mercredi 13 avril 2022

Chapitre - 4 B -

                                                                 4B

 

    Le President Hotel fait régulièrement l’objet de perquisitions de la part des policiers de Saïgon. Les squatters, prédisposés à s’évaporer dans la nature avant leur arrivée, développèrent un sixième sens. Ils avaient organisé un système de communication extrêmement efficace, de sorte que les limiers se retrouvaient toujours dans des locaux vides. L’évacuation représentait une question rémanente, créant ainsi des liens parallèles entre tous ces jeunes qui y vivent.

Lotus et Mister Black, sans être officiellement les meneurs de toute cette ribambelle disparate de sans-logis, sans famille, sans rien devant eux, insufflèrent au vieil immeuble un esprit de coopération à nulle autre pareil. L’entraide définissait leur action. Ils insistèrent sur le fait qu’en aucune occasion, on ne devait y faire entrer quelque drogue que ce soit, sachant pertinemment que les autorités municipales utiliseraient ce prétexte pour cadenasser l’endroit. Mais cette place attirait beaucoup de touristes, la fermer nuirait à la petite économie locale. On tolérait tout en ayant l’oeil ouvert.

Depuis sa nuit en prison, le graffitiste proposa que le groupe Janus ne tienne plus de réunions. Regroupant tout au plus une vingtaine de membres, départagés en deux sections distinctes et autonomes, la troupe revendiquait secrètement le droit de savoir, de connaître et de comprendre le monde extérieur. Le nom Janus, dieu romain représenté par deux faces, l’une tournée vers le passé et l’autre vers l’avenir, s’était imposée dès le début.

Une cellule davantage captivée par les arts, sous l’influence de Mister Black, la seconde, par l’histoire, relevait de Lotus ; les deux se subsumant dans la dernière phrase d’Ovide, cette prière à Janus qui signifie : “apporte-nous la paix”.



Dieu à double visage,
c'est de toi que part l'année pour s'écouler sans bruit ;


toi qui, sans tourner la tête, vois ce que nul autre dieu ne peut voir,
montre-toi propice aux chefs dont l'active sollicitude donne le repos à l'Océan 
et la sécurité à la terre, qui nous prodigue ses trésors montre-toi propice à tes sénateurs, au peuple romain, et, d'un signe, serre les portes de ton candide sanctuaire.

 

 

Les contacts entretenus par Janus outrepassent les frontières du Vietnam, s’étendent en Europe, mais principalement aux USA, là où s’agite le Viet Tan, un groupe politique revendiquant la libéralisation du Vietnam. Interdit à l’intérieur du pays, perçu comme subversif et contre-révolutionnaire, il fut créé en septembre 1982 par l’amiral Hoang Co Minh, réfugié en terre américaine après la réunification du pays. Lors d’une tentative d’entrer au Vietnam par la Thaïlande, accompagné de 200 personnes, ce dernier mourra en août de la même année, à 20 kilomètres de son pays natal. Inspiré par lui, on instituera, en 2004, le Parti pour la réforme du Vietnam qui s’affiche comme l’opposition légitime au Parti communiste, seul parti autorisé dans le pays.

C’est Lotus qui entretient les relations entre le groupuscule et cette organisation. Comme tous ne sont pas adeptes de politique ou d’histoire, la seconde branche de Janus s’intéresse davantage aux arts, la libre expression de ceux-ci. La littérature, oui, mais principalement la peinture, la photographie et les arts graphiques. Mister Black en est l’animateur.

Lorsqu’une rencontre s’inscrit à l’agenda, on utilise des dessins codés afin de faire connaître les lieu, date et heure de sa tenue, mais depuis la malencontreuse expérience du graffitiste, les choses doivent changer. Toujours cela se tient dans un salon de massage, ne dure rarement plus d’une heure, en fait le temps consacré à un massage ordinaire. Puis on se disperse, respectant à la lettre l’esprit du groupe : TOP SECRET.

Les autorités municipales sont-elles au courant de l’existence d’un tel clan ? Impossible de savoir, toutefois, la paranoïa de l’administration ne permet pas d’exclure que des activités reliées à Viet Tan puissent avoir cours, surtout que Saïgon fut longtemps la capitale du Sud-Vietnam. Notons qu’entre les années 1987 et 2004, la plus grande discrétion recouvrait les affaires de Viet Tan.

