mardi 19 mai 2020

COLLABORATION SPÉCIALE



  Un avocat oblige un CHSLD à embaucher | Droit Inc.


La pandémie de covid-19 se vit à travers le monde de multiples façons. Certains en sont atteints, d'autres, en première ligne afin de stopper sa course effrénée.
Les histoires sont nombreuses, touchantes ainsi qu'alarmantes.
Les CHSLD, l'acronyme pour Centre Hospitalier de Soins de Longue Durée - au Québec, Canada - se retrouvent au coeur de cette rude bataille... et rudement atteint.
Ma fille Catherine dont la spécialité est le service auprès de gens présentant des problèmes de trisomie, d'autisme, entre autres, a laissé son bureau, enfilé l'équipement de protection essentiel et répond, en guerrière qu'elle est, à la demande des services sociaux de s'y rendre.
Dans cinq (5) textes, elle nous présente six personnes qui y vivent et qu'elle côtoie quotidiennement : Micheline, Robert, les deux colocs, Myriam et Pierre.
Je vous les offre pour ce qu'ils sont : un regard sur leur réalité teinté de sa propre réalité.


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(Texte 1)

 MICHELINE

J’arrive au travail après avoir conduit presque seule sur l’autoroute 20 très tôt au petit matin, mis mon masque dans le stationnement du CHSLD (Centre d’Hébergement et de Soins de Longue Durée), fait prendre ma température à l’accueil, saluer les militaires qui ont basé leur campement au rez-de-chaussée, constaté sur l’affiche qu’il y a éclosion de covid au 2e, user d’imagination pour ne pas toucher aux boutons de l’ascenseur avec mes mains.
La porte s’ouvre au 6e étage. J’entends déjà les hurlements habituels de Chantal dans l’aile rouge qui m’accompagneront tout au long de mon quart de travail. Masque neuf, visière propre, jaquette jaune jetable (joie du moment car elle est moins chaude que les bleues) gants médium, zut je cherche le code de la porte, car je suis encore endormie, c’est mon 7e jour de travail d’affilé. Go je passe la porte ! 
Paulo qui n’a pas dormi de la nuit hurle qu’il veut se laver. L’équipe de nuit est cernée, ce fut une nuit agitée... le transfert d’info est rapide on les laisse partir ils sont fatigués .
Elle me regarde de son regard fuyant ...elle a des tics des tocs du tourette, une importante scoliose, elle ne sait pas parler ma belle Micheline ... elle crie fort, elle vocalise mais elle est capable d’être douce aussi des fois. Elle est réveillée depuis 3h du matin, en pyjama dans sa chaise roulante. Malgré mon peu d’expérience, je remarque immédiatement les cheveux pleins de noeuds qui me donneront du fil à retordre tantôt avec le seul peigne en plastique mou que je trouve dans sa salle de bain .
Elle manipule son morceau de lego et son crayon feutre qui ne quittent jamais ses mains 24h/24h, en me jetant des coups d’œil rapides. C’est difficile à expliquer, mais on connecte Mimi et moi ; avec elle je comprends, c’est facile, simple. Pourtant Mimi n’est pas la plus docile, certainement pas la plus douce ; elle est brusque, elle fait sursauter les gens... elle peut pousser et frapper... mais son cœur est tendre, elle aime le monde, elle adore les câlins sur les oreilles et se faire masser les mollets. On a des goûts semblable, le café au lait, la salade de chou, le gâteau aux carottes, le rangement, aider les autres, prendre des marches...
Elle veut aider, participer, avoir des responsabilités, elle est alerte et rigoureuse. Elle est exigeante et respectueuse du territoire des autres, mais elle ne se laisse pas intimider. Mimi, c’est une brave femme et je l’apprécie beaucoup. On choisit ses vêtements ensemble, on frotte le dos longtemps avec une débarbouillette chaude, on met de la crème hydratante, on démêle les noeuds en mouillant les cheveux, 3 jets de parfum (pas 2, mais bien 3), on met les serviettes au lavage pour bien ranger sa chambre et voilà la belle journée peut commencer !!

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(Texte 2)
ROBERT 
Comme il revient de l’hôpital et que son infirmière a été testée positive à la covid, Robert est en isolement 14 jours dans une chambre. Souvent dans son monde intérieur et imaginaire, presque sourd et aveugle, maigre, confus, trisomique et âgé, Robert occupe ses journées à dormir,se lancer au sol violemment, « écouter » la télé, plier des feuilles de papier vierges pour les mettre dans ses poches...
Il faut bien se protéger avec l’équipement complet (visière, masque, gants, jaquette) pour aller voir Robert et la longue procédure pour se désinfecter en sortant de sa chambre fait en sorte qu’il a beaucoup moins de visites que les autres... certains craignent le virus, d’autres sont intimidés par ses plongeons imprévisibles et vraiment non délicats.
En passant devant sa chambre ce matin, je vois qu’il est réveillé... Comme la belle Mimi est occupée à plier des débarbouillettes à la cuisine, que Paulo est douché, l’aile tiède est tranquille, je décide donc d’aller à la rencontre de Robert.

