mardi 3 mai 2022

LE CHAPITRE - 9B -

                                                                         9B

 

    Le 30 avril partait sur la pointe des pieds. Ce 30 avril, 30 ans après. Les gens sont retournés à leur demeure, les soldats à leurs casernes, les discours que de puissants haut-parleurs amplifiaient la portée, terminés. Les invités d’honneur se retrouveront dans une grande salle de l’hôtel Majestic, trinqueront, s’échangeant des paroles encourageantes sur l’avenir du pays. Puis les rues se videront, chacun, chacune s’interrogeant sans doute sur les effets et les résultats de la guerre qui s’acheva lorsque deux chars blindés défoncèrent les grilles du Palais Présidentiel, il y a 30 ans.

De tout cela, dans cet aujourd’hui trentenaire, aucun écho des hélicoptères meurtriers et assassins... rien de cette peur parasitaire virale à l’échelle nationale. Des enfants sont nés depuis, langés dans d’incertaines espérances. Des hommes et des femmes défigurés par l’agent orange, à qui on apporte un bien maigre soutien. Ceux qui encore se battent contre des cauchemars fantomatiques et ne s’accrochent qu’au néant afin d’adoucir leurs interminables nuits. Ces mains tendues vers l’avenir, alors qu’elles ne réussissent pas à balayer le passé. Elles étaient levées, droites et tremblantes, réclamant l’assurance que plus jamais elles n’auront à s’armer de kalashnikov, d’AK-47, mais de crayons et d’ardoises.

Le 30 avril soulignait la fin de la guerre, on l’a dit, proclamé, sermonnant la foule de tous ses théoriques synonymes. Combien difficile d’ancrer dans la tête des gens ce qui s’apparente encore à une forme de propagande, ces crânes qui durent, pendant si longtemps, se protéger contre ce qui risquait à tout instant de les fracasser sans vergogne. Revendiquer la paix, mais on a tant et tant de fois répété que pour l’obtenir, il fallait faire la guerre. Ceux qui sont morts pour elle, ne parlent plus, ne se savent pas morts et encore moins pourquoi. Ils étaient absents, en ce 30 avril, 30 ans après la fin de l’hécatombe. Ne reste que ces millions d’engloutis, certains sans sépulture, nommés maintenant, des inconnus.

Quelques jours auparavant, le 17 avril, c’était aussi un autre trentième anniversaire. Triste date, s’il en est une : l’entrée des Khmers Rouges dans Phnom Penh. La mise en place d’un régime sanguinaire qui dévora près du tiers de la population cambodgienne. 30 ans après, toujours aucun procès en vue. Sans justice, c’est comme si l’on niait ce qui s’est passé.

La terreur nourrissait les horreurs. Personne, ou si peu, n’y échappa. Les survivants auraient souhaité être engloutis par ces vagues meurtrières, plutôt que de traverser cette période comme on les obligea à le faire. Ne pas en parler, comme pour éviter de réveiller les cadavres, d’entendre leurs hurlements nous déchirer l’âme. Laissons-les à leur charnier que les pluies des trente dernières années continuent de creuser. Allons marcher dans les corridors de la prison Tuol Sleng, le camp S-21, nous exclamer que le devoir de mémoire incite à nous rappeler que jamais, plus jamais cela doit se reproduire, sans assurance aucune que cela ne renaîtra pas de ses cendres.

Pol Pot est décédé, c’était en 1998. Khieu Samphân court toujours. Yun Yat, morte assassinée avec toute sa famille, en 1997. So Phim, victime des purges de 1978. Ieng Sary, on le recherche encore. Sa conjointe, belle-soeur de Pol Pot, Khieu Thirith, serait, selon les dernières informations connues, atteinte de démence. Douch, en attente de son procès. Nuon Chea, celui que l’on reconnaît comme étant l’idéologue des Khmers Rouges, que lui arrive-t-il ?

