vendredi 30 janvier 2009

Saut: 259


Virginia Woolf écrivait « Rigide, le squelette de l’habitude maintient seul la forme humaine», alors vous ne vous surprendrez pas que je vous glisse d’abord ce poème en provenance du thème ombre/lumière; par la suite les citations qui m’ont éclairé qui sans doute vous surprendront...

Ce poème – premier de l’année 2009 – le crapaud ne sait pas encore comment le situer parmi ou à travers les autres. Existe-t-il un ordre nécessairement obligatoire dans tout système poétique? Un fil conducteur, tout au moins? Un fil d’Ariane?

Les auteurs, ceux qui s’échinent à travailler sur leur œuvre, et c’est tant mieux, vous diront que oui. On ne peut, du moins pour la poésie, placer tel ou tel poème avant ou après celui-ci ou celui-là sans risquer que l’ensemble en soit modifié. Je n’ai aucune prétention dans ce sens. La seule chose que je remarque depuis que je m’amuse à revisiter les vieux cahiers et y ajouter les nouveaux-venus, ce sont certains cycles de même qu'une profonde difficulté à accepter de mettre le point final.

Le point final, c’est passer à autre chose: une autre idée, une autre image. Je n’y arrive pas. Pourtant, j’ai réussi à dépasser cette période des fantômes… puis celle des marionnettes, bien qu’encore inachevée… je ne suis pas tout à fait revenu de Mars que j’ai tenté de faire «atterrir» dans ma ruelle… Y a-t-il un liant dans tout cela? Aucune idée.

Gaston Miron, lors de l’entrevue faite pour le journal Le Clairon de Saint-Hyacinthe à l’automne 1969, me disait quelque chose qui allait dans le sens suivant: une œuvre à construire est bien souvent l’œuvre des autres.

J’avais un 22 ans d’avant les années 1970, à peine revenu de l’Expo’67 qui m’avait ouvert les yeux sur tellement d’inconnus, de différences et d’inimaginés… que la poésie à cette époque n’avait aucunement la portée qu’elle a maintenant. Et cela me permet de dire combien je regrette de ne pas avoir été davantage «conscient» de la présence de Miron, de la poésie et des poètes.

Mais il subsiste dans nos vies de ces espèces de nostalgies non productives mais combien révélatrices de ce qui aurait pu être… si!

Le voici ce premier poème de l’année deux mille neuve…




ombre et lumière d’âme


- s’il y a de l’ombre c’est qu’il y a de la lumière -


sur l’ombre, de l’ombre fut mise
on retira l’ombre de l’ombre
puis une âme apparut

… une légère, … une toute légère couche d’âme à peine lumineuse



- s’il y a une âme c’est qu’il y a de l’ombre -


on trifouilla l’âme
remit de l’ombre
puis âme et ombre fusionnèrent

… une petite, … une toute petite couche de lumière chromatique



- et si la lumière sur l’âme déplaçait de l’ombre -


on s’en éloignerait
alors que le vent briserait la lumière
et que rapetisserait la silhouette

et l’ombre comme un ange phosphoré
se retrouverait devant ou derrière
de ce côté, de l’autre
entre ailleurs et ici
à l’abri d’une âme ombragée
coincée dans le clair-obscur

l’ombre des lumières se déchiquette
en mille cristaux éparpillés
puis s’éteignent les bougies
se taisent les musiques d’ascenseur




«un carnet d’ivoire avec des mots pâles»


A C C E S S I T (nom masculin)
. distinction, récompense accordée à ceux qui, sans avoir obtenu de prix, s’en sont approchés.