Parmi les membres actifs, outre notre couple de responsables, s’ajoutent Hoa et Thi, les deux employés du café Nh Sông, l’une intéressée par l’aspect historique du groupe, l’autre aux arts, en raison de sa passion pour la poésie.

Il nous faut inventer, dit Lotus, un nouveau moyen de communication entre nous.

- Je pensais, répondit Mister Black, que nous pourrions tirer parti du café, d’une manière ou d’une autre, y laisser un message codé annonçant la tenue d’une réunion. Qu’en penses-tu ?

- Ça me semble réalisable, mais risqué.

- Moins hasardeux qu’un graffiti !

- Exact. Je verrai avec Hoa qui est passablement habile pour la dissimulation.

- Et comment, une experte.

L’amour qui lie ces deux êtres repose sur de l’infrangible. Ils vivent ensemble depuis longtemps. L’admiration qu’ils manifestent pour leur génie respectif installa un respect inconditionnel. Au début, cela agaçait un peu, mais rapidement, aux yeux de tous, ils devinrent un couple au même titre que tout autre.

La vie des homosexuels vietnamiens n’est pas de tout repos. D’abord, se confier se révèle plutôt ardu en raison du tabou qui entoure la question et la culture vietnamienne assise sur la famille. Puis les amis, risque-t-on de les voir s’enfuir au pas de course ? Les préjugés tenaces qu’entretient la société mènent au rejet pur et simple ? Aucune législation quant aux droits des personnes homosexuelles n’a été adoptée, mais il est possible de croire qu’en 2005, une certaine tolérance s’installe, guère plus.

- Je vais m’entretenir avec elle à ce sujet, acheva Lotus qui enserra son homme dans ses bras.

 

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- Et de trois, dit Một. Cette rencontre ne laisse planer aucun doute.

- Plus on avance, plus la situation devient complexe, renchérit Hai. Je crois avoir un plan.

- Un plan ?

- Qui te met en première ligne.

Thi s’approcha d’eux.

- Vous reprenez la même chose, messieurs ?

- Dis-moi, jeune homme, poursuivit Hai, ces trois personnes, celles avec le chien sous la table, semblent bien se connaître ?

- Mon boulot, c’est de servir les clients, non de m’interroger sur eux.

- Très sage de ta part. Toutefois, tu possèdes deux oreilles.

- Un bon employé de café doit user de la plus grande discrétion.

- Exact, mais cela ne l’empêche pas d’entendre des conversations.

- Et de les oublier.

- Demain, mon collègue aura un entretien de la plus haute importance avec toi. Il se présentera seul et te confiera quelque chose qui pourrait peut-être te surprendre, même te faire découvrir des choses auxquelles tu ne t’attends pas.

- Je travaille tous les jours à partir de 18 heures.

- Noté.

Le jeune homme les laissa sans avoir obtenu de réponse à sa question, mais porteur d’un message qu’il ne saurait ignorer. Sa collègue lui a beaucoup parlé de ces hommes, de sorte qu’il crut impossible de se soustraire à l’invitation. Revenu au comptoir, il plongea ses yeux dans le livre que Bao lui avait prêté.

- Alors, ce plan ? Il me semble que m’y voilà plongé sans même savoir en quoi il consiste, questionna Một alors que le troisième, malgré son indifférence habituelle aux propos tenus en sa présence, se permit une interrogation.

- Tu ne vas pas un peu trop vite ? Tu avances l’idée d’un quelconque plan et nous n’en sommes pas instruits.

- Il se résume en peu de mots ; s’il fonctionne, nous accumulerons assez de détails sur les liens qui se développent entre eux et ainsi nous pourrons mieux réagir.

L’auteur du plan informa ses acolytes sur l’opération exploratoire que devait mener le plus âgé des colonels auprès du jeune serveur. Les qualités du stratège Hai, il les avait mis à la disposition de la Phalange tant de fois pour qu’on ne s’y intéresse pas.

Le meilleur choix pour le mener à bon port est-il Một ? Il entretenait depuis longtemps des soupçons quant à sa loyauté. À la suite de différents événements, plusieurs doutes s’installèrent en lui sans qu’il puisse en confirmer la véracité.

Au même moment, les trois anciens colonels virent le jeune serveur froisser un bout de papier, en faire une boule compacte et la lancer dans le fleuve.

- Ce geste me rappelle "Celui qui écrivait", dit Hai.

- Un hasard, répondit Một.

 

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- Qu’est-ce qu’un angiome ? S’enquit Daniel Bloch, s’adressant à Đẹp arrivée chez OLÉ quelques minutes avant le trio.

