...la suite...
Constant John, désormais, forgeait des histoires. Ayant abandonné son atelier, il dilapidait l’héritage reçu d’une famille dont il serait le dernier : l’ultime John sur la côte gaspésienne. C’est au bar LA CHALOUPE qu’il passait ses journées, étant devenu personne non grata au magasin général. Ses ultimes présences lui permirent de voir qu’on le fuyait comme la peste, qu’on évitait de lui adresser la parole et surtout, on ne l’écoutait plus. À la fin, ses propos risquant de lui attirer plus d’ennuis, Émile, le marchand général, l’avait avisé que pour ses besoins d’épicerie il devrait maintenant lui téléphoner qu’on les lui livrerait directement chez lui.
De mémoire d’homme, jamais on avait connu une telle situation. Signifier l’exil à un des leurs, et surtout par l’entremise d’Émile, si doux mais par qui les problèmes trouvaient rapidement des solutions, cela ne s’était jamais vu.
Constant se retrouvait donc au petit bar dès l’ouverture et y passait toutes ses journées à boire, et boire encore. La serveuse connaissait ses habitudes et savait, lorsque celui-ci tombait dans des états d’ébriété avancée, lui couper sa boisson par une liqueur dont la couleur ressemblait à celle de la bière. Cela le ramenait doucement dans un état plus acceptable et, pour quelques heures du moins, calmait un foie en route directe vers la cirrhose. Mécaniquement installé au bout du comptoir, continuellement accroché au verre qu’il tenait compulsivement tout en le faisant pivoter sur lui-même, notre buveur invétéré parlait au miroir derrière le comptoir lorsque plus personne ne s’intéressait à lui.
- Tu bois trop, John, lui répétait sans cesse Marie-Ange.
- À peine, répondait-il.
Marie-Ange, celle qui adorait se faire appeler waitress, pour éviter qu’il ne s’enlise davantage dans son verre, prenait le temps de s’accouder devant lui et l’écoutait. Un instant. Ainsi, le rythme de sa consommation diminuait et elle pouvait garder un œil sur cet homme dont elle craignait qu’un jour il puisse faire des bêtises. Et ces bêtises, elle ne les souhaitait pas dans son établissement.
On se disait, dans le village, que Constant allait bien devoir arrêter de boire son héritage, le jour où il n’aurait plus rien. C’était ne pas connaître l’étendue de la fortune que les John avaient laissée. Et, semble-t-il, elle frisait plusieurs chiffres.
Il faut être bien malheureux pour arroser d’alcool ses racines intérieures.
Un jour, grand-père situera l’événement en plein cœur d’un automne où les feuilles mortes se piétinaient entre elles tellement le vent les avait arrachées des arbres avec rapidité et une force inhabituelle, Constant John ne se présenta pas au bar. Marie-Ange s’inquiéta et se dit que le temps venait de faire son œuvre, qu’on allait assurément le retrouver, dans sa maison, ivre mort ou tout simplement mort.
Elle crut de son devoir d’avertir quelqu’un. Immédiatement elle songea à Émile. L’appela. Lui signala l’absence de son client dont la ponctualité était exemplaire. Retourna à son comptoir.
Le marchand général fit envoyer son livreur qui frappa à la porte de l’alcoolique sans obtenir de réponse. Il entra. Personne. La malpropreté des lieux lui glaça le sang et, aussitôt, déguerpit faire rapport à son patron. La nouvelle, aussi vite qu’une gorgée de bière avalée par Constant, courut dans la paroisse. Personne ne l’avait vu. En fait, personne ne le voyait plus depuis son expulsion du magasin général et cherchait encore moins à savoir ce qui pouvait bien survenir à celui dont chacun et chacune avaient, à un moment ou à un autre, essuyé les diffamations.
On tenta de reconstituer les derniers moments connus du maréchal-ferrant, pour s’apercevoir qu’ils correspondaient exactement à ses habitudes quotidiennes : entrée et sortie du bar. De cette soirée-là, Marie-Ange ne put dire si un événement spécial se soit déroulé. Il était là, à sa place, tentant de parler à un client puis un autre qui rapidement l’avait chassé de son rayon d’écoute, fixant par la suite son image dans le miroir, buvant encore et avait finalement quitté la place sans avoir négligé le last call. Une fois sorti, Constant entrait dans le mystère.
Sur la route le menant vers chez lui, il n’aurait croisé personne. Selon les dires, les chiens n’ont pas jappé cette nuit-là, signal du passage de l’ivrogne. La nuit était froide, c’est vrai, mais claire avec une lune d’automne dont la rondeur permettait assez de lueur pour que d’instinct, l’homme retrouva son chemin. Rien d’anormal à première vue pouvant expliquer la disparition de celui qui, déjà, s'était évaporé de la vie sociale du village. Il était ce fantôme domestique qu’avec le temps on avait appris à ne plus craindre.
Devait-on aviser les officiers de la sûreté provinciale de cette fugue? C’est ainsi que l’on qualifia, au début, la disparition de Constant. Pourquoi fuir? Avait-il, un court instant, retrouvé ses sens et réalisé la tristesse de sa situation? Serait-il devenu, tout à coup, conscient des torts qu’il avait infligés à trop de gens, et, ne pouvant supporter cette réalité, aurait choisi de quitter l’Anse? La fortune engloutie au fond des bouteilles qu’avidement il asséchait, l’obligeait-il à partir pour tenter de refaire, ailleurs, sa vie? Victime d’une quelconque agression?
