jeudi 7 avril 2022

LE CHAPITRE 3

                                                     LE CHAPITRE 3

 

Ils avaient peur de mourir, mais ils avaient encore plus peur de le montrer.

Tim O’Brien

 

 

    Mis à part les travailleurs dont le boulot prépare le jour, une autre catégorie de veilleurs de nuit, des insomniaques sans ombres, ceux qui ne plissent jamais les yeux, représentent une classe particulière, une espèce intéressante à découvrir. Ces noctambules avaleurs de nuit se déplacent, cherchant à épuiser la dose d’adrénaline en eux qui n’arrive pas à trouver le sommeil. Cela procède d’un choix.

Se déplacer la nuit n’a d’intérêt qu’en territoire urbain, dans son silence pesant, là où il y a tant à faire, défaire ou refaire ; à moins qu’il s’agisse d’une tactique militaire, alors c’est différent, car la peur s’ajoute, vous collant aux fesses.

Le groupe de la Phalange agissait surtout de nuit. Le plan, tracé par un seul homme, un seul chef, comprenait trois phases précises et devait à l’obscurité la majeure partie de son succès. Les hommes, départagés en trois groupes de dix soldats, devaient exécuter leur mission selon un horaire rigoureusement chronométré, un plan d’une précision chirurgicale, puis revenir au camp de base. L’un d’entre eux, le responsable devant faire rapport, obtenait par la suite l’autorisation de retourner auprès de sa section qui pouvait se reposer.

Les principes régissant cette unité spéciale devaient respecter scrupuleusement ce canevas, ne jamais s’en écarter et si cela représentait un risque quelconque, se replier sur-le-champ. Aucune initiative personnelle n’était admise : cela ou rien.

Est-ce que la Phalange fut mise au courant de la situation dans la capitale cambodgienne, alors que les forces militaires vietnamiennes, ayant fait fuir les Khmers Rouges, voyaient s’installer un nouveau gouvernement ? Le FUNSK (Front Uni National pour le Salut du Kampuchéa) créé en décembre 1978, dirigé par un ancien cadre khmer rouge, Heng Samrin, avait pour objectif d’incarner l’opposition cambodgienne. On passa à l’attaque quelques semaines après le 25 décembre, peu de jours après sa création. Parallèlement, le groupe porteur d’une mission toute spéciale, en aucun moment, ne croisera les militaires vietnamiens, que des Cambodgiens retournant péniblement vers leur ville désertée, dans des conditions abominablement inhumaines.

Le modus operandi de la Phalange varia à trois reprises, s’adaptant à l’autorité de son nouveau commandant. La première direction, celle que pilota Một, avait pour mandat d’arriver le plus rapidement possible à la frontière entre le Vietnam et le Cambodge. Le style qu’il imprima allait dans le sens suivant : avancer sans se faire voir ; écouter sans répéter ; rapporter sans rien oublier ; agir promptement.

Cet homme, dont les verres accentuent affreusement des yeux globuleux, n’a jamais reçu de responsabilités spécifiques lorsqu’il se battait contre les bô doi, ces soldats entraînés à la dure, suivant les principes énoncés par le Général Giap. Il haïssait les Việt Cộng jusqu’au plus profond de son âme.

L’armée sud-vietnamienne l’obligea à s’enrôler malgré un âge avancé. Il réussit à toujours masquer son absolue lâcheté. Cette absence de bravoure, de courage, notamment durant les combats féroces auxquels il aurait dû prendre part, l’amenait à se rendre invisible : il attendait, dissimulé là  personne ne pouvait le voir, abandonnant aux autres les risques à encourir, alors que lui, grelottant de peur et d’angoisse, restait odieusement camouflé. Tout danger écarté, il se travestissait en un soldat extrêmement cruel, capable des plus viles actions. Il devenait, aux yeux des autres militaires, le modèle sanguinaire à suivre. Les exactions qu’il a commises sont innombrables. La poudre aux yeux qui aveuglait ses confrères, toute sa vie durant aura servi à cacher sa véritable nature. Il a créé une règle non écrite dans le code de la guerre et valide que pour lui-même : tiens-toi en retrait, protège-toi, lorsque tout est gagné, le danger disparu, que te voilà en sécurité, deviens le pire sadique, cela te vaudra des galons et un classement parmi les meilleurs des meilleurs.

