY LAFERRIÈRE
. L’énigme du retour

48.- GABRIELLE ROY
. Rue Deschambault

49.- NORTHROP FRYE
. Pouvoirs de l’imagination

50 et 51.- J.M. COETZEE
. Scènes de la vie d’un jeune garçon
. Michael K, sa vie, son temps

52.- ANNA GAVALDA
. L’Échappée belle

53.- CLAUDE OLIEVENSTEIN
. Naissance de la vieillesse

54.- Dr VIKTOR E. FRANKL
. Découvrir un sens à sa vie



Plutôt éclectique, n’est-ce-pas? Je vous dis tout de suite, cette liste n’est ni chronologique ni alphabétique, seulement exhaustive (enfin j’ai placé ce mot à bon escient).

Allons-y du premier coup de cœur : Jean-François Beauchemin.
Pour sa trilogie (LA FABRICATION DE L’AUBE; CECI EST MON CORPS; CETTE ANNÉE S’ENVOLE MA JEUNESSE), cet auteur québécois s’est comme infiltré dans mes moments de lecture avec exactement ce dont j’avais besoin d’entendre : une réflexion sur sa propre mort; sur Dieu – en fait sur Jésus de Nazareth à qui on a enlevé sa qualité divine - ; sur la mort de la mère.

Le deuxième : J.M. Coetzee.
Auteur sud-africain, récipiendaire du Nobel 2003, dont le style tout à fait particulier, envoutant nous mène dans une réalité à la fois simple et complexe au point où on en arrive à se demander à quel niveau du réel on se retrouve : une espèce d’hyperréaliste. L’individu, au centre de son écriture, est combien façonné par un environnement dans lequel les problèmes de l’Afrique du Sud sont présents et approchés d’une manière bouleversante. J’ai entrepris de tout le lire et je vous le conseille.

Je vous convie maintenant à faire votre propre inventaire.

Au prochain saut

- Ce saut est écrit en orthographe nouvelle. -





samedi 9 janvier 2010

Le trois cent vingt-cinquième saut / Le trois-cent-vingt-cinquième saut



Et si on y allait d’un troisième regard sur la nouvelle orthographe!

Auparavant, j’aimerais préciser deux ou trois choses en lien avec le conte d’hiver UN PEU DE CHANGE S’IL VOUS PLAIT! MERCI. Le conte est bel et bien terminé même si certains ont cru, lisant «Au prochain saut» à la fin qu’une suite allait suivre.

Deuxième élément, l’âge de Lou : personnellement, et vous pouvez fort bien y aller de votre déduction, je le situais entre la fin de l’adolescence et le début de l’âge adulte.

Troisièmement : le début de l’écriture de ce conte remonte à décembre 2008 et devait arriver sur le blogue comme conte de Noël - Noël dernier -. Y aurait-il un signe caché à l’intérieur? Cette enflure au pied de Lou… la couverture enroulée au pied de l’enfant… la seringue au pied de l’adolescent… voilà des signes, peut-être, de ce qui allait m’arriver l’avril suivant! Quand je vous dis que l’on ne décode pas suffisamment les signes!

Quatrièmement : la photo, prise par mon ami monsieur Larose, représente les vitrines du magasin de musique Archambault à Montréal, en face du métro Berri-UQAM, lieu où se déroule le conte.

Cinquièmement : le conte, vous l’avez lu à la fin, est écrit en nouvelle orthographe comme le seront désormais tous les sauts du crapaud.

Voilà pour les suites du conte, passons maintenant à la nouvelle orthographe, prise 3.

3) On emploie l’accent grave plutôt que l’aigu dans un certain nombre de mots pour régulariser leur orthographe. On l’emploie également au futur et au conditionnel des verbes qui se conjuguent sur le modèle de céder, et dans les formes du type puissè-je.


Ancienne orthographe

événement

réglementaire

je céderai

ils régleraient


Nouvelle orthographe

évènement

règlementaire

je cèderai

ils règleraient


Devant une syllabe muette, on écrit donc toujours è, sauf dans les préfixes dé- et pré-, les é initiaux ainsi que médecin et médecine.

La règle de base est généralisée : évènement ressemble désormais à avènement; règlementaire s’écrit comme règlement.