Il constatait que le nombre trois revenait souvent : trois anciens colonels, la petite famille comptait trois membres, lorsqu’il se rendit dans le delta du Mékong, ils étaient également trois. OLÉ, trois lettres, sans oublier celles de certains prénoms de gens qu’il côtoyait. Il devra s’interroger sur la signification de ce nombre qui, excluant l’hypothèse du hasard, se multipliait régulièrement. Trois, trio, triangle.

Avant que la mère de Mừng ne réponde à la question, Monica s’était emparé du nourrisson, se promenant de long en large dans une salle à manger encore vide. Son amour pour les enfants fait triste à voir, elle qui n’en a pas eu.

- Le médecin nous a expliqué qu’il s’agit d’une anomalie vasculaire tumorale ou malformative bénigne. Dans le cas de notre bébé, cela prend le nom de hémangiome infantile.

- Les causes ne sont pas encore élucidées à ce jour, précisa la docteure Méghane, mais ce que l’on observe, c’est que cela affecte surtout les filles. Votre grossesse a été difficile ?

- Hypertension et pré-éclampsie, selon le diagnostic de mon accoucheur qui professe à Hanoi.

- Soyez sans crainte pour la suite, votre fille est en bonne santé, sauf qu’il faudra vous habituer à voir cette tache de vin s’accroître tout doucement et au fait qu’elle la portera jusqu’à la fin de ses jours.

- Il me sera impossible de l’oublier.

À ces mots, elle fondit en larmes. Visage-Ravagé se leva aussitôt pour l’entourer de ses bras. Cette tache a la forme d’une fleur de bougainvillier ainsi que sa couleur, rouge.

Ces mots sanglotés, incompréhensibles pour certains, firent rejaillir à la mémoire de Daniel Bloch des souvenirs l’empêchant d’ajouter quoi que ce soit. Une histoire dramatique, le viol de la jeune mère, une affaire tragique, le suicide de son agresseur, par la suite, tous ces changements dans la petite collectivité de Hanoi qui affectèrent les membres du quartier, principalement la communauté rapprochée des deux acteurs principaux.

Monica, rendant la fillette à sa mère, prit les commandes puis s’éclipsa vers la cuisine.

- Je n’oublie pas Fany.

À ces mots, la chienne releva ta tête et se mit en frais de la suivre à l’étage.

- Daniel, je remarque que votre chienne devient de plus en plus sociable. Dire qu’après votre départ de Sapa, on ne donnait pas cher de sa peau, remarqua Visage-Ravagé.

- Elle me surprend de jour en jour, répondit-il. Au sujet de demain, on organisera une visite de la ville, ses principaux intérêts bien sûr. Bao, vous connaissez si bien Saïgon, vos commentaires et vos informations seraient bien appréciés, si vous nous accompagniez.

- Cela tombe bien, je suis libre. Je connais un ami viet kieu avec qui nous pourrions nous balader. Il a préparé un trajet tout à fait intéressant qui sort des sentiers battus. Je lui demande s’il est disponible. Grâce à ses nombreux contacts, certains lieux secrets nous seront ouverts.

- Je laisse ceci entre vos mains.

La discussion partit dans tous les sens jusqu’au moment où la professeure ramena le sujet des anciens colonels sur le tapis.

- Excusez-nous Đẹp si je me permets d’aborder un sujet dont vous n’êtes pas  instruite. Mon étudiante, Sứ Giả, m’a laissé un message à l’université disant que si nous souhaitions revoir sa grand-mère, il ne fallait pas tarder, car sa santé s’est passablement détériorée ces derniers jours. Ses parents s’inquiètent terriblement de ces montées de fièvre de plus en plus fréquentes. Comme la vieille dame ne veut pas quitter le Mékong, sachant très bien que ses dernières heures approchent, sa petite-fille nous propose d’y retourner bientôt.

- Il n’y a rien d’encourageant lorsqu’une personne âgée accumule les montées de fièvre. Si vous le souhaitez, je pourrais vous accompagner et lui prescrire un  médicament afin d’alléger les désagréments qu’elle doit endurer, proposa la docteure Méghane.

- Je ne sais pas si elle sera en mesure de répondre aux questions relatives aux lettres de son mari.

- Vous savez Bao, la pharmacologie actuelle permet certains petits miracles qui, bien que temporaires, redonnent un élan fantastique à la mémoire. À son âge, il n’y a pas à craindre qu’elle en devienne dépendante.