Il adore la nuit, elle occulte le visage des froussards, des pleutres et des sans coeurs. Elle aura toujours rendu inapparent ce guetteur opportuniste.  

À titre de premier colonel, Một institutionnalisa les actions nocturnes. Il sut reconnaître parmi ses hommes celui qui mènerait les autres, les conduirait à l’action et lui rapporterait fidèlement les informations essentielles.

Son titre le mettait au-dessus de sa peur, masquant sa personnalité. Aucun membre des trois sections ne perçut dans ses ordres autre chose que de la stratégie militaire. Son sens du risque, son flair faisaient l’envie de tous. Il était respecté davantage que craint. Lorsqu’il somma de pendre les hommes qui cherchèrent à s’évader de la Phalange, dès les premières semaines des activités de l’unité, chacun fut à même de remarquer à travers ses lunettes crasseuses, toute sa méchanceté et son goût barbare pour l’abjection. Il créa autour de lui une infinie appréhension.

Qu’est-ce qui incita l’état-major à le choisir ? Pour répondre à cette question, il faut revenir sur l’île de Côn Đảo, au moment  une cinquantaine d’individus reconnus coupables d’avoir servi d’une manière ou d’une autre le gouvernement sud-vietnamien d’avant 1975 s’y retrouvaient réunis, subissant une rigoureuse formation, à la suite de laquelle l’unité spéciale serait constituée. Ils furent soumis à une batterie de tests autant physiques que ceux calqués sur le régime des camps de rééducation.

Ce laboratoire s’activerait tout au plus quelques semaines. Agir avec célérité était la règle. Un membre important de la CIA américaine, dont la tête avait été mise à prix par le commandement sud-vietnamien en raison de sa désertion vers le camp communiste, dirigea l’opération, respectant à la lettre la philosophie qu’il avait apprise de cette puissante organisation du renseignement, mise au service du dérangement social, de la déstabilisation de gouvernements étrangers susceptibles de nuire aux visées impérialistes des USA.

Il en élimina rapidement une dizaine, concentrant ses efforts auprès des autres. Son mandat : soumettre trois candidatures au poste de colonel et recruter trente soldats. La technique utilisée favorisa Một, car elle cherchait à déceler des aspirants qui ne manifestaient aucun sens de l’empathie, résolument tournés vers leurs propres intérêts, susceptibles de changer de camp sans ressentir aucune forme de remords si les avantages s’y logeaient.

Ce premier colonel s’imposa de lui-même par sa manière perfide d’agir auprès des autres appelés : il tirait sans cesse la couverture de son côté, dénudant ainsi ceux qui l’entouraient. En moins de cinq jours, le responsable du laboratoire reconnut la fourberie qui animait cet homme et l’associa à son travail.

Ce fut lui qui recommanda les deux autres colonels, suggéra de noyer dans la mer la dizaine de conscrits qui n’allaient pas être retenus et identifia les trente soldats devant obéir aux ordres, s’assurant que tous sachent qu’il avait été leur sauveur.

Une fois son boulot achevé, l’ex-membre de la CIA fut vendu aux Américains en échange d’une importante somme d’argent affectée au fonctionnement de ce groupe, enfin prêt à agir. Ce bonhomme n’était plus utile et les services américains sauraient fort bien s’occuper de lui.

À l’annonce qu’il allait devenir l’un des trois colonels, Một reçut un cahier des charges énonçant les principes des actions ainsi que les manières d’agir. Le reste du temps passé sur l’Île de Côn Đảo fut consacré à en prendre note et s’assurer qu’il saisissait les objectifs prescrits. Quelques points essentiels : s’habituer au mode de transmission des liaisons avec l’état-major de Saïgon, parfaitement mémoriser les codes secrets et s’assurer que tout messager fût digne de confiance. Cela ne tomba pas dans l’oreille d’un sourd, mais il prévoyait veiller lui-même à ce que cette délicate opération se fasse en toute efficacité.