Voici d’autres exemples :
- A (pour ancienne orthographe) et N (pour nouvelle orthographe) –

A allégement
allègement N
A
céleri
cèleri N
A crémerie
crèmerie N
A
déréglementation
dérèglementation N
A hébétement
hébètement N
A
pécheresse
pècheresse N
A sécheresse
sècheresse N


Comme je l’indiquais plus haut, tous les sauts de crapaud seront maintenant écrits en orthographe nouvelle. Je le préciserai à la fin des sauts et cela pour une certaine période de temps.

J’achève celui-ci avec un troisième «cadavre exquis» qui portera le titre fort original de :


CADAVRE EXQUIS NUMÉRO 3


la grande porte se referme
un long couteau t r a n s v e r s a l e la table

écrire, avec l’alphabet des inquiets, les mots effrités

oublier

et si
en marche rétrograde
l’ombre nocturne sur le bitume
sanglante de mille taches blanches

- des –
constructeurs de déconstructions
… au bout de la colline se détachaient

les si froids janviers de la vie sont des chemins dans les plaines enneigées…

Au prochain saut
- Ce saut est écrit en nouvelle orthographe. -

lundi 4 janvier 2010

Le trois cent vingt-quatrième saut / Le trois-cent-vingt-quatrième saut




UN PEU DE CHANGE S’IL VOUS PLAIT! MERCI.

(Conte d’hiver)



L’enflure à son pied droit le fait souffrir. De plus en plus.

L’avant-midi, Lou s’installe tout près de la sortie du métro. Centre ville. Même endroit, toujours. Il déambule tendant la main; parfois, un gobelet de café en carton récupéré dans un panier à ordures lui sert de sébile; le présente aux passants dans l’espoir de recueillir un peu de monnaie. Du «change» comme il dit.

- Un peu de change s’il vous plait! Merci.

Aujourd’hui son pied droit l’empêche de marcher comme à l’habitude. Se tenir debout : atroce. Lou, assis près du trottoir glacé, se tient un peu en retrait afin de ne pas importuner les gens mais surtout pour éviter d’être interpelé par les policiers qui surveillent le coin regorgeant de revendeurs de drogue. Jambe étendue et main offerte, la main qu’une mitaine verglacée cache à peine des doigts rougis par le froid, jaunis par la nicotine; Lou attend et quête.

Hier soir, au refuge - un peu avant le souper offert aux sans-abris qui réussirent à se pointer à l’heure prescrite donnant droit à un lit pour la nuit - le grand Ben, un bénévole de longue date, lui suggérait de se rendre aux urgences pour faire examiner ce pied qui jour après jour le ralentit.

- Tu devrais y voir.

Le grand Ben est conscient qu’il parle dans le vide, un grand vide blanc. Il sait toutefois que si Lou ne s’occupe pas de cette enflure, bientôt on l’empêchera de dormir ici, à cause de la difficulté qu’il aura à enlever sa botte : pas de bottes dans le dortoir, ça fait partie du règlement.

Lou, dans la neige, semble être assis à l’entrée d’un igloo. Il doit faire bonne impression, tout au moins ne pas paraitre trop répugnant. Le journal offert aux usagers du métro lui sert de coussin. De l’autre côté de la rue, dans la vitrine immaculée du magasin de disques, une silhouette apparait, barbouillée de soleil, la sienne, puis disparait dans la neige qui forme un rideau mobile sur l’immense fenêtre.

Il souhaite recueillir un peu de sous. Pour sa dose. Celle qui rendra l’enflure moins douloureuse; celle qui pourrait lui attiédir l’intérieur. Une autre neige, moins froide celle-là. Plus étourdissante. Grisante.

Les gens passent. Eux aussi ont froid. Entièrement préoccupés à se maintenir debout, ils solidifient leurs pas sur un trottoir qui tient plus de la patinoire qu’à ce poste de péage pour sans-abris auquel ils sont habitués. Les demandes pour du «change» sont tellement nombreuses de coin de rue en coin de rue, qu’on finit par les prendre pour des bornes identifiant les intersections.

Lou tente de bouger ses orteils. Pour ceux du pied droit, rien à faire.

Sa technique est fort simple : ne pas importuner les promeneurs; adopter l’air triste de celui qui semble seul dans la vie, l’abandonné pour qui une pièce de monnaie permettra de payer un café chaud – les gens qui déambulent occasionnellement ici se laissent prendre – ou cette dose qui le ramènera dans un monde extérieur à la réalité qui l’habite – les habitués le savent très bien. Mais le lot habituel ressemble davantage à de l’indifférence féroce comme ce blizzard qui court en sifflant derrière lui.

