Voici le deuxième d'une série de quatre (4) textes en hommage à mon grand-père Bergeron.
Eudore
et
Coburn Gore
Deuxième partie
Je conserve précieusement un autre souvenir de mon grand-père Eudore. Intime celui-là. Avant de l'aborder, quelques mots.
Je ne sais plus trop qui a dit: une seule fois dans la vie, nous nous approchons du paradis à moins que ce ne soit lui qui s'approche de nous. Ça m'amène à vous glisser quelques mots de celui d'Eudore: Coburn Gore.
À ma souvenance, le grand-père aurait été contacté par un important propriétaire d'une scierie de La Patrie, petit village situé tout près de Lac Mégantic: Wilfrid Grégoire qui possédait un immense domaine de l'autre côté des lignes américaines (dans le Maine) que l'on franchissait à Woburn.
En 1959, ayant visité l'endroit, il en tomba follement amoureux. Il venait d'y trouver son paradis. Selon quelles modalités et en raison de quels arrangements, je ne sais trop, mais le voici propriétaire de camps en bois rond construits autour du lac Arnold: celui que l'on appelait ''le camp de pépère''et ceux de Lucienne, Philippe, Roger et un autre surnommé ''l'hôtel''. Un urgent besoin d'argent liquide de la part de monsieur Grégoire facilita la transaction.
Cousine Danielle me rappelle que les Rangers américians furent appelés à plusieurs reprises afin de rappeler à des Américains protestant vigoureusement contre une interdiction qui les empêchait de pêcher ou chasser sur un territoire dont la propriété était celle de... Canadiens-français, de ne plus y jeter leurs lignes à l'eau. Cela n'a pas semblé impressionner les Bergeron qui ne se privèrent pas d'aller à la pêche sur le lac Arnold ou encore sur le petit lac artificiel de l'autre côté de la route nationale.
L'endroit répondait au nom de Arnold Pond Fish and Game Club. Sans doute géré par une quelconque structure, l'essentiel demeurant que voilà un merveilleux endroit pour la chasse et surtout la pêche. Il existe une tradition de pêcheurs chez les Bergeron que plusieurs de mes cousins et cousines sauraient documenter mieux que moi.
Eudore n'était pas un adepte de ce sport comme le furent Philippe, René, Roger, Paulo par exemple. Malgré leur immense talent, je ne crois qu'ils ont réussi à capturer le fameux ''Oscar'', poisson mythique dont on a tellement entendu parlé. Ce qu'Eudore y trouva fut plutôt le calme, la paix de l'esprit, le repos. Dans une oasis de silence qui convenait parfaitement bien à son caractère et son tempérament.
Il s'y rendait régulièrement. Une deuxième vie s'ouvrait devant lui. Je ne crois pas me tromper en disant qu'il y vécut heureux la plus grande partie de ses dernières années. Grand-maman Rose-Anna y allait mais ne vibrait pas au même diapason. Elle accompagnait son mari. Lui récitait le chapelet tous les soirs. Lucienne, qui n'est peut-être pas entrée dans son propre chalet plus de deux fois, était de la partie.
Dénombrer ceux et celles qui ont profité de cet endroit enchanteur relève de l'impossible. On y passait les uns à la suite des autres. Pour de courts séjours ou des périodes estivales, ces instants demeurent inoubliables.
Quelle ne fut pas la merveilleuse idée de tante Lucienne d'y inviter, un certain été dont j'oublie le quantième, tous les cousins et cousines, petits-fils et petites-filles d'Eudore! Mémorable. J'invite ceux et celles qui conservent de cette amicale des réminiscences toujours fraîches à l'esprit, de nous les partager.
Eudore, je le revois encore se berçant sur la petite galerie,
l'hiver, son ski-doo Bombardier qu'il affectionnait particulièrement.
Il n'était pas exigeant. Se lever très tôt le matin, chercher une occasion d'aller en ville (Woburn) faire les courses chez Périnet si je ne me trompe pas, s'amuser avec les douaniers incapables de dire deux mots en français. Pour sa part, Eudore ne comprenait que le devenu célèbre: ''What's your name?''
Il aimait faire le tour de quelques vieilles connaissances toujours actives sur leur ferme, leur achetant des produits tout en placotant du ''bon vieux temps''.
Personne ne l'aura vu malheureux, inquiet, irritable lorsqu'il siégeait à Coburn Gore. Philippe et Bérengère venaient régulièrement lui faire rapport des progrès de la compagnie. Eudore écoutait mais ça ne faisait déjà plus partie de ses préoccupations. Il avait laissé l'entreprise entre bonnes mains.
Cette autre anecdote de cousine Danielle: '' Je me souviens encore de son numéro de téléphone à Coburn Gore: 3- 2 sonner 2 coups. L’opératrice nous renseignait avant même qu’on demande de faire l’appel, nous disant, ''il n’est pas là''.
Nous les Turcotte,famille assez bigarrée s'il en est une, fûmes habitués au fait que les parents ne possédaient pas de voiture. Heureuse chance pour les autres automobilistes car les talents de Gérard comme chauffeur ne furent pas très reluisants! Ceux de Fleurette, ma mère, non plus. Valait mieux nous en remettre au taxi ou aux transports en commun.
Nous nous rendions à Coburn Gore avec l'aide d'un généreux conducteur. Le paternel Gérard fut une personne pour qui cesser de bouger relevait de l'impossible. Continuellement, il devait être en contact avec les journaux, les nouvelles de dernière heure, un téléphone à portée de main. Le camp, sans que ce ne lui soit une corvée, ne fut jamais une priorité pour lui. Nous y allions donc plus souvent qu'autrement sans sa présence. Pour Fleurette, tout à fait le contraire.
Jacques et moi furent ceux de la famille qui en bénéficièrent le plus. Moi, j'aimais bien y être lorsque cousine Marie-Anne y séjournait, souvent tout l'été. J'ai toujours voué pour la cousine-germaine de ma grand-mère une immense affection. Montréalaise, elle tranchait beaucoup sur les gens de son âge, autant par ses idées que ses agissements. Elle fumait encore à quelques jours de sa mort. Tous les soirs avant de se coucher, elle déliait des graines de lin dans de l'eau bouillante. Les oncles s'en moquaient bien: ''la graine de lin, la graine de l'autre.''
Jacques, en raison de sa quasi filiation avec Philippe, Bérengère, les grands-parents Bergeron et Lucienne, s'y est rendu régulièrement. Ce qu'il fit tout au long de sa vie. Tous les étés, il appelait Philippe ou Bérengère afin de trouver avec eux un espace libre pour y passer quelques jours.
Personnellement, je ne peux oublier que c'est à Coburn Gore, en 1978, dans le chalet de Philippe, que Catherine, ma fille aînée, y fit ses premiers pas. Jacques et Sylvie nous accompagnaient.
C'était un lieu commun parmi nous (frère et soeurs Turcotte) de dire que le premier père de Jacques, c'était Philippe, sa première mère Lucienne. Il en fut ainsi toute sa vie. Je me permets un petit aparté. Lors du décès de Philippe, Jacques peinait déjà avec sa voix sans savoir qu'un mal pire encore sourdait en lui. Il lui aura fallu l'aide de Sylvie, son épouse, pour lire le texte qu'il avait écrit en mémoire de Philippe.
Il ne fallut pas beaucoup de temps pour que Coburn Gore devienne le lieu de chute des familles Bergeron et des autres. Nous savions qu'Eudore y était. Quatre saisons durant. Qui souhaitait le rencontrer n'avait qu'à traverser les lignes...
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