mercredi 19 avril 2006

Le cent dix-huitième saut de crapaud

Dans le même veine… voici des poèmes qui, il me semble, sauront faire tourner la page sur ce Joseph Lacasse. Nous entreprendrons bientôt l’histoire d’Élisabeth Gendron, l’épouse de ce dernier. Elle permettra de mieux cerner une certaine époque où les femmes devaient être ce que l’on attendait d’elles et non pas ce qu’elles étaient vraiment. Longtemps, elles furent les filles de… les femmes de… les grands-mères de… Elles étaient des « appartenances » jusqu’au temps où, se levant, une après l’autre, les femmes devinrent qui elles sont maintenant. On a longtemps dit qu’au Québec nous vivions entre matriarcat et patriarcat, qu’il fallait absolument se situer sous une ou l’autre de ces bannières. C’est poser la situation comme un choix ou, pire encore, comme une prise de position face au pouvoir. Ne serait-il pas possible, plutôt, de regarder des vies de femmes et des vies d’hommes pour ce qu’elles sont véritablement, c’est-à-dire une occasion donnée à chacun et à chacune d’investir le temps et l’espace ?


Le premier poème est de Pierre Reverdy (1889-1960) chez qui nous avons déjà puisé le magnifique CHEMIN TOURNANT. Celui-ci s’intitule :

UN HOMME FINI

Le soir, il promène, à travers la pluie et le danger nocturne, son ombre informe et tout ce qui l’a fait amer.
À la première rencontre, il tremble – où se réfugier contre le désespoir?
Une foule rôde dans le vent qui torture les branches, et le Maître du ciel le suit d’un œil terrible.
Une enseigne grince – la peur. Une porte bouge et le volet d’en haut claque contre le mur; il court et les ailes qui emportaient l’ange noir l’abandonnent.
Et puis, dans les couloirs sans fin, dans les champs désolés de la nuit, dans les limites sombres où se heurte l’esprit, les voix imprévues traversent les cloisons, les idées mal bâties chancellent, les cloches de la mort équivoque résonnent.


Nous nous retournons maintenant vers Paul Éluard.

Au terme d’un long voyage, peut-être n’irai-je plus vers cette porte que nous connaissons tous deux si bien, je n’entrerai plus dans cette chambre où le désespoir et le désir d’en finir avec le désespoir m’ont tant de fois attiré. À force d’être un homme incapable de surmonter son ignorance de lui-même et du destin, je prendrai peut-être parti pour des êtres différents de celui que j’avais inventé. À quoi leur servirai-je?


Le poème FACTION de Hector Saint-Denys Garneau (1912-1943) est parmi les plus beaux de la poésie québécoise. Je vous l’offre.

On a décidé de faire la nuit
Pour une petite étoile problématique
A-t-on le droit de faire la nuit
Nuit sur le monde et sur notre cœur
Pour une étincelle
Luira-t-elle
Dans le ciel immense désert

On a décidé de faire la nuit
pour sa part
De lâcher la nuit sur la terre
Quand on sait ce que c’est
Quelle bête c’est
Quand on a connu quel désert
Elle fait à nos yeux sur son passage

On a décidé de lâcher la nuit sur la terre
Quand on sait ce que c’est
Et de prendre sa faction solitaire
Pour une étoile
encore qui n’est pas sûre
Qui sera peut-être une étoile filante
Ou bien le faux éclair d’une illusion
Dans la caverne que creusent en nous
Nos avides prunelles.


Je vous invite à écouter le merveilleux disque du groupe Villeray, consacré aux poèmes de Saint-Denys Garneau. À ne pas passer à côté. Cet ensemble musical a su découvrir chez ce grand poète une musicalité tout à fait particulière.

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