Les tourbillons du vent transportent de grands jets de neige qui se fracassent sur la vitrine du magasin de disques. Ils s’y imprègnent tels des fantômes flous que l’air diluerait sur un écran irréel projetant des formes diaphanes.

Lou regarde devant lui, spectateur d’une représentation imaginaire qui origine de son dos.

- Un peu de change s’il vous plait! Merci, dit-il machinalement.


L’enfant n’a pas plus de quatre ans. Cinq au maximum. Elle ralentit le pas, surprise d’apercevoir sur la frise du trottoir, écroulé dans la neige, un grand jeune homme qui ne semble pas habillé pour jouer dehors. L’enfant qui n’a pas plus de quatre ans sait ce que cela signifie «jouer dans la neige». Ce n’est pas cela qui se déroule devant ses yeux étonnés.

Lou ne l’a pas remarquée, tout occupé à fixer le rideau sur lequel des images se marouflent timidement.

Son pied droit lui fait mal.

Le «clic» de deux pièces de monnaie qui s’entrechoquèrent en passant d’une main d’adulte à une mitaine rouge d’enfant, n’a pas réussi à le distraire de la fresque qui s’organise délicatement sur la fenêtre d’en face.

Lou y voit un enfant… d’à peine quatre, cinq ans tout au plus… plutôt grand pour l’âge… une expression mélancolique ou nostalgique au visage, difficile à dire … il donne l’impression ne pas trop saisir ce qui lui arrive mais quelque chose arrive, de pesant, comme impossible à recevoir ou à supporter. Il fait blanc dans cette chambre froide.

Lou plisse les yeux. L’enfant sur la vitrine du magasin de disques est seul dans cette chambre. Debout dans la pièce blanche comme à l’intérieur d’une tempête de neige. Il grelotte, mais le froid ne semble pas en être la cause. La solitude? Peut-être. Un store blanc bouche la fenêtre. Les murs sont de la même couleur. Un enfant immobile comme une statue de glace auprès d’un lit défait. Une couverture, entre laine et coton, enroulée à son pied droit. Il. Oui, il s’agit bien d’un garçon. Il a. Oui, il est aussi vivant que cloué sur place. Il a mal. On croirait qu’il souffre. Personne ne semble répondre à la quête de sa bouche ouverte.

Des images se déroulent devant les yeux de Lou, ranimant des souvenirs lointains, d’une autre époque; celle d’une chambre, d’un store ébréché, de murs blancs, d’un lit dont la couverture disparue réapparait enroulée au pied bleui par une douleur secrète.

Lou cherche, unique spectateur conscient de ce qui se fixe sur la vitrine d’en face, il cherche… mais son pied lui fait mal… aussi mal qu’à un enfant seul, rivé à un pieu au centre d’une chambre blanche.

- Tu ne devrais pas rester là, lui dit une femme, sans doute la mère de l’enfant de quatre ans, cinq tout au plus, une enfant qui le regarde, impavide, sa mitaine rouge vide de deux pièces de monnaie. Il fait un temps à écorner les bœufs. Avec ce vent qui souffle, c’est terrible comme on gèle.
- Un peu de change s’il vous plait! Merci.

Ces quelques paroles l’ont éloigné des images projetées. L’enfant de quatre ans, cinq tout au plus, ne le quitte pas des yeux; elle ne comprend pas pourquoi ce grand jeune homme aux yeux jaunâtres, aux cheveux calamistrés, aux doigts enflés, pourquoi il demeure là à ne pas jouer dans la neige comme elle sait le faire… Puis elle s’en va après avoir retrouvé la main de sa mère qui la conduit vers l’autre intersection.

Deux sous blancs se sont retrouvé au fond du verre de carton.


Aucun son, que les images d’un film qui se déploie à partir des bourrasques du vent hurlant dans le dos de Lou. Images en noir et blanc, mais surtout blanc. Les instruments de musique qui décorent la vitrine du magasin de disques sont silencieux. Le «quêteux» replonge dans ce flou cinématographique, cherchant à oublier l’enflure au pied droit.

Est-ce un songe? Un rêve? Le début d’un délire? La douleur prend-t-elle un autre chemin pour mieux se faire entendre? Lou ne le sait pas. Il voit un enfant dans une chambre blanche, debout dans un silence infernal qui sort de sa bouche comme un cri éteint ou un pleur suffocant. Un coup de vent dans le cou comme une attaque au fouet. L’enfant le regarde. Leurs yeux deviennent jumeaux.

