3B
Lorsque ces trois types se rencontrent, exsude d’eux comme une étrange, une morbide odeur de guerre. Seuls ceux qui y ont participé peuvent en renifler la répulsion. Elle a cheminé en vous, y a incrusté de fétides réminiscences. La pluie et la nuit les auront accentuées. Un éclat de tonnerre, maintenant, devient l’explosion d’un coup de fusil près de soi, d’une grenade à bout de bras, d’une bombe venue du ciel... et ça se multiplie à l’infini.
S’ajoute la peur, celle qui gruge vos forces restantes, aiguisées par le qui-vive. Nul discours, nulle médaille, rien n’effacera de l’inconscient ces cauchemars qui vous empêcheront de dormir pour toujours.
On part pour la guerre avec au fond de l’âme, l’espoir d’en revenir. Le retour n’est jamais tel qu’on l’envisageait. On en revient, si on en revient, à titre de gagnant ou de perdant. Dans les deux cas, profondément dévisagés, méconnaissables. Commence alors l’effort de sortir du choc post-traumatique assourdissant qui lancine vos heures. Vous devenez à l’affût du moindre indice qui puisse vous rassurer que les massacres sont derrière vous, qu’ils ont définitivement quittés votre espace et ne reviendront plus. Il n’en est rien. Une seconde nature s’est scotchée à vous.
Certains voient partout des ennemis potentiels, des tireurs d’élite embusqués, en voulant à votre vie. Vous développez une folie, une préoccupation excessive allant jusqu’à la psychose. Un immense travail, solitaire cette fois, s’amorce afin de pouvoir retrouver un tant soit peu, non pas une vie normale, mais l’ombre d’un rééquilibre.
D’autres auront à soigner des blessures physiques atrocement cramponnées à leurs corps, de répugnantes cicatrices, indélébiles, devenues autant de preuves, de stigmates d’une guerre que tous cherchent à oublier, voire en nier l’existence.
Tels, possiblement les pires parmi tous, alimenteront pour le reste de leurs jours, des idées de vengeance. Ils auront laissé dans les tranchées nauséabondes, devant des charniers ayant servi de cimetières, sur des champs de batailles sanguinolents où se décomposeront les corps des oubliés de furieux combats, ceux que les équipes de ramassage auront laissé pourrir, donnant aux prédateurs de quoi se nourrir. Leur innocence gamine perdue, ils chercheront à retracer les responsables, traquer les coupables de tant de carnages, de tueries et de boucheries pour sommairement les juger.
Tous, sauf ceux qui commandèrent, qui lancèrent les cris “Feu ! Feu !” resteront définitivement marqués, plus creux encore que “l’indépoussiérable”, par ces mois, ces années parfois, de luttes sauvages. La bonté, la bienveillance, la douceur, disparues de leur esprit, auront laissé tout le domaine à la barbarie.
Sortir de la guerre peut se comparer à une sortie de prison : du temps passé sans avoir pu prévoir les inévitables changements advenus durant l’absence. Retour en terre méconnaissable, même la couleur de l’environnement se sera modifiée. On ne vous reconnaîtra qu’à partir des méfaits que l’on vous a reprochés. Visage endurci, transformé, métamorphosé, vous serez devenu différent. Ne resteront plus que ces fantômes avec qui vous aurez vécu, ces funestes camarades qui ont accru votre disgrâce.
Sans vous en apercevoir, vous continuerez la guerre comme ce prisonnier libéré de sa cellule tourne en rond autour de lui-même.
La guerre, la pluie, la nuit, une fois réunies, ravitaillent la peur. Non pas celle qui fait sursauter l’espace d’un court instant, plutôt celle qui s’enroule à tout votre être, bloque vos tripes, vous maintient en état d’alerte continuel, vous qui avez, au-delà de ce qui fait que la guerre est la guerre, vécut quotidiennement la hantise de mourir.
Être en vie devient le fait de ne pas être mort... encore. Dépassé le numéro qu’on a fiché sur votre habit militaire en peau de zébi, vous devenez... rien. Ce spectre remue dans le grand néant qu’emplissent les marches inexorables à chaque jour reprises.
Les ennemis ? Il n’en existe pas, la guerre est seule l’ennemie. Que des êtres soumis aux mêmes contraintes, aux mêmes règles, aux mêmes soucis ! Que des hommes étouffant sous l’effroi écrasant comme ces blindés fonçant vers nulle part ! Que des zombis insomniaques vomissant leurs repas froids qu’ils ont péniblement arrachés à des moustiques aussi affamés qu’eux ! Que de futurs cadavres que la pluie lavera, que le soleil asséchera ! Des hommes projetant leur ombre de macchabées.
