dimanche 15 octobre 2017

5 (CINQ) (CENT CINQUANTE-DEUX) 52


                                          
 il arrive au temps de combattre la vie
infiniment
à la pluie et au gazon mouillé
d’affronter un jour froid sans soleil
à la lune de décharner la nuit


   Qu’en est-il de la réalité lorsque, endormi, celle des songes vous enveloppe ?  Laquelle possède le plus de substance ? Est-il possible d’être un, puis un autre dans chacune de ces matérialités ? Le temps se développe-t-il à la même vitesse sur les deux versants ? Celui de la vie où les cancers fulgurants se propagent sans qu’aucun barrage ne puisse les freiner, reste à découvrir.

La mousson se déchaîne en cette fin d’après-midi; elle se prolongera jusqu’à la fin de la soirée. Les rues transformées en torrent obligent les motocyclistes à piétiner dans l’eau, d’allonger difficilement le pas tout en s’appuyant sur un engin étouffé. Le ciel crée des miroirs de phosphore sur ce long ruban noir que sont devenues les artères de la ville. Le tonitruant vacarme de la tempête étrangle les bruits ambiants.

On en a pour quelques semaines encore. Cela ne dérangera pas l’homme; il ne s’en préoccupera pas, n’exigeant que trois choses : marcher, entendre et voir. Les genoux doivent suivre, question sine qua non. Les oreilles, pour écouter le jazz. Voir, non plus ce qui bouillonne en lui, mais le dehors des choses. Il a abdiqué son intérieur à un rapace, ennemi plus fort que lui… l’extérieur, il le garde. Pour très peu de temps, il le sait. Temps et vie sont en conflit sur une arène couverte d’eau qui sèche aussi rapidement que les larmes échappées de ses yeux lorsqu’il prit la direction de l’aéroport.

On en a toujours pour quelques semaines. Quatre, et la peau se régénère. Le cancer, plus capricieux, dégénère selon le stade, le grade, enfin tout ce que l’homme ne voulait ni savoir ni connaître, encore moins comprendre. Qu’un nombre. Un nombre qui s’avéra un seul chiffre, plus petit que cinq. – Merci.






la vie arrache tout
sur son passage pubère et artificiel,
veines bleues, poignets raidis
elle suit des routes sans azimut
éternellement brouillées par un inconnu


     L’homme se lève. Il a dormi. La mousson a arraché sur son passage tout ce qui lui paraissait faible, frêle, tuméfié de vide. On ramassera tout, puis on oubliera ce qui était. Parfois, certains constateront un manque d’ombre ici, l’occlusion du caniveau là; après, on oubliera. On oublie toujours tout. Non en raison d’une défaillance de la mémoire, mais parce que cela ne nous intéresse plus, n’est plus utile ou ce qui remplace est davantage relevé.

L’homme se dit que la mousson et le cancer sont une seule et même chose. Mourir durant la mousson est sans doute une des ruses de son ennemi. Il n’existe aucun expédient pour leur échapper. Ils suivent, et l’un et l’autre, des routes sans azimut précis, des routes qui s’embrouillent de manière inconnue.

L’autoportrait, ce soir, devant la grille, dans cette allée (hm) qui débouche sur un mur de pierrailles que le ciment retient difficilement, nécessitera le flash. Un éclair. Il patauge dans l’eau froide, en direction du parc. Vers un banc commandité par une importante banque vietnamienne. Vide, le parc. Le banc, disponible. Il s’assoira pour le reste de la nuit.

Comment se soustraire au temps ? L’empêcher de dicter autre chose que le passage du jour à la nuit, de la nuit au jour ? Ne pas en tenir compte ? Ne pas le nommer ? Le temps n’est peut-être finalement qu’un rouleau compressant l’espace. Avec de la vie autour. Peut-être. Douter reste encore le meilleur à faire quand on a rien d’autre à faire. Demeurer dans le doute.

L’homme passera sa première véritable nuit dans le parc, sur ce banc sponsorisé.






                                                                     
le temps et la vie se donnent
à ceux qui acceptent la mort
pour les angoisses
ces rongeurs infatigables
on s’attaque à l’immortalité


     La nuit est l’apanage des rats, ces rongeurs aux yeux éclatants et vitreux, embusqués ici et là. Ils courent vers un sac à déchets, s’y attaquent pour rapidement disparaître dans l’encoignure au bout du parapet soutenant le trottoir. Puis ils reviennent comme chargés d’une mission précise connue par eux seuls. Occupés, ils ne prennent pas en compte les bruits secondaires. La présence d’un homme sur un banc ne les inquiète pas. Il y en a eu d’autres avant lui, beaucoup d’autres suivront. Les hommes, ces êtres assis sur des bancs de parc, obsédés par leurs pieds angoissés ne représentent aucun danger pour ces besogneux de la nuit.

La nuit se vêt d’immortalité, elle a été tant et tant de fois attaquée par des fantômes aussi réels que les couleurs dans l’obscurité. Elle ne se définit pas, elle est. Du présent éternel, insoucieuse d’hier et de demain. De la vie sans mort, sans la fulgurance du cancer, sans la perte des poussières internes.

L’homme s’immobilise. L’immuabilité commencera tout doucement à camper en lui… rivé à un banc vermoulu… soutenu par des genoux de moins en moins solides… absorbé par un jazz sombre… les pupilles de ses yeux multipliant les images qui graduellement s’évanouiront.

Ainsi seront ses derniers jours, ses dernières nuits. Le recueil de poèmes s’humidifiera quotidiennement, mais les mots intercalés, déplacés puis revenus en place empliront son cerveau en attente des métastases. Métastase pouvant aussi dire… changer de place.

À suivre

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