il arrive à la vie de ne plus avoir de temps
pour chercher l’infini enfoui
dans les pluies, les mouillures de gazon
de faire affront au jour ensoleillé
et de s’accrocher à la nuit décharnée
Le suicide n’existe pas, il y a toujours
un meurtrier derrière la mort. Un meurtre, non un assassinat. Face à la mort,
devant un être mort, inéluctablement on cherche un coupable; une cause, une
raison. Nous oublions qu’elle fait naturellement partie de la vie. Les cellules,
avant un cancer fulgurant ou pas, vivaient. Sans doute heureuses de n’être que
ce qu’elles sont. Alors s’annonce un pernicieux belligérant. Bien armé. Une
cuirasse opiniâtre lui sert de bouclier. Voilà celui qui bousillera tout,
laissant les globules errer entre expectation et résignation. Puis l’arrivée au
terminus. C’est tout.
Souvent, la
vie s’amuse à chercher l’infini dans l’ininterrompu du temps. C’est qu’elle a
peu d’espace pour manœuvrer. Les délais sont courts, s’amenuisent rapidement. Combien
d’heures perdues à espérer l’immortalité. De minutes gaspillées à croire aux
imbroglios confus qui jonchent nos routes. De secondes évanouies à affronter
des adversaires inconnus dressés devant soi sans que l’on puisse s’approprier
leur raison d’être.
Les employés
municipaux de la ville de Saïgon, revêtus d’une combinaison de couleur orange,
grattent les rues munis de longs balais au bout desquels sont fixés des
brindilles épineuses. Le bruit ne passe pas inaperçu. Comme un balancement
synchronisé à des virevoltes fouettant le bitume. L’un d’entre eux, un jour,
remarquera un homme endormi sur le banc de parc. Immobile. Le sac vert, lui ayant
servi d’oreiller, grugé à une de ses extrémités; les rats sans doute. L’employé
s’arrêtera, fixera son attention. L’homme sera mort.
le temps s’attache à tout
au pubère et à l’artificiel
au bleu des veines de nos poignets vieillis
aux routes essoufflées et inconnus
dans des azimuts brouillés
L’homme ne saura jamais qu’il est mort. Il
savait qu’il allait mourir, pas plus. Trois mois et quelques jours à déambuler
ici et là. La vieille dame qui le grondait, lui reprochant de ne manger que des
sandwiches, ne boire que du tonic water, cette vieille dame ne saura pas qu’il
en avalait qu’une moitié, ne buvait que quelques gorgées de ce liquide à la
quinine.
La veille,
lors de la dernière prise d’autoportrait, il s’est remercié. Félicité d’avoir
suivi à la lettre son plan d’origine. Subséquemment, un doute vint se loger
entre l’estomac et l’intestin. Les tempes battaient la chamade, plus qu’à
l’habitude. Une toux. Tenace. La mousson la lui avait donnée; ne s’en est
jamais débarrassé. Il marchera toute la nuit. Reviendra à son banc de parc
lorsque les dernières prostituées auront quitté l’édicule où elle se tiennent,
se regroupent. Il aura récupéré le sac vert, placé en direction du nord. Ses
pieds au sud. Il sera prêt.
La curiosité
de l’employé municipal ameutera quelques badauds. Réunis autour de l’homme, ils
lui seront sa dernière compagnie, ses funérailles. Son porte-monnaie est vide.
Il a tout jeté au fur et à mesure des jours. Quelqu’un découvre un portable. Le
groupe s’interroge. Le jeune placier de motocyclettes du restaurant qui fait le
coin de la rue propose à l’assemblée de tenter de l’ouvrir. N’y parvient pas.
Le dépose sous le sac vert et retourne à son stationnement. Il appellera les
premiers secours.
redonner puis reprendre
temps et vie qui meurent
allumer les angoisses rongeuses
au bûcher immortel
puis partir
La vie fut donnée à cet homme. Elle s’est
transformée, a changé de visage au cours du passage du temps qui lui, jamais ne
s’use. Il n’y a que le temps et la vie d’un individu qui meurent; tout à côté
de lui, de cet homme, de tous les hommes, le temps et la vie ne meurent pas.
Ils se plaisent à allumer des angoisses qui corrodent les tissus entre
l’estomac et l’intestin. Ou ailleurs. C’est le cancer, son nom. L’opposé de
l’immortalité.
L’homme est
mort d’un cancer fulgurant, diagnostiqué quelques jours avant son retour à
Saïgon. Il a choisi de laisser la place à ce bûcher immortel qui n’attend qu’à
reprendre le si peu d’espace situé entre soi-même et l’inexhaustible.
L’homme, celui
atteint d’un cancer fulgurant, n’a jamais parlé de la mort. Il ne la
connaissait pas. La définissait comme étant le bout de la vie. Un point c’est
tout. Durant toutes les heures qu’il aura marché, jamais il n’y a pensé. Ne lui
a jamais parlé, seulement préparé une place sur un banc de parc. Un point c’est
tout.
Traînait
sous ce banc, un livre. La vieille dame, celle qui offrait bánh mì et tonic water à l’homme, ce quidam, le récupéra. Revenue sous
son parasol, elle le feuilleta : nom d’auteur caviardé, même chose pour
celui de l’éditeur, aucune date… On croit y lire le même poème, en vietnamien
d’un côté, en français de l’autre. Les feuilles, froissées et humides, ne
laissent aucun indice sauf cette note transcrite au crayon de plomb, à deux
pages de la fin.
Le cadavre exquis est un jeu.
Ici, dans ces pages, l’auteur en propose une version
différente.
Fin
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