La guerre est voracement destructrice, intemporelle et sans espace. Elle se déplace à sa guise, n’entretient aucune mémoire. Son âme de vampire sucera jusqu’à la moelle de l’homme, elle l’a toujours fait, le fera encore. Elle ne choisit pas ses champs de bataille, chaque lopin de terre lui suffit. Avec le temps, devenue immortelle, d’autres mourront pour celle qui s’en réjouira. Son arme se cache à l’intérieur des hommes qui, inconsciemment, l’affûte à la perfection. Ses costumes diffèrent selon les époques, mais le sang demeure sa couleur préférée. C’est fou comme elle se targue de devenir de plus en plus cruelle, de plus en plus jalouse de ses succès au détriment de ceux qui la mènent en son nom.
Soulevant son macabre étendard au-dessus des nations, elle les incite malignement à ne jamais le mettre en berne. Nourrie d’orgueil, de cupidité, de haine, grossissant continuellement ses rangs ; la paix, sa rivale, fait piètre figure. La guerre a réussi à intégrer dans le cerveau humain qu’elle est son rempart, que la détente est un vice à proscrire.
La guerre ne vieillit pas, elle se maquille. Aucune ride apparente ne laisse transparaître la monstruosité de son faciès. Comment réussit-elle encore à fasciner, telle une sirène ? L’homme, attiré par les périls de la mer, croit pouvoir la dompter alors qu’elle le submerge lamentablement dans un rictus démoniaque.
C’est cette image apocalyptique que trois hommes, ceux qui arrivent au café Nhớ Sông, révèlent presque fièrement, se souciant très peu, dans leur parfaite dureté, de ce qu’ils projettent.
- Qui peut m’expliquer l’intérêt de quelqu’un pour les langues anciennes, mortes depuis des années ? Questionna Một.
- De quoi parles-tu exactement ? Répliqua Hai.
- On m’a informé que ce type, le Fany...
- ... tu te trompes, Fany c’est le nom du chien, lui c’est un certain Dibi sans que ce soit tout à fait son nom.
- Fany... Dibi... peu importe, vous savez de qui je parle. On m’a informé qu’il a été longtemps professeur à l’université, enseignant ce drôle de sujet.
- Voilà sans doute ce qui explique ses rencontres avec la professeure.
- Je n’en suis pas certain. Ce que je sais, cela est officiel, il a des contacts avec l’ambassade américaine qui lui a obtenu un visa d’un an alors qu’il ne travaille pas ici. J’ai demandé des éclaircissements là-dessus. Les langues anciennes, quelle affaire bizarre !
Một, ne cachant pas sa surprise, allait plus loin dans ses interrogations. Comment se fait-il qu’il soit connu en haut lieu ? Comment expliquer qu’après quelques mois à Hanoi, sous prétexte de venir visiter le Sud du Vietnam, dès son arrivée, il soit mis en relation avec cette femme ? A-t-il des contacts autres que personnels à l’ambassade américaine ? Pourquoi être accompagné par ce molosse qui ne le laisse pas d’une semelle ?
- Il me semble que notre réseau d’informations nous fournit l’essentiel et voici qu’apparaît dans le décor cet homme étrange. Y a-t-il de quoi s’inquiéter ? Reprit Hai.
- Nous aurons à éclaircir cette situation. Pas question de laisser impunément agir un étranger, surtout s’il a ses entrées auprès des USA. Comment s’y prendre, voilà la question.
- Hoa pourrait-elle devenir plus active dans ce dossier ?
Toutes ces incertitudes flottaient dans l’air, perturbant deux colonels et passant à cent lieues au-dessus de la tête d’un troisième. Sans jamais en avoir fait mention, l’attitude de Ba, aux limites du renfrognement, agaçait les deux premiers. Exact de dire, toutefois, qu’il ne s’opposait pas à la ligne de conduite, une fois celle-ci tracée.
Il sursauta lorsque Một reprit la parole.
- Nous l’avons retracé. Ce fut long et pénible, mais le voici enfin dans notre mire.
- Parles-tu encore de l’étranger et son chien ? Questionna Hai dont les tics nerveux se multipliaient.