Il eut l’idée de ne pas s’en tenir qu’à trente soldats. Trop d’événements inopinés pourraient surgir. On l’assura que les trois colonels recevraient, en temps et lieu, une liste d’individus susceptibles de remplacer les malheureux engagés disparaissant de la circulation pour quelque raison que ce soit. Ces quidams, ils les retrouveraient sur leur route et n’auraient qu’à les embrigader. De toute façon, le message sera transmis aux trente réguliers afin qu’ils sachent que tout faux pas, tout enfreinte aux règles édictées par les colonels ne sauront être tolérés et signeraient leur arrêt de mort, précisant qu’il s’agirait d’un arrêt de mort sans sépulture.

La structure de la Phalange prit rapidement forme. En trois semaines, tout semblait prêt pour un départ vers l’action. On remit à chacun son nouvel identifiant : ”P-1” jusqu’à “P-30” avec, accolé au “P” la lettre b pour les membres des bactéries, m pour les microbes et v pour virus. Ils revêtiraient le vêtement des bonzes bouddhistes vietnamiens pour la première partie de la mission, celui des bouddhistes cambodgiens par la suite. Les crânes furent rasés, comme il se doit.

Il ne restait plus qu’à établir la route que le groupe du premier colonel allait emprunter. L’état-major fut formel, pas question de ramener ces gens sur Saïgon, ils devaient emprunter un trajet les menant vers la frontière cambodgienne dans les plus brefs délais, traversant des villages  les possibles suppléants se trouvaient. Une multitude de petits travaux, de la catégorie du nettoyage - se débarrasser de quelques individus gênants - meubleraient leur temps de route. Tout s’éclairait.

 

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     Hai, le deuxième colonel, a été recruté sur recommandation expresse de l’état-major. On savait déjà en haut lieu qu’il représentait en tout point le type idéal du commandant recherché. Passé au crible, les notes qui accompagnaient son dossier le décrivaient comme un espion de grande qualité. Il avait recueilli des renseignements de la plus haute importance chez les Việt Cộng pour les livrer aux autorités sud-vietnamiennes. Les contacts ainsi noués auprès de généraux proches du pouvoir en place, lui permirent d’établir un pont par lequel transitaient, bilatéralement, les messages. Maître-chanteur dans une chorale où la voltige risquait à tout moment de le voir s’écraser lamentablement, il n’en fut rien. Il en savait trop de chaque côté.

Rapidement, Hai se transforma en personnage essentiel et redouté. Il possédait un don, celui de faire saisir que s’il prononçait quelques mots reçus au bon endroit, pourraient signifier chez ceux qui les entendraient, une arme dévastatrice. Il échappa à plusieurs tentatives d’assassinat, manoeuvrant auprès des puissants afin d’obtenir une protection personnelle. On la lui accorda, dans les deux camps, choisissant de préserver cet informateur de première main.

À la chute de Saïgon, devenu moins indispensable , voire encombrant, on l’arrêta puis l’interna dans un camp de rééducation. Nguy (membres de l’armée sud-vietnamienne) pour les uns, Việt Cộng, pour les autres, Hai ne pouvait être incarcéré dans le Sud ; on le déménagea dans une prison située tout près de Hanoi. Nguyên Chi Thiên (poète, dissident et activiste, il a passé près de 30 ans dans les prisons de Hanoi) avec qui il partagea sa cellule, lui récitait ses poèmes qui allaient plus tard être publiés sous le titre des FLEURS DE L’ENFER. Il retint celui-ci.

Les amertumes et les soucis

Sont-ils donc ces moments bien finis,

Où riant au soleil,

 Chantonnant sous la pluie,

Je m’enivrais de la joie de la vie ?


Il y demeura trois ans avant d’être rappelé, puis déporté sur l’Île de Côn Đảo afin de suivre la formation prévue pour la Phalange. Ceux qui l’avaient rencontré ou connu auparavant ne purent le reconnaître, méconnaissable avec vingt kilos en moins et ses nombreux tics nerveux qu’il développa au cours des fréquents interrogatoires subis lors de sa détention.