C A B A L I S T I Q U E (adjectif)
. qui a rapport à la science occulte;
. mystérieux, incompréhensible.
- ésotérique, magique


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dimanche 25 janvier 2009

Saut: 258

André Gide

Nous avons fait une légère mais combien merveilleuse pose dans ce passage chez André Gide afin de signaler l'arrivée d'Éthan. Nous revenons maintenant à cet auteur hors du commun qui s'adresse à Nathanaël mais avant de plonger dans Les nouvelles nourritures, cet envoi tiré des Nourritures terrestres :

. Elle tourna les yeux vers les naissantes étoiles : « Je connais tous leurs noms, dit-elle; chacune en a plusieurs; elles ont des vertus différentes. Leur marche, qui nous paraît calme, est rapide et les rend brûlantes. Leur inquiète ardeur est cause de la violence de leur course, et leur splendeur en est l’effet. Une intime volonté les pousse et les dirige, un zèle exquis les brûle et les consume; c’est pour cela qu’elles sont radieuses et belles.
Elles se tiennent l’une à l’autre toutes attachées, par des liens qui sont des vertus et des forces, de sorte que l’une dépend de l’autre et que l’autre dépend de toutes. La route de chacune est tracée et chacune trouve sa route. Elle ne saurait en changer sans en distraire aucune autre, chacune étant de chaque autre occupée. Et chacune choisit sa route selon qu’elle devait la suivre; ce qu’elle doit, il faut qu’elle le veuille, et cette route, qui nous paraît fatale, est à chacune la route préférée, chacune étant de volonté parfaite. Un amour ébloui les guide; leur choix fixe les lois, et nous dépendons d’elles; nous ne pouvons pas nous sauver.»

Nathanaël, à présent, jette mon livre. Émancipe-t’en. Quitte-moi. Quitte-moi; maintenant tu m’importunes; tu me retiens; l’amour que je me suis surfait pour toi m’occupe trop. Je suis las de feindre d’éduquer quelqu’un. Quand ai-je dit que je te voulais pareil à moi? - C’est parce que tu diffères de moi que je t’aime; je n’aime en toi que ce qui diffère de moi. Éduquer! – Qui donc éduquerais-je, que moi-même? Nathanaël, te le dirai-je? je me suis interminablement éduqué. Je continue. Je ne m’estime jamais que dans ce que je pourrais faire.

Nathanaël, jette mon livre; ne t’y satisfais point. Ne crois pas que ta vérité puisse être trouvée par quelque autre; plus que de tout, aie honte de cela. Si je cherchais tes aliments, tu n’aurais pas de faim pour les manger; si je te préparais ton lit, tu n’aurais pas sommeil pour y dormir.

Jette mon livre; dis-toi que ce n’est là qu’une des mille postures possibles en face de la vie. Cherche la tienne. Ce qu’un autre aurait aussi bien fait que toi, ne le fais pas. Ce qu’un autre aurait aussi bien dit que toi, ne le dis pas, - aussi bien écrit que toi, ne l’écris pas. Ne t’attache en toi qu’à ce que tu sens qui n’est, nulle part ailleurs qu’en toi-même, et crée de toi, impatiemment ou patiemment, ah! le plus irremplaçable des êtres.




Admettez avec moi qu’il est rare de trouver une écriture aussi pure, aussi élégante, aussi… tant.

Je vous propose maintenant, tirées des Nouvelles nourritures, quelques bijoux inestimables. Bonne lecture.

. Que l’homme est né pour le bonheur, certes toute la nature l’enseigne.

. J’écris pour qu’un adolescent, plus tard, pareil à celui que j’étais à seize ans, mais plus libre, plus accompli, trouve ici réponse à son interrogation palpitante. Mais quelle sera sa question?
Je n’ai pas grand contact avec l’époque et les jeux de mes contemporains ne m’ont jamais beaucoup diverti. Je me penche par-delà le présent. Je passe outre. Je pressens un temps où l’on ne comprendra plus qu’à peine ce qui nous paraît vital aujourd’hui.
Je rêve à de nouvelles harmonies. Un art des mots, plus subtil et plus franc; sans rhétorique; et qui ne cherche à rien prouver.
Ah! qui délivrera mon esprit des lourdes chaînes de la logique? Ma plus sincère émotion, dès que je l’exprime, est fausse.

. La vie peut être plus belle que ne le consentent les hommes. La sagesse n’est pas dans la raison, mais dans l’amour. Ah! j’ai vécu trop prudemment jusqu’à ce jour. Il faut être sans lois pour écarter la loi nouvelle. Ô délivrance! Ô liberté! Jusqu’où mon désir peut s’étendre, là j’irai. Ô toi que j’aime, viens avec moi; je te porterai jusque-là; que tu puisses plus loin encore.