Ces individus, auxquels nous pourrions en ajouter d’autres, ceux et celles qui, tout de noir vêtus, conduisaient ces Cambodgiens, ainsi qu’un troupeau, vers les camps de travail forcé ; ceux et celles qui les flagellaient de leur mépris, les laissant crever de faim, de soif, obligés parfois à recourir au cannibalisme afin de terminer une journée qui n’était que le simulacre de la veille et de la prochaine ; ceux et celles qui, par un sadisme vengeur, s’amusaient à torturer les corps et les esprits ; tous ceux-ci, toutes celles-là, on sait à quel point ils furent nombreux. Non, rien de plus à ajouter que des mots d’effroi, d’infamie et de violence pour tenter, un tant soit peu, de décrire le dessèchement des corps, des esprits et des âmes. Ces hommes, ces femmes, ces enfants n’avaient plus de larmes, taries avant même de s’écouler.

On ne fête pas des événements comme celui-ci, on commémore, un point c’est tout. On n’arriverait jamais à seulement imaginer cette dessiccation qui s’évaporerait d’eux par le fait de ne pas savoir, ne pas comprendre les raisons pour lesquelles leurs pieds peinaient à avancer sur ces routes poussiéreuses qu’un soleil de plomb durcissait.

30 ans plus tard et toujours la justice piétine dans son impassible sur-place, lorgne vers l’oubli, la perte de mémoire comme ultime cataplasme.

 

************

 

    Daniel Bloch était retourné à l’hôtel afin de poursuivre ses recherches, fort de l’appui de son amie cambodgienne qui semblait avoir découvert un peu la même piste que la sienne. Il devait mieux approfondir la langue des oiseaux et trouver une technique efficace de l’appliquer pour éviter de tourner en rond.

- Bonjour, monsieur Bloch.

Derrière son comptoir, la réceptionniste agitait deux papiers.

- C’est pour vous. Un provient de la même personne qui vous a envoyé une lettre hier et le second, un numéro de téléphone que vous devez recomposer le plus rapidement possible. Si vous me le permettez, je vous dirai que ce numéro provient de Hanoi.

Récupérant son courrier, il demanda qu’on lui serve un café robusta sur la terrasse de l’hôtel  il s’installera. Il reconnut le numéro en question, celui de l’ambassade américaine. Avant d’ouvrir le second envoi qui émanait de l’expéditeur anonyme, il appellera à l’ambassade.

- Monsieur Bloch, je voulais m’informer sur votre séjour au Cambodge.

- Un excellent voyage, mon ami, mais quel est l’objet de votre appel ?

- Je vous fais un rapide topo. Mon supérieur immédiat me demande de communiquer avec vous afin de vérifier deux petits détails.

- Je vous écoute.

- En premier lieu, vous connaissez dame Bao, professeure de littérature française à Saïgon. Vous m’aviez demandé de vérifier s’il pouvait être intéressant pour vous de la rencontrer à l’occasion de votre séjour à Saïgon.

- Elle est devenue une excellente amie.

- Le ministère de l'Intérieur l’a fichée. Ce que l’on pourrait appeler un dossier est entre leurs mains depuis plusieurs années. Ceci ce m’était pas disponible lorsque j’ai fait la première vérification. Mes responsabilités ont quand même leurs limites.  

- Vous en savez un peu plus sur les motifs qui nécessitent la tenue d’un tel dossier ?

- Oui, mais vous comprendrez qu’il m’est impossible de vous en dire davantage au téléphone. J’imagine que son appareil téléphonique est sur écoute, de sorte que les échanges entre vous pourraient être enregistrés.

- Merci pour l’information. Vous me faites suivre un courriel avec plus de détails ?

- Dès demain, car je suis présentement loin du bureau. Je vous scanne ce que j’ai.

- Excellent. Un second détail, disiez-vous ?