 

On l’exclut rapidement des cours dont l’objectif de lavage de cerveau ne l’atteignait pas en raison d’un bagage déjà plein des formules que l’on inculquaient aux détenus. Affecté aux travaux forcés, lui qui de toute sa vie n’avait jamais utilisé un quelconque outil, il s’affaiblit à un point tel qu’en plusieurs occasions, on le confina à l’infirmerie. Les autorités de la prison s’aperçurent que ce type, au passé trouble, pouvait encore rendre de précieux services. L’état-major de Saïgon donna l’ordre de le “casser” psychologiquement avant de le rapatrier dans le Sud.

Sitôt dit, sitôt fait. Hai retrouva ce qui était enfoui en lui, sa double personnalité : Việt Cộng au besoin, Nguy si nécessaire. Lors des séances d’interrogation, menées par des spécialistes en la matière, il se cachait sous l’une ou l’autre de ses identités. Jamais il ne craqua, travestissant son discours qu’il adaptait aux circonstances.

Tout bon interrogateur se doit d’être un excellent menteur, sauf qu’ici, se terre un habile cauteleux. Au cours des combats, car c’en fut un à chaque reprise, Hai les amenait sur un terrain ressemblant à la planche du jeu de go (goban). Sa stratégie se résumait ainsi : abandonner les territoires sans valeur, attirer l’attention de son adversaire sur le superficiel alors qu’il s’approprierait les fondamentaux, ceux qui assurent la victoire.

Une autre qualité lui fut d’un grand secours : connaître ce que l’autre veut savoir. Hai s’en servit. Peu de gens du Nord avaient connaissance des ramifications intrinsèques de la politique des Việt Cộng chargés de faire tomber le Sud. Lui, le rusé agioteur, en fit partie. Tout cela le soutint durant les heures de torture mentale qu’il eut à endurer.

À la fin, face à l’impossibilité de lui soutirer autre chose que des noms parfaitement inconnus, on abdiqua. Il descendit donc vers le ud.

 

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     Ba compléterait le triumvirat des colonels. L’état-major était bien conscient que durant quelques mois - qui finalement s’étendirent sur près de quinze ans - trois hommes fractionneraient le commandement de cette unité. Un assumant cette responsabilité, les deux autres, en attente de leur heure de chefferie, se plieraient aux ordres de la même manière que les soldats auront à le faire.

Tout ne se déroula pas ainsi. Trop d’obstacles les entravèrent, les empêtrant dans une série d’aventures et de mésaventures dont le spécialiste fut Ba. Dès sa nomination, la prise de connaissance de la mission, des principes qui la régiraient, cet hypocondriaque devint paranoïaque. Il était certain que parmi ce groupe d’hommes, l’un d’eux avait le sale boulot de lui faire la peau. Dans le bilan de cette opération secrète, une question survint immédiatement : aurait-on dû modifier l’ordre de prise en charge du commandement ?

À le regarder, on croirait que tous les kilos perdus par Hai, il les avait récupérés. Son obésité ralentissait la marche du groupe et dans les situations exigeant des mouvements rapides ou des déplacements imprévus, la troupe devait en tenir compte. La tunique de bonze ne l’avantageait pas. Lorsque l’unité entra au Cambodge et que la température devint insupportable, il suait de tous ses pores.

En homme foncièrement paresseux, il utilisa son grade pour se faire servir, flanquant un cadet à son service. L’ayant remarqué en raison de son handicap, le garçon sourd-muet était devenu le souffre-douleur des autres soldats, il l’enrôla à titre d’esclave. Le terme semble barbare, mais la réalité, pire encore.

Il apparaît nécessaire d’expliquer ici la raison pour laquelle cette mission se prolongea aussi longtemps. Pol Pot, la cible visée par la Phalange, a toujours échappé aux tentatives de capture. Il mourra en avril 1998, cinq ans après le rapatriement du groupe paramilitaire au Vietnam.

Ce serait à partir de l’intérieur même des Khmers Rouges que la besogne fut achevée. Des informations non confirmées avancèrent l’hypothèse que Douch, arrêté puis emprisonné en 1999, fut mêlé à ce complot et qu’un refus de sa part l’aurait mené à subir le même sort. On jouait serré à l’époque : question de survie.