Lou, au-delà des couleurs elles-mêmes, reconnait dans les diverses teintes de blanc, les odeurs qui les enveloppent. La plus forte, celle de l’urine qui coula plus d’une fois le long de la jambe de l’enfant. L’enfant serait-il enfermé dans cette chambre depuis un bon moment? On étoufferait pour moins que cela. Impossible de savoir durant quelle saison ont lieu ces évènements. C’est blanc, un blanc aseptisé, tout autour et partout. Un blanc de nulle part, d’été ou d’hiver!

Lou concentre son attention sur la vitrine. L’enfant y revient, paralysé dans sa position figée. Le regarde. L’appelle-t-il? Impuissant à répondre, Lou se sent pénétré par le regard stupéfait de l’enfant. Ils ont froid en eux; de cette si pure froideur qu’on ne peut l’expliquer, la ressentir tout au plus.

L’enfant a bougé. Sur sa droite. À la main, il tient un objet. Ça semble être… Il s’y accroche. Lou cille des yeux. Une bougie? Un lumignon? L’enfant a soulevé l’objet pour le placer devant lui, le tendre du bout de ses bras vers quelque chose ou quelqu’un.

- Non, crie Lou.

Les passants n’ont rien entendu, n’ont pas interrompu leur marche chancelante sur ce trottoir glacé, seul chemin vers le bout de leur course.

Lou veut se lever, traverser la rue, se projeter dans la vitrine. Mais son pied le ramène à la réalité et du coup le personnage s’efface, l’enfant soulevant une chandelle à bout de bras…


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Un cri éternue à l’intérieur du cerveau de Lou. Quelqu’un vient d’écraser son pied endolori:

- Peux-tu t’enlever de mon chemin, espèce de débile!

Lou hésite entre l’écran embrouillé de neige et cet adolescent qui précipite sa marche vers la bouche du métro après lui avoir marché sur le pied droit. Le mal voyage entre le pied, le cœur et le cerveau dans un rapide aller-retour lancinant.

L’eau qui remplit ses yeux devient un filet de glace esquissant un sillon translucide sur ses joues. Lou cherche à retrouver le film sur la vitrine d’en face.

L’enfant n’y est plus. La chambre est fermée. Il voit plutôt, au pied d’une porte, un rai de lumière très pâle que la lueur d’une bougie ou d’un lumignon aurait souligné. Au centre de cette porte, un écriteau : DANGER, REPAIRE D’ADOLESCENT.

Mais se trouve l’enfant? Que lui est-il arrivé? Ce blanc qui l’habillait de la tête aux murs, cette couverture enroulée, tachée d’urine, et ce regard hâve dirigé vers l’inconnu, où cela s’est-il enfui?

Lou a la vague impression qu’un bout du scénario lui manque, que la pellicule sur laquelle on l’a plaqué s’est emmêlée! Il cherche à rabouter le temps entre le plancher de cette chambre qu’un rayon de lumière dessine et l’autre, la chambre blanche de l’enfant éberlué.

Le vent ne se laisse pas intimider. Il tourbillonne sans arrêt de gauche à droite, se moquant des obstacles, pour finalement se plaquer à nouveau sur le grand écran improvisé que les yeux de Lou ne quittent plus. Le froid qui accompagne le blizzard charrie ses bruits sifflants dans tout l’espace, à la fois restreint et contenu; ils deviennent de plus en plus muets pour le grand bonhomme au pied droit souffrant. Vent et froid ne l’atteignent plus. Des images d’un autre temps captent son attention.

Un peu comme si on venait de placer l’œil d’une caméra par le trou de la serrure - celle de la porte derrière laquelle un adolescent, seul aussi, étendu sur un matelas, les oreilles camouflées sous les écouteurs d’un baladeur - on voit une pièce tapissée à la manière de toutes les chambres d’adolescents.

Lou est fasciné par la lumière. Douce. D’un jaune particulier, celui des ampoules électriques camouflées sous des abat-jours improvisés. Ici, il lui semble qu’on ait utilisé un vêtement à moins que ce ne soit une couverture, entre laine et coton, difficile à dire, mais l’organisation fait en sorte que la lumière ne permet pas de tout distinguer, de tout préciser. Il faut un peu deviner dans ces reflets bigarrés le peu d’objets meublant la pièce.

Le noir et le blanc, surtout le blanc, ont laissé la place à un jaune hermétique.