. Il y a sur terre de telles immensités de misère, de détresse, de gêne et d’horreur, que l’homme heureux n’y peut songer sans prendre honte de son bonheur. Et pourtant ne peut rien pour le bonheur d’autrui celui qui ne sait être heureux lui-même. Je sens en moi l’impérieuse obligation d’être heureux. Mais tout bonheur me paraît haïssable qui ne s’obtient qu’aux dépens d’autrui et par des possessions dont on le prive.

. Je sens bien, à travers ma diversité, une constance; ce que je sens divers c’est toujours moi. Mais précisément parce que je suis et sens qu’elle existe, cette constance, pourquoi chercher à l’obtenir? Je me suis, tout le long de ma vie, refusé de chercher à me connaître; c’est-à-dire : refusé de me chercher. Il m’a paru que cette recherche, ou plus exactement sa réussite, entraînait quelque limitation et appauvrissement de l’être, ou que seuls arrivaient à se trouver et à se comprendre quelques personnalités assez pauvres et limitées; ou plutôt encore : que cette connaissance que l’on prenait de soi limitait l’être, son développement; car tel qu’on s’était trouvé l’on restait, soucieux de ressembler ensuite à soi-même, et que mieux valait protéger sans cesse l’expectative, un perpétuel insaisissable devenir. L’inconséquence me déplaît moins que certaine conséquence résolue, que certaine volonté de demeurer fidèle à soi-même et que la crainte de se couper. Je crois du reste que cette inconséquence n’est qu’apparente et qu’elle répond à quelque continuité plus cachée. Je crois aussi qu’ici, comme partout, les phrases nous trompent, car le langage nous impose plus de logique qu’il n’en est souvent dans la vie, et que le plus précieux de nous-même est ce qui reste informulé.

. La peur du ridicule obtient de nous les pires lâchetés. Combien de jeunes velléités qui se croyaient pleines de vaillance et qu’a dégonflées tout à coup ce seul mot d’«utopie» appliqué à leurs convictions, et la crainte de passer pour chimériques aux yeux des gens sensés. Comme si tout grand progrès de l’humanité n’était pas dû à de l’utopie réalisée! Comme si la réalité de demain ne devait pas être faite de l’utopie d’hier et d’aujourd’hui – si l’avenir consent à n’être point la seule répétition du passé, ce qui serait la considération la mieux capable de m’enlever toute joie de vivre. Oui, sans l’idée d’un progrès possible, la vie ne m’est plus d’aucun prix. -

. Il est bien peu de monstres qui méritent la peur que nous en avons. Monstres enfantés par la peur – peur de la nuit et peur de la clarté; peur de la mort et peur de la vie; peur des autres et peur de soi; peur du diable et peur de Dieu – vous ne vous en imposerez plus. Mais nous vivons encore sous le règne des croquemitaines. Qui donc a dit que la crainte de Dieu était le commencement de la Sagesse. Imprudente sagesse, la vraie, tu commences où finit la crainte, et tu nous enseignes la vie.

. Leur sagesse? … Ah! leur sagesse, mieux vaut n’en pas faire grand cas.
Elle consiste à vivre le moins possible, se méfiant de tout, se garant.
Il y a toujours, dans leurs conseils, je ne sais quoi de rassis, de stagnant.
Ils sont comparables à certaines mères de familles qui abrutissent de recommandations leurs enfants :
- « Ne te balance pas si fort, la corde va craquer; ne te mets pas sous cet arbre, il va tonner; ne marche pas où c’est mouillé, tu vas glisser; ne t’assieds pas sur l’herbe, tu vas te tacher; à ton âge, tu devrais être plus raisonnable; combien de fois faudra-t-il te le répéter : on ne met pas ses coudes sur la table. Cet enfant est insupportable!»
- Ah! Madame, pas tant que vous.

. Mais cette certitude : que l’homme n’a pas toujours été ce qu’il est, permet aussitôt cet espoir : il ne le sera pas toujours.

. L’appétit de savoir naît du doute.

