samedi 18 mars 2023

MARCHER À L'OMBRE DES FANTÔMES - 15 -

 







MARCHER

À L’OMBRE

DES FANTÔMES

 

cinquième marche

 

N  A  R  R  A  T  E  U  R

 

    Devant la complexité qu’embrasse maintenant cette histoire, avec la venue de deux nouveaux personnages - je parle de Bao et Daniel Bloch - j’ai toute de suite été porté à chercher dans les dossiers, les courriels de Fanny ainsi que le diary de Phước quelques pistes afin de mieux les situer ; n’y ai rien trouvé de particulier, rien du moins qui puisse aller dans le sens d’éclairer un Narrateur de plus en plus perplexe.

Toutefois, de ma dernière rencontre avec le photographe-philosophe, l’idée de “ marcher à l’ombre des fantômes “ ne cesse de me coller à l’esprit. Je me doute pertinemment que ceux de mes personnages se dévoileront au fur et à mesure de leur marche sur les routes vietnamiennes, mais qu’en est-il des miens ?

Avant d’entreprendre l’histoire de Fanny je planchais sur ce qui pourrait vraisemblablement devenir un roman. Sans expérience dans l’écriture au long cours, puisque les billets qui alimentent mon blogue dépassent rarement trois ou quatre pages et circonscrivent des sujets moins vastes, je réalise combien difficile représente ce projet. Les poèmes, si je les cite en exemple, leur topo n’a pas l’envergure de ces linéamants qui hantent de plus en plus mes nuits. Serait-ce là mon premier fantôme ? Celui de ne pas répondre adéquatement aux attentes de ma demanderesse. Je ne m’y suis jamais suffisamment attardé.

Écrire, pour certains, relève de la thérapie, personnellement c’est davantage de l’ordre de la création, imaginer des situations qui n’ont souvent aucun rapport avec ce que je vis ou ce que j’ai vécu.

Lorsque j’ai entrepris mon blogue - cela remonte à près de dix ans déjà - j’ai imaginé un vieillard, un grand-père pour être plus précis, vivant sur la côte gaspésienne, dans ce que j’appelle maintenant mon ancien pays. Je lui en ai fait voir de toutes les couleurs l’obligeant à regarder sa vie à travers certains événements plus ou moins récents. Ceci pose la question suivante : comment construire un personnage imaginaire, mais porteur d’expériences auxquelles j’aurais plus ou moins participé ?

Ce grand-père qui voit dérouler devant lui les souvenirs de son passé, conscient qu’ils l’ont marqué de manière indélébile, que peut-il en faire maintenant ? Contiennent-ils, eux aussi, leurs fantômes ?

J’aime bien définir les termes avant de les faire miens, alors... qu’est-ce qu’un fantôme ? Son nid loge-t-il inévitablement dans les cauchemars ? Ont-ils un tant soit peu de liens avec le réel tangible ? Quels buts poursuivent-ils ? Permettent-ils d’activer ou désactiver certaines culpabilités, mesurer les effets de certains faux pas ou encore nous amènent-ils à déceler quelques signes d’épisodes en suspend, en devenir?

Au premier abord, lorsqu’on songe aux fantômes, on s’accroche à l’image d’êtres surnaturels, irréels ; à l’idée de fausseté, d’illusion fixée dans sa définition. Pour mieux dépatouiller cela, j’ajouterai celle de l’apparence afin de mieux cerner la question.

Toute ma vie, il m’a été difficile de retenir le contenu de mes rêves. Pourquoi ? Aucune idée. De sorte qu’associer rêve et fantôme n’est pas possible. J’irai plutôt vers une autre avenue : un fantôme serait le contenant dans lequel grouille un maximum de désordres dans un minimum d’ordre.

On nous apprend très jeune que tout dans la vie suit une ligne continue, que s’en écarter mène à d’incalculables problèmes. Il est tellement plus simple de vivre vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours par semaine et toute sa vie dans cette même direction ; s’en éloigner n’amènerait qu’à croiser des chimères. À regarder, pour chacun d’entre nous, les routes parcourues, nous risquons de constater que s’éloigner des us et coutumes qui régissent notre existence collective, quelque soit la culture - ou la société - dans laquelle involontairement nous avons échoué, tous sont tracés depuis des lustres et qu’en modifier le rythme - ou la direction - n’apporte que des interrogations... sans réponses.