Étendu par terre, sur un matelas étroit, un adolescent filiforme - il s’agit bien d’un adolescent - bouge la tête au rythme d’une musique provenant du baladeur. Ses mains battent la mesure deux secondes puis s’immobilisent. Ses pieds nus se croisent l’un sur l’autre tel un crucifié : le droit sur le gauche. Ses yeux sont fermés. La lumière jaune abricot n’est pas assez puissante pour lancer de l’ombre sur les murs «posterisés».

Lou, subjugué par la scène lente et trainarde qui s’offre à lui sur la vitrine givrée, cille des yeux cherchant à déceler la suite d’un script sans paroles.

Le jaune tiède a pris la place du blanc froid, celui de la chambre de l’enfant tenant un lumignon. Le jaune plaqué au sol ne lui permet pas de voir autre chose que cet adolescent allongé sur un matelas, que ces murs cherchant à se cacher derrière des noirs mouchetés. Un silence rempli de mouvements entoure l’adolescent, l’enveloppe alors qu’il écoute sa musique hurlante.

Trois ou quatre personnes défilent derrière la vitre du magasin de disques. Les hologrammes disparaissent instantanément. Lou revient à son pied. Le droit. Il jette un regard autour de lui comme s’il revenait d’un ailleurs l’ayant largué hors du temps. Rien n’a changé; le froid, le vent, la neige solidifient encore les traces gelées des passants avant de les lancer comme des confettis à ce rigoureux matin d’hiver.

Puis l’adolescent réapparait sur cet étrange moniteur à images, la vitrine qui doucement se givre et s’embue. Il se lève difficilement comme s’il avait dû s’arracher à l’attraction du plancher. Recule-t-il? Il risque de tomber en évitant de s’embarrasser dans le matelas. Il enlève les écouteurs plaqués sur ses oreilles. Recule encore un peu. Au pied droit, une seringue plantée. Les ongles des orteils sont rouges.

Lou porte attention aux gestes de l’adolescent alors que la température ambiante de la chambre chute de plus en plus. Bientôt, deux corps entièrement frigorifiés ne répondent plus à leurs commandes.

Un adolescent s’extirpe de la grande vitrine… entre par la grande porte invisible du magasin de disques… évite de s’embarrasser sur les pianos à queue, les violoncelles silencieux et les feuillets de partition de musique.

Lou enlève ses mitaines trouées. S’avance un peu. Son pied droit, douloureux. Il se retrouve derrière l’adolescent qui déambule sur le plancher recouvert d’un amas semi-liquide ne ressemblant en rien à la neige qui court dehors. Lou le suit. Où va-t-il? Comment peut-on clopiner dans un magasin aussi vaste, une seringue plaquée au pied droit, et demeurer inaperçu?

Lou le talonne. La chaleur blanche passe au jaune. Son pied droit insensible, il marche derrière un spectre qui, devant, se dirige vers un endroit précis, de lui seul connu. L’adolescent franchit tous les obstacles qui se dressent devant lui comme s’ils étaient invisibles. Jamais il ne se retourne. Ne se sent ni épié ni poursuivi. Il marche au-dessus de cette espèce de terreau nival sans y laisser aucune trace, aucune piste.

Lou rejoindra l’adolescent dans ce couloir où les présentoirs de disques sont installés. Ne le voit que de dos. Un dos transparent. Et s’il se retournait? Si l’adolescent aux pieds nus, s’il se retournait, Lou saurait-il le reconnaitre?

Une musique emplit le magasin de disques. Elle passe des chants de Noël à des airs de guitare électrique. Lou reconnait quelques accords; ils résonnent dans sa tête comme s’il portait des écouteurs aux oreilles. La musique enveloppe l’adolescent qui s’immobilise à quelques pas devant Lou. Se retourne. À la main, comme une bougie tendue, un lumignon en fait. L’adolescent, corps plié, tête baissée, tient ce morceau consumé, le lève vers les yeux stupéfiés de Lou.

Une fois l’adolescent complètement redressé, ce que Lou voit devant lui, c’est un être sans âge, sans couleur, dont la figure a pris la forme d’un écran sur lequel se projette… une lueur très faible, celle de la bougie… d’un lumignon.


À l’employé du magasin qui l’interpelle, Lou répond :

- Un peu de change s’il vous plait! Merci.




- Ce texte est écrit en orthographe nouvelle. -


Au prochain saut




















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