. J’ai vécu; maintenant c’est ton tour. C’est en toi désormais que se prolongera ma jeunesse. Je te passe pouvoir. Si je te sens me succéder, j’accepterai mieux de mourir. Je reporte sur toi mon espoir.

. Tu remarqueras que toute plante propulse au loin ses graines; ou bien que celles-ci tout enveloppées de saveur, invitant l’appétit de l’oiseau, sont emportées par lui où sinon elles ne pourraient atteindre; ou douées d’hélices, d’aigrettes, s’abandonnent aux vents voyageurs. Car, à nourrir trop longtemps la même sorte de plantes, le sol s’appauvrit, s’empoisonne, et la nouvelle génération ne saurait trouver aliment au même lieu que la première. Ne cherche pas à remanger ce qu’ont digéré tes ancêtres. Vois s’envoler les grains ailés du platane ou du sycomore, comme s’ils comprenaient que l’ombre paternelle ne leur promet qu’étiolement et qu’atrophie.
Et tu remarqueras de même que tout l’élan de la sève gonfle de préférence les bourgeons de la fine extrémité des branches et les plus éloignés du tronc. Sache comprendre et t’éloigner le plus possible du passé.
Sache comprendre la fable grecque : Elle nous enseigne qu’Achille était invulnérable, sauf en cet endroit de son corps qu’attendrissait le souvenir du contact des doigts maternels.

. Camarade, n’accepte pas la vie telle que te la proposent les hommes. Ne cesse point de te persuader qu’elle pourrait être plus belle, la vie; la tienne et celle des autres hommes; non point une autre, future, qui nous consolerait de celle-ci et qui nous aiderait à accepter sa misère. N’accepte pas. Du jour où tu commenceras à comprendre que le responsable de presque tous les maux de la vie, ce n’est pas Dieu, ce sont les hommes, tu ne prendras plus ton parti de ces maux. Ne sacrifie pas aux idoles.


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mercredi 21 janvier 2009

Saut: 257


Vous comprendrez qu'il allait de soi que le saut 257 devant être la suite des propos sur André Gide, cède sa place à celui-ci, tout à fait unique et spécial.

La naissance du fils de ma fille Odile et de son conjoint Sébastien, le petit Éthan, survenue le dimanche 18 janvier 2009 à 20 heures 15.

Toute la magie de l'arrivée d'un enfant, que ce soit le premier ou le quatrième, nous ramène au merveilleux de la vie. À la force de la vie.

Je souhaite aux parents qu'ils demeurent aussi émerveillés qu'ils le sont actuellement auprès d'Éthan; aux oncles et aux tantes, de savourer la venue de cet être que je qualifierais d'ange, savourer cette venue en se remémorant ceux et celles qui sont venus avant lui et qui nous remplissent de si grands bonheurs; aux cousins et cousines, de réussir à retenir son prénom et le recevoir comme s'il était un des leurs; aux grands-parents, de continuer à remercier la vie de leur offrir d'aussi beaux cadeaux.



Bienvenue mon très doux et très charmant Éthan!


Le prénom Éthan est d'origine hébraïque et signifie «fort» et «ferme»: cela lui convient à merveille.


Et il sent tellement bon... comme le grand-père les aime.

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jeudi 15 janvier 2009

Saut: 256

André Gide, jeune


Il y a déjà un bon moment que nous ne nous sommes pas arrêtés à l'enseigne d'un écrivain qui fut pour le crapaud un personnage signifiant. Aujourd'hui, saut 256 ainsi que le suivant, le 257, nous irons chez André Gide.

J'ai lu Gide, je devais avoir moins de 20 ans, et, à cette époque, lire un auteur mis à l'Index par l'Église... eh! bien ça représentait un exploit et exigeait une certaine audace. C'était la première fois qu'une aussi belle, aussi parfaite écriture bouleversait des idées ancrées dans mon cerveau des années... '60, un cerveau de pas encore 20 ans!

Le voici.