- À un certain moment, je vous demandais si vous connaissiez ce Phạm Khắc Thíc, certainement un nom d’emprunt, travaillant au même ministère, secteur Saïgon. Eh bien, il a rappliqué au moins trois fois à ma connaissance et toujours sur une ligne téléphonique sécurisée, donc impossible à retracer.

- Toujours pour la même raison ?

- Voilà.

- Merci mon ami. Vous achevez d’écrire votre thèse ?

- J’y apporte une dernière correction avant de la poster aux USA. Il restera à fixer la date pour m’y rendre, afin de la défendre.

- Bravo ! N’oubliez pas de m’envoyer une copie.

- Vous me faites là un grand honneur.

- À bientôt.

Il raccrocha au même moment que se présentait la jeune fille en service, un café à la main.

La seconde lettre ne contenait que quelques mots : “ Si vous savez être discret, pour ne pas dire secret, deux oiseaux vous attendront ce soir, sur le coup de 23 heures, au café situé tout juste en face du Parc Lê Thi Rieng, District 10. Venez seul.”

Seul ! Comment ne pas en parler à Bao ? Adopter l’attitude de la docteure Méghane qui savait retenir certaines informations, était hors de question.  Loin de lui l’idée de mettre en doute son implication et sa bonne foi, il fallait laisser agir le temps et souhaiter qu’elle ouvre son jeu.

Sachant le portable de sa grande amie sur écoute, il jugea préférable d’attendre à ce soir au café Nh Sông, pour l’informer du rendez-vous qu’on venait de lui proposer.

Il se plongea dans l’exploration de la langue des oiseaux.

 

************

 

    Lorsque Thi entra au café, accompagné de Lotus, la serveuse Linh le prit à part.

- Je n’ai aucune idée sur ce qui se passe autour des militaires qui s’assoient assidûment à la même table, mais cet après-midi, ils n’étaient que deux.

- Inhabituel en effet.

- Si tu as bonne mémoire, tu reconnaîtras l’absent. Il s’agit de celui qui porte des lunettes et semble être le plus âgé.

- Je vois très bien de qui tu parles.

- Autre chose, il y a quelques minutes à peine, un type bizarre s’est présenté ici ; il m’a remis une enveloppe avec ton nom écrit dessus. Sans être certaine, je crois qu’il est sourd, car lorsque je lui demandé si je pouvais te dire de qui ceci provenait - tiens, je te la remets - il est parti sans dire un mot, comme s’il ne m’avait pas entendu.

- Je vois aussi.

- Tu as des contacts plutôt étonnants.

- Puis-je te demander un service, sois assurée je te le rendrai avant que le café ne ferme ses portes ?

- Sans souci.

- D’ici 20 heures, deux personnes, avec qui je dois absolument parler, s’ajouteront.  

- Deux autres ! Je n’en crois pas mes oreilles.

- Merci, Linh.

Les deux jeunes gens s’installèrent à la table qu’empruntent régulièrement la professeure et l’homme au sac de cuir. Linh leur servit un thé froid.

- Avant que tu m’en dises davantage sur cette rencontre, permets-moi de t’annoncer cette nouvelle. Avant que tu n’arrives au squat, trois de nos membres y étaient et m’ont avisé que désormais leur action prendrait une nouvelle avenue. Lors de la parade de cet après-midi, ils ont aperçu des militants d’un mouvement revendiquant plus de transparence et des gestes concrets dans le dossier de l’agent dioxine/orange. Ils s’y sont intégrés et désirent maintenant voir plus d’action que ce que notre groupe leur propose.

- Nous quitteront-ils ?

- Je le crains. C’est à croire que les événements ont choisi de se présenter par une sorte de loi des séries. Janus perd ainsi quatre membres en moins de vingt-quatre heures.

Thi n’attiserait pas les souffrances s’acharnant sur le leader du groupe et préféra fixer son regard sur l’enveloppe qui, à n’en pas douter, provenait de son père, “Celui qui écrivait”. Au même moment, Daniel Bloch se présenta au café étrangement vide après une journée qui fut débordante d’une foule inestimable.

