Avoir 70 ans
n’arrive qu’une fois dans la vie. Ouvrir la porte de la vieillesse, y découvrir
la lumière que vos amis septuagénaires vous ont décrite avec soit de la
sympathie, soit une certaine appréhension!
J’en connais quelques-uns
avec qui maintenant je partage ce nouveau cycle de vie. Je pense à ma sœur
Françoise qui y est arrivée avec toute la beauté qu’elle dégage, ma grande sœur
qui tout au long de notre vie, mes frères et sœurs, aura ouvert la route.
Je pense à mon
indéfectible amie Danielle Viens dont l’humour qu’elle accroche à cette période
me rassure.
Jean-Luc, mon vieux
frère, compagnon inséparable sur je ne sais trop combien de sentiers que nous
avons défrichés tout en y invitant ceux qui ont vu dans nos actions cette belle
opportunité de vivre mieux, de mieux vivre.
Passer en revue mes
amis septuagénaires, c’est avant tout s’arrêter, les regarder cesser de vieillir,
ce que je crois fermement, car la vieillesse a ses limites, elle ne frappe pas toujours en raison des chiffres qui
composent votre quantième. On entend si souvent : il, elle ne fait pas ses
70 ans ; comme la vie n’a pas creusé son visage, son corps ; non,
non, je ne te crois pas, tu ne peux pas avoir 70 ans, on t’en donnerait
beaucoup moins. Vous les avez, tout comme moi, tous entendus ces apophtegmes,
clichés et lieux communs. Ils ne changent rien à la situation.
Plusieurs auteurs
ont écrit sur le phénomène de la vieillesse, et non les moindres. Écrit leur
propre expérience ou celles dont ils furent le témoin. Le grand médecin
Oliveinstein, celui qui, en France, a ouvert un hôpital où l’on accueillait et
soignait les toxicomanes dit, en résumé, qu’il a ressenti la vieillesse arriver
lorsqu’on lui a suggéré de prendre du repos, que l’heure de la retraite avait
sonné. Il a écrit un livre fort touchant sur le sujet : NAISSANCE ET
VIEILLESSE. Il l’a publié cinq ans avant sa mort en 2008. Il aborde la question
à partir de deux axes : l’aspect physique et l’aspect psychologique. Si
vous avez la chance de mettre la main là-dessus, c’est réconfortant.
J’ai donc franchi ce cap, le 24 juin de l’année 2017,
alors que je devais le faire Québec en compagnie de mes filles et mes
petits-enfants - une erreur de date m’oblige à attendre au 18 juillet prochain
– ici à Saïgon en compagnie d’amis vietnamiens.
Personne n’a parlé de vieillesse mais j’ai reçu
une kyrielle de questions sur ce passage de la vie. Que retient-on une fois au
sommet de cette pyramide sur laquelle, tout en haut, le confort n’est pas au
maximum ? Songe-t-on principalement à ce qui est derrière nous maintenant
que devant la forêt qui se fait moins dense, plus clairsemée ?
Regrette-t-on des choses faites ou celles que l’on n’a pu réaliser ?
L’essentiel, c’est quoi ? Y a-t-il une ou des recettes qui permettent de
demeurer dans l’espoir ? Quels événements vécus au cours des deux derniers
siècles nous a marqué ? La mort, est-ce-que cela devient une hantise, un
mystère, une peur, une fatalité ? L’expérience accumulée au fil des années
permet-elle de nous rassurer sur certaines choses ? Y a-t-il plus de
faussetés que de vérités en ce bas monde Et j’en oublie…
Je regardais ces amis vietnamiens. On est jeune
au Vietnam. L’âge moyen se situe aux alentours de 25 ans. On n’a entendu parler
de la guerre, je devrais dire des guerres, qu’à partir des commentaires qu’ils
en reçoivent de la part de vieilles personnes qui, pour une grande partie
d’entre elles, ne souhaitent plus en parler. L’éducation scolaire, denrée rare
il y a encore moins d’un siècle, se résume trop en de la propagande. On parle
de revoir autant le cursus que le contenu des programmes. Toutefois, au
Vietnam, on annonce bien des changements qui tardent malheureusement à se
concrétiser dans le quotidien des habitants. On se drape toujours de la
tradition, de valeurs que je vois bafouer régulièrement, de la souffrance des
ancêtres et du respect inconditionnel qu’on leur doit. Les jeunes vivent entre
l’arbre et l’écorce. La situation économique dont on promet de sensibles
améliorations, les autorités misent sur la patience angélique de ce peuple si
longtemps, si souvent brimé dans ses besoins élémentaires, un patriotisme à
outrance pour les retarder.