Un paranoïaque plaçant les pièces du jeu alors qu’il ne pense qu’à se protéger, voit partout autour de lui des complots, répondait-il à une quelconque stratégie ? Contrairement aux consignes préétablies, interdisant formellement la tenue de réunions dans l’exercice de leurs fonctions, Ba imagina dès les premiers jours suivant le départ de la Phalange, un plan qui lui faciliterait la tâche lorsque son temps de commandement allait lui être assigné et déverserait ses responsabilités sur les épaules d’un autre. Il n’était pas le seul à vouloir s’achever le boulot dans les plus brefs délais.

Tous les ordres provenaient de Saïgon, mais les trois colonels les contournèrent en s’entendant sur ceci : il fallait corrompre et s’assurer de la complicité d’un membre influent des dirigeants Khmers Rouges pour mieux s’approcher de leur cible. Le moyen proposé : promettre l’immunité totale en échange d’informations pertinentes. Les espions, on peut difficilement s’y fier, alors que s’en remettre à quelqu’un de l’intérieur pour tracer une marche à suivre serait plus efficace.

Le personnage tout indiqué fut Douch. Traqué, comme les autres dirigeants de l’Angkar, sa réputation le précédait. Rusé tel un renard, celui-ci comprit qu’il devait protéger sa vie et qu’une certaine collaboration avec les Vietnamiens représentait une formidable planche de salut. Il donna rapidement suite à leur invitation exigeant qu’un seul et unique interlocuteur lui soit assigné. Selon le plan de Ba, Hai le rencontrerait à Hà Tiên, un lieu situé près de la frontière vietnamo-cambodgienne. Le secret autour de ces négociations devra être absolu. Les deux parties allèrent dans ce sens. Un canal de communication serait creusé que seuls ces deux hommes emprunteront.

La mission prit alors une autre tournure et on envisageait sa fin imminente à la suite des accords bipartites intervenus. Ce qu’il faut comprendre est assez simple : la Phalange bénéficierait d’une sorte de GPS et cela bien avant sa création, suivant à la trace les allées et venues de Pol Pot, alors que Douch, apparemment protégé par les colonels, aurait la vie plus facile.

Le canevas esquissé par Ba, rapidement entériné par les deux autres colonels, servira maintenant de feuille de route, mais ce colonel alimentait d’autres alinéas plus personnels et non moins repoussants.

 

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    La complexité de la stratégie militaire repose, selon Sun Tzu (général chinois ayant vécu au VIe siècle avant J-C, auteur d’un ouvrage de stratégie militaire L’ART DE LA GUERRE) sur l’habileté de son commandant. Il écrit : “ Le commandant habile prend une position telle qu’il ne peut subir la défaite ; il ne manque aucune circonstance propre à lui garantir la maîtrise de son ennemi. Une armée victorieuse remporte l’avantage, avant d’avoir cherché la bataille ; une armée vouée à la défaite combat dans l’espoir de gagner.”

Qu’en est-il d’une unité spéciale ? Doit-elle s’en tenir aux règles militaires ? Elle ne fait pas vraiment la guerre, on la situerait plus dans son underground.

Lors de la formation, le type de la CIA avait raconté aux recrues la manière de voir la guerre selon Sun Tzu, expliqué la stratégie du Général Giap à Dien Bien Phu (moment clé de la guerre d’Indochine qui signifiera la fin du colonialisme français au Vietnam), mais surtout porté leur attention sur deux éléments : la pensée de Clausewitz (Officier général et théoricien militaire prussien du XIXe siècle) et celle de Hegel (Philosophe allemand du XIXe siècle). En bon vulgarisateur, ce qu’il schématisa à leur intention devait se graver en eux comme s’il s’agissait d’un credo.

Clausewitz insiste sur la finalité politique d’un conflit armé, une forme de continuation de la politique et que fatalement une surenchère se produira autant dans les calculs stratégiques que dans les moyens.

De Hegel, il tenta d’expliquer, difficilement avouons-le, la dialectique du maître et de l’esclave. Ce que les trois colonels ont retenu semble à des lieux de la pensée du grand philosophe allemand. Leurs actions le démontreraient.