- Je me fie à vous.

- Est-ce que votre étudiante nous propose une piste, demanda Daniel Bloch.

- Je crois qu’elle désire élucider l’objet des visites des trois hommes que l’on imagine être nos anciens colonels.

- Si vous me le permettez, je crois qu’il serait aussi pertinent d’aller dans une autre direction.

- Laquelle ?

- Celle-ci : croit-elle que les messages ont été codés ? Je suis à peu près certain que cette dame en sait davantage qu’elle ne le laisse paraître, autant sur le contenu que sur ce qui pourrait s’y dissimuler. Ceci m’amène à penser qu’elle aurait joué un rôle plus actif que l’innocence de ses propos laisse transparaître.

- Pouvez-vous préciser votre pensée.

L’arrivée de Monica, les mains chargées d’assiettes et d’une fidèle chienne qui prenait plaisir à la suivre, coupa court à la conversation.

- Le cochon de lait que vous prépare Tony sera prêt dans quelques minutes, calmez votre appétit avec ces cochonnailles. Je vous sers un vin rouge ?

- Cela manquerait au repas, dit celui vers qui la chienne s’installait.

Fany hésita un instant à suivre la propriétaire du restaurant qui retournait à l’étage, mais son bol d’eau et les morceaux de jambon l’incitèrent à demeurer au premier rez-de-chaussée.

- Docteure Méghane, comment en êtes-vous venue à ces recherches sur la mémoire ? Interrogea Daniel Bloch.

- C’est une longue histoire, je vous la résume en peu de mots. Mon père est originaire de Hué, il a quitté le pays pour s’installer au Canada à la suite de l’offensive du Têt, en 1968. J’y suis née, élevée dans le plus pur respect des traditions vietnamiennes. À la suite de mes études en médecine, les neurosciences se sont dévoilées à moi par les travaux de Hubel et Weisel qui ont obtenu le Prix Nobel de Médecine, en 1981. Conquise par l’intérêt qu’ils portaient aux choses du cerveau, je me suis spécialisée plus spécifiquement sur la question de la mémoire.

- Vous n’avez que très peu pratiqué la médecine générale.

- En effet. Une société allemande oeuvrant dans le domaine de l’intelligence artificielle et ses applications, principalement dans le domaine économique, m’a engagée. Une année en Europe avant d’être affectée ici.

- Quel beau cheminement !

- Éclectique.

- Intéressant de voir le hasard influer sur le parcours de nos vies !

Les membres du personnel assignés aux tables servirent les convives. Une heure plus tard, trois voitures attendaient à la porte du restaurant OLÉ : deux taxis, l’un menant Bao chez elle, l’autre Daniel Bloch accompagné de la petite famille vers l’hôtel de la rue Phm Ngũ Lão La limousine de l’International Investigation Company partait vers le District 2, chez la docteure Méghane.

 

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    Il n’est pas habituel pour nos anciens colonels de flâner au café jusqu’à si tard, mais ce soir s’avérait différent. Hai élabora les détails du premier acte de son plan mettant en scène Một.

- Nous devons absolument retrouver et mettre hors d’état de nuire les survivants de la Phalange, tel est notre mandat. On a confirmé que deux seraient assurément vivants, soit “Celui qui écrivait et fort possiblement p-24-M, le sourd-muet ; à nous de dénicher les autres, si autres il y a. Notre écrivain est réellement de ce monde et il arrive à un âge vénérable, en fait le même que celui de son épouse. Nos visites auprès d’elle n’ont rien donné qui puisse nous rapprocher de lui, pour le moment du moins. Alors que personne, mis à part notre contact au ministère de l'Intérieur n’est censé être au courant de l’affaire, voici que s’y ajoutent cette professeure, la fille qui serait son étudiante et petite-fille de “Celui qui écrivait”, la docteure canadienne puis cet homme au chien. Trop de monde gravite autour de notre mission. Nous ne pouvons pas agir à visage découvert, cela est trop risqué. Il faut donc user de stratégie pour situer chacune de ces personnes correctement sur la planche de jeu et agir en conséquence.

- Cela nous amène à ton plan, conclut Một.

- L’objectif est de stopper les recherches que semblent mener ce micro-groupe, le diriger vers ailleurs, léloigner de l’objet de leur enquête.

- Alors, ce plan ?

- Il est simple. Demain, tu rencontres le jeune serveur et tu dois l’embobiner.

