dimanche 2 mars 2025

LES MÉMOIRES DE MAYRON SCHWARTZ

                                                       


Mémoires de Mayron Schwartz

Jean-François BEAUCHEMIN
Québec-Amérique, 2024
 
     Je dépose le bouquin tout à côté de ma tasse à café au fond de laquelle une tisane (valériane et réglisse) a refroidi. À bientôt 78 ans, la valériane est une compagne idéale pour calmer les nuits. Je demeure dans un état que je qualifierais de contemplatif alors que pour l’auteur de ce magnifique livre y collerait plutôt l’étiquette de « spirituel ». 

     Comme je ne peux bénéficier de la présence du Père Labranche, c’est sur You Tube qu’il m’est permis d’écouter les sonates pour clarinette de Brahms. Je regrette un peu le fait que les enregistrements soient pour clarinette et piano, mais dans les champs de l’amoureux des abeilles, des moutons et des bovins, on ne pourrait certainement pas y installer un piano. Moment contemplatif, celui-ci d’une intensité différente puisque la musique l’enveloppait. 

     Faut évoquer, et c’est important, quelques pages auparavant, lors des funérailles de … - j’oublie lesquelles, celles de Hannah à qui Mayron apprend la lecture à partir du Calepin d’un flâneur de Félix Leclerc… celles de la grande dépressive Shamira qu’on ne peut qu’aimer de toutes nos fibres… celles peut-être du magnifique Solomon, le grand-père dyslexique nous offrant des tournures de phrases d’une si grande profondeur… ou les funérailles du végétarien Aaron qui sans doute tente encore de concilier deux religions là où il est… - donc, lors d’une de ces funérailles on a chanté La Chanson de Tessa qu’immédiatement je suis allé réécouter à partir de la version de Mouloudji. Ça va directement au cœur, sans aucun doute l’organe pour qui Mayron a le plus de considération.
 
     J’aurai bientôt 78 ans, l’âge de ses grands-parents  - nous sommes bien ancrés dans deux familles juives ayant survécu physiquement au camp d’Auschwitz - toutefois, marqués dans leur âme par ces horreurs dont le narrateur nous épargne le récit détaillé, mais présente tout du long des mémoires de Mayron. 78 ans bientôt, je suis de l’âge de ces quatre personnes qui cultivèrent durant toute leur vie une solide culture familiale que lui et sa soeur Rivka, tout en mesurant ses fondements, peuvent ensemble - car ils sont souvent ensemble - non pas objectiver, je dirais davantage les relativiser.
 
     Tout ce récit est d’une pureté esthétique digne de l’immense talent de Jean-François Beauchemin, de sa profonde humilité devant les continuelles et pertinentes interrogations que la vie lui pose, la vie qui nous mène à la mort, Inévitablement, mais aussi et je dirais surtout par ce choix qu’il fait de quotidiennement solidifier les multiples jets du bonheur, les finasseries de la joie, que ce soit à voir et s’émerveiller des prodiges de la nature qu’il décrit de manière si délicate, sources inaltérables de recommencements, comme le dirait si bien Hélène Dorion qui rend visite à Mayron, elle qui n'est pas la seule à venir, Yves Beauchemin se présentera tout comme Dany Laferrière ainsi que le contremaître d’une bonne partie de notre architecture culturelle québécoise, Gilles Vigneault. Ces rencontres sont toujours, mais toujours remplies de spontanéité et d’amour qui ramènent l’auteur à ces mémoires d'entre deux âges, celui de l’enfance et celui du jeune homme de dix-sept ans qu’il croise à l’occasion de ses nombreuses promenades qui un tantinet soit peu ressemblent aux couleurs solitaires de Jean-Jacques Rousseau.
 
     Parmi ces personnages se dresse Léa, l’épouse de Mayron dont j’aimerais qu’elle m’invite à sa table comme elle le fit pour un de ses jeunes élèves un peu à la dérive, pour la regarder, lui dire tout simplement, «j’ai aussi une Léa dans ma vie de grand-père qui aura bientôt 78 ans, ma petite-fille que j’aime à la manière dont toute votre famille s’aime» et peut-être que nous irions dans le jardin, une nappe étendue au sol, un Ricard à la main, nous taisant parfois pour regarder le pensif Malraux renifler quelques fleurs sauvages. Il serait trop tard pour saluer son ami Gabriel, mais sans aucun doute nous en aurions abondamment jasé. 
 
     Tous les personnages chez Jean-François Beauchemin, ici tout comme dans les autres livres, sont des êtres… du quotidien, mais nous poussant chacun à sa façon à aller plus loin pour en revenir mieux charpenté comme être humain et principalement, plus heureux. Il ne faut pas oublier parmi les personnages de cet auteur unique, les animaux. Il manifeste pour eux, domestiques ou sauvages, une forme de respect qui loge tout à côté de la vénération. Voir Mayron partir vers la ferme du vieux Labranche, que ce soit de jour ou en pleine nuit, afin de tenir compagnie à la vache Antoinette, son amie Solange, si je ne fais pas erreur, au boeuf Rosaire qui adore qu’on lui lise des poèmes de Gaston Miron ; revenir pour croiser le renard Eugène dont la photo magnifique orne la couverture du livre : mêmes teintes confondues, de cette couleur végétale s’imbriquant dans celle de l’animal au regard presque humain et qui doucement se laisse apprivoiser - nous pensons au Petit Prince - mais de loin, encore.
 
Je l’ai dit, je suis un vieil homme qui aura 78 ans bientôt, alors beaucoup plus en marche vers la mort que ce génial Jean-François Beauchemin et peut-être moins préoccupé que lui par cette inévitable évidence. J’avance une quasi certitude… ce livre m’aura permis de revenir sur de nombreux événements, à la rencontre de plusieurs auteurs qui ont parsemé mon parcours… ce livre est devenu pour moi un coup de vent très léger dans ma mémoire et comme le répète si bien ma belle-soeur Claire, «un livre qui fait du bien à l’âme et qu’il faut absolument relire».
 
Merci Jean-François Beauchemin

Jean TURCOTTE
Un vieux de bientôt 78 ans,
2 mars 2025

Jean-François BEAUCHEMIN


1 commentaire:

Jean Turcotte a dit...

Voici le message reçu de Jean-François Beauchemin :

Bonjour Jean,

Merci pour ce formidable message, et pour le commentaire critique qui l'accompagne. Je conserverai le tout et relirai vos mots à l'occasion, dans ces moments (fréquents) où je ne suis plus si sûr de mes aptitudes d'écrivain.

Vous l'aurez compris : "Mémoires de Mayron Schwartz" est moins un roman à proprement parler qu'une illustration, le portrait d'ensemble d'une certaine façon d'être au monde (dans l'amour, la fraternité, la compassion, la poésie, la confiance, l'émerveillement, l'espérance).

Sur ces mots je vous salue, je vous remercie d'avoir pris le temps de m'écrire, et vous souhaite longue vie, bien au-delà de vos 78 ans actuels.

Amicalement,
Jean-François Beauchemin

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