Tout jeune déjà, j’ai appris que j’allais forcément grandir, que je fréquenterais des écoles avant que de me retrouver sur le marché du travail, invité à fonder une famille et répéter, à mon tour, aux enfants que j’aurai, la même façon d’être et de s’en tenir presque les yeux fermés.

C’est peut-être de cette manière qu’on éloigne les fantômes. Mais ils sont opiniâtres...

 

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    Si les fantômes relèvent de l’apparence, que se cache-t-il derrière ce mot, quelque chose comme son aspect sensible, en ce qu’il s’oppose à son essence ou à sa substance. Je crois que Phước apprécierait cette définition à connotation philosophique. Personnellement, j’accroche surtout sur le mot “ opposition “. Un fantôme pourrait alors être comme l’actualisation d’une réalité qui peine à s’intégrer en soi tout en ayant la vie tenace.

Si je reviens un court instant sur le grand-père de mon blogue, je ne me trompe pas en avançant l’idée que les fantômes qu’il n’a pas réussi à chasser relèvent pour la plupart de la prégnance religieuse. Dans son petit village de Gaspésie, le curé possédait plus de pouvoir sur les gens que celui du maire et des conseillers municipaux qui voyaient à rendre la vie des gens meilleure et plus confortable malgré le fait qu’il soit situé à des centaines de kilomètres des grandes villes. Il n’était pas rare qu’un sermon dominical aille tout à fait à l’encontre des décisions des édiles dont les fonctions essentielles gravitent autour de l’entretien des bâtiments municipaux, la voirie, la police, l’approvisionnement du village, l’organisation des jeux pour les familles et de certaines fêtes. Le curé, lui, s’adressait directement aux âmes et ne se gênait aucunement pour mettre en place une morale particulièrement rigoureuse. Il ne se souciait pas de s’interroger si les résultats pouvaient, comme c’était le cas pour notre grand-père et sa famille nombreuse, détruire des rêves ou des ambitions tout autre que le salut de leur âme.

Oui, ce grand-père vivait avec des fantômes et n’a jamais réussi à leur trouver une autre explication que celle de la peur. Il a vécu une trop longue partie de sa vie avec la crainte d’une prochaine risquant de se retrouver en enfer. Pour contrer cela, il mentait. Se mentait.

Lorsque Narrateur revient à ces écrits - ceux du blogue -, les place dans une perspective personnelle, je ne peux qu’admettre que le pire fantôme est souvent celui que les autres incrustent en vous et leur invisible apparence vous engage tout de même à un combat quotidien.

Je ne peux pas en arriver à me soustraire de cette idée souvent envahissante : l’éloignement - comme celui que je vis au Vietnam après avoir quitté mon pays natal - n’est-il qu’une apparence, qu’il est toujours possible, bien que difficile, de combattre par différents moyens techniques comme le téléphone ou le courriel ?

L’adage “ loin des yeux, loin du coeur “ opère-t-il ? Pour répondre à cette interrogation, je retourne à mon plus jeune âge dans un premier temps, à mon adolescence pour le second. L’apparence d’un état antérieur éclaboussant l’ici et maintenant.

Lorsque je quittais la maison familial pour me rendre à cette maternelle dont j’ai déjà parlé, je ressentais au plus profond de moi un très fort sentiment d’abandon. Toutes mes journées se remplissaient de la vague impression qu’au retour, ma famille aurait disparu, évaporé vers je ne sais trop  et que la maison se serait vidée de tous ses occupants, de tous ses meubles. Rassuré à demi, je me disais que ce fantôme - l’apparence du vide miroitant une possible solitude, une perte infinie - j’allais à nouveau l’avoir collée à la peau dès le lendemain. De sorte que je fus toujours un mauvais élève, l’esprit ailleurs, préoccupé de ce que je laissais derrière moi et cette espèce d’assurance que tout aura disparu lorsque j’ouvrirai la porte de la maison. La vie, je la définissais comme une attente à voir se réaliser l’ultime disparition de tout ce qui m’entourait ; tout était fugace.

Pour le second, tellement puissant encore, il multiplierait à l’exposant le plus élevé, fut ce sentiment d’abandon lorsque mon frère malade dut se cloîtrer dans sa chambre, alcôve infranchissable pour le “ jumeau d’un an plus tard “ que j’étais.

Est-ce que partir pour le Vietnam serait une revanche contre ce fantôme d’abandon ? Ou encore, devant une telle apparence fallait-il reconstruire un espace perdu ?