Bas, pyjama, couvertures, coussins, tout ce qui entoure l’univers de Robert est à l’effigie des Canadiens de Montréal (club de hockey). Il est assis devant la télé, occupé à plier des feuilles de cartable ; il ne m’a pas vu ni entendu. Je crains le surprendre avec mon look d’astronaute en jaquette bleue.
- Bonjour Robert.
Il me scrute de son œil le plus fonctionnel; le gauche. Nullement impressionné par mon look weird, il me demande quelque chose de sa bouche pâteuse...je ne comprends rien ... nada.
- De l’eau Robert?
Il boit les 2 verres que j’avais apportés dans de la vaisselle jetable. Lorsque tu es suspect covid, tu es comme en genre de picnik éternel : assiettes en carton, verre en styromousse et ustensiles en plastique.
- Un café-cognac, Robert?
Aucune réaction. Ma blague avait pourtant fait rire Pierre, ce matin. Ok donc on y va pour un café régulier, une compote, des biscuits social thé trop durs pour ses gencives ; ils les trempent habilement dans le fond du verre d’eau, pas fou Robert.
Petite toux que je souhaite due aux biscuits (le virus n’est jamais bien loin dans nos pensées). Je note mentalement qu’il aime la compote. Pendant qu’il se régale de sa collation, je me lance dans une mission. Le peu d’effets personnels déjà abîmés et incomplets de Robert se trouve dans 2 boîtes au fond de la chambre, derrière une chaise roulante appartenant à je ne sais qui... je range, place les crayons de couleur dans l’étui des Canadiens de Montréal, installe les 2 cadres photos de Robert jeune et souriant, coiffé d’une casquette de hockey assis près d’une dame (sa sœur? Qui est-ce ?? Je ne comprends pas. Un chapeau??
- Ah! oui Robert, tu avais une belle casquette des Canadiens de Montréal!!! Tu étais beau avec ta casquette Robert!!).
Il est ému. Au fond de la 2ème boîte, dessous des centaines de feuilles de cartables pliées, je trouve un trésor.
- Robert, regarde! Tes cartes de hockey !
Il s’anime, sort de son monde intérieur, se dépêche de ranger ses feuilles pliées dans ses poches pour que j’étale ses cartes de hockey devant lui.
- C’est Wendel Clark lui. Des Maples Leaf de Toronto!
-Ah! ben là Robert tu me surprends !
Il est ému une 2e fois. Je jette la vaisselle et laisse un Robert bien occupé à regarder ses cartes de hockey et en mettre quelques-unes dans ses poches de pyjama...

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(Texte 3)
Les 2 colocs
Pauline et Michelle cohabitent la même chambre, la dernière tout au fond du corridor. Depuis le réaménagement du 6e en 2 ailes - une chaude et une tiède - Michelle est emménagée dans la grande chambre de Pauline.
J’adore les visiter, il y a des dessins de fleurs colorées partout sur les murs, Pauline adore le dessin. C’est une artiste. Elle est calme, ricaneuse, sage et pense toujours aux autres. J’aime l’odeur de parfum, de maquillage, de crème à main à la lavande , de baume à lèvres aux fraises et de thé à la menthe qui embaument leur petit nid à elles.
Leur rituel matinal n’est pas des plus simples. Elles aiment faire la grâce matinée, pourtant les préposés débutent souvent leurs nombreux soins avant tous les autres résidents, même avant Paulo!! On les réveille très tôt : toilette partielle au lit, habillage, lève-personne pour les transférer dans leurs chaises roulantes, brosse leur dents et leurs cheveux avant même qu’elles ne soient complètement réveillées.
Jamais je ne les entends se plaindre, elles remercient en baillant, sourient aux inconnus venus poser tous ces gestes si intimes. Je demeure en retrait pendant cette séquence de soins physiques qui se déroule en silence. Lorsque tout est terminé je m’accroupis à leur hauteur. On discute doucement, on cherche les lunettes, on repère la date du jour au calendrier, on compte les dodos avant l’anniversaire de Michelle, fin mai.
J’aide Michelle qui adore les bijoux et qui en porte beaucoup. Je ne comprends pas sa demande... elle a pourtant 6 bracelets à chaque bras, ses colliers (au moins 5, 6), plusieurs barrettes, un foulard neuf gagné au bingo cette semaine et ses lunettes de soleil.
Elle a mal à l’oreille (est-ce un symptôme covid ?) Michelle est dysphagique et Pauline est ma traductrice.
- Elle veut mettre ses boucles d’oreilles !
- Ahhhh ! bien oui...c’est évident maintenant.
Je lui installe la seule boucle d’oreilles que je trouve dans son vieux coffre à bijoux. Pauline rit gentiment, Michelle s’en moque, elle se maquille.
Une autre belle journée qui commence très tôt au 6e étage du CHSLD.