André Gide naît à Paris le 22 novembre 1869 et y meurt le 19 février 1951. Ses parents, originaires d’Uzès dans le Midi pour le père et de Rouen en Normandie pour la mère, sont (du côté paternel) d’austères protestants depuis toujours, et (du côté maternel) d’anciens catholiques devenus protestants et qui adoptèrent une ligne puritaine disons... pure et dure. Ces contradictions (le Midi et la Normandie, l’austérité protestante et le protestantisme issu de la libre-pensée) auront beaucoup marqué André Gide.

Dès son jeune âge, il apprend le piano - il en fera un compagnon de vie - mais ses mauvaises habitudes à caractère sexuel, qu’il appellera son «vice», lui occasionneront plusieurs renvois scolaires.

La rencontre avec sa cousine Madeleine (vers 1882) sera l’occasion d’une relation tortueuse mais débouchera sur une correspondance fort importante, des débats intimes et des questionnements fondamentaux. Suivront d'autres rencontres plus intellectuelles (Oscar Wilde, Pierre Louÿs, Stéphane Mallarmé) mais celle avec l’auteur anglais le marquera alors qu’il deviendra pour André Gide le modèle d’une autre voie.

En 1892, il part en voyage (initiatique, si l’on peut dire) avec le peintre Paul Laurens et voyagera malgré la maladie en Tunisie, en Algérie et en Italie.

Au retour d’un second voyage, en 1895 celui-là, et du décès de sa mère qui le surprotégea une bonne partie de sa vie, il se fiance avec sa cousine Madeleine, se marie mais sans jamais consommer l’union, son homosexualité en étant la raison.

Pendant tout ce temps il écrit en rappelant que «ses œuvres sont comme des jalons sur son chemin, écrites par réaction les unes aux autres et qu’on ne peut comprendre que dans une vue d’ensemble».

«Les Nourritures Terrestres» paraîtront en 1897 et recevront un accueil chaleureux.

En 1911, la NRF (Nouvelle Revue Française) dont il est le chef de file sans en être le directeur, s’associe à Gaston Gallimard afin d’adosser une maison d’édition à la revue.

L’influence que Gide exerce sur la jeunesse de son époque est immense.

Il reçoit le Prix Nobel de littérature en 1947 et en 1952, son œuvre est mise à l’Index par le Vatican.

Ses œuvres maîtresses sont :
Les Nourritures terrestres; Les Nouvelles nourritures; L’Immoraliste; Si grain ne meurt; La Porte étroite; La Symphonie pastorale; Les Faux-monnayeurs.

C’est André Gide qui aura écrit, selon moi, la plus belle phrase de la langue française… du moins parmi celles que j’ai lues :
« Je ne saisirai plus les mots que par les ailes. »

Voici quelques citations tirées de ce livre essentiellement essentiel : Les nourritures terrestres. Et de cet autre essentiel : Les nouvelles nourritures. Vous comprendrez que cela exigera deux sauts (les 256 et 257) pour arriver à tout vous les présenter.

. Et quand tu m’auras lu, jette ce livre – et sors. Je voudrais qu’il t’eût donné le désir de sortir – sortir de n’importe où, de ta ville, de ta famille, de ta chambre, de ta pensée. N’emporte pas mon livre avec toi. Si j’étais Ménalque, pour te conduire j’aurais pris ta main droite, mais ta main gauche l’eût ignoré, et cette main serrée, au plus tôt je l’eusse lâchée, dès qu’on eût été loin des villes, et que je t’eusse dit : oublie-moi.
Que mon livre t’enseigne à t’intéresser plus à toi qu’à lui-même, - puis à tout le reste qu’à toi.

. Ne souhaite pas, Nathanaël, trouver Dieu ailleurs que partout.

. Que l’importance soit, dans ton regard, non dans la chose regardée.

. Il y a d’étranges possibilités dans chaque homme. Le présent serait plein de tous les avenirs, si le passé n’y projetait déjà une histoire.

. … chaque instant de notre vie est essentiellement irremplaçable…

. Nathanaël, que chaque attente, en toi, ne soit même pas un désir, mais simplement une disposition à l’accueil. Attends tout ce qui vient à toi; mais ne désire que ce qui vient à toi. Ne désire que ce que tu as. Comprends qu’à chaque instant du jour tu peux posséder Dieu dans sa totalité. Que ton désir soit de l’amour, et que ta possession soit amoureuse. Car qu’est-ce qu’un désir qui n’est pas efficace?

