dimanche 7 août 2016

S P É C I A L E - Eudore Bergeron (3)

Voici le troisième texte de la série en hommage au grand-père Eudore Bergeron que l'on voit sur cette photo en compagnie de l'oncle Napoléon, frère de grand-maman Rose-Anna. Ils posent devant le camp à Coburn Gore.




Le voici donc cet autre souvenir vécu avec Eudore, plus intime celui-là. 

Il était de notoriété publique qu'Eudore, continuellement désireux d'aller au camp en toute saison mais jamais seul, lançait des invitations à tout vent. J'en reçus une à l'hiver 1963 ou 1964. En attente d'une chirurgie, il m'était impossible de fréquenter l'école, me morfondant à la maison. Lucienne appela Fleurette et le lendemain la Cadillac me ramassait; nous étions en route vers les États.

Je ne peux oublier le froid qui régnait à ce moment-là. Lui et moi ne faisons pas bon ménage. Eudore fit déblayer la route menant au camp, le chauffa - je crois plus qu'à l'accoutumée - et nous entreprîmes une semaine ensemble, isolés sur la neige ferme. Je ne savais trop à quoi m'attendre puisque c'était la première fois que nous nous retrouvions seuls tous les deux, dans la plus grande intimité.

Lucienne et grand-maman Rose-Anna avaient préparé du ''boulli'' pour la semaine; je crois qu'il dut en rester.

J'avais glissé dans mon bagage deux recueils de Federico Garcia Lorca. Me disant sans doute que le soleil espagnol allait réchauffer cet hiver québécois.

Eudore faisait tout dans le camp, me laissant pour tâche celle de me rendre au lac y puiser l'eau pour les toilettes. Je ne sais pas si ce trou il l'avait creusé lui-même, mais je devais souvent faire éclater les glaçons qui regelaient aussitôt.

- Faut pas que la pompe gèle, disait-il en bourrant le poêle. 

Nos journées se passaient sans autres échanges de paroles que les essentielles. Il faut préciser, et je tiens peut-être cela de lui, que je n'étais guère plus ''jaseux'' que ce grand-père dont je me rappelle me dire qu'il n'avait pas l'air vieux. Il avait plutôt l'air heureux dans tout ce silence qui s'enfermait sur nous aussi rapidement que la neige s'amoncelant sur le camp.

- Parfait pour le ski-doo, dit-il.

Je ne suis pas adepte des activités hivernales mais partir sur cet engin jaune qu'il maîtrisait parfaitement bien, assis derrière lui, fut une découverte. Il m'autorisa le lendemain à le conduire moi-même. Il avait pris soin de me montrer la route; celle qu'il fallait emprunter une fois traversée la route nationale.

Il n'allait pas vite. Le lendemain, moi, plus lentement encore. Le temps se figeait dans la neige et le froid sur ce sentier aux mille et une courbes d'où, j'étais certain, nous allions surprendre un quelconque animal sauvage. 

Quel temps sublime! Garcia Lorca demeura dans mon sac. Je lus trois poèmes, tout au plus. Je n'en avais que pour repartir sur le Bombardier et Eudore, voyant mon vif intérêt pour ces randonnées, me le laissait, s'étant assuré que je n'allais pas être en panne d'essence.

Au retour, ça sentait le ''boulli'' dans le camp. Revêtu d'un tablier qui donnait à Eudore l'allure du chef cuisinier d'un camp de bûcherons.

- L'air pur ça creuse l'appétit, dit-il avec cette espèce de sourire dont on ne pouvait qu'être admiratif. Ses yeux multipliaient tout ce bonheur que rien n'aurait pu diluer.

Eudore était un couche-tôt. Pour ne pas devoir chauffer tout le camp, la porte menant au solarium demeurait fermée. Là où pendant des heures et des heures, l'été, je discutais avec cousine Marie-Anne.

 De poésie surtout. Elle affectionnait Marie Noël. J'ai conservé longtemps l'oeuvre complète de cette poétesse qui fut la première à inspirer les piteux poèmes que j'écrivais. Je les retranscrivais dans un recueil - vert avec des tranches dorées - qu'elle m'avait offert.  - Tu les noteras dedans sans oublier de les dater. Les dates sont très importantes, me disait-elle.

Eudore endormi, j'écoutais l'hiver enragé cracher sa neige et le froid hurler à la porte. Seule une lampe installée sur le bahut près de la porte d'entrée du camp m'accompagnait. Je ne sais trop pourquoi mais je n'arrivais pas à lire. Je n'osais pas mettre en marche la radio de peur de déranger Eudore qui respirait calmement, confortablement assoupi dans la seule chambre du camp.

Couche-tôt, et lève-tôt aussi. J'ai peine à me rappeler si, au déjeuner, il buvait cet infect Postum qu'avant d'aller au lit il semblait déguster comme un élexir.

- Un petit Postum, me demandait-il.  Jamais je n'oublierai les couleurs (bleu et gris) du bocal. Seulement à regarder le contenant, le contenu me répugnait.

La semaine passa lentement. Je sentais qu'il la souhaitait encore plus au ralenti. Non pas en raison de ma présence mais surtout du fait qu'il allait devoir par la suite se trouver un nouveau compagnon. Nous ne nous dérangions pas. Sauf les ballades en ski-doo, aucune autre activité s'ajouta au programme. Pour Eudore, être au camp comblait ses besoins. J'étais accessoire. Je ne sais pas si les autres qui l'y accompagnèrent avant et après ont ressenti la même chose, mais rétrospectivement - cinquante ans plus tard - c'est toujours l'impression que j'en conserve.

À aucun moment de notre court séjour il s'informa de quoi que ce soit à mon sujet; il n'aborda pas non plus les questions de l'avenir d'un adolescent de 16 ou 17 ans. Je crois tout de même qu'en son for intérieur il avait compris qui j'étais; c'est flou mais c'est ce que je crois. On a plaisir à raconter, parlant des êtres qui ont eu une influence importante, parfois décisive sur le cours de notre vie, à rappeler une parole, une réflexion qui auraient pu avoir un certain ascendant sur la suite de notre existence. Eudore n'était pas de ce type d'individu. Ce qui dégageait de lui... c'était lui. Entier, honnête, fier et fidèle.

La seule conversation sérieuse que nous eûmes, a porté sur grand-maman Rose-Anna. Comme il a aimé cette femme! Elle fut, dans les peu de mots qu'il utilisa pour m'en parler, toute sa vie. Sans elle, jamais il n'aurait pu surmonter les difficultés énormes qui se sont présenté à lui. Sans elle, jamais il n'aurait songé voyager partout au Canada, au Mexique, en Europe. Les voyages, c'était elle, grand-maman Bergeron, qui lui en inocula le virus. Je ne crois pas me tromper en disant qu'il faisait tout pour elle, qu'elle était tout pour lui.


Et je suis revenu à la maison. Fleurette m'annonça que l'hôpital me convoquait pour dans quelques jours.  - Ça été bien au camp?   Je lui répondis qu'elle devrait faire du ski-doo.






À suivre









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