- Je vous présente mon ami Lotus.

- Un réel plaisir de te rencontrer, dit-il, prenant place à la table ; une chaise demeurée vide était celle sur laquelle Bao s’asseyait.

Le jeune poète les laissa un instant, question de préparer le breuvage préféré de cet homme qui attendait que son vis-à-vis prenne la parole.

- Je sais que mon collègue vous a mis au courant de l’existence de notre groupe, ainsi que de la tragédie survenue la nuit dernière. Si vous le permettez, nous n’aborderons pas ce dernier sujet.

- Sans que ce soit comparable, sache que j’ai aussi perdu un être cher, il y a très peu de temps. Tu comprendras que je sympathise avec toi.

- Votre chienne ?

- Elle s’appelait Fany.

- Dans la langue vietnamienne la consonne “f” n’existe pas. Cela rend votre deuil plus particulier encore, unique.

- Attaquons ce qui nous amène à se rencontrer.

L’un et l’autre, à tour de rôle, présentèrent leur point de vue sur la situation. Tous les faits semblaient avoir été parfaitement bien exposés. Venait le temps de l’analyse.

- Nous ne l’avons pas encore décachetée, mais à notre arrivée, la serveuse a remis une lettre que nous croyons provenir du père de Thi. Encore cette fois transmise par le type sourd-muet. Je dois aussi vous annoncer, sans trop pouvoir l’expliquer, que les militaires...

- Nous les nommons les anciens colonels.

- ... se sont présentés ici, mais ils n’étaient que deux.

- Étrange, ce trio semble soudé depuis si longtemps.

Le serveur revint à la table, café robusta en main. Une fois assis, sans attendre qu’on l’y invite, il ouvrit l’enveloppe, la parcourut rapidement des yeux et la traduisit pour le bénéfice de l’homme au sac de cuir.

“ Fils, très bientôt, nous retournerons au nid originel. Tu n’es plus un oisillon, je t’ai vu, de loin, tu ressembles à celle qui t’a nourri, s’est occupé de toi, mieux que tout autre personne. Sache-le.

Je t’ai vu, posté de l’autre côté de la rue, aux pieds de l’immense statue de Trần Hưng Đạo. Ce grand général qui à l’âge de 6 ans composait des poèmes ; il était amoureux d’un oiseau en particulier, le garrulaxe à ailes rouges.

Mes parents m’ont honoré de son nom, Tuan. Je le porte fièrement. Lorsque nous retournerons au nid, je te dirai ma vie, te raconterai mes envols et ne cesserai de roucouler combien il me fut difficile d’avoir été amputé de toi, tous ces jours et toutes ces nuits.

Sache attendre, très bientôt, nous serons de retour au nid. “

Un vertige d’émotions s’empara du jeune poète qui achevait difficilement la lecture, s’arrêtant à chacune des phrases, respectant une pause pour chaque mot. S’il eut été seul, il aurait enfoui sa tête sur la lettre comme pour chercher à y sentir la main de son père.

- Un commentaire, s’avança Daniel Bloch. Si l’hypothèse voulant que la langue des oiseaux soit la clé permettant de déchiffrer les lettres écrites par ton père durant toutes ces années, ce message qui constitue un billet strictement personnel, nous indique que le thème des oiseaux, s’il l’a utilisé auparavant, eh bien il le maîtrise toujours. On y apprend que le temps de la réunion entre vous approche, de même que son nom. Lotus ?

- Je suis d’accord, elle s’adresse à son fils. Il utilise beaucoup de mots comprenant la consonne “t”. Une croix, peut-être. J’ai envisagé modifier en rébus les cinq proverbes de son premier envoi, croyant qu’en modifiant les mots en dessins, des éléments utiles en surgiraient. L’expérience n’a rien donné de concluant. Mais à partir de cette approche que vous appelez la langue des oiseaux et qui pourrait être la clé, tout pourrait être différent.

