mardi 18 avril 2006

Le cent dix-septième saut de crapaud

Il est dans nos bonnes habitudes, suite à une histoire racontée par le crapaud, bien des fois inspirée par le grand-père, de nous offrir quelques poèmes en lien avec celle-ci. En voici donc trois qui tenteront de rejoindre celle de Joseph Lacasse.

Le premier de Hugues de Saint-Maardt vicomte de Blosseville, sans titre, fut écrit autour des années 1470.


C’est grand peine que de vivre,
Et si ne veut-on mourir.

Qui n’est de tous maux délivre,
C’est grand peine que de vivre.

Raison à la Mort nous livre,
Rien ne nous peut secourir :
C’est grand peine que de vivre,
Et si ne veut-on mourir.

*

J’en ai le deuil, et vous la joie,
J’en ai la guerre, et vous la paix,
J’en cours, et vous allez en paix,
J’en ai courroux qui vous resjoie.
Vous en riez, et j’en larmoie,
Vous en parlez, et je m’en tais;
J’en ai le deuil, et vous la joie,
J’en ai la guerre, et vous la paix.

Vous vous baignez, et je me noie,
Vous vous faites, je me défais,
Vous me blâmez, dont ne puis mais,
Vous ne voulez que j’y pourvoie;
J’en ai le deuil, et vous la joie,
J’en ai la guerre, et vous la paix,
J’en cours, et vous allez en paix,
J’en ai courroux, qui vous resjoie.



Celui-ci, de Jean de la Ceppède (1548-1623) est également sans titre.


Que peut une galère ayant perdu la rame,
Le poisson hors de l’eau, la terre sans humeur,
Un roi sans son conseil, un peuple sans seigneur,
La salamandre froide ayant perdu la flamme?

Que pourra faire un corps destitué de l’âme,
Et le faon orphelin par le coup d’un chasseur?
Beaucoup moins peut encor le triste serviteur
Égaré de son cœur, et des yeux de sa dame.

Hélas! que puis-je donc? je ne puis que souffrir
Et la force me nuit m’empêchant de mourir.
Je n’imagine rien qu’un désespoir d’absence.

Je puis chercher le fond de ma fière douleur,
L’essence de tout mal, je puis tout pour malheur
Mais c’est à me guérir qu’on voit mon impuissance.


Et ce dernier, de Oscar Venceslas de Lubiez-Milosz (1877-1939) :



TOUS LES MORTS SONT IVRES…


Tous les morts sont ivres de pluie vieille et sale
Au cimetière étrange de Lofoten.
L’horloge du dégel tictaque lointaine
Au cœur des cercueils pauvres de Lofoten.

Et grâce aux trous creusés par le noir printemps
Les corbeaux sont gras de froide chair humaine;
Et grâce au maigre vent à la voix d’enfant
Le sommeil est doux aux morts de Lofoten.

Je ne verrai très probablement jamais
Ni la mer ni les tombes de Lofoten
Et pourtant c’est en moi comme si j’aimais
Ce lointain coin de terre et toute sa peine.

Vous disparus, vous suicidés, vous lointaines
Au cimetière étranger de Lofoten
- Le nom sonne à mon oreille étrange et doux,
Vraiment, dites-moi, dormez-vous, dormez-vous?

- Tu pourrais me conter des choses plus drôles
Beau claret dont ma coupe d’argent est pleine,
Des histoires plus charmantes ou moins folles;
Laisse-moi tranquille avec ton Lofoten.

Il fait bon. Dans le foyer doucement traîne
La voix du plus mélancolique des mois.
- Ah! les morts, y compris ceux de Lofoten –
Les morts, les morts sont au fond moins morts que moi…

(Si j’ai bonne souvenance, Juliette a mis ce poème en musique.)


La mort, particulièrement celle de Joseph Lacasse, dans des circonstances tragiques, ne peut que nous interpeler, nous amener à une profonde réflexion sur la vie. Sans cela elle n’aurait pas de sens, serait absurde. Il y a dans ce moment entre chaud et froid où l’on se revêt de frissons, cette dernière hésitation du pas vers ailleurs, là où encore on ne sait trop comment c’est, toute la question du pardon. À soi et à l’autre. Y parvient-on lors de cette infinitésimale dernière seconde de lucidité ? Ou n’y parvenons-nous jamais?

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