- Je parle de "Celui qui écrivait". Il ne portait aucun numéro, aucun nom et nous est tombé dessus une fois la formation terminée. Le gars qui nous a remis les clés des camions à Bạc Liêu.
- On nous a toujours dit qu’il avait perdu la vie à Phnom Penh, rappela Ba soudainement intéressé par les propos de Một.
La conversation interrompue par la serveuse tatouée leur apportant les consommations, toujours les mêmes, s’échevelait entre l’homme au chien et l’annonce que cet étrange personnage décrit comme "Celui qui écrivait" avait été repéré. Một profita de la présence de la jeune fille pour insister sur le besoin qu’ils ressentaient d’en apprendre plus au sujet du personnage.
- Il n’est pas venu depuis mercredi, mais je ne serais pas du tout surprise de le voir rebondir bientôt. Les coups d’oeil qu’il dirige en direction de la professeure me portent à penser qu’un prochain rendez-vous ne devrait pas tarder. Soyez sans crainte, j’approfondirai mes recherches.
- On te sait excellente dans ce domaine, ricana Hai dans un élan de tics nerveux, le pire étant cette toux rauque qui semblait ne jamais s’arrêter.
Ba laissa passer quelques instants, question de ne pas laisser entendre que la nouvelle découverte dont avait parlé le colonel 1 l’avait chatouillé. Il relança directement Một qui, allumant une nouvelle cigarette, raconta ce qu’on lui avait transmis.
- Vous vous souvenez que les Cambodgiens que nous avons rencontrés sur les routes menant à la capitale, tous en piteux état et qui tranchaient dans le décor avec leurs pyjamas noirs usés à la corde ? Ils nous appelaient les Youn (surnom que les Cambodgiens utilisent afin de parler des Vietnamiens) même si nous tentions de ressembler davantage à des moines qu’à des Vietnamiens. Refoulés aux portes de la ville, ils revenaient sur leurs pas, surpris de nous voir continuer la route sans impunité. Ce qu’ils avaient vécu dans les camps de travail avait certainement dérangé leur esprit. Les camps, oui, mais surtout la torture de la malnutrition. Aucun ne s’adressait à nous, ce qui faisait bien notre affaire. Le groupe, à ce moment-là, correspondait en tous points à ce que nous avions mis en place durant les mois précédents. Discipline au doigt et à l’oeil, regards placides, rigueur dans tout ce que nous avions à faire, cohésion parfaite entre nos trois sections, obéissance totale aux ordres ; tous sauf ce type.
Le temps de reprendre son souffle et il reprit.
- Le message remis à Bạc Liêu ne nous laissait aucune marge de manoeuvre, nous devions le protéger. On exigeait formellement de le laisser agir en autant qu’il s’en tienne à son rôle d’écrivain. Interdiction complète de lire ses actes de guerre, ce sont les mots utilisés, qui devaient, sous haute protection et à l’occasion, être envoyés à qui, on ne sait trop. Je me rappelle le voir crayonner. Le plus bizarre, c’était l’apercevoir recopier ses pages, chiffonner les anciennes, en faire des boulettes de papier avant de les brûler. Vous vous rappelez comment il avait surnommé le commissionnaire à son service ? Hermès. Personnellement, je ne comprenais pas l’allusion. Ce surnom est resté collé au bonhomme qui restera éternellement gravé dans ma mémoire à cause de son incroyable facilité à se déplacer, emprunter des routes inimaginables afin de raccourcir ses mouvements et surtout pour la somme d’informations qu’il ramenait de ses excursions, celles que “Celui qui écrivait” nous retransmettait oralement. Une fois entrés au Cambodge, nous éloignant graduellement du Mékong, ses escapades pouvaient durer plusieurs jours. S’il a existé dans la Phalange quelqu’un en qui nous pouvions avoir une confiance sans limites, c’était bien lui. À son retour, il remettait une tablette de feuilles blanches et un crayon à la mine à notre écrivain, ce qui signifiait que la course avait été fructueuse, la note étant arrivée à bon port.
Một s’arrêta et après avoir débroussaillé sa mémoire de l’important à dire au sujet de ce scribouillard taciturne et reclus, il reprit ses commentaires au sujet de cet homme qui ne faisait qu’écrire, ne participait pas aux opérations, ne communiquait qu’avec sa tablette de feuilles lignées, gardant les yeux bien ouverts.