La situation des jeunes universitaires
nouvellement diplômés est loin d’être attrayante. Peu d’emplois, beaucoup de
rêves de partir vers l’étranger. Il n’est pas rare de croiser un agent de
sécurité – le salaire mensuel tourne autour de 400$ - ayant achevé des études
universitaires mais ne pouvant se localiser de manière permanente dans une
situation à la hauteur de ses qualifications. Cela n’a rien pour encourager les
plus jeunes à poursuivre des études qui, malheureusement, ne mènent à rien. Le
gouvernement s’inquiète de cette volonté d’exode qui se répand chez la jeunesse
mais semble passif et lambin comme une tortue à y remédier.
Je reviens aux questions que l’on me posait. Une
seule réponse concise à leurs attentes : le plus important dans la vie
lorsqu’on se retourne vers le passé et qu’on scrute l’horizon:
l’amour. Il n’y a rien d'autre, leur ai-je dit, que l’amour. Celui de soi-même
car on ne peut aimer les autres si nous ne nous aimons pas d’abord. Celui des
autres, oui, non seulement nos proches mais l’humanité dans son entier. Nous
avons tous le même sang, les mêmes besoins, la même espérance. L’amour ne va
pas sans le rêve. Rêver c’est aimer. Aimer, c’est rêver. J’insistais sur ce
corollaire. Si l’on aime, on rêve d’être meilleur et si l’on rêve c’est que
l’on veut aimer ce meilleur.
Je percevais une certaine déception à l’écoute
de ma réponse. Je me suis permis de rajouter ces quelques phrases.
Dès la naissance, même avant, nous sommes le
produit de l’amour. Celui de nos parents qui se sont choisis, qui ont cru en la
suite du monde et tout fait pour que nous puissions y vivre convenablement.
Dans l’enfance, cette insouciante période où les
apprentissages accaparent la majeure partie de notre temps que l’on trouve si
long! Trop souvent inconscient que dès cette période l’édifice de notre vie se
construit, que les matériaux avec lesquels la société nous forge se doivent
d’être solides et rigoureux.
À l’adolescence, que je compare souvent à
l’étape du «non» chez l’enfant de deux ou trois ans, nous voilà arrivés sur un
chantier bouillonnant sur lequel on découvre que les instruments, les outils
que l’on a reçus sont perfectibles et amendables. Que d’autres référentiels
nous sont maintenant offerts. Qu’on peut vivre en-dehors de la famille, que le
groupe, le réseau, revêt une dimension incommensurablement importante. Qu’entre
l’important et l’essentiel, chacun doit faire son choix. Que la révolte qui
nous semble si facile et réponse à tout doit prendre assise sur la pensée
critique, l’écoute de l’autre et l’intelligence de la logique. Cohésion et
cohérence nous arrivent en pleine figure, de plein fouet. On change d’idée
comme on change d’habit. Plus tard on découvrira que les modes sont
temporaires.
Puis l’âge adulte qui complètement nous défigure.
