mardi 27 juin 2017

AVOIR 70 ANS



Avoir 70 ans n’arrive qu’une fois dans la vie. Ouvrir la porte de la vieillesse, y découvrir la lumière que vos amis septuagénaires vous ont décrite avec soit de la sympathie, soit une certaine appréhension!

J’en connais quelques-uns avec qui maintenant je partage ce nouveau cycle de vie. Je pense à ma sœur Françoise qui y est arrivée avec toute la beauté qu’elle dégage, ma grande sœur qui tout au long de notre vie, mes frères et sœurs, aura ouvert la route.
        
Je pense à mon indéfectible amie Danielle Viens dont l’humour qu’elle accroche à cette période me rassure.

Jean-Luc, mon vieux frère, compagnon inséparable sur je ne sais trop combien de sentiers que nous avons défrichés tout en y invitant ceux qui ont vu dans nos actions cette belle opportunité de vivre mieux, de mieux vivre.

Passer en revue mes amis septuagénaires, c’est avant tout s’arrêter, les regarder cesser de vieillir, ce que je crois fermement, car la vieillesse a ses limites, elle ne frappe pas toujours en raison des chiffres qui composent votre quantième. On entend si souvent : il, elle ne fait pas ses 70 ans ; comme la vie n’a pas creusé son visage, son corps ; non, non, je ne te crois pas, tu ne peux pas avoir 70 ans, on t’en donnerait beaucoup moins. Vous les avez, tout comme moi, tous entendus ces apophtegmes, clichés et lieux communs. Ils ne changent rien à la situation.

Plusieurs auteurs ont écrit sur le phénomène de la vieillesse, et non les moindres. Écrit leur propre expérience ou celles dont ils furent le témoin. Le grand médecin Oliveinstein, celui qui, en France, a ouvert un hôpital où l’on accueillait et soignait les toxicomanes dit, en résumé, qu’il a ressenti la vieillesse arriver lorsqu’on lui a suggéré de prendre du repos, que l’heure de la retraite avait sonné. Il a écrit un livre fort touchant sur le sujet : NAISSANCE ET VIEILLESSE. Il l’a publié cinq ans avant sa mort en 2008. Il aborde la question à partir de deux axes : l’aspect physique et l’aspect psychologique. Si vous avez la chance de mettre la main là-dessus, c’est réconfortant.

J’ai donc franchi ce cap, le 24 juin de l’année 2017, alors que je devais le faire Québec en compagnie de mes filles et mes petits-enfants - une erreur de date m’oblige à attendre au 18 juillet prochain – ici à Saïgon en compagnie d’amis vietnamiens.

Personne n’a parlé de vieillesse mais j’ai reçu une kyrielle de questions sur ce passage de la vie. Que retient-on une fois au sommet de cette pyramide sur laquelle, tout en haut, le confort n’est pas au maximum ? Songe-t-on principalement à ce qui est derrière nous maintenant que devant la forêt qui se fait moins dense, plus clairsemée ? Regrette-t-on des choses faites ou celles que l’on n’a pu réaliser ? L’essentiel, c’est quoi ? Y a-t-il une ou des recettes qui permettent de demeurer dans l’espoir ? Quels événements vécus au cours des deux derniers siècles nous a marqué ? La mort, est-ce-que cela devient une hantise, un mystère, une peur, une fatalité ? L’expérience accumulée au fil des années permet-elle de nous rassurer sur certaines choses ? Y a-t-il plus de faussetés que de vérités en ce bas monde Et j’en oublie…

Je regardais ces amis vietnamiens. On est jeune au Vietnam. L’âge moyen se situe aux alentours de 25 ans. On n’a entendu parler de la guerre, je devrais dire des guerres, qu’à partir des commentaires qu’ils en reçoivent de la part de vieilles personnes qui, pour une grande partie d’entre elles, ne souhaitent plus en parler. L’éducation scolaire, denrée rare il y a encore moins d’un siècle, se résume trop en de la propagande. On parle de revoir autant le cursus que le contenu des programmes. Toutefois, au Vietnam, on annonce bien des changements qui tardent malheureusement à se concrétiser dans le quotidien des habitants. On se drape toujours de la tradition, de valeurs que je vois bafouer régulièrement, de la souffrance des ancêtres et du respect inconditionnel qu’on leur doit. Les jeunes vivent entre l’arbre et l’écorce. La situation économique dont on promet de sensibles améliorations, les autorités misent sur la patience angélique de ce peuple si longtemps, si souvent brimé dans ses besoins élémentaires, un patriotisme à outrance pour les retarder.

La situation des jeunes universitaires nouvellement diplômés est loin d’être attrayante. Peu d’emplois, beaucoup de rêves de partir vers l’étranger. Il n’est pas rare de croiser un agent de sécurité – le salaire mensuel tourne autour de 400$ - ayant achevé des études universitaires mais ne pouvant se localiser de manière permanente dans une situation à la hauteur de ses qualifications. Cela n’a rien pour encourager les plus jeunes à poursuivre des études qui, malheureusement, ne mènent à rien. Le gouvernement s’inquiète de cette volonté d’exode qui se répand chez la jeunesse mais semble passif et lambin comme une tortue à y remédier.

Je reviens aux questions que l’on me posait. Une seule réponse concise à leurs attentes : le plus important dans la vie lorsqu’on se retourne vers le passé et qu’on scrute l’horizon: l’amour. Il n’y a rien d'autre, leur ai-je dit, que l’amour. Celui de soi-même car on ne peut aimer les autres si nous ne nous aimons pas d’abord. Celui des autres, oui, non seulement nos proches mais l’humanité dans son entier. Nous avons tous le même sang, les mêmes besoins, la même espérance. L’amour ne va pas sans le rêve. Rêver c’est aimer. Aimer, c’est rêver. J’insistais sur ce corollaire. Si l’on aime, on rêve d’être meilleur et si l’on rêve c’est que l’on veut aimer ce meilleur.