Daniel Bloch attrapa la balle au saut et exposa le peu d’informations qu’il possédait sur le sujet . Il lui enverra par courriel le dossier qu’il avait monté sur ce thème. Lotus reprit la parole.

- Les deux textes reçus par Thi sont excentriques au noyau principal de la question et n’apportent que peu de renseignements, de plus que ce dernier est davantage un message d’amour et d’espérance. Mon ami, conserve-le précieusement.

- La professeure Bao nous rejoindra bientôt, apportant avec elle les originaux des lettres. Je remarque que tu te débrouilles en français ?

- Je me classerais au même niveau que Thi.

- Très bon niveau, je t’avoue sincèrement.

Le temps passait et le leader du groupe Janus ne pouvait chasser de sa tête le fait que les membres qui s’étaient engagés à participer à cette affaire et agir ici au café comme vigiles, ne s’y retrouveraient plus. La saignée était plus sérieuse qu’il ne l’imaginait. De son côté, le contrat était signé, il n’allait pas le déchirer. Sa promesse faite à Mister Black prenait encore plus d’importance.

Linh se présenta à leur table, offrant de renouveler les consommations.

- Dis-moi Linh, saurais-tu nous décrire le type qui t’a remis la lettre, celui que tu crois être sourd, demanda le jeune poète.

- Comment dire. La cinquantaine, peut-être ; nerveux, cela ne fait aucun doute ; pressé de repartir au point que sa moto s’est étouffée à deux reprises. Un autre détail, peut-être sans importance, mais je l’ai tout de suite remarqué lorsqu’il m’a tapoté l’épaule pour signaler sa présence : ses yeux. J’ai rarement vu des yeux aussi tristes, tourmentés, à la limite de l’angoisse.

- Tu es resté combien de temps en sa présence ?

- Pas plus de trois minutes.

- Il ne s’est pas intéressé à autre chose ?

- Lorsque je me suis retrouvée avec l’enveloppe en main, il a jeté un regard circulaire sur le café avant de déguerpir.

Avoir reconnu le colonel 1 ( Một ) dès les premiers instants qu’elle le vit et maintenant, tracer un portait assez précis du sourd-muet, cette jeune fille possède tout un sens de l’observation.

- Monsieur Bloch, pour quelle raison a-t-on choisi la langue des oiseaux pour code ?

- Tu sais, Lotus, nous sommes encore au stade de la supposition, disons même, de la présomption. Quelques jours de travail, cette technique en main, seront nécessaires pour arriver à une conclusion. Nous sommes de plus en plus nombreux à s’y intéresser. Pour répondre directement à ta question, je serais porté à croire que ceux qui avaient pour responsabilité de conserver les informations TOP SECRET circulant bilatéralement entre la Phalange et Saïgon, il leur fallait recourir à un autre stratagème qu’un code ordinaire pour ne pas qu’elles puissent être facilement déchiffrées, tout en conservant un certain sens pour un lecteur non averti et ignorant ce type de langage. Ils ont sans doute mis beaucoup de temps à s’entendre sur ce qui répondrait à leurs besoins. L’intérêt de la langue des oiseaux réside dans le fait qu’instantanément, on arrive à se dire : bon, voilà de l’ésotérisme, ça frise l’alchimie, donc trop compliquée pour s’y attarder.

- Je vois. Vous avez dit, lors de votre présentation : on a pigé dans la langue vietnamienne, en fait elles sont toutes écrites en vietnamien, du moins c’est le cas des deux envois que Thi et moi avons vus, ainsi que quelques emprunts à la langue khmère. Vous précisiez que l’on devait par la suite les traduire en français moderne. Vous en comprenez la raison ?

- On entre ici dans un débat qui divise les linguistes, au sujet de la langue originelle. Je ne veux pas m’y attarder, toutefois, si la langue française a été l’élue, c’est principalement en raison de la facilité d’y appliquer les techniques de la langue des oiseaux.

- Je comprends.