Autant d’interrogations suspendues aux lèvres de tous, sans réponses, jusqu’au jour où…
De mémoire d’homme, jamais on avait connu une telle situation. Signifier l’exil à un des leurs, et surtout par l’entremise d’Émile, si doux mais par qui les problèmes trouvaient rapidement des solutions, cela ne s’était jamais vu.
Constant se retrouvait donc au petit bar dès l’ouverture et y passait toutes ses journées à boire, et boire encore. La serveuse connaissait ses habitudes et savait, lorsque celui-ci tombait dans des états d’ébriété avancée, lui couper sa boisson par une liqueur dont la couleur ressemblait à celle de la bière. Cela le ramenait doucement dans un état plus acceptable et, pour quelques heures du moins, calmait un foie en route directe vers la cirrhose. Mécaniquement installé au bout du comptoir, continuellement accroché au verre qu’il tenait compulsivement tout en le faisant pivoter sur lui-même, notre buveur invétéré parlait au miroir derrière le comptoir lorsque plus personne ne s’intéressait à lui.
- Tu bois trop, John, lui répétait sans cesse Marie-Ange.
- À peine, répondait-il.
Marie-Ange, celle qui adorait se faire appeler waitress, pour éviter qu’il ne s’enlise davantage dans son verre, prenait le temps de s’accouder devant lui et l’écoutait. Un instant. Ainsi, le rythme de sa consommation diminuait et elle pouvait garder un œil sur cet homme dont elle craignait qu’un jour il puisse faire des bêtises. Et ces bêtises, elle ne les souhaitait pas dans son établissement.
On se disait, dans le village, que Constant allait bien devoir arrêter de boire son héritage, le jour où il n’aurait plus rien. C’était ne pas connaître l’étendue de la fortune que les John avaient laissée. Et, semble-t-il, elle frisait plusieurs chiffres.
Il faut être bien malheureux pour arroser d’alcool ses racines intérieures.
Un jour, grand-père situera l’événement en plein cœur d’un automne où les feuilles mortes se piétinaient entre elles tellement le vent les avait arrachées des arbres avec rapidité et une force inhabituelle, Constant John ne se présenta pas au bar. Marie-Ange s’inquiéta et se dit que le temps venait de faire son œuvre, qu’on allait assurément le retrouver, dans sa maison, ivre mort ou tout simplement mort.
Elle crut de son devoir d’avertir quelqu’un. Immédiatement elle songea à Émile. L’appela. Lui signala l’absence de son client dont la ponctualité était exemplaire. Retourna à son comptoir.
Le marchand général fit envoyer son livreur qui frappa à la porte de l’alcoolique sans obtenir de réponse. Il entra. Personne. La malpropreté des lieux lui glaça le sang et, aussitôt, déguerpit faire rapport à son patron. La nouvelle, aussi vite qu’une gorgée de bière avalée par Constant, courut dans la paroisse. Personne ne l’avait vu. En fait, personne ne le voyait plus depuis son expulsion du magasin général et cherchait encore moins à savoir ce qui pouvait bien survenir à celui dont chacun et chacune avaient, à un moment ou à un autre, essuyé les diffamations.
On tenta de reconstituer les derniers moments connus du maréchal-ferrant, pour s’apercevoir qu’ils correspondaient exactement à ses habitudes quotidiennes : entrée et sortie du bar. De cette soirée-là, Marie-Ange ne put dire si un événement spécial se soit déroulé. Il était là, à sa place, tentant de parler à un client puis un autre qui rapidement l’avait chassé de son rayon d’écoute, fixant par la suite son image dans le miroir, buvant encore et avait finalement quitté la place sans avoir négligé le last call. Une fois sorti, Constant entrait dans le mystère.
Sur la route le menant vers chez lui, il n’aurait croisé personne. Selon les dires, les chiens n’ont pas jappé cette nuit-là, signal du passage de l’ivrogne. La nuit était froide, c’est vrai, mais claire avec une lune d’automne dont la rondeur permettait assez de lueur pour que d’instinct, l’homme retrouva son chemin. Rien d’anormal à première vue pouvant expliquer la disparition de celui qui, déjà, s'était évaporé de la vie sociale du village. Il était ce fantôme domestique qu’avec le temps on avait appris à ne plus craindre.
Devait-on aviser les officiers de la sûreté provinciale de cette fugue? C’est ainsi que l’on qualifia, au début, la disparition de Constant. Pourquoi fuir? Avait-il, un court instant, retrouvé ses sens et réalisé la tristesse de sa situation? Serait-il devenu, tout à coup, conscient des torts qu’il avait infligés à trop de gens, et, ne pouvant supporter cette réalité, aurait choisi de quitter l’Anse? La fortune engloutie au fond des bouteilles qu’avidement il asséchait, l’obligeait-il à partir pour tenter de refaire, ailleurs, sa vie? Victime d’une quelconque agression?
Autant d’interrogations suspendues aux lèvres de tous, sans réponses, jusqu’au jour où…
…à suivre…
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