Les membres de la Phalange quittèrent l’Île de Côn Đảo en janvier 1979. L’état-major ne leur fit pas les adieux habituels, ne leur souhaita pas “bonne chance”, sauf ce message : réussir. À leur arrivée au premier point de chute, trois camions militaires revampés seraient mis à leur disposition, des armes ainsi que les documents précisant la route à suivre, enfin, les séances de nettoyage à effectuer.

Il est bon de souligner l’atmosphère régnant dans le Mékong au moment de leur départ. Les habitants, rudement mis à l’épreuve par les deux parties en conflit, les Việt Cộng et les Nguy, partiellement informés des nouvelles structures gouvernementales, adoptèrent une attitude de repli.

La défoliation autant des forêts que des terres arables avait physiquement massacré les gens. On avait entendu parler de la réforme agraire de 1953 dans le Nord-Vietnam, les propriétaires terriens craignaient de subir la même médecine. Une prudence teintée d’inquiétude devint leur manière d’être, de vivre et de fermer les yeux, car ils les fermèrent sur bien des choses, jugeant que la non-intervention représentait la meilleure attitude à adopter.  

Lorsque déambulèrent ces convois à l’allure bizarre, remplis de moines ou bonzes bouddhistes, les villageois devenaient muets et sourds comme des tombes. Une loi non écrite s’établissait d’elle-même que tous respecteraient à la lettre. Toutefois, une forte suspicion s’installa dans les villages, chacun pouvant devenir le délateur de son voisin, ce que le nouveau régime encourageait.

Valait-il mieux dénoncer avant de l’être ? Signaler des anomalies pouvait-il vous protéger des représailles de la part des nouveaux maîtres de céans ? Existait-il désormais un vocabulaire différent dans lequel une insinuation révélait une opinion ?

Sur les places publiques, des haut-parleurs diffusent quotidiennement l’hymne national, puis la propagande du Parti. C’est par ce médium que les informations qu’on voulait bien transmettre aux gens circulaient au compte-gouttes. Jamais on annonçait le retour probable des soldats partis en campagne, que les mérites d’une victoire durement acquise, la libération du pays à qui on devait désormais une complète vénération.

À l’occasion, un ancien discours de Hô Chi Minh, les cris de joie enregistrés dans les rues de Saïgon lors de la chute de la ville et du départ définitif des troupes américaines suivis par une foule de déserteurs lourdement accrochés à leurs bottes. Les mots “liberté”, “indépendance”, “révolution” se suivaient à la queue-leu-leu, les seuls ayant une valeur noble. Le pays entrait dans le maintenant et s’invitait à l’immense tâche de reconstruction basée sur les principes du communisme.

Tous devaient mettre l’épaule à la roue. Le premier chantier défini comme une absolue importance : chasser de ses entrailles tous les germes de l’Ancien régime. Le collectivisme devait dépasser les frontières restreintes de la famille. La religion, cesser de guider les âmes, puisque la référence devenait la doctrine marxiste-léniniste.

Ce qui par contre plut aux gens, c’était l’idée qu’enfin la guerre prenait fin. Les nuits et les jours pouvaient redevenir paisibles, les arrestations arbitraires cesseraient, les attaques venant des airs ou des routes s’arrêteraient, les gens retourneraient aux champs ou sur le fleuve avec un certain sentiment de sécurité. Sauf qu’ils appréhendaient une extension du conflit vers le Cambodge, si près d’eux.

 

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    Les conscrits de la Phalange arrivèrent à Ban Lieû. Par ce matin lumineux, la troupe fraîchement reposée reconnut les camions devant leur servir de véhicules. Mais qui était cet homme âgé d’environ 50 ans, encadrant ce tas de ferraille et revêtu du même uniforme qu’eux ? À l’évidence il s’agissait du premier émissaire. Một se dirigea vers lui.

- Tu es là pour nous ?

- Je vous accompagne.

Tout ce beau monde s’installa inégalement dans les camions qui disparurent le temps de le dire.

 

Les amertumes et les soucis

Sont-ils donc ces moments bien finis,

 

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