Sur ces mots, Bao apparut. Radieuse dans un tailleur vert olive lui seyant à ravir. Daniel Bloch alla à sa rencontre et l’embrassa, malgré qu’il soit en public.

- Comme je suis heureuse de te retrouver, il m’a semblé que l’après-midi n’en finissait plus. Je remarque que nos deux collaborateurs sont à notre table.

- Oui et ta chaise est inoccupée.

Les présentations faites, la professeure remarqua un changement d’allure et de maintien chez le jeune poète. Une nouvelle qu’on lui expliqua permit à Bao de mieux évaluer la tenue de son ancien élève.

- Quel heureux événement !

- Il me remplit d’espoir et réconforte mon impérative attente.

- Je ne veux pas retarder la poursuite de vos échanges, mais j’ai une information de dernière heure. La docteure Méghane a été rappelée au siège social de sa compagnie . On lui a trouvé une place sur un vol pour Berlin, demain matin. Elle me charge, Thi, de te prévenir qu’il faudra attendre son retour avant de te représenter à son cabinet pour la poursuite des recherches. Elle m’a envoyé un message écrit à ton intention, je l’ai fait imprimer à l’université. Le voici.

- Merci, professeure, mais un départ aussi subit, présage-t-il une mauvaise nouvelle ?

- Malheureusement, je ne peux répondre à cette question. Nous en saurons davantage à son retour ?

- Car elle reviendra ? Insista-t-il, inquiet.

- Sois sans crainte.

On fit le tour du dossier, conviant Bao à préparer des copies de l’original des lettres. Elle s’engagea à le faire dès le lendemain, sommant le jeune poète de venir les chercher à son bureau, en milieu d’avant-midi. C’est beaucoup la nouvelle que seulement deux anciens colonels se soient présentés au café qui l’étonna.

- Si je nous résume, nous allons décortiquer quinze années d’écrits du père de Thi, les examinant sous la lorgnette de la langue des oiseaux. Nous pourrons comparer nos découvertes, disons dans trois jours, ici même. Qu’en pensez-vous ?

- Monsieur Bloch, vous pouvez compter sur moi, répondit le leader d’un groupe Janus à la dérive. Je dois maintenant retourner au squat. Ce fut un immense plaisir de discuter avec vous, j’espère, madame, que nous nous reverrons bientôt.

- Là  se trouve Daniel, tu m’y verras aussi.

Le jeune serveur les quitta à son tour, reprenant son quart de travail amputé de plus de deux heures. Linh, visiblement fatiguée, partit illico.

- Bao, je dois t’informer que ton portable est sur écoute. L’ambassade américaine à Hanoi m’en a avisé cet après-midi.

- J’en suis renversée. La police ?

- Le ministère de l'Intérieur.

- Toujours cette omniprésence dans ma vie.

- De plus, on s’interroge sur nos relations.

- Nous nous connaissons depuis à peine un mois. Je ne comprends réellement pas.

- Cela ressemble à un étau qui cherche à nous enclore.

- Je ne demande pas mieux, mais pas du tout de la part des autorités.

- Dernier point. Je t’ai dit avoir reçu hier une lettre anonyme, eh bien une seconde est parvenue aujourd’hui, me proposant, sous condition de discrétion, voire du secret, de venir rencontrer deux oiseaux, ce soir dans un café du District 10.

- Tu iras ?

- Je voulais d’abord te mettre au courant.

- Oui, il faut t’y présenter. Je suis certaine que cela sera majeur dans la démarche.

- Comme je ne peux plus communiquer avec toi à partir du portable, je te raconterai, demain, la teneur de cette conversation.

Leurs derniers instants fondaient comme neige au soleil. L’homme au sac de cuir la regardait, envahi par le charme de ces trop courts moments ensemble. Vite cette histoire bouclée afin de passer à ce qu’il définissait comme un envahissement d’amour.

 

C’est étrange comme on se rassure

en faisant la conversation,

surtout sur sujets abstraits:

 

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