. Il ne me suffit pas de lire que les sables des plages sont doux; je veux que mes pieds nus le sentent… Toute connaissance que n’a pas précéder une sensation m’est inutile.

. Chaque action parfaite s’accompagne de volupté. À cela tu connais que tu devais le faire. Je n’aime point ceux qui se font un mérite d’avoir péniblement œuvré. Car si c’était pénible, ils auraient mieux fait de faire autre chose. La joie que l’on y trouve est signe de l’appropriation du travail et la sincérité de mon plaisir, Nathanaël, m’est le plus important des guides.

. Il y a des maladies extravagantes qui consistent à vouloir ce que l’on a pas.

. L’ivresse n’est jamais qu’une substitution du bonheur.

. Nos actes s’attachent à nous comme sa lueur au phosphore; ils font notre splendeur, il est vrai, mais ce n’est que notre usure.

. Ah! jeunesse – l’homme ne la possède qu’un temps et le reste du temps la rappelle.

. De quel tombeau me suis-je évadé ce matin? – (Les oiseaux de la mer se baignent en étendant leurs ailes.) Et l’image de la vie, ah! Nathanaël, est pour moi : un fruit plein de saveur sur des lèvres pleines de désir.


Au prochain

dimanche 11 janvier 2009

Saut: 255

En février dernier, celui de 2008, au saut 195, le crapaud vous faisait la nomenclature des livres qu’il avait lus en 2007 et promettait de répéter l’exercice à la fin de chaque année. Et si vous avez bonne mémoire, cela venait en réponse à la question posée à l'occasion du Salon du Livre de Montréal-2007 : est-ce possible de lire plus de 1 000 livres? Pour 2007, le nombre s’arrêtait à 40: un peu moins d’un par semaine, un peu moins aussi que les sauts déposés annuellement sur le blogue.

Je refais mes devoirs pour 2008 et cette fois j’arrive à 35 livres. Légère diminution qui peut s’expliquer par une foule de raisons que je n’aborderai pas ici. C’est, encore cette année, moins qu’un livre par semaine et le nombre de sauts. Il y a, au moins, une certaine constante…

Voici la liste. Cette année je la dépose en suivant un ordre chronologique (celui du moment où ils furent lus) sauf pour les recueils de poèmes qui sont toujours le deuxième livre en marche.



JUSQU’AU MATIN
(Han Suyin)

L’ANNÉE DE LA PENSÉE MAGIQUE
(Joan Didion)

LA TRAVERSÉE DU CONTINENT
(Michel Tremblay)

LES CERFS-VOLANTS DE KABOUL
(Khaled Hosseini)

JÉSUS-LA-CAILLE
(Francis Carco)

MILLE SOLEILS SPLENDIDES
(Khaled Hosseini)

L’HIVER DE MIRA CHRISTOPHE
(Pierre Nepveu)

MONSIEUR ASHENDEN AGENT SECRET
(Somerset Maughan)

DES MONDES PEU HABITÉS
(Pierre Nepveu)

L’ÉQUIPE
(Francis Carco)

LE PROCÈS
(Kafka)

LA COLONIE PÉNITENCIAIRE
(Kafka)

L’ÉVANGILE DE JIMMY
(Didier van Cauwerlaert)

VINGT ANS ET DES POUSSIÈRES
(Didier van Cauwerlaert)

L’ATTENTAT
(Yasmina Khadra)

LA MÈRE
(Maxime Gorki)

LA PANIQUE
(Fernando Arrabal)

CONTREPOINT
(Aldous Huxley)

PERSONNE N’EST UNE ÎLE
(Yvon Rivard)

MRS. DALLOWAY
(Virginia Wolf)

MICHEL STROGOFF
(Jules Verne)

SYNGUÉ SABOUR, PIERRE DE PATIENCE
(Atiq Rahimi)

GRANDE PLAINE
(Alexandre Bourbaki)

LA TERRE PATERNELLE
(Patrice Lacombe)

L’ASTRAGALE
(Albertine Sarazin)