Je percevais une certaine déception à l’écoute de ma réponse. Je me suis permis de rajouter ces quelques phrases.

Dès la naissance, même avant, nous sommes le produit de l’amour. Celui de nos parents qui se sont choisis, qui ont cru en la suite du monde et tout fait pour que nous puissions y vivre convenablement.

Dans l’enfance, cette insouciante période où les apprentissages accaparent la majeure partie de notre temps que l’on trouve si long! Trop souvent inconscient que dès cette période l’édifice de notre vie se construit, que les matériaux avec lesquels la société nous forge se doivent d’être solides et rigoureux.

À l’adolescence, que je compare souvent à l’étape du «non» chez l’enfant de deux ou trois ans, nous voilà arrivés sur un chantier bouillonnant sur lequel on découvre que les instruments, les outils que l’on a reçus sont perfectibles et amendables. Que d’autres référentiels nous sont maintenant offerts. Qu’on peut vivre en-dehors de la famille, que le groupe, le réseau, revêt une dimension incommensurablement importante. Qu’entre l’important et l’essentiel, chacun doit faire son choix. Que la révolte qui nous semble si facile et réponse à tout doit prendre assise sur la pensée critique, l’écoute de l’autre et l’intelligence de la logique. Cohésion et cohérence nous arrivent en pleine figure, de plein fouet. On change d’idée comme on change d’habit. Plus tard on découvrira que les modes sont temporaires.

Puis l’âge adulte qui complètement nous défigure. Il s’accompagne de tout son cortège de responsabilités alors qu’auparavant on ne croyait avoir que des droits. L’amour que nous idéalisions à l’adolescence prend un autre sens, celui de l’engagement dans un maximum de sécurité. Celui aussi de sa diversité. Il nous faut aimer la vie, aimer la société dans laquelle nous oeuvrons, le travail qui assure notre qualité de vie de même que celle de ceux qui, tout doucement, s’accrochent à nous : les enfants, surtout. Certains, dans une différence affichée ou non, auront choisi d’autres voies pour parvenir au bonheur. Pour certains autres, le poids qu’ils ont traîné depuis la naissance devient un fardeau, une oppression, ou une contrainte qu’ils ne peuvent assumer. Ils désespèrent dans un monde qui devrait carburer à l’espoir.

Et l’on marche, insouciant des traces que nous laissons, oubliant parfois de jeter un coup d’œil dans le rétroviseur qui reflète ce que nous avons imprimé. Et on marche, souvent on court après on ne sait trop quoi exactement, dans les voies tracées par d’autres avant nous, curieux à l’occasion des sentiers non défrichés qui s’offrent à notre regard, hésitants à modifier notre azimut. Autour de nous, le sens des mots, le sens des vérités modifient notre vocabulaire. Ce qui fut vrai il y a si peu de temps encore devient obsolète. Nos réactions aux changements varient selon nos conceptions, nos croyances. On nous interpelle. Et on bouge… ou, on s’immobilise dans une sécurité rudement mise à l’épreuve.

Et l’on s’interroge sur le monde, notre monde terrestre et spirituel. Des concepts doivent être étudiés en tenant compte des paradigmes ambiants. On interroge l’histoire. On lit différentes littératures, différentes philosophies. Mille et un essais qui tentent de clarifier le temps présent alors que d’aucuns ne voient dans notre «république platonnienne» que la répétition itérative d’événements passés. On apprend la circularité des choses et leur indéfectible dualité. Nous sommes des êtres binaires, c’est à l’âge adulte qu’on en prend conscience. Une conscience rudement mise à l’épreuve par la malsaine férocité de l’homme envers l’homme. Et l’on constate amèrement la fragilité de nos actions tardant à croire que la solidarité représente une voie à davantage explorer. 

Puis, abruptement, surgit l’âge d’or… ainsi surnommé. Cet âge où l’extraordinaire phénomène qu’est le silence nous parle. Non pas ce silence qui meuble la solitude ou l’isolement, non. Celui qui, à l’intérieur de nous, s’acharne à remémorer ce qui fut, ce qui cherche à fuir. Au moment où nous en avons le plus besoin, la traîtresse mémoire nous joue des tours. Devient sélective. Elle s’attarde sur divers moments de notre vie et parfois nous accuse. Il ne faut pas l’écouter à ce moment-là. Le passé possède une qualité indélébile, celle de s’enfermer éternellement dans l’inertie : on n’y peut rien, c’est achevé à tout jamais. Ne s’annonce à nos yeux fatigués que l’horizon qui nous semble rapprocher de jour en jour. Mais nous avons du pouvoir sur ce devenir. Chaque moment présent le caractérisera. Choisir la « chaise berçante » est une option. D’autres sont envisageables, réalisables, si au cours de notre vie, le rêve nous a nourris. Le monde est à portée de main, nous n’avons qu’à le cueillir… car sur la pente descendante de la vie, on a besoin de personne pour accélérer le mouvement. C’est sans doute à cette ère septuagénaire que l’on réalise de pas être identifiable à Sisyphe.

La vieillesse est là avec son cortège de petits bonheurs, de petits aléas. Puissante dans toute sa faiblesse, elle nous demande de ne jamais céder à la résignation. Si la vie se définit dans un long processus, la vieillesse en fait inexorablement partie .


Voilà ce que je leur ai raconté. Ils m’ont écouté avec attention, du moins je le crois. Mais l’auditeur le plus attentif fut… moi. 

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