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(Texte 4)
Pierre
Tout comme Robert, Pierre revient de l’hôpital, une simple infection urinaire qui s’est transformée en covid 19. Maintenant testé négatif il est de retour, affaibli mais vivant au grand soulagement de Pauline qui s’inquiétait tellement...
Paralysie cérébrale complète, énorme fauteuil roulant pour un corps si frêle et recroquevillé, magnifique yeux bleus qu’il tient de son grand-père Lancelot, Pierre est unique. Impressionnée par sa condition physique, j’hésitais à m’occuper de lui. J’avais peur de lui nuire, de mal ajuster son plastron ou d’incliner trop peu son fauteuil pour ses repas, peur de déplier ses bras spastiques, peur de l’étouffer en coupant ses rôties extra beurre trop larges...
Un vendredi après-midi, alors qu’il ne restait que 15 minutes à mon quart de travail, on me demande d’accompagner Pierre qui a un FaceTime avec ses parents. Comment refuser? Impossible.
De son lit, ses yeux bleus ne me quittent pas un instant pendant que j’enfile l’équipement complet. iPad en main, je le rejoins. Sur la table je vois qu’il a refusé son déjeuner et son dîner servis dans la vaisselle jetable. Ce n’était pas une bonne journée.
Son visage est expressif, ses yeux bleus sont tristes. Il est considéré comme le « chanceux » du 6e car ses parents le visite à tous les dimanches, habituellement. Mais ça c’était avant.
Ça sonne.
- C’est eux Pierre!
J’use d’acrobaties pour réussir à enligner la face de Pierre dans la caméra, tout en m’assurant que son corps est dans le bon angle pour qu’il voit bien ses parents. C’est l’émotion ! Pierre pleure, sa mère (tellement âgée) refoule ses propres émotions pour le consoler comme seule une mère peut le faire, lui dit qu’elle s’ennuie de lui, que les visites du dimanche sont toujours interdites, lui donne des nouvelles de sa sœur Manon, lui parle de ses petits neveux...
Pierre se ressaisit, il écoute, rit quand son père, un général militaire haut gradé à la retraite essaie de s’emparer du iPad que sa mère ne veut pas partager ; ils sont attachants, aimants, gentils et drôles.
Ils racontent les fêtes de famille, parle du grand-père Lancelot de qui Pierre retient ses yeux bleus, parle de Manon qu’ils ont hésité à avoir après la naissance de Pierre, mais qui est en parfaite santé.
J’apprends que le chien noir sur la photo au mur appartenait à Pierre. J’apprends aussi qu’il adore le chocolat, être rasé de prêt ; il comprend tout ce qu’on lui dit, il est très émotif et adore la musique. Il ne se plaint jamais et se démarque par son sens de l’humour.
- Yess j’ai enfin trouvé un public parfait pour mes blagues plates.

Je fais le tour de la chambre avec le iPad. Sa mère m’apprend que ce n’est pas sa chambre habituelle, elle remarque qu’il n’a rien mangé et me suggère gentiment de couper plus petit les spaghettis (note mentale).
Je lui montre le joli dessin coloré affiché au mur que Pauline a offert à Pierre suite à son retour. Ils reconnaissent bien l’empathie de Pauline, me demandent de la remercier, si possible.
Je tente de les rassurer du mieux possible, ils me remercient 12 fois, on se dit à bientôt et on conclut l’entretien avec le plus beau des sourires de Pierre.
Mon quart de travail est terminé depuis presque qu’une heure déjà... Je mets de la musique et quitte le cœur léger parce que les yeux bleus de Pierre ne sont plus tristes à présent !

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(Texte 5)
Myriam 
L’univers de Myriam est fascinant. C’est la femme la plus âgée (cinquantaine d’années) que je connaisse qui est « en grossesse », comme elle nous le répète quotidiennement. (Le père de l’enfant serait un préposé de nuit à la peau noire...mais personne ne l’a encore dénoncé aux autorités à ce jour... ).
Son monde est entouré de poupées. Ses trop nombreux bébés s’accumulent sur les étagères, les planchers, débordent du lit, s’entassent dans des berceaux. J’en écrase malheureusement au moins 2 par jour apportant son repas du midi dans sa chambre.
- Désolée j’ai marché sur Isabella!!!
Myriam me pardonne toujours. Elle me demande souvent de bercer son bébé Audrey-Anne (vêtue d’un manteau en cuir noir style motard en guise de pyjama). J’en suis l’heureuse marraine d’ailleurs. Rien ne lui fait plus plaisir que lorsque je remarque qu’Audrey-Anne a vraiment grandit depuis la veille.
Myriam est dotée d’une excellente mémoire, elle est très maternelle, rigide (sa trisomie 21 l’excuse) et charmante même si son trouble d’accumulation compulsive la transforme en lionne assez souvent. Elle rugit lorsque la préposée de l’entretien ménager entre dans sa tanière : elle protège férocement ses nombreux bébés !
Quelques fois, avec ses rugissements impressionnants, elle réussit à éloigner l’ennemie-préposée et ses produits désinfectants. Mais pas aujourd’hui.
J’ai quitté le 6e étage en laissant une Myriam épuisée de s’être débattue et d’avoir crié de toutes ses forces. Elle ne m’a pas regardée ni saluée, voulant rester seule à bercer ses bébés dans sa chambre propre et désinfectée.
Après presque un mois au CHSLD, je sais maintenant que demain sera un autre combat pour Myriam...

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Merci Catherine xx

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