TERRE ET CENDRES
(Atiq Rahimi)

NIKOLSKI
(Nicolas Dickner)

PROCHAIN ÉPISODE
(Hubert Aquin)

LES MILLE MAISONS DU RÊVE ET DE LA TERREUR
(Atiq Rahimi)

CHANSONS GITANES ET POÈMES
(Federico Garcia Lorca)

LORCA
(André Belamich)

ROMANCERO GITAN, POÈME DU CHANT PROFOND
(Federico Garcia Lorca)

L’HOMME RAPAILLÉ
(Gaston Miron)

LES ROIS MAGES suivi de L’ÉTAPE DANS LA CLAIRIÈRE
(André Frénaud)

POÈMES
(Guillaume Apollinaire)


J’aimerais vous signaler deux auteurs, dont un est présent dans cette liste, l'autre pas; le deuxième se retrouvera l'an prochain mais comme j'ai débuté la lecture de son livre en 2008 et l'ai achevée en 2009, il fait charnière... Deux auteurs donc, qui selon moi, sont absolument à découvrir :
Atiq Rahimi (le Goncourt 2008)



et le génial auteur tchèque Bohumil Hrabal.
Je vous glisse à l'oreille le titre du chef-d'oeuvre de Hrabal (Une trop bruyante solitude). Deux écrivains fascinants sachant allier poésie et réalisme avec une plume hors du commun. C’est à rougir de honte de ne pas comprendre le persan, d’une part, et le tchèque, d’autre part.


Retournons maintenant vers notre « carnet d’ivoire avec des mots pâles», ceux des mots-dits:

A C C O R T (adjectif)
. habile
. gracieux et vif

- (agréable, aimable, avenant)


B A L A D I N ( I N E ) (nom)
. danseur de ballets, ballerine;
. bouffon de comédie, comédien ambulant


- (histrion; paillasse; saltimbanque)

Au prochain saut

mercredi 7 janvier 2009

Saut: 254



Jean Bédard publiait en 1998, un roman dont le héros, si je puis dire, était Maître Eckhart qui vécut de 1260 à 1328. Dominicain et théologien allemand, il marqua son époque et l'écrivain québécois nous le fait découvrir de manière extraordinaire.

Je vous présente ce que Bédard met dans la bouche de Maître Eckhart relativement au temps et à l'espace, un peu comme un épilogue aux citations sur le temps ainsi qu'au poème du saut 253.


En fait, Eckhart répond à une question, celle-ci:
«Mais l'univers, l'espace, le mouvement ne sont pas que du temps!»


« Bien sûr que l'espace est un des résultats du temps. Imagine un bourgeon qui devient une feuille, puis la feuille rougit, tombe et meurt. Tu imagines bien cela. Maintenant imagine que cela se passe de plus en plus vite. Il arrive un temps où le bourgeon meurt exactement en même temps qu'il s'ouvre; en d'autres termes, il n'existe pas parce qu'il n'a pas le temps d'exister. Chaque chose n'est que le temps qu'elle prend à croître et à disparaître. Sans le temps, elle n'existe pas, elle n'a pas le temps d'exister. Maintenant imagine les distances, imagine par exemple le monastère d'Erfurt, celui de Strasbourg et celui de Cologne. Ils forment un triangle et l'espace est ce qui les sépare. Un jour tu décides de les visiter, mais par un miracle de Dieu, tu marches de plus en plus vite. Par ce miracle de Dieu, il arrive un temps où passer d'un monastère à l'autre se fait si rapidement que tu arrives au deuxième et au troisième exactement en même temps que tu pars du premier. Cela voudrait dire que tout l'espace aurait entièrement disparu. Les trois monastères seraient le même, l'espace qui les séparait ne serait plus. L'espace n'est que le temps, le temps que l'on met à passer d'un endroit à un autre. Si cela ne prenait aucun temps d'aller de la terre au soleil, il n'y aurait pas d'espace entre le soleil et la terre. L'espace n'est que du temps. C'est pour cela que je dis que l'Homme est le temps que prend Dieu à se connaître, à s'aimer, à se défier, à se dépasser, à se faire vraiment Dieu, Dieu de bonté, de compassion, de courage, de miséricordre, de connaissance... Pour faire l'Homme, Dieu s'est retiré de la connaissance qu'il avait de lui-même, il s'est retiré dans le mystère, laissant du temps et de la nuit. Ensuite, il s'est mis à faire danser la nuit pour qu'elle rayonne de la lumière, et il s'est mis à faire danser la lumière pour qu'elle rayonne la vie. Et moi et toi, nous sommes le retard que Dieu a décidé de prendre sur lui-même pour se faire éclater les entrailles.»