Parler du renoncement de quelqu’un vis-à-vis soi c’est aborder l’importante question de la résignation, du délaissement, d’une certaine renonciation d’un être envers un autre. Cela ne peut se faire sans souffrance, bien sûr, mais également comme une saignante atteinte à l’amour.

Est-ce que longtemps dans ma vie j’ai entretenu l’illusion - ou l’apparence - de ne pas être un individu aimable puisqu’on le poussait vers ailleurs, lui collant à la peau le certitude qu’on y arriverait bien un jour ? N’avait-on pas, à l’âge de la maternelle, puis lors de la maladie de mon frère, essayé de me faire comprendre que ce sentiment allait coller à la peau jusqu’à la fin de mes jours ?

Je sais parfaitement bien que cela ne peut être qu’une apparence, que l’amour tient un rôle prépondérant dans la vie de chacun, mais pourquoi, encore maintenant, cela se présente-il comme une ombre qui me harcèle ?

N’y aurait-il que ces deux fantômes qui me hantent, l’abandon et l’impression de n’être pas aimable ? Quels seraient, si j’active ma mémoire, la mettant en mode recherche, d’autres apparences qui me poursuivent ?

Une insécurité primesautière m’a assez régulièrement poussé dans les tentacules de l’impulsivité. J’ai souvenance des paroles que me servaient autant mon père que ma mère à l’effet qu’étant le plus vieux des garçons de la famille je devais absolument non pas être seulement qu’un protecteur, mais celui qui devait s’occuper des frères et soeurs qui suivaient. Je devais les prendre en charge comme s’ils présumaient que j’en avais la force ou le courage.

Ce sentiment a plutôt muté vers ce qu’aujourd’hui, retournant vers mon enfance et mon adolescence, j’appellerais une peur actualisée. Je craignais qu’il puisse leur arriver des dangers et que je ne pouvais pas leur servir de bouclier. Maintes fois, alors que mes frasques - et elles furent nombreuses - résultaient en périls, je devenais l’unique responsable et par conséquent devais en répondre.

Notre mère s’en remettait toujours au paternel quand venait le temps de punir l’instigateur ou le coupable d’une escapade ayant pu avoir des conséquences malheureuses. C’est vrai que j’ai multiplié les incartades au risque parfois que les trois mousquetaires - c’est ainsi qu’on nous surnommait mes deux frères et moi - se retrouvaient sur la corde raide. Il s’agissait de revenir à la maison, que mon “ jumeau d’un an plus tard “ se présente avec le chandail taché de sang parce qu’il avait saigné du nez ou que le plus jeune, un pleurnichard continuel, se mette à geindre, excusant son comportement par le fait qu’il ne pouvait plus savoir exactement  nous étions et craignait que plus jamais nous allions retrouver notre chemin pour rentrer au bercail, alors je devais m’attendre à ce que mon père me réprimande sévèrement.

Sans doute que le fait d’être plus grand que la moyenne des garçons de mon âge signifiait que je devais être aussi colossal dans le choix de mes actions. L’aventurier n’était pas moi, mon “ jumeau d’un an plus tard “ peut revendiquer ce titre et jamais il n’aura hésité à suivre mes plans abracadabrants y voyant une nouvelle occasion de découverte de l’inconnu.

Lorsque je dis que parfois ce sont les autres qui créent nos fantômes, l’exemple soulevé par les trois mousquetaires m’incite à déceler celui de l’insécurité. Mes deux frères possédaient ce dont je ne peux me réclamer, soit le goût pour l’inconnu. Ils possèdent, chacun à leur manière, cette facilité à ne jamais percevoir les périls couvant sous les expéditions qu’ensemble nous entreprenions. De mon côté, le sentiment de culpabilité m’assaillait. J’allais devenir, au retour, le coupable qu’on sévirait.

Bon... voilà assez je crois pour ces fantômes qui encore maintenant m’habitent. La dernière question qui me reste à débattre repose sur cette question : est-ce que j’ai été l’initiateur d’un ou de plusieurs apparences pour ceux et celles que la vie a placé autour de moi ? Est-ce que mes filles, ma famille, est-ce qu’ils ont à se débattre avec des fantômes qu’indirectement je leur aurais créés ? Ça serait à eux de le dire...

Les prochaines pages nous plongeront dans ceux de Fanny et de Phước. L’arrivée en Chine de ma demanderesse et, plus tard, les routes qu’elle traversera avec son guide vietnamien réveilleront-ils des fantômes que maintenant je ne réussis pas à nommer ? Nous le découvrions bientôt. 

 

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