Il s’accompagne de tout son cortège de responsabilités alors qu’auparavant on
ne croyait avoir que des droits. L’amour que nous idéalisions à l’adolescence
prend un autre sens, celui de l’engagement dans un maximum de sécurité. Celui
aussi de sa diversité. Il nous faut aimer la vie, aimer la société dans
laquelle nous oeuvrons, le travail qui assure notre qualité de vie de même que
celle de ceux qui, tout doucement, s’accrochent à nous : les enfants, surtout. Certains, dans une différence affichée ou non, auront choisi
d’autres voies pour parvenir au bonheur. Pour certains autres, le poids qu’ils
ont traîné depuis la naissance devient un fardeau, une oppression, ou une
contrainte qu’ils ne peuvent assumer. Ils désespèrent dans un monde qui devrait
carburer à l’espoir.
Et l’on marche, insouciant des traces que nous
laissons, oubliant parfois de jeter un coup d’œil dans le rétroviseur qui
reflète ce que nous avons imprimé. Et on marche, souvent on court après on ne
sait trop quoi exactement, dans les voies tracées par d’autres avant nous,
curieux à l’occasion des sentiers non défrichés qui s’offrent à notre regard,
hésitants à modifier notre azimut. Autour de nous, le sens des mots, le sens
des vérités modifient notre vocabulaire. Ce qui fut vrai il y a si peu de temps
encore devient obsolète. Nos réactions aux changements varient selon nos
conceptions, nos croyances. On nous interpelle. Et on bouge… ou, on
s’immobilise dans une sécurité rudement mise à l’épreuve.
Et l’on s’interroge sur le monde, notre monde
terrestre et spirituel. Des concepts doivent être étudiés en tenant compte des
paradigmes ambiants. On interroge l’histoire. On lit différentes littératures,
différentes philosophies. Mille et un essais qui tentent de clarifier le temps
présent alors que d’aucuns ne voient dans notre «république platonnienne» que
la répétition itérative d’événements passés. On apprend la circularité des
choses et leur indéfectible dualité. Nous sommes des êtres binaires, c’est à
l’âge adulte qu’on en prend conscience. Une conscience rudement mise à
l’épreuve par la malsaine férocité de l’homme envers l’homme. Et l’on constate
amèrement la fragilité de nos actions tardant à croire que la solidarité
représente une voie à davantage explorer.
Puis, abruptement, surgit l’âge d’or… ainsi
surnommé. Cet âge où l’extraordinaire phénomène qu’est le silence nous parle. Non
pas ce silence qui meuble la solitude ou l’isolement, non. Celui qui, à
l’intérieur de nous, s’acharne à remémorer ce qui fut, ce qui cherche à fuir. Au
moment où nous en avons le plus besoin, la traîtresse mémoire nous joue des
tours. Devient sélective. Elle s’attarde sur divers moments de notre vie et
parfois nous accuse. Il ne faut pas l’écouter à ce moment-là. Le passé possède
une qualité indélébile, celle de s’enfermer éternellement dans l’inertie :
on n’y peut rien, c’est achevé à tout jamais. Ne s’annonce à nos yeux fatigués
que l’horizon qui nous semble rapprocher de jour en jour. Mais nous avons du
pouvoir sur ce devenir. Chaque moment présent le caractérisera. Choisir la « chaise
berçante » est une option. D’autres sont envisageables, réalisables, si au
cours de notre vie, le rêve nous a nourris. Le monde est à portée de main, nous
n’avons qu’à le cueillir… car sur la pente descendante de la vie, on a besoin
de personne pour accélérer le mouvement. C’est sans doute à cette ère
septuagénaire que l’on réalise de pas être identifiable à Sisyphe.
La vieillesse est là avec son cortège de petits
bonheurs, de petits aléas. Puissante dans toute sa faiblesse, elle nous demande
de ne jamais céder à la résignation. Si la vie se définit dans un long
processus, la vieillesse en fait inexorablement partie .
Voilà ce que je leur ai raconté. Ils m’ont
écouté avec attention, du moins je le crois. Mais l’auditeur le plus attentif
fut… moi.
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