- Comment ?

- D’abord, bien observer ses réactions aux deux informations que tu lui fourniras.

- Lesquelles ?

- La première portera sur nos relations. Tu lui dis que nous sommes d’anciens soldats qui ont été affectés au Cambodge, en 1979. Que cette période de notre vie a été difficile et que nous souhaitons retrouver des camarades de l’époque.

- Rien de nouveau dans cela, nous avons dit la même chose à la vieille dame du Mékong et les résultats sont peu resplendissants.

- Il n’y a pas plus exigeant de vérité qu’un excellent menteur. Tu devras broder autour de cette information, rendre le conflit au Cambodge plus horrible qu’on ne l’a présenté au public, mentionner à quel point cela a affecté les soldats qui y ont participé. Nous retrouver, insiste toujours sur le “nous”, est une question qui nous hante depuis le retour en terre vietnamienne, en 1999. Six années nous séparent de ces anciens compagnons d’armes, ne sachant pas qui est toujours vivant. Cela devrait permettre au jeune serveur de se faire une image positive de nous. Sans devenir un allié, cela mettra les pendules à l’heure et qui sait, devant répondre à des questions à notre sujet, il trouvera les mots nous éloignant du feu des réflecteurs.

- La deuxième ?

- La prochaine exigera un peu plus de doigté.

- Tu précises.

- Il s’agit de bien lui faire entendre, au risque de le troubler, que nous possédons des renseignements précis sur certains de ses agissements qu’il mènerait avec sa collègue de travail.

- Hoa ?

- C’est ici que tu devras user de ton sens de l’observation. Ses réactions en diront plus que les mots qu’il emploiera. Rappelle-toi les messages de Douch : un interrogatoire, c’est comme un jeu du chat et de la souris. Le gagnant en sort vivant. Le chat se sait le plus fort, la souris ne cherche que des portes de sortie pour éviter d’être dévorée. Le chat, demain, ça sera toi. Profite de ta supériorité ainsi que de ton expérience pour le berner. Oblige-le à se retrancher dans un coin où tu le pinceras. Ce gars est une eau dormante dont il faut se méfier.

- Qu’est-ce que je devrai rapporter de l’échange ?

- D’abord, sa confiance, ensuite, sa méfiance, deux morceaux importants chez celui dont on veut obtenir la collaboration. Il doit nous percevoir comme de vieux soldats que la guerre a usés. C’est ici que tu auras à t’assurer que toute son attention doit se porter vers des personnages pouvant chercher à nous embêter. C’est d’eux qu’il devra se méfier, pas de nous.

- Je vois. Comment associera-t-il les trois individus auxquels nous faisons référence sans que je les nomme ?

- Laisse-le se poser cette question. Il ne me semble pas bête. Une bribe de conversation saisie par inadvertance le rendra curieux.

- Y a-t-il autre chose ?

- Oui. Un peu embarrassante.

- Que veux-tu dire ?

- Je t’ai demandé, il y a quelques jours, de remettre un billet aux services du ministère de l'Intérieur. L’as-tu fait ?

- Tu en doutes ?

- Tu es notre contact. Maintenant que c’est fait, je peux en dévoiler le contenu. On devra voir à me fournir un produit spécial.

- De quelle nature ?

- Tu t’es aperçu que le chien gronde chaque fois qu’il nous croise.

- J’avais remarqué, tout comme le fait qu’il semble indispensable à son maître.

- Voilà. Je n’aime pas cela. Le produit dont nous avons besoin devra être un liquide indétectable à l’odorat, même celui d’un chien. Il s’agira de le mêler à son bol d’eau.

- J’imagine la réaction du type !

- Ça sera son problème et nous aurons réglé une partie du nôtre. À les voir continuellement ensemble, j’imagine que la disparition du molosse ralentira ses desseins, s’il en a, lui qui s’est invité là où il n’avait pas à fourrer son nez.

- Eh bien voilà de l’action comme je l’aime.

- Vraiment ? Ajouta le troisième.

Ils quittèrent le café une fois répété le rituel de nettoyage des lieux, surprenant quelque peu Thi qui aurait mieux souhaité ne pas à avoir eu à les rencontrer.

- À demain, dit Nhat au jeune serveur accaparé par son livre.

 

Lorsqu’un homme trouve une chose qui lui est nécessaire,

ce n’est pas au hasard qu’il le doit,

mais à lui-même.

 

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