Il ne faudrait pas l'oublier ce Maître Eckhart, il reviendra assez régulièrement, sous la plume de Jean Bédard, alimenter notre réflexion.

Revenons, maintenant, à ce « carnet d'ivoire avec des mots pâles»,
celui de nos mots-dits...



A U T O D A F É (nom masculin)

. cérémonie au cours de laquelle les hérétiques condamnés au supplice du feu par l’Inquisition étaient conviés à faire acte de foi pour mériter leur rachat dans l’autre monde. –Supplice du feu


. action de détruire par le feu

B R I M B O R I O N (nom masculin)

. petit objet de peu de valeur
. babiole; bricole


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jeudi 1 janvier 2009

Saut: 253



Une nouvelle année!
Une deux mille... neuve!

Je vous la souhaite douce, comme cela peut l'être lorsque c'est doux... je vous la souhaite heureuse, tous les jours, trois cent-soixante fois... mais surtout je voudrais qu'elle vous permette ainsi qu'à chacun de ceux et celles qui font partie de vos indispensables, qu'elle vous permette de prendre le temps.

Vous avez entendu parler de cette mystérieuse seconde supplémentaire... alors utilisez-la quand bon vous semblera, quand vous aurez besoin de temps et que vous vous dites ne pas en avoir... cette seconde, cette précieuse seconde, utilisez-la à ce moment précis, pour vous donner du temps. Temps que vous rendrez utile ou inutile, comme bon vous semblera.

Bonne année 2009!
Heureuse année 2009!

Nous entreprenons la nouvelle année avec un poème. Pas de surprise, me direz-vous! Je vous lance en ce 1er janvier 2009, à quelques jours, peut-être quelques heures de la naissance du fils de ma fille Odile, le quatrième petit-enfant du crapaud (les garçons mènent 3 à 1), ce poème sur le temps.

Je l'ai coiffé du titre suivant:

tempus / chronos


temps - police de l’univers -
police l’univers

temps - arrêt au chronomètre -

chronomètre les arrêts

temps - espace entre deux
ins(temps) -
l’instant d’un espace

temps - courte étendue sur toute sa longueur -

s’allonge et s’é(temps)

temps – au fur et à mesure -
éloigne les continents

temps - ce bus que l’on manque -

quand on manque un bus

temps accroché à ses chevilles et la chevillette cherra

temps d’une pluie fine qui pleut finement sur la pluie

temps derrière comme un fantôme

devant comme une marionnette
à côté d’un temps qu’à soi
il se tient derrière et devant

temps perdu à prendre repaire,

que l’on reperd

temps en temps et puis après

temps d’un autre temps

comme l’ancien et le nouveau

temps que l’on pourchasse,

nous pourchassant

temps vert-de-gris au bracelet de la montre qui s’arrête

temps fondu confondu dans l’espace quantique

temps de l’infiniment éloigné retrouvé sur Mars

temps - le trop, l’assez -

placé aléatoirement sur la ligne du temps

temps universel remis en doute

par les poètes du nouveau Moyen-Âge

temps était le temps qu’il sera ce qu’il est

le temps se calcule en secondes minutées à toute heure du jour
en semaines mensuelles ou annuelles

décennies séculaires ou millénaires
en passé en avenir qui ne se calculent plus

le temps cette date de péremption de la vie


Bon début d'année et au prochain saut


Un peu de politique à saveur batracienne... (19)

  Trudeau et Freeland Le CRAPAUD ne pouvait absolument pas laisser passer une telle occasion de crapahuter en pleine politique fédérale cana...