- Il nous effrayait. Je le surveillais constamment. Jamais il n’a eu de conversation avec Hermès et tel un observateur muni d’une caméra invisible, il semblait mettre en mots les images qui se déroulaient devant lui. Je me suis mis à penser que ce qu’il communiquait régulièrement, eh bien cela pourrait un jour être retenu contre nous, si la mission échouait. C’est évident que nous aurions pu constater un malheureux accident lui étant arrivé, si facile de marcher sur une mine antipersonnel ou s’enfoncer dans un piège comme ceux mis en place autour des tunnels de Cu Chi. Le risque était trop grand, même celui d’y songer.
- Je croyais qu’il avait disparu dans la brume, dit Hai.
- Moi, je le croyais tout simplement mort, acheva Ba.
- N’est-ce pas cela que tu nous avais dit ?
Ba, le colonel 3, reçut ces paroles comme un doute sur son intégrité, il ajouta.
- En 1993, lorsque nous recevons la prescription de rentrer au pays, le moins chargé possible, à titre de commandant de l’unité à ce moment-là, je comprends que je devais prendre les mesures pour voir disparaître les soldats et vous aviser que nous seuls avions l’autorisation de revenir. On n’élimine pas facilement tant de gens et si rapidement. J’ai alors pris la décision d’agir section par section. Les stratégies de Douch m’ont été d’un grand secours. C’est un expert dans ce domaine. J’ai convoqué le responsable des “microbes” lui annonçant qu’une mutinerie se préparait, que sa section avait le choix entre la vie et la mort. Il n’en fallut pas plus pour que des plans bouillonnent dans sa tête. Même scénario avec le responsable des “bactéries” puis les “virus”. Il ne restait plus qu’à organiser une mission et laisser aller.
- Deux choses ne sont pas claires, reprit Một. Qu’est-il advenu de “Celui qui écrivait” à ce moment-là ? Les informations qu’on possède maintenant indiquent qu’il est vivant sans qu’on sache exactement le lieu qu’il a choisi pour s’établir. Alors que toi, te basant sur la tactique de la mutinerie, tu le déclares mort. Je te rappelle qu’il demeurait continuellement au camp de base, alors que si ma mémoire est bonne, p-M-24 aussi y serait resté. C’est d’ailleurs toi, Ba, qui l’a exigé. Seul Hermès accompagnait les soldats puisqu’il devait corroborer le compte rendu des responsables à la suite des manoeuvres. Deuxième chose, découlant de la première, nous n’avons jamais su exactement le résultat de cette opération, personne n’étant revenu. Ce qui me mène à la conclusion que, nous compris, il y a quatre personnes reliées directement à la Phalange officiellement vivantes, si on accepte l’idée que la mutinerie aurait fait disparaître tous les soldats... ou presque. Il ne faut pas avoir un degré d’études élevé pour imaginer qu’au moins un soldat a pu être le dernier à tirer. Nous reste à découvrir combien ont pu échapper à la mutinerie. N’est-ce pas le mandat nous avons reçu, celui de clarifier l’affaire ?
- Comment départager cet imbroglio ? Avança Hai. Peut-on croire que p-24 M demeuré au camp de base avec “Celui qui écrivait” respire toujours ?
- Nous devions le protéger, le laisser agir dans son rôle de scribe et de cartographe. Pour cette dernière activité, p-24-M et Hermès l’accompagnaient, les deux seuls soldats autorisés à quitter le camp, continua Một. Pourraient-ils s’être enfuis ensemble lors de cette opération ? Mais ça n’éclaicit pas toute la problématique.
Le dernier échange glaça le sang de l’obèse colonel. Sa dernière exaction, celle de se débarrasser des deux types confinés au camp de base alors que les 30 soldats allaient régler leurs comptes n’aurait donc pas donnée les résultats escomptés. Savoir l’un en vie supposait que l’autre l’est également.
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Chaque individu recèle en lui un certain nombre de secrets, certains reçus, d’autres, plus personnels, que nous nous sommes appliqué à cacher au fond de notre mémoire, déguisés en souvenirs. Parfois, sans s’y attendre, comme propulsés par une espèce de nausée, les voilà qu’ils remontent en un relent incontrôlable, à l’occasion d’une parole échappée, d’une odeur persistante, d’une similitude avec l’avènement impromptu d’une situation rappelant du déjà-vu, ils rejaillissent enveloppés de la tunique de Nessus.
Impénétrable, le secret devient énigmatique, jamais ne se dilue. Hermétique, il aura enterré la clé là où c’est impossible de la retrouver, une cache au fond du cerveau. Le raviver vous retrempe dans ce qui en est la source, jusqu’aux moindres fibres de notre être .
Parfois, le mensonge s’y incorpore, transformant une réalité en une autre plus ou moins convenable. Facile de trahir un secret ou le travestir pour le rendre potable. Les mots choisis en modifient la facture, l’occultent. Lorsqu’il s’allie au mensonge, une forme de clandestinité se crée, dont les apparences se noient dans une opaque noirceur ; cela devient un bouclier bloquant les intrusifs. Une alchimie complexe que celle où s’entremêlent secrets, mensonges et souvenirs.
Les anciens colonels n’échappent pas à cette loi. La lâcheté du premier se transformant au bon moment en héroïsme ; l’aisance avec laquelle le deuxième navigue entre déloyauté et fourberie ; la perversité du troisième que dissimule des dehors de fausse humanité.
Au cours des quinze années passées l’un près de l’autre, la règle d’or fut de ne rien divulguer de leur intimité. Étaient-ils mariés ? On ne le sait pas. Avaient-ils des enfants ? Une pure inconnue. Qu’en était-il de leur famille respective ? Mystère. La seule indiscrétion qu’ils eurent à partager fut leur âge. C’est essentiel pour rendre la langue vietnamienne compréhensible. Autrement, une entière vacuité.
La Phalange, comme entité propre, vit le jour au début de l’année 1979, pour s’éteindre en 1993. Một, le plus âgé des trois, avait 51 ans alors que ses deux confrères, fin de la quarantaine. Lorsqu’ils rentrèrent au Vietnam, six ans avant le retrait des troupes vietnamiennes du Cambodge, quelques mois passèrent avant qu’ils se réunissent à nouveau.
Ils furent chargés d’une nouvelle mission, en lien direct avec la première : achever le nettoyage de l’unité spéciale en retrouvant les survivants. Comment avait-on été mis au courant de cela ? TOP SECRET. Connaissait-on les prévarications commises, celles reliées aux nettoyages précédents ? Silence complet.
Les services du renseignement qu’installe tout gouvernement sous l’égide d’un ministère de l'Intérieur, n’ont pas droit à l’erreur, se doivent d’examiner à fond toutes les informations leur parvenant afin de les javelliser. Puisque cette affaire relevait aussi du ministère de la Guerre, hautement surveillée par l’Armée, il n’aurait fallu qu’un mot, échappé bêtement quelque part dans le Mékong ou à Saïgon, pour signaler l’imminence d’un danger. La politique était claire : se débarrasser de tous ceux ou toutes celles qui pouvaient soupçonner quelque chose sur le passé ou sur le présent de la Phalange.
Une seule et unique personne, en haut lieu, communiquait avec eux, leur intimant l’ordre de fouiller telle ou telle piste qui parfois n’avait aucun lien avec l’ancienne mission. Ils devaient remettre plus de notes qu’ils n’en recevaient.
Leur survie dépendait de la qualité du butin qu’ils ramenaient et pouvait être remise en cause à tout moment. S’associer fut leur premier réflexe. Adoptant la tactique mise en application lors de quinze années de marche sous la pluie, de guerre sans en être une, de peur qu’à tout moment survienne l’inattendu, l’un devint “microbe”, l’autre “bactérie”, finalement le dernier, “virus”.
Ces hommes vieillis et malmenés par la vie devinrent impropres à la consommation de la populace, c’est-à-dire qu’on ne faisait pas attention à eux, donc aucun intérêt à chercher quoi que ce soit à leur sujet. Les voisins proches et éloignés ne croisaient que trois vétérans radotant sur la nostalgie des années passées dans les tranchées. Rien de plus, rien de moins.
Cette obligatoire association ne pouvait en rien dissimuler ce qu’ils étaient intrinsèquement. On ne peut changer, se métamorphoser lorsque tant de circonstances antérieures auraient pu s’en charger.
Aucune place disponible pour installer de nouveaux faits, visiter des avenues ignorées ou modifier leur manière d’aborder la vie. De ce temps disparu, enfoui sous tellement de terre déplacée, ne reste plus que l’anxiété de survivre, un peu comme ont tenté de le faire les Cambodgiens libérés des fers de Pol Pot.
Les amertumes et les soucis
Sont-ils donc ces moments bien finis,
Où riant au soleil,
